Intervention de Loïc Hervé

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 février 2019 à 10h30
Proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers — Procédure de législation en commission articles 47 ter à 47 quinquies du règlement - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Loïc HervéLoïc Hervé, rapporteur :

Je tiens à remercier Patrick Kanner d'avoir déposé cette proposition de loi. S'il existe un débat sur l'opportunité juridique du dispositif proposé, reconnaissons que ce texte a l'immense mérite de soulever la bonne question : celle de la sécurité de nos sapeurs-pompiers. En tant que chambre des territoires, le Sénat ne saurait ignorer l'augmentation intolérable des agressions dont ils sont victimes.

En 2017, 2 813 agressions ont été déclarées, contre 2 280 en 2016, soit une augmentation de 23 % en une seule année ! Et l'augmentation est encore plus vertigineuse sur une longue période : depuis 2008, le nombre d'agressions déclarées a augmenté de 213 % pour l'ensemble des sapeurs-pompiers.

Il s'agit souvent d'actes de délinquance qui empoisonnent le quotidien des pompiers et traduisent une haine aveugle et profonde de tout uniforme. Il s'agit aussi de confrontations de plus en plus régulières avec des individus à risque, dans le cadre des activités croissantes de secours à personnes. Je fais ici référence aux malades atteints de certains troubles mentaux et dont l'instabilité est une vraie menace pour les pompiers qui les secourent. Le phénomène touche le monde urbain, périurbain, rural.

Non seulement ces agressions mettent en danger nos sapeurs-pompiers, mais elles nuisent à l'attractivité de toute une profession - ou d'un engagement lorsqu'il s'agit des volontaires.

La proposition de loi de Patrick Kanner vise à faciliter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers agressés. Elle tend à rendre ce dépôt anonyme afin de prémunir le sapeur-pompier victime d'éventuelles représailles de la part son agresseur. Elle s'inspire des dispositions récemment introduites dans le code de procédure pénale pour garantir l'anonymat des enquêteurs de la police, de la gendarmerie ou des douanes dans les actes de procédure qu'ils établissent.

L'idée de renforcer la protection dont doivent légitimement bénéficier les sapeurs-pompiers est bonne. Néanmoins, les travaux menés et les auditions que j'ai conduites, auxquelles Patrick Kanner a participé, ont révélé certaines faiblesses profondes. La première d'entre elles est juridique puisque l'anonymat du plaignant fait obstacle à l'exercice plein et entier des droits de la défense reconnus à la partie en cause. Certes, cette proposition prévoit un mécanisme de levée d'anonymat, mais il ne semble pas en mesure de compenser l'atteinte à ces droits tels qu'ils sont conjointement garantis par la Constitution et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Il n'existe d'ailleurs aucune procédure similaire en droit français. Seuls les enquêteurs qui bénéficient déjà de l'anonymat dans les actes de procédures peuvent jouir d'un prolongement de cet anonymat s'ils doivent se constituer partie civile. Un doute persiste néanmoins sur la constitutionnalité et la conventionalité de ces dispositions encore très récentes.

Ces raisons ont conduit notre commission à s'opposer à l'adoption d'un dispositif relativement similaire lors de l'examen du projet de loi « Justice » il y a à peine quelques semaines. En cohérence, et pour les mêmes raisons, je pense que notre commission ne peut pas adopter les dispositions telles qu'elles sont rédigées.

Néanmoins, nous ne pouvons pas rester indifférents au problème capital que cette proposition de loi soulève.

C'est pourquoi, avec l'accord de Patrick Kanner, je vous propose de substituer un nouveau dispositif à celui qui était initialement prévu. Il s'agirait de faciliter l'anonymat, non plus des victimes, mais des témoins d'agressions de sapeurs-pompiers. Cet anonymat est actuellement prévu par le code de procédure pénale pour les témoins de crimes ou de délits punis de plus de trois ans de prison. Notre amendement permettrait le recours à cette procédure pour toute infraction, dès lors qu'elle est commise sur un sapeur-pompier volontaire ou professionnel. Elle viserait ainsi l'ensemble des agressions dont sont victimes les sapeurs-pompiers, même les plus mineures, telles que l'outrage.

Conscient que cet amendement ne peut être la seule réponse à un problème bien plus large, j'appelle également de mes voeux la création d'une mission d'information. Elle permettrait d'analyser tous les aspects de ce problème complexe, de faire le point sur l'efficacité des dispositifs existants et de proposer des solutions efficaces pour endiguer ces agressions insupportables.

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