Merci à nos deux rapporteurs pour leur remarquable travail.
Ce rapport est le fruit de dizaines d'heures de travail, avec notamment l'audition de plus de quarante personnalités. Il procède de l'exploitation d'une trentaine de demandes de compléments d'informations, qui représentent près de 500 pages de documents qu'il a fallu dépouiller et analyser très méticuleusement. Il découle d'un long travail de rapprochement des informations, qui a permis de faire émerger, non seulement une grande partie de ce que nous pensons être la vérité, mais aussi de nettes contradictions dans les réponses apportées.
À l'évidence, les fautes de l'homme - Alexandre Benalla - sont indissociables des dysfonctionnements constatés au sein des services de l'État. C'est avec une grande équanimité que nos rapporteurs ont évité de faire reposer un poids excessif sur un seul individu car, sans la confiance qui lui a été accordée, les pouvoirs qu'il semble s'être arrogé et les abus qu'il a commis auraient été impossibles. En outre, les rebondissements observés au fil des mois n'auraient pas eu lieu sans un certain nombre de défaillances dans le fonctionnement de l'État. Au fond, cette affaire n'aurait simplement pas existé si M. Benalla avait quitté l'Élysée le 2 mai 2018 en rendant tous les attributs liés à sa fonction. Chacun sait que cela n'a pas été le cas.
Aujourd'hui, il appartient à la seule justice d'identifier les fautes commises par M. Benalla, de les caractériser sur le plan pénal et, le cas échéant, de les sanctionner. Ce n'est pas l'affaire de notre commission : notre rôle consiste à mettre au jour les défaillances et les dysfonctionnements au sein de l'exécutif, qui ont permis ces fautes.
L'autorité des conclusions de nos rapporteurs repose sur le caractère très approfondi de leur travail, sur l'objectivité dont ils ont fait preuve, ainsi que sur trois principes fondamentaux, dont nous avons essayé collectivement d'être les gardiens.
Le premier principe, c'est le respect de notre mandat. Contrairement au mandat de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qui visait à « faire la lumière sur les événements survenus à l'occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018 », notre commission dotée des prérogatives d'une commission d'enquête a porté sur les ingérences susceptibles d'avoir été commises par des individus qui ne sont ni gendarmes ni policiers dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre et dans le fonctionnement de la sécurité et de la protection des hautes personnalités. D'entrée de jeu, notre objectif a consisté à tenter d'y voir plus clair dans le fonctionnement de services placés, pour la plupart, sous la responsabilité du Gouvernement, et de services administratifs de la présidence de la République, qui ne sont pas exclus d'office du champ d'action des commissions parlementaires.
Le deuxième principe auquel j'attache beaucoup d'importance est le respect des prérogatives du Président de la République. Celui-ci n'est responsable dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. Or, à aucun moment, les procédures mises en oeuvre par notre commission n'ont visé à engager ce type de responsabilité. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant ! Aucun acte du Président de la République, aucune de ces décisions, n'a été examiné par nos rapporteurs ni fait l'objet de discussions lors des auditions. En respectant ce principe, nous avons contribué à donner du crédit aux conclusions de nos rapporteurs.
Le troisième et dernier principe a trait au respect des prérogatives de l'autorité judiciaire. Cela découle naturellement de notre mandat, mais aussi de la discipline que nos rapporteurs se sont imposés.
Après avoir rappelé la nécessité de respecter les prérogatives des autres autorités, il n'est pas inutile de préciser que nous avons également eu le souci de nos propres prérogatives. L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en disposant que « la Société a droit de demander compte à tout agent public de son administration », fonde le pouvoir de contrôle des représentants de la Nation à l'égard de l'exécutif. Il ne s'agit pas d'une fonction secondaire du Parlement ; celui-ci doit pleinement assumer cette responsabilité, qu'il doit traiter à égalité avec son rôle de législateur.
Notre commission a eu à coeur d'assumer cette mission pendant tout le déroulement de ses travaux, et ce dans la plus parfaite transparence puisque nous avons tenu à ce que nos auditions soient publiques. En définitive, cette décision s'est révélée tout à fait judicieuse : cette transparence s'impose à nous, parce que le contrôle de l'exécutif s'exerce au nom des Français eux-mêmes. Ce point me semble très important pour la démocratie. Chaque Français qui s'est intéressé au sujet - et ils ont été nombreux - a pu se faire son jugement grâce à notre commission.
Les médias ont certes joué un rôle important, puisqu'ils ont divulgué toutes les informations que nous avons eu à traiter par la suite, mais le Parlement a ce pouvoir spécifique de contraindre les personnes qu'il souhaite entendre à honorer leur convocation et de pouvoir les sanctionner, notamment sur le plan pénal, en cas de mensonge.
Pour faire bref, quatre éléments essentiels sont à retenir. Il y a tout d'abord les événements de la place de la Contrescarpe. Nous n'avons pas cherché à caractériser les actes commis par MM. Benalla et Crase, mais à comprendre comment un certain nombre de défaillances avaient rendu ces actes possibles et comment d'autres dysfonctionnements avaient pu apparaître par la suite.
Ensuite, il faut évoquer les passeports de M. Benalla. Là encore, si celui-ci a mal agi en utilisant ces passeports, s'il a commis des irrégularités passibles de sanctions pénales, ce n'est pas l'affaire de notre commission. Notre rôle est de déterminer si l'État a réellement fait le nécessaire pour lui retirer ses instruments de travail.
