Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 6 mars 2019 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ALIPH
  • UNESCO
  • culture
  • destruction
  • organisation
  • patrimoine
  • réhabilitation

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous ce matin notre ancienne collègue Bariza Khiari, présidente de l'institut des cultures de l'Islam.

Elle a également été chargée, en début d'année, de représenter la France au sein du conseil de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH), dont elle occupe les fonctions de vice-présidente. Il s'agit d'un fonds mondial, destiné à contribuer à la sauvegarde du patrimoine culturel menacé par les conflits armés. Pour mémoire, il a été créé à l'initiative de notre pays et des Émirats arabes unis au lendemain de la conférence internationale d'Abou Dabi de décembre 2016 sur le patrimoine en danger.

Notre commission s'était intéressée de près à ces questions lors de l'examen de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. Vous vous souvenez sans doute que l'article 56 de cette loi, inséré en cours de navette sur la base des préconisations du rapport de Jean-Luc Martinez, Président-directeur du musée du Louvre, a renforcé notre arsenal législatif afin de lutter plus efficacement contre le trafic illicite de biens culturels et donné la possibilité de créer en France des refuges pour les biens culturels menacés.

Il faut dire que la communauté internationale manque souvent de moyens pour agir de façon concrète contre les destructions de patrimoine et les pillages, au-delà des condamnations faites dans le cadre de résolutions de l'ONU ou de l'action de l'UNESCO en la matière. La mise en place de l'ALIPH, doté de plus de 70 millions de dollars en provenance de plusieurs pays et partenaires privés, pourrait marquer un tournant dans la protection du patrimoine de l'humanité.

Je vous rappelle que nous entendrons également la semaine prochaine Charles Personnaz au sujet du rapport qu'il a remis au Président de la République sur le sujet, dans lequel il propose plusieurs pistes pour renforcer l'action de la France dans la protection du patrimoine du Moyen-Orient.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Après avoir été sénatrice pendant treize ans, dont trois ans en tant que membre de cette commission, je suis très émue d'avoir l'opportunité de revenir parmi vous pour vous faire part de mes nouvelles missions.

L'acronyme ALIPH renvoie à la première lettre de l'alphabet arabe. En réalité, cette organisation trouve son origine au Sénat. Avec notre collègue Sylvie Robert, nous avions rédigé en 2015 une tribune publiée dans Mediapart intitulée « Faire triompher la culture contre la barbarie » pour dénoncer les destructions par Daech des oeuvres d'art du musée de Mossoul et des vestiges du patrimoine culturel de Mésopotamie, qui constitue le berceau de l'humanité. À nos yeux, il s'agissait d'autant d'atteintes au passé, à la différence et à l'humanité. J'avais compris, depuis la destruction des mausolées de Tombouctou au Mali en 2012, le caractère totalitaire de l'islam obscurantiste et intégriste, prêt à effacer les traces de sa propre civilisation pour plonger les peuples dans l'ignorance et mieux les dominer.

Nos propos ont suscité l'intérêt d'Audrey Azoulay, qui était alors conseillère du Président de la République en charge de la culture. Elle a souhaité reprendre nos idées dans un discours prononcé par François Hollande à l'UNESCO. Dans notre tribune, nous avions formulé trois propositions : d'abord, renforcer les moyens de lutte contre le trafic illicite d'objets d'art ; ensuite, créer des refuges dans des villes ou des pays pour protéger les oeuvres menacées par des conflits sous l'égide de l'UNESCO, avec l'idée de les restituer ensuite à leur pays d'origine ; enfin, créer un fonds pour la réhabilitation du patrimoine dans les zones de conflit.

