Intervention de Bariza Khiari

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 6 mars 2019 à 10h30
Audition de Mme Bariza Khiari vice-présidente du conseil de l'alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit aliph

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari, vice-présidente de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit :

Après avoir été sénatrice pendant treize ans, dont trois ans en tant que membre de cette commission, je suis très émue d'avoir l'opportunité de revenir parmi vous pour vous faire part de mes nouvelles missions.

L'acronyme ALIPH renvoie à la première lettre de l'alphabet arabe. En réalité, cette organisation trouve son origine au Sénat. Avec notre collègue Sylvie Robert, nous avions rédigé en 2015 une tribune publiée dans Mediapart intitulée « Faire triompher la culture contre la barbarie » pour dénoncer les destructions par Daech des oeuvres d'art du musée de Mossoul et des vestiges du patrimoine culturel de Mésopotamie, qui constitue le berceau de l'humanité. À nos yeux, il s'agissait d'autant d'atteintes au passé, à la différence et à l'humanité. J'avais compris, depuis la destruction des mausolées de Tombouctou au Mali en 2012, le caractère totalitaire de l'islam obscurantiste et intégriste, prêt à effacer les traces de sa propre civilisation pour plonger les peuples dans l'ignorance et mieux les dominer.

Nos propos ont suscité l'intérêt d'Audrey Azoulay, qui était alors conseillère du Président de la République en charge de la culture. Elle a souhaité reprendre nos idées dans un discours prononcé par François Hollande à l'UNESCO. Dans notre tribune, nous avions formulé trois propositions : d'abord, renforcer les moyens de lutte contre le trafic illicite d'objets d'art ; ensuite, créer des refuges dans des villes ou des pays pour protéger les oeuvres menacées par des conflits sous l'égide de l'UNESCO, avec l'idée de les restituer ensuite à leur pays d'origine ; enfin, créer un fonds pour la réhabilitation du patrimoine dans les zones de conflit.

Plusieurs pays ont rejoint depuis la France et les Émirats arabes unis dans ce combat : le Maroc, le Luxembourg, le Koweït, l'Arabie Saoudite et la Suisse. Cette dernière prend en charge les frais de location et les charges de notre siège, situé à Genève. Elle nous a d'ailleurs reconnu le statut d'organisation internationale. C'est ce qui explique que nous ayons du suivre une procédure contraignante pour le recrutement de notre secrétaire général. Parmi les 350 candidats qui se sont présentés, c'est un diplomate français, Valéry Freland, qui a été retenu. La présence d'un français à la tête du secrétariat de l'ALIPH me paraît utile, compte tenu de l'ingénierie culturelle de très haut niveau dont notre pays dispose.

Nous avons parfois des doutes, en tant que parlementaires, sur le devenir de nos propositions et de nos initiatives. La création de l'ALIPH est la preuve que le succès peut être au rendez-vous. Celle-ci est désormais en ordre de marche. Il faut dire que ce fut une action commune, à la fois de Sylvie Robert, membre de la commission de la culture, et de moi-même, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, compte tenu de la double dimension du sujet. Nous avons également bénéficié du concours de Jean-Luc Martinez, Président-directeur du Louvre, dont les conclusions du rapport intitulé « Cinquante propositions françaises pour protéger le patrimoine de l'humanité », remis au Président de la République quelques mois après notre tribune, convergeaient avec nos propositions.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, joue un rôle important pour convaincre d'autres chefs d'État d'engager leur pays à rejoindre l'ALIPH. La Chine nous a récemment rejoints par ce biais. Le Japon a donné son accord de principe il y a peu. Je constate que la démarche poursuivie par l'ALIPH rencontre un franc succès ; les pays y ont véritablement toute leur place. Mais, nous comptons aussi parmi nous plusieurs contributeurs privés. C'est l'une des originalités de cette organisation. Les fondations Gandur, Kaplan et Ghetty sont des soutiens très importants. Nous avons d'ailleurs souhaité que la présidence de l'ALIPH soit confiée à l'un des contributeurs privés plutôt qu'à l'un des représentants des États pour éviter les difficultés que rencontrent d'autres organisations, à l'instar de l'UNESCO. Le trio a la tête du conseil de fondation, formé du Président, Thomas Kaplan, et des deux vice-présidents, Mohamed Al Mubarak, représentant des Émirats arabes unis, et moi-même, fonctionne très bien.

L'ALIPH a déjà soutenu cinq projets depuis sa mise en place.

Le premier projet, désormais achevé, concernait la réhabilitation du monastère de Mar Benham à Kidhr dans le nord de l'Irak. La remise en état de ce monastère était hautement symbolique, Daech l'ayant détruit car il s'agissait à la fois d'un lieu de prière pour les chrétiens et de pèlerinage pour les musulmans. Les habitants du village voisin ont proposé de donner les pierres en bon état de leurs maisons pour reconstruire le monastère.

Nous avons également pour projet de restaurer le musée de Mossoul. L'étude de faisabilité a été confiée à un consortium dont le Louvre fait partie. Il s'agira d'une opération très coûteuse, qui nécessitera une levée de fonds conséquente.

Nous contribuons également à la réhabilitation du tombeau des Askia à Gao au Mali. Il s'agit d'un monument symbolique de l'architecture en terre.

Comme nous pensons être appelés à financer d'autres projets de restauration d'architectures en terre dans les années à venir, sans doute au Yemen lorsque la situation le permettra, nous avons également décidé de financer une formation sur ce sujet.

Enfin, nous avons contribué pour partie au financement de l'exposition de l'Institut du Monde arabe consacrée aux cités millénaires pour sensibiliser la jeunesse à la préservation du patrimoine.

Ces différents projets nous avaient directement été proposés par le musée du Louvre. Dorénavant, les projets que nous financerons le seront sur la base d'appels à projets. Nous avons mis en place une plateforme à cette fin. Les projets les plus lourds passeront par le filtre du comité scientifique de l'organisation, présidé par Jean-Luc Martinez. Nous conservons également des moyens pour pouvoir octroyer des aides d'urgence afin d'intervenir rapidement dans des situations de péril imminent sur le patrimoine.

Les projets soutenus par l'ALIPH sont fondamentaux pour permettre tant aux populations locales de retrouver l'accès à leur culture qu'à la jeunesse de se familiariser avec la pluralité de la sienne. L'idée est souvent répandue dans les pays musulmans qu'il n'y avait rien avant l'Islam. C'est pourquoi la réhabilitation des synagogues, des églises et autres lieux revêt un enjeu majeur pour témoigner du passé multiculturel très riche de ces pays. Je crois fermement à l'importance de se réapproprier son passé pour faciliter l'accueil de l'autre.

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