Je salue ce texte dont j'approuve l'intention. Dans certains quartiers, les sapeurs-pompiers subissent des insultes, des jets de pierres et doivent faire face à des attaques. Ce sont des conditions très dures et inacceptables. Je suis donc d'accord avec vous : nous devons trouver des moyens pour mieux les protéger. Cependant, même si nous partageons l'esprit de ce texte, il ne semble pas en mesure de répondre à cette préoccupation.
Il vise en effet à permettre aux sapeurs-pompiers victimes d'infractions dans l'exercice de leurs fonctions de ne pas s'identifier par leur nom et prénom, mais par un matricule. Ce dispositif s'inspire directement de celui mis en place dans la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique et qui offre la possibilité aux policiers, aux gendarmes et aux douaniers de s'identifier par les matricules dans certaines conditions précisées, et uniquement pour des actes de police judiciaire, le but étant de protéger ces agents contre des menaces ou des représailles de la part des personnes mises en cause.
Le dispositif prévu dans la proposition de loi n'est en rien similaire à celui mis en place pour les policiers, les gendarmes et les douaniers. J'ajoute qu'il présente en l'état deux problèmes : d'une part, il n'est pas vraiment applicable, car il demeure incomplet, et aucune procédure n'est prévue pour qu'un magistrat puisse anonymiser une plainte ; d'autre part, il ne permet pas de respecter les droits de la défense.
Un droit à l'anonymisation strictement encadré a été donné aux policiers, aux gendarmes et aux douaniers pour deux raisons : d'abord parce qu'ils sont auteurs d'actes de procédure ; ensuite parce que des gages sérieux ont été accordés pour protéger les droits de la défense. En effet, les magistrats continuent à avoir accès au nom de l'agent et toute partie conserve le droit à demander le nom de l'enquêteur, sur autorisation expresse du juge.
Dans le présent texte, aucune de ces conditions n'est réunie. Même si les sapeurs-pompiers sont exposés, ils ne sont pas des enquêteurs ou des auteurs d'actes de procédure ; ils sont plutôt des victimes. Porter plainte est toujours un acte engageant, qui expose nécessairement. Il faut évidemment protéger les victimes, mais permettre une exception systématique pour les sapeurs-pompiers, c'est ouvrir la porte à d'autres exceptions systématiques. Demain, ce seront les enseignants, les agents des caisses d'allocations familiales (CAF) et les bailleurs sociaux qui demanderont des régimes dérogatoires. Cela pourrait in fine prêter à bien des dérives et serait extrêmement préjudiciable pour les droits de la défense. Nous ne souhaitons pas poser les fondements d'une société où chacun, face à la justice, aurait un matricule !
Au-delà même de cette pente glissante, je souligne que les sapeurs-pompiers sont d'ores et déjà des victimes plus protégés que les autres puisque la commission d'une infraction à leur encontre dans l'exercice de leurs fonctions est plus sévèrement réprimée que si elle était effectuée à l'encontre d'un simple citoyen.
Enfin, si la proposition de loi était votée, nous ne disposerions pas à l'heure actuelle des dispositifs nécessaires pour pouvoir la mettre en place. Je sais que votre commission a été sensible à ces arguments et qu'un amendement unique a été présenté afin de changer l'objet du texte et créer un régime dérogatoire pour les témoins d'agression de sapeurs-pompiers.
Cet amendement est toutefois susceptible de poser un problème d'égalité puisqu'il ne prend pas en compte tous les sapeurs-pompiers : il ne concerne que des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, et ne mentionne pas les sapeurs-pompiers militaires -essentiellement la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et les marins-pompiers de Marseille. De plus, la modification proposée du code procédure pénale conduirait à créer des statuts spécifiques pour chaque catégorie de la population. À l'heure actuelle, le témoin d'un délit ou d'un crime passible de plus de trois ans d'emprisonnement sur un sapeur-pompier peut déjà bénéficier d'une protection. Je ne suis donc pas convaincu de l'effet utile de l'amendement.
Par ailleurs, créer des sous-catégories en fonction des missions, c'est prêter le flanc à un code de procédure pénale à la carte, qui perdrait sans doute son caractère d'universalité et évoluerait au gré des circonstances ou des revendications.
Enfin, je ne suis pas convaincu de la constitutionnalité de cet amendement. Le législateur a prévu un seuil de trois ans pour la protection des témoins parce qu'il respecte le principe de proportionnalité édicté par le Conseil constitutionnel. Déroger à ce seuil sans justification particulière serait s'exposer à une possible censure de celui-ci.
Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire pour protéger les sapeurs-pompiers des agressions, bien au contraire ! Mais pour ce faire, il convient plutôt selon moi de continuer à appliquer les dispositions existantes. Il convient notamment d'en renforcer l'application. Il nous faut assurer un accueil privilégié des sapeurs-pompiers au sein des commissariats et des brigades de gendarmerie. Des instructions ont été données en ce sens. Par ailleurs, dans une circulaire du 13 mars 2018, le ministre de l'intérieur a demandé à ce que des mesures soient prises pour faciliter et inciter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers victimes d'agressions. Je citerai, notamment, le dépôt de plainte sur rendez-vous, éventuellement au centre de secours, la domiciliation du sapeur-pompier victime à la direction du service d'incendie et de secours, la protection fonctionnelle ou encore - nous y veillons - le suivi de la réponse pénale en lien très étroit avec les parquets.
Par ailleurs, un télégramme ministériel du 14 septembre 2018 a rappelé que ces objectifs devaient être poursuivis avec la plus grande rigueur. Ces mesures sont aujourd'hui mises en place dans le cadre des protocoles interservices départementaux, qui prévoient une coopération opérationnelle accrue entre les forces de sécurité intérieure - police et gendarmerie - et les pompiers : échanges d'informations, possibilité de s'appeler de manière réactive en cas de difficultés, points de regroupement avant une intervention dans un secteur sensible. Ces conventions, que nous rappelons très régulièrement aux préfets, donnent satisfaction.
Enfin, je sais que nous pouvons compter sur l'intransigeance des parquets face à ces attaques particulièrement odieuses. Plusieurs condamnations à des peines de prison ferme ont été prononcées ces dernières semaines pour des agressions de sapeurs-pompiers.
En tout état de cause, j'ai la conviction que ce texte, même amendé, n'est pas la bonne solution. Il présente plus de dangers que de pistes d'avenir. En l'état, il ne permettra pas d'assurer une meilleure protection des sapeurs-pompiers. Certes, je déplore comme vous l'augmentation des agressions à leur encontre, mais je rappelle que leur taux de plaintes demeure significatif. Les pompiers ne craignent donc pas de porter plainte par peur des représailles. Comptez néanmoins sur notre détermination pour appliquer l'ensemble des mesures existantes afin d'assurer une meilleure protection des sapeurs-pompiers, ainsi que celles à venir, puisque nous avons évoqué le déploiement des caméras-piétons.