Plusieurs pays ont rejoint depuis la France et les Émirats arabes unis dans ce combat : le Maroc, le Luxembourg, le Koweït, l'Arabie Saoudite et la Suisse. Cette dernière prend en charge les frais de location et les charges de notre siège, situé à Genève. Elle nous a d'ailleurs reconnu le statut d'organisation internationale. C'est ce qui explique que nous ayons du suivre une procédure contraignante pour le recrutement de notre secrétaire général. Parmi les 350 candidats qui se sont présentés, c'est un diplomate français, Valéry Freland, qui a été retenu. La présence d'un français à la tête du secrétariat de l'ALIPH me paraît utile, compte tenu de l'ingénierie culturelle de très haut niveau dont notre pays dispose.

Nous avons parfois des doutes, en tant que parlementaires, sur le devenir de nos propositions et de nos initiatives. La création de l'ALIPH est la preuve que le succès peut être au rendez-vous. Celle-ci est désormais en ordre de marche. Il faut dire que ce fut une action commune, à la fois de Sylvie Robert, membre de la commission de la culture, et de moi-même, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, compte tenu de la double dimension du sujet. Nous avons également bénéficié du concours de Jean-Luc Martinez, Président-directeur du Louvre, dont les conclusions du rapport intitulé « Cinquante propositions françaises pour protéger le patrimoine de l'humanité », remis au Président de la République quelques mois après notre tribune, convergeaient avec nos propositions.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, joue un rôle important pour convaincre d'autres chefs d'État d'engager leur pays à rejoindre l'ALIPH. La Chine nous a récemment rejoints par ce biais. Le Japon a donné son accord de principe il y a peu. Je constate que la démarche poursuivie par l'ALIPH rencontre un franc succès ; les pays y ont véritablement toute leur place. Mais, nous comptons aussi parmi nous plusieurs contributeurs privés. C'est l'une des originalités de cette organisation. Les fondations Gandur, Kaplan et Ghetty sont des soutiens très importants. Nous avons d'ailleurs souhaité que la présidence de l'ALIPH soit confiée à l'un des contributeurs privés plutôt qu'à l'un des représentants des États pour éviter les difficultés que rencontrent d'autres organisations, à l'instar de l'UNESCO. Le trio a la tête du conseil de fondation, formé du Président, Thomas Kaplan, et des deux vice-présidents, Mohamed Al Mubarak, représentant des Émirats arabes unis, et moi-même, fonctionne très bien.

L'ALIPH a déjà soutenu cinq projets depuis sa mise en place.

Le premier projet, désormais achevé, concernait la réhabilitation du monastère de Mar Benham à Kidhr dans le nord de l'Irak. La remise en état de ce monastère était hautement symbolique, Daech l'ayant détruit car il s'agissait à la fois d'un lieu de prière pour les chrétiens et de pèlerinage pour les musulmans. Les habitants du village voisin ont proposé de donner les pierres en bon état de leurs maisons pour reconstruire le monastère.

Nous avons également pour projet de restaurer le musée de Mossoul. L'étude de faisabilité a été confiée à un consortium dont le Louvre fait partie. Il s'agira d'une opération très coûteuse, qui nécessitera une levée de fonds conséquente.

Nous contribuons également à la réhabilitation du tombeau des Askia à Gao au Mali. Il s'agit d'un monument symbolique de l'architecture en terre.

Comme nous pensons être appelés à financer d'autres projets de restauration d'architectures en terre dans les années à venir, sans doute au Yemen lorsque la situation le permettra, nous avons également décidé de financer une formation sur ce sujet.

Enfin, nous avons contribué pour partie au financement de l'exposition de l'Institut du Monde arabe consacrée aux cités millénaires pour sensibiliser la jeunesse à la préservation du patrimoine.

Ces différents projets nous avaient directement été proposés par le musée du Louvre. Dorénavant, les projets que nous financerons le seront sur la base d'appels à projets. Nous avons mis en place une plateforme à cette fin. Les projets les plus lourds passeront par le filtre du comité scientifique de l'organisation, présidé par Jean-Luc Martinez. Nous conservons également des moyens pour pouvoir octroyer des aides d'urgence afin d'intervenir rapidement dans des situations de péril imminent sur le patrimoine.

