Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Réunion du 5 mars 2019 à 14h30
Lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, Bruno Gilles l’a rappelé, sa proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux a été déposée après le drame survenu à Marseille en novembre dernier.

L’effondrement de plusieurs immeubles de la rue d’Aubagne a entraîné la mort de 8 personnes et 1 600 habitants ont été contraints de quitter leur logement. À peine 200 d’entre eux sont aujourd’hui relogés. Tel est le terrible constat quatre mois après les faits. Notre déplacement à Marseille, vendredi dernier, nous a montré combien la douleur et l’émotion étaient encore fortes, et qu’une certaine psychose s’était emparée de la population, entraînant au jour le jour des évacuations d’immeubles supplémentaires dans l’ensemble des quartiers de la ville. Il nous a également rappelé les difficultés de gérer une telle situation à laquelle personne n’était préparé.

Je voudrais remercier Bruno Gilles de son initiative qui nous donne l’occasion de revenir sur ce sujet ô combien important, celui de l’habitat indigne.

L’habitat indigne ne se limite pas à Marseille, il concerne l’ensemble de notre territoire. Entre 400 000 et 2, 8 millions de logements seraient indignes ou potentiellement indignes. Alors que notre pays est la cinquième puissance du monde, l’existence d’habitats indignes dans ces proportions doit nous interpeller.

Le phénomène présente de multiples facettes : phénomène urbain mais aussi rural, qui concerne les locataires mais aussi des propriétaires occupants. Le phénomène ne se résume pas non plus aux marchands de sommeil : il concerne également des propriétaires de bonne foi, mais impécunieux.

Pour être efficaces, nos politiques publiques de lutte contre l’habitat indigne doivent prendre en compte les différents aspects du phénomène. Les réponses doivent être adaptées en fonction des territoires et des personnes concernées.

La lutte contre l’habitat indigne est l’affaire de tous. Ce doit être une priorité nationale.

L’arsenal législatif de lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil a, certes, été renforcé à l’occasion des trois dernières lois relatives au logement : loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN. Parmi les mesures emblématiques, je citerai le permis de louer, qui soumet à autorisation préalable la mise en location d’un logement.

Sur le plan fiscal, une présomption de revenu a été instaurée sous certaines conditions pour les marchands de sommeil.

Les sanctions pénales à l’encontre des marchands de sommeil ont ainsi été renforcées. Certaines peines complémentaires, comme la confiscation des biens ayant servi à l’infraction, ont été rendues automatiques. Nous avons également prévu la confiscation sous certaines conditions des biens du patrimoine des marchands de sommeil, au-delà de ceux qui ont servi à l’infraction.

En complément des mesures de lutte contre les marchands de sommeil, d’autres mesures concernent les polices administratives relatives à l’habitat indigne. La loi ALUR a ainsi prévu de mettre en place un acteur unique pour simplifier le nombre d’acteurs intervenant dans la procédure.

Malgré les améliorations apportées à ces polices, la réglementation actuelle comprend encore pas moins de treize polices qui s’appliquent à des situations différentes et qui font intervenir des autorités et des procédures différentes.

Cette multiplication des polices n’est pas un gage d’efficacité et peut aussi être source de contentieux. Leur simplification est une nécessité, chacun en conviendra.

Conscient de la situation, le Gouvernement a demandé, à l’occasion de la loi ÉLAN, à pouvoir légiférer par ordonnance pour harmoniser et simplifier ces polices administratives, pour préciser les modalités des transferts de police entre le préfet, le maire et l’EPCI, et pour favoriser la création de services intercommunaux mutualisant les moyens matériels et financiers de lutte contre l’habitat indigne et les immeubles dangereux.

Comme l’a rappelé Bruno Gilles, le député Guillaume Vuilletet est chargé d’une mission pour préparer cette réforme. Son rapport est attendu pour la fin du mois de mai. Nous y serons très attentifs.

Néanmoins, au regard des événements dramatiques survenus à Marseille et qui peuvent, demain, se reproduire dans de nombreux territoires, il est désormais indispensable, monsieur le ministre, d’accélérer ces travaux préparatoires et que l’ordonnance soit publiée dans des délais plus courts que les dix-huit mois que nous avions prévus par la loi ÉLAN. Cela ne me paraît pas infaisable, d’autant qu’il ressort de mes auditions que la réforme des polices prévues dans le code de la santé publique serait déjà prête.

Toute modification de la législation, aussi opportune soit-elle, doit, pour être efficace, s’accompagner d’une mobilisation forte et coordonnée des pouvoirs publics dans la mise en œuvre de cette politique et d’un déploiement de moyens humains et financiers en adéquation avec les besoins.

Je l’ai dit, la lutte contre l’habitat indigne est l’affaire de tous. Tous les acteurs, collectivités territoriales comme État, doivent se mobiliser. Tous doivent participer au dépistage de l’habitat indigne, aux procédures administratives appropriées et, surtout, au suivi des mesures prescrites.

