Intervention de Florence Parly

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 février 2019 à 17h40
Intervention des forces armées françaises au tchad — Audition de Mme Florence Parly ministre des armées

Florence Parly, ministre des armées :

Les cinquante pick-up que nous avons détruits transportaient près de 500 combattants lourdement armés. Ce n'était pas, contrairement aux dires de certains, des djihadistes, mais des membres de l'ethnie du Président Déby venus du Sud de la Libye, qui constitue une zone refuge pour de nombreux groupes armés. J'ignore les canaux qui leur permettent de se fournir en armes, mais ils résultent certainement de la conjugaison de trafics de drogues, d'armes et d'êtres humains, nombreux dans la région. Le groupe que nous avons visé était extrêmement déterminé et armé. Sachez également que l'armée tchadienne se trouve engagée sur de nombreux fronts. Existait-il une alternative à notre intervention ? Une attaque allait viser les centres de pouvoir d'un État fragile. Or, le Tchad représente pour la France un soutien utile dans sa lutte contre le terrorisme islamique. N'Djamena accueille notre flotte d'avions de chasse, ainsi que le poste de commandement de l'opération Barkhane. Le coût du bombardement de la colonne de pick-up, peu élevé par ailleurs, sera pris en charge par le budget opérationnel de programme (BOP) OPEX. Notre intervention peut être considérée par certains comme la réponse à un appel au secours d'un État qui ne correspond pas à nos standards démocratiques, mais ces cinquante pick-up auraient pu profondément déstabiliser la région.

Au Mali, des élections ont récemment été organisées et le pouvoir en place ne peut être considéré comme illégitime. Au Tchad, elles auraient dû avoir lieu, et nous ferons tout notre possible pour qu'elles soient organisées rapidement.

Serons-nous amenés à intervenir chaque fois qu'on nous le demande ? Non. La décision relève, in fine, de l'appréciation du Président de la République. En l'espèce, il n'était pas souhaitable qu'un pays fortement contributeur à la lutte contre le terrorisme, et présent sur d'autres fronts, soit déstabilisé, avec pour conséquence ultime une augmentation de nos engagements en OPEX.

Monsieur Le Nay, je ne suis pas en mesure de vous répondre à propos de l'imputation des frappes au programme 178 « Préparation et emploi des forces » ou au programme 146 « Équipement des forces », si ce n'est que ces surcoûts ont vocation à être traités dans le cadre du financement des OPEX et de la provision correspondante.

Il n'y a pas de lien entre cette opération et Barkhane, du moins au point de vue du mandat juridique. Le Parlement a voté, après les quatre mois prévus par la Constitution, la prolongation de l'opération Serval qui, ensuite, est devenue Barkhane. Cette dernière opération n'est donc que la mise en synergie d'opérations existantes. Nous vous en rendons compte tous les ans, dans le cadre du bilan des opérations extérieures. Le Parlement est également informé de son impact sur les finances publiques.

Les perspectives de la Centrafrique m'inspirent un optimisme modéré. Optimisme car l'accord de paix n'était pas acquis d'avance ; modéré parce que, malgré l'initiative de l'Union africaine visant à préserver la formation des troupes de toute ingérence russe, ces derniers restent très présents. Lors de ma visite dans ce pays en décembre dernier, j'ai en effet constaté que l'Union européenne et la France assuraient l'essentiel de la formation des forces centrafricaines et de la fourniture d'armes. Ce déplacement avait au demeurant pour objet leur livraison, autorisée par le Comité des sanctions de l'ONU. Enfin, nous contribuons aux projets de développement économique via les fonds de l'Union européenne. Or la propagande russe fait croire à la population que la formation, l'armement et l'aide au développement économique sont assurés par la Russie ! Nous sommes par conséquent engagés dans un combat d'influence. Laissons sa chance à ce huitième accord de paix, mais sans naïveté. Lorsque la France assurera le commandement de l'EUTM RCA, elle veillera à valoriser l'action de l'Union européenne dans ce pays.