Les projets soutenus par l'ALIPH sont fondamentaux pour permettre tant aux populations locales de retrouver l'accès à leur culture qu'à la jeunesse de se familiariser avec la pluralité de la sienne. L'idée est souvent répandue dans les pays musulmans qu'il n'y avait rien avant l'Islam. C'est pourquoi la réhabilitation des synagogues, des églises et autres lieux revêt un enjeu majeur pour témoigner du passé multiculturel très riche de ces pays. Je crois fermement à l'importance de se réapproprier son passé pour faciliter l'accueil de l'autre.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Dumas

Notre groupe interparlementaire d'amitié France-Chine s'est rendu en Chine en juillet 2018 et nous avons pu évoquer la protection du patrimoine. C'est une question dont nos partenaires chinois s'emparent aujourd'hui.

Quelles sont les relations entre l'ALIPH et l'UNESCO ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

ALIPH c'est aussi l'alpha de l'alphabet grec et l'aleph de l'alphabet hébreu, c'est le commencement.

Votre témoignage est émouvant pour l'archéologue que je suis, qui a fouillé à Palmyre et à Bosra. Malheureusement, les destructions de vestiges archéologiques au Moyen-Orient n'ont pas pris fin avec la chute de Daech comme en témoignent les destructions de patrimoine yéménite par les Saoudiens. Il est de la responsabilité de la France de dire haut et fort que le patrimoine archéologique doit être préservé, où qu'il se trouve.

Alors que nous, archéologues français, avions été merveilleusement accueillis en Syrie lorsque nous étions venus pour des fouilles, les archéologues syriens qui ont quitté leur pays et cherché refuge en France ont été particulièrement mal accueillis. Je déplore un terrible manque de coordination entre les ministères des affaires étrangères, de la culture et de l'intérieur en ce domaine. Nous devons aussi protéger ces cerveaux, ils sont l'avenir de ce patrimoine syrien que nous allons devoir reconstruire.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Schmitz

Je rejoins notre collègue Pierre Ouzoulias sur le caractère essentiel du facteur humain dans la préservation du patrimoine. Je m'inquiète aussi du trafic d'objets d'art issus des pillages.

Nous avons tous été choqués par la destruction des Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan ...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Schmitz

avez-vous des projets de protection du patrimoine en Afghanistan ? Notre école archéologique française y était très représentée.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Quelle part de votre financement relève des entreprises privées ? Quelles sont-elles ? Ce financement est-il pérenne ?

Vous soutenez actuellement cinq projets majeurs. Quels sont vos critères de choix ?

Combien existe-t-il de villes refuges ? Quelles sont-elles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Monier

Je voudrais également insister sur la dimension humaine, si importante dans la préservation du patrimoine.

L'ALIPH a-t-elle aussi pour mission de dresser un état des lieux du patrimoine en péril et de proposer des mesures de protection préventive ?

Que sait-on du marché noir lié aux oeuvres d'art pillées sur les sites archéologiques ?

Quel est le montant de la contribution française à l'ALIPH ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laure Darcos

Cette contribution de l'État français a-t-elle un caractère pérenne ? Sur quel budget est-elle inscrite dans le projet de loi de finances ?

Quelles sont vos relations avec l'UNESCO ?

Les populations locales ont-elles conscience des enjeux de destruction de leur patrimoine ? L'ALIPH entretient-elle un dialogue avec les populations concernées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Quel lien entretenez-vous avec d'autres fondations pour le choix des projets à financer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

En réponse à Mme Catherine Dumas, sachez que notre conseil d'administration comprend un membre chinois, parfaitement francophone, M. Wen Dayan.

Nos relations avec l'UNESCO ne sont pas toujours simples car celle-ci considère que la préservation du patrimoine fait partie intégrante de ses missions et nos modes de fonctionnement sont très différents : l'ALIPH a un mode d'organisation de type start up alors que le fonctionnement de l'UNESCO, avec le principe d'un pays - une voix, a un fonctionnement plus lourd. Par ailleurs, l'UNESCO n'intervient que sur les sites classés.

