Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, à la stupéfaction de tous, le 5 novembre dernier, l’effondrement et la déconstruction de trois immeubles à Marseille ont entraîné la mort de 8 personnes et l’évacuation par la suite de près de 1 600 personnes.
Ce drame inimaginable a permis de pointer une douloureuse réalité à Marseille, mais pas seulement. En France, au cœur de la septième puissance économique mondiale, malgré une amélioration continue des conditions de logement au cours des dernières décennies, on recenserait plus de 420 000 logements indignes dans le parc privé.
À Marseille, dans la deuxième ville de France, le drame de la rue d’Aubagne a mis en lumière plusieurs milliers de logements indignes ou insalubres.
Tout le monde a dit : « Plus jamais ça ! » Oui, mais comment ?
Nous devons prendre toute la mesure de cette tragédie. Il doit y avoir un après-rue d’Aubagne, à Marseille, mais aussi dans toute la France, partout où nos concitoyens sont logés dans des conditions indignes.
Ce drame révèle toute la difficulté d’agir, la multitude d’acteurs et de parties prenantes, la lenteur et la lourdeur des démarches. Les mesures existent, mais elles sont trop longues à faire appliquer.
L’habitat indigne frappe majoritairement les zones urbaines les plus denses, mais gagne de nouveaux territoires, notamment des zones pavillonnaires et rurales.
Par « habitat indigne », de quoi parle-t-on ?
La notion d’habitat indigne est consacrée dans la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion de mars 2009. Cette notion recouvre l’ensemble des situations de logement qui présentent un risque pour la santé ou la sécurité des occupants ou des tiers, ou bien les locaux ou installations utilisés aux fins d’habitation et qui sont impropres par nature à cet usage : logements insalubres, dangers imminents dus au plomb ou à la menace de ruine, ou présentant des infractions aux règlements sanitaires…
La notion de logement décent, quant à elle, est une notion de droit privé qui s’applique dans les rapports locatifs, pour les logements mis en location. La décence s’apprécie par rapport à la conformité du logement à des caractéristiques minimales de confort et d’équipement, mais aussi de salubrité et de sécurité. Un bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté, bien sûr, des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation.
Tout logement insalubre est indécent, mais tout logement indécent n’est pas insalubre. Un logement indigne est non décent, mais un logement non décent peut ne pas être indigne.
Le logement indigne recouvre un ensemble de situations au carrefour de problématiques de sécurité, de santé, de misère, voire de criminalité, lequel prospère, hélas, du fait de la hausse du coût des logements et de l’ignoble profit qu’en tirent des clans peu scrupuleux de marchands de sommeil.
La gravité de certaines pratiques est avérée, et les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics et les associations pour y mettre fin sont grandes.
Ce drame a révélé toute la difficulté d’agir, la multitude d’acteurs et de parties prenantes, la lourdeur et la lenteur des démarches.
Le législateur s’est déjà emparé de ce sujet ô combien complexe.
De multiples acteurs interviennent dans la lutte contre l’habitat indigne.
Cinq ministères sont concernés : affaires sociales, intérieur, justice, logement, santé.
Le traitement des situations relève, selon les cas, de plusieurs échelons et services : la commune, l’établissement public de coopération intercommunale, le préfet.
Les polices spéciales de lutte contre l’habitat indigne relèvent, selon les cas, du maire ou du préfet.
Les agences régionales de santé, les ARS, sont chargées, elles, de l’application du pouvoir de police administrative du préfet fondé sur le code de la santé publique. Les ARS comme les communes n’ont sans doute pas toujours les agents nécessaires pour assurer leur mission. C’est sûrement un élément à considérer dans nos réflexions pour améliorer le traitement de ces insupportables situations.
Certaines communes, au nombre de 208 en France, disposent d’un service communal d’hygiène et de santé qui intervient sur le territoire de la ville concernée ; il est chargé de faire appliquer la police du préfet pour les procédures liées à la lutte contre l’habitat insalubre.
Les services des mairies jouent un rôle majeur dans le traitement des plaintes des administrés.