Un colonel, ancien commandant au sein de la task force Wagram, a commis un article dans une revue sur une opération en cours en territoire de guerre. Il a ainsi commis une première faute en exposant potentiellement ses hommes par les révélations contenues dans l'article. Il a donc été convoqué à Paris pour rendre compte à sa hiérarchie. Je suis tout à fait favorable à la liberté d'expression, mais elle est limitée par la déontologie professionnelle qui s'applique à tous les agents publics, dont les militaires.

Ma deuxième remarque est de fond. Les opinions exprimées dans l'article me semblent particulièrement critiquables, mais elles auraient pu être discutées dans un autre cadre que celui-ci, particulièrement inapproprié.

Enfin, j'ai rencontré l'officier en question le 9 février. Il semblait alors très fier de l'action de ses hommes et ne m'a fait aucune observation sur l'opération que nous sommes en train de mener. S'il n'était pas d'accord avec l'action de France, il devait demander à être déchargé de son commandement. Je vois donc dans son attitude une certaine fausseté et un manque de courage. Sa hiérarchie prendra donc les mesures qui s'imposent et rappellera les règles de base qui s'appliquent à tous.

En 2018, le montant total des OPEX et missions intérieures s'est élevé à 1,370 milliard d'euros contre 1,540 milliard en 2017, soit une baisse de 11 % principalement imputable à l'opération Chammal. En effet, le coût de celle-ci est très fortement corrélé à la quantité de munitions utilisées, or les grandes batailles de Mossoul et Raqqa ont eu lieu en 2017.

La réunification de la Libye est une priorité, mais c'est à tout le moins un processus inabouti. J'ai rencontré samedi dernier le Premier ministre libyen, très attaché au respect du calendrier politique et à la tenue de la conférence nationale qui doit marquer la réunification de l'armée libyenne et ouvrir la voie à la tenue d'élections. Le dialogue entre le Premier ministre et le général Haftar se poursuit, le premier souhaitant obtenir du second, commandant suprême des forces armées libyennes, qu'il se place sous l'autorité du pouvoir civil. Le Premier ministre a donc demandé à la France qu'elle lui accorde le même soutien qu'au général Haftar. Je lui ai annoncé la livraison d'équipements maritimes, notamment plusieurs Zodiac d'intervention rapide. La France ne prend pas parti, mais accompagne les acteurs sur le chemin qui, je l'espère, mènera à la réunification de l'État libyen.

Vous m'avez interrogé sur notre capacité à mobiliser les Européens pour faire face en cas de déstabilisation régionale et de multiplication des fronts. Nous pouvons déjà compter sur la présence de nombreux partenaires : Britanniques, Espagnols, Allemands ou, plus lointain, Estoniens. Nous travaillons à les inciter à venir renforcer Barkhane aussi bien que d'autres opérations comme l'EUTM Mali et la Minusma. J'ai récemment fait valoir auprès de mon homologue britannique la nécessité de prolonger la mise à disposition de trois hélicoptères Chinook. Dans un premier temps, leur retrait pourrait être compensé par le Danemark, qui se déclare prêt à fournir des hélicoptères de transport de grande capacité. Nous essayons également de convaincre nos partenaires espagnols d'intensifier leur aide, déjà importante, en matière de transport tactique.

J'insiste sur l'apport des Estoniens, qui infirme l'idée selon laquelle les Etats membres orientaux sont peu sensibles au front Sud. Leur présence est une traduction concrète de la solidarité européenne. La France manifeste elle aussi sa solidarité à travers l'opération eFP : notre présence sera maintenue en Estonie en 2019 et en Lituanie jusqu'en 2020.