Mais nous rencontrons néanmoins régulièrement la directrice générale, Mme Audrey Azoulay, un membre de cette organisation est d'ailleurs présent au conseil d'administration de l'ALIPH ; et nous avons prévu de signer une convention de partenariat avec celle-ci. Quoi qu'il en soit, cette organisation reste un acteur incontournable compte tenu de sa richesse documentaire et de son réseau mondial, comme en témoignent les travaux sur le tombeau des Askia au Mali ou la participation de l'UNESCO dans le consortium de réhabilitation du musée de Mossoul.

Monsieur Pierre Ouzoulias, je m'engage à rencontrer les archéologues syriens sur la situation desquels vous venez de m'alerter. Ils sont la mémoire de la Syrie. Je partage votre constat : nous ne savons pas accueillir, pas plus les étudiants que les chercheurs étrangers.

L'ALIPH n'intervient ni à Alep ni à Palmyre pour ne pas cautionner le régime de Bachar el-Assad. En revanche, nous intervenons dans les zones libérées de Daech, à Raqqa par exemple. Quant au Yémen, qui connaît des destructions épouvantables, l'ALIPH et l'UNESCO envisagent d'intervenir dès que cela sera possible.

Concernant les Bouddhas de Bâmiyân qui ont été détruits, la seule possibilité de restauration consisterait à élaborer une présentation en trois dimensions selon les échanges qui ont eu lieu avec le Louvre.

En réponse à Mme Billon, nous observons que les financements privés sont aujourd'hui moins importants que ceux apportés par les États. C'est pourquoi nous avons aussi choisi de confier la présidence de l'ALIPH à un contributeur privé afin de les développer. La France et les Émirats arabes unis avancent main dans la main en se donnant du temps. Nous ne rencontrons pas de difficultés.

Les critères de sélection des projets ont été élargis à des situations de terrorisme et de guerre civile ainsi qu'à des situations d'après-conflits, le critère déterminant étant l'existence d'un patrimoine.

Concernant les villes-refuges, des locaux du Crédit municipal ont été mis à disposition par le Conseil de Paris et on constate une volonté d'implication des pays du nord de l'Europe.

S'agissant des marchés illicites, je vais demander au quai d'Orsay de réaliser un bilan de la résolution portée par la France en ce domaine.

Les populations ont d'abord conscience de la destruction des infrastructures et de leurs habitations. En Irak et en Syrie, compte tenu des niveaux d'éducation élevés, elles ont également conscience de la destruction du patrimoine. C'est pourquoi nous sommes particulièrement bien accueillis dans ces pays.

Il faut créer un écosystème touristique avec « des choses à voir ». La réhabilitation du patrimoine doit s'accompagner du développement de « petits métiers » afin de favoriser les transports et l'artisanat. Les critères de choix des projets doivent donc prendre en compte la possibilité de développer cet écosystème dans les zones concernées.

L'Humanité est faite d'identités multiples. Ces cités millénaires ont su, de tout temps, accueillir l'Autre. Il est important d'expliquer à ces jeunesses qu'elles ne viennent pas de nulle part.

S'agissant des aspects budgétaires, les crédits viennent à la fois des ministères des affaires étrangères et de la culture qui se sont engagés sur un versement unique de 30 millions d'euros. Une fois ce crédit initial épuisé, la structure devra être en mesure de trouver des financements par ses propres moyens.

L'article 42 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative a autorisé les entreprises à déduire leurs contributions à l'ALIPH alors-même que son siège est situé en Suisse. Beaucoup d'entreprises ont fait part de leur souhait de participer à son financement et nous allons les solliciter. Les promesses s'élèvent à 100 millions d'euros dont 70 millions ont déjà été récupérés grâce à l'action de Jack Lang dont j'ai pris la suite. La France a déjà versé 15 millions d'euros cette année et nous allons demander aux autres membres de verser prochainement la deuxième partie de leur contribution. Cet argent est placé afin de produire des intérêts qui permettent de financer la