On constate un enchevêtrement de réglementations, une palette de procédures trop complexes, qui retardent significativement les actions correctrices urgentes.
Alors, quelles actions contre l’habitat indigne ?
Des actions incitatives pour lutter contre ce phénomène via des aides de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, et des opérations programmées de rénovation de l’habitat.
Des actions coercitives, qui s’avèrent indispensables dans les cas les plus épineux.
Les mesures prises ces dernières années mettent en évidence le besoin de faire plus, plus vite, plus efficacement pour vaincre le mal-logement.
Nous devons aujourd’hui repenser les coopérations institutionnelles pour accélérer la rénovation, planifier la reconstruction et prévenir les situations dangereuses et inacceptables.
L’urgence de la situation demande des actions structurées, soutenues par l’État, s’appuyant sur un cadre légal à compléter.
Fruit de nos entretiens avec les diverses associations engagées dans la lutte contre la précarité et le logement insalubre, il apparaît, je le redis, nécessaire de recréer une vraie chaîne de décision rapide et ancrée dans les réalités de terrain. À ce titre, il faudra en appeler à la création d’une cellule de veille et d’un guichet unique dédié à l’habitat indigne, chaque fois que cela est possible, permettant de centraliser les constatations des personnels de l’action médico-sociale en matière d’habitat insalubre.
Je pense que vos déplacements sur le terrain, madame le rapporteur, confortent cette nécessaire orientation.
Trouver les moyens efficaces de lutter contre l’habitat indigne, remédier aux problèmes des copropriétés dégradées : telle est la volonté largement partagée sur l’ensemble de nos travées.
La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, adoptée en octobre 2018, fournit de nouveaux outils de lutte contre les marchands de sommeil, en particulier des délais d’intervention réduits.
Ce texte est assorti d’ordonnances qui devront être ratifiées. Elles sont en cours de finalisation, mais devraient aussi être prises sur la base des conclusions prochaines du rapport de mission de notre collègue député Vuilletet, qui sera remis au Premier ministre en mai prochain.
La commission des affaires économiques du Sénat s’est emparée également du sujet, sur la base de la proposition de loi que j’ai déposée et qui est inscrite à l’ordre du jour de ce 5 mars. Je tiens à la remercier, ainsi que mes 66 collègues qui ont cosigné ce texte.
Le drame de la rue d’Aubagne, survenu il y a quatre mois aujourd’hui jour pour jour, nous oblige envers ceux qui subissent, partout en France, l’habitat indigne.
Il n’est pas de mois durant lesquels il n’est pas fait écho d’immeubles appartenant à des propriétaires indignes de l’être, peu scrupuleux à l’égard de leurs locataires trop démunis pour s’opposer, lesquels sont de surcroît exposés au risque d’évacuation pour un temps indéterminé avec le plus souvent seulement quelques affaires réunies à la hâte. Ces situations ô combien douloureuses ne peuvent perdurer davantage sans que l’on y engage des moyens à la hauteur des enjeux.
Des améliorations des dispositifs existants sont indispensables. C’est le sens de ma proposition de loi, à la lumière des événements récents et des réalités de terrain.
Je remercie la commission des affaires économiques d’avoir apporté un soin particulier à l’examen de ce texte. Je vous remercie, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, d’avoir organisé des déplacements de terrain dans toute la France, dont un à Marseille, ville particulièrement concernée où tous les acteurs se mobilisent contre l’habitat indigne.
Le sujet est dense et complexe. Les délais sont en réalité courts pour appréhender l’ensemble des données, les retours de visites de terrain et apporter les éléments complémentaires à même de construire un dispositif efficace et pérenne. Pour cela, je comprends bien sûr parfaitement que la commission demande un délai supplémentaire et propose une motion de renvoi de la proposition de loi en commission, que je voterai.
Le Sénat, sur ces grandes questions qui touchent le droit et la dignité de chacun d’avoir un logement décent, a pris ses responsabilités en inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour. J’attends autant de positions constructives, de dialogue de la part du Gouvernement pour trouver de manière concertée les dispositifs les plus pertinents pour lutter contre l’habitat indigne.
C’est un combat commun que nous devons mener tous ensemble.