Ce travail de conviction est important, parce qu'il met aussi en jeu notre culture stratégique commune. C'est justement le sens de l'Initiative européenne d'intervention : partager avec les neuf pays européens partenaires notre capacité à planifier la gestion des crises, dont le Sahel fait partie. C'est en construisant une culture stratégique partagée avec nos partenaires que nous assurerons notre capacité à réagir, ensemble, face à d'éventuelles crises futures. C'est un élément clef de l'engagement des Européens au Sahel.

Enfin, l'Union européenne, qui fait beaucoup, notamment en Centrafrique, est parfois bridée par l'impossibilité de financer des équipements létaux. C'est pourquoi il faut soutenir la Facilité européenne de paix, initiative de la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui devrait mettre fin à cette impossibilité. Dans le cadre centrafricain, mais aussi pour le G5 Sahel, ce serait très utile.

La mobilisation de nos alliés européens, que ce soit sur le plan capacitaire, pour construire une culture stratégique commune ou pour lancer de nouveaux outils comme la Facilité européenne de paix, est essentielle, a fortiori si de nouvelles crises devaient survenir.

À Djibouti, les forces françaises comptent 1 450 soldats des trois armées. Nous avons signé en 2014 un partenariat militaire opérationnel avec les forces armées djiboutiennes, incluant la préparation des contingents déployés au sein de la Mission de l'Union africaine en Somalie (Amisom), et la cession de matériels. Cette relation a été dynamisée en 2018 après plusieurs visites de haut niveau, ce qui était d'autant plus nécessaire que nos compétiteurs, notamment la Chine, montent en puissance dans ce pays. Les installations portuaires chinoises sont particulièrement impressionnantes. Je me rendrai à Djibouti au mois de mars. Nous sommes déterminés à contrecarrer cette influence croissante.

En ce qui concerne les « revenants », les forces démocratiques syriennes détiennent actuellement, dans la région de la Rojava, de très nombreux combattants étrangers, parmi lesquels des ressortissants français et des ressortissants étrangers résidant habituellement dans notre pays.

S'agissant des personnes parties sciemment combattre dans les rangs de Daech, la position française n'a pas varié : elles doivent faire face aux conséquences de leurs actes d'abord là où elles les ont commis.

Dans le contexte de l'évolution de la situation militaire dans le nord-est syrien et des décisions américaines récentes, la France examine toutes les options, en concertation avec ses partenaires concernés mais aussi selon sa propre appréciation des risques, afin de prévenir tout risque d'évasion et de dispersion de personnes potentiellement dangereuses. Nous n'avons qu'un seul objectif : assurer la sécurité des Français.

À ce stade, nous sommes confiants dans la capacité de nos alliés locaux à assurer la garde de ces personnes. Si les forces démocratiques syriennes décidaient de les expulser en France, elles seraient immédiatement remises à la justice. Les mineurs qui accompagneraient des adultes seraient pris en charge conformément aux dispositifs judiciaire et de protection légalement prévus.

Enfin, j'ai été interrogée sur le risque de volte-face des populations face à des présences armées étrangères.

Ce risque est bien identifié, et le Président de la République et moi-même sommes convaincus que nous n'interviendrons pas éternellement. Nous savons bien qu'une présence prolongée provoquera ce type de réaction. C'est pourquoi il faut obtenir des avancées sur le plan politique.

S'agissant du Mali, il s'agit d'appliquer l'accord de paix et de réconciliation signé à Alger. J'espère pouvoir revenir de mon prochain voyage avec des éléments tangibles sur sa mise en oeuvre. Lors de mon précédent déplacement, les désarmements commençaient dans un camp à Gao, mais il ne s'agissait encore que de quelques unités.

Pour se prémunir autant que possible contre le risque de rejet de la présence militaire étrangère, il faut aussi mener des projets de développement. À cet égard, nous souhaitons articuler de manière plus efficace l'action de Barkhane et les actions de l'Agence française de développement, pour que le rétablissement de la sécurité bénéficie directement aux populations. C'est ainsi que la présence militaire sera mieux tolérée et, surtout, que les problèmes de fond qui nourrissent le terrorisme seront résolus.

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