Ces mesures doivent être suivies d’effet. Pour cela, la justice doit être mobilisée et la réponse pénale rapide et exemplaire.

Les collectivités territoriales sont des acteurs de premier plan. Si le manque de volontarisme de certaines d’entre elles a parfois été dénoncé, il ne faut pas, tant s’en faut, stigmatiser les élus, mais il importe au contraire de les encourager et de leur faciliter la tâche. Leur action peut certainement être améliorée si l’on simplifie les procédures applicables et si on leur donne les moyens d’agir.

Cette politique suppose d’importants moyens tant humains que financiers. La lutte contre l’habitat indigne a en effet un coût non négligeable : il faut des agents chargés de repérer les logements indignes ; il faut reloger les personnes évacuées ; lorsque le propriétaire ne réalise pas les travaux, les pouvoirs publics doivent pouvoir se substituer à lui et engager des procédures pour recouvrer les sommes ainsi mobilisées.

Or, dans le contexte actuel de contrainte budgétaire, les communes et les EPCI ne sont pas toujours en capacité de déployer de tels moyens humains et financiers. La réforme des polices spéciales de l’habitat indigne doit être l’occasion de repenser le financement de la mise en œuvre de ces polices.

L’ANAH est l’interlocuteur unique en matière de financement pour les propriétaires comme pour les collectivités territoriales.

Chaque année, nous débattons du budget de l’ANAH. Le Président de la République ne souhaite pas une France où, sur des territoires en difficultés, des populations entières seraient assignées à résidence. Alors, que dire d’une assignation à des résidences indignes ? Le Gouvernement doit être cohérent et affecter à cette agence des moyens à la hauteur des enjeux.

Pour les propriétaires, la question du financement du reste à charge demeure plus que prégnante. La suppression de l’APL accession qui était aussi utilisée, au travers de l’APL travaux, pour la réalisation de travaux a eu un impact sur le nombre de logements rénovés. Ici encore, le Gouvernement doit être cohérent et rétablir l’APL accession.

J’en viens rapidement à la présentation des 9 articles de la proposition de loi.

L’article 1er prévoit d’appliquer l’autorisation de diviser aux opérations tendant à diviser le logement, qu’elles nécessitent ou non des travaux.

L’article 2 inverse la logique actuelle du permis de louer, en posant le principe selon lequel le silence de la collectivité sur la demande de permis de louer vaut décision de rejet à l’issue d’un délai de deux mois.

Les élus locaux auront accès au casier judiciaire des personnes soumettant une déclaration préalable de location, un permis de louer ou un permis de diviser. Tel est l’objet de l’article 3.

À l’article 4, il est prévu que, lorsque le propriétaire d’un immeuble déclaré insalubre remédiable et faisant l’objet d’une interdiction temporaire d’habiter n’aura pas réalisé les travaux prescrits dans le délai d’un mois, cet immeuble pourra être soumis à la procédure simplifiée d’expropriation.

Plusieurs mesures doivent permettre également d’accélérer les réponses apportées aux situations d’insalubrité et de dangerosité des immeubles. Ainsi, à l’article 5, la durée maximale d’habitation d’un immeuble déclaré irrémédiablement insalubre est réduite d’un an à trois mois.

Il est en outre proposé à l’article 6 de raccourcir de trois mois à un mois le délai dans lequel l’agent doit se déplacer pour visiter un logement aux fins d’établir un constat en matière d’insalubrité.

En complément des mesures de lutte contre les marchands de sommeil adoptées dans les lois ALUR et ÉLAN, les sanctions pour non-respect des règles relatives au permis de louer et à la déclaration de mise en location sont renforcées aux articles 7 et 8.

Enfin, à l’article 9, l’exercice de l’action publique par des associations de lutte contre l’habitat indigne est ouvert à trois nouveaux cas.

La démarche initiée par notre collègue Bruno Gilles va dans le bon sens. Chacun d’entre nous ne peut qu’être favorable à ce que des réponses plus rapides et plus efficaces soient apportées dans le traitement de l’habitat insalubre, dangereux et, plus largement, de l’habitat indigne.

J’ai procédé à plusieurs auditions, notamment des ministères, des représentants des propriétaires, des maires. Il me reste encore quelques personnes à rencontrer. Nous sommes allés avec la présidente de la commission des affaires économiques et certains de nos collègues la semaine dernière à Aubervilliers, à Montfermeil et à Marseille. Nous ferons deux autres déplacements en Picardie, pour l’habitat rural insalubre, et en outre-mer. Il me paraît important de prendre en compte ces différents déplacements.

C’est pourquoi j’ai proposé à notre commission de prendre un peu plus de temps pour approfondir notre réflexion sur les dispositifs proposés dans la proposition de loi.

C’est pourquoi, après en avoir discuté avec Bruno Gilles, qui vient de le confirmer ici même, la commission propose au Sénat d’adopter une motion tendant à renvoyer la proposition de loi en commission. Le texte serait alors inscrit à l’ordre du jour de la semaine d’initiative du Sénat du mois de juin prochain.

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