En évoquant les contrats russes, on touche également à quelque chose d'extrêmement grave. Nous ignorons comment MM. Benalla et Crase sont entrés en relation avec des représentants d'un oligarque russe proche de M. Poutine. Toutes les hypothèses sont aujourd'hui permises, y compris celle d'une approche délibérée des intéressés, destinée à les placer dans une situation de dépendance vis-à-vis d'intérêts étrangers puissants, et ce sans que le minimum de précautions ait été pris, puisque les deux personnes concernées n'ont pas respecté leurs obligations en matière de déclaration d'intérêts, et qu'elles ne sont pas passées devant la commission de déontologie de la fonction publique après leur départ de l'Élysée.
Enfin, j'aborderai la question de la sécurité du Président de la République. Ce dernier incarne constitutionnellement la continuité de l'État, dans un contexte de risque terroriste élevé et dans un monde où les tensions internationales sont extrêmement vives ; il détient par ailleurs des pouvoirs dont peu de chefs de l'exécutif peuvent se prévaloir. Nous considérons par conséquent que la sécurité du Président de la République ne peut pas être la seule affaire du chef de l'État et qu'elle nous regarde.
Cette sécurité doit être assurée selon des critères de qualité qui répondent aux meilleurs standards internationaux. Quand un individu, qui n'a été ni formé, ni sélectionné, ni entraîné, ni même évalué dans des conditions normales, prend des responsabilités particulières dans ce domaine, il y a matière à s'inquiéter. Le fait que M. Benalla ait pu s'ingérer dans le fonctionnement des services de sécurité pose un problème important. Cela ne doit pas se reproduire. Aujourd'hui, la sécurité du chef de l'État est conforme à ce qu'elle doit être. À l'époque où M. Benalla exerçait son emprise sur les services chargés de la protection présidentielle, cette sécurité était affaiblie.
Je me dois maintenant d'évoquer mes propres prérogatives. Nous avons rappelé à plusieurs reprises, y compris devant les personnes auditionnées, que la justice pouvait être saisie en cas de faux témoignage et que les sanctions encourues pouvaient aller jusqu'à 75 000 euros d'amende et cinq ans de prison.
Dois-je mettre en oeuvre la procédure de saisine du Bureau du Sénat en vue de saisir le procureur de la République pour faux témoignage ? Je me suis entretenu à plusieurs reprises avec les rapporteurs, ce qui nous a permis d'arrêter une position commune. Ainsi, nous sommes convenus d'adresser une lettre au président du Sénat pour que le Bureau de notre assemblée délibère de la saisine du procureur de la République concernant les mensonges de M. Benalla à propos de ses passeports diplomatiques.
Sur ce point, il nous semble qu'il y a bien un mensonge caractérisé de sa part. En effet, M. Benalla nous a d'abord indiqué que ses passeports étaient restés dans son bureau. Quelques mois plus tard, il nous a expliqué les avoir conservés au moment de son départ de l'Élysée, puis les avoir restitués, avant qu'ils ne lui soient rendus par une personne et dans des conditions sur lesquelles il a refusé de s'expliquer. M. Strzoda a, quant à lui, fermement démenti ces allégations.
Nous avons également constaté plus que des flottements dans les explications fournies par les collaborateurs du chef de l'État sur la fonction réellement exercée par M. Benalla. Au début de nos travaux, il nous avait été répondu que celui-ci n'avait aucune responsabilité en matière de sécurité. Finalement, le chef de cabinet du Président de la République a reconnu, au moment où les services de l'Élysée se sont enfin décidés - après l'avoir refusé - à nous transmettre la fiche de fonction de M. Benalla, qu'il avait pour mission de coordonner les services en charge de la sécurité du Président de la République. M. Lauch a présenté cette coordination comme étant de nature technique.
Par ailleurs, les collaborateurs du chef de l'État nous ont soutenu, contre toute évidence, que M. Benalla n'exerçait aucune responsabilité en matière de protection rapprochée. C'est tout à fait contraire aux analyses qu'ont faites plusieurs spécialistes sur le fondement d'images où M. Benalla apparaît auprès du chef de l'État. Cela contredit également un certain nombre d'éléments factuels, comme le fait que M. Benalla portait bien une arme lors de certains déplacements publics du Président de la République.
En tout cas, les rapporteurs ont acquis la conviction que l'on avait retenu des informations sur la nature réelle des fonctions occupées par M. Benalla en matière de sécurité, afin d'entraver la découverte de la vérité. C'est pourquoi nous nous apprêtons à saisir le Bureau du Sénat à ce sujet, tout en reconnaissant que la présidence de la République et le Gouvernement ont accepté de coopérer sur la plupart des autres sujets.
Enfin, d'autres éléments mis au jour dans notre rapport pourraient être utiles à la justice. C'est la raison pour laquelle nous demanderons au Bureau du Sénat de bien vouloir délibérer sur la communication formelle de l'ensemble du rapport au procureur de la République : ce dernier doit pouvoir déterminer s'il existe d'autres éléments susceptibles de constituer un faux témoignage, ou des mensonges justifiant l'ouverture d'une enquête judiciaire.