C'est toujours un plaisir et un honneur de répondre à l'invitation de votre commission. Je vous sais très attachés à entretenir des échanges de qualité, avec moi comme avec les armées et les directions du ministère.
Vous avez souhaité m'entendre à la suite de l'engagement de nos armées au Tchad. Cette opération mérite en effet quelques précisions, car je ne voudrais pas que s'installent des incompréhensions ou des contresens. Commençons par les faits : nous avons mené des opérations militaires les 3, 5 et 6 février, contre un groupe armé venant de Libye et qui s'infiltrait en profondeur dans le territoire tchadien, afin de déstabiliser ce pays.
Quel était le cadre légal de cette intervention, étant entendu que nous n'avons pas d'accord de défense avec le Tchad, ni d'ailleurs avec aucun autre pays africain depuis 2008 ? Nous sommes intervenus en réponse à une demande expresse du président Déby, adressée au Président de la République le 2 février. Plus précisément, une cinquantaine de pick-up transportant plusieurs centaines de combattants ainsi qu'un armement lourd faisaient peser un risque de déstabilisation du pays. Or le passé a montré à plusieurs reprises qu'il ne faut jamais négliger le risque d'effondrement brutal que ces groupes armés font peser, à dessein, sur des États que l'on peut qualifier de fragiles. Le Tchad, un verrou aux dires des experts, est au carrefour de crises majeures qui, quasiment toutes, nous concernent très directement : en Libye au nord, au Soudan à l'est, en République Centrafricaine au sud, Boko Haram au sud-ouest. Sans oublier, bien sûr, la lutte antiterroriste au Sahel.
Si le Tchad entrait en guerre civile, les tensions nationales agiraient comme un catalyseur des conflits environnants, et nous prendrions le risque que, par un effet domino, tous prennent une ampleur sans précédent.
Notre aide a d'abord pris la forme de renseignements, puis de démonstrations de force, des show of force aériens destinés à impressionner l'adversaire. Dans un troisième temps, nous avons procédé à des frappes aériennes pour arrêter la progression de cette colonne, qui s'était enfoncée de plus de 450 kilomètres à l'intérieur du territoire tchadien.
Conjointe avec celle des forces tchadiennes, notre action a été décisive : une vingtaine de pick-up ont été détruits, plusieurs dizaines de combattants se sont rendus et le reste de la colonne s'est dispersé.
Cette intervention est sans rapport avec l'opération Barkhane, dont le mandat consiste à lutter contre le terrorisme au Sahel. C'est parce qu'il n'y avait pas de lien avec cette opération que j'ai souhaité prendre immédiatement l'attache des présidents des deux commissions parlementaires, avant que le Premier ministre n'informe les deux assemblées conformément à l'article 35 de la Constitution.
Conforme au droit international, cette intervention est en outre légitime, parce que, en répondant à une urgence ponctuelle, nous avons préservé un allié absolument majeur dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, un allié engagé au sein de la Minusma et de la force conjointe du G5 Sahel, mais aussi dans la lutte contre Boko Haram. Nous avons ainsi évité que l'un des seuls pays de la zone qui contribuent véritablement à la sécurité régionale ne soit déstabilisé. Alors que cette région souffre de la fragilité de nombreux États, en voir la liste s'allonger est la dernière chose dont nous ayons besoin.
Notre intervention était juste, car notre soutien va de pair avec notre souhait de voir les autorités locales mener les réformes politiques et économiques nécessaires au renforcement des institutions du pays, à l'ouverture de l'espace politique et au retour sur le chemin de la croissance et du développement. Nous avons empêché que des groupes armés ne s'emparent d'un territoire, comme cela s'était produit en janvier 2013 au Mali, et qu'un partenaire militaire essentiel dans la lutte contre le terrorisme ne soit déstabilisé.
Notre action a atteint son objectif au moment où je vous parle, mais il faut évidemment rester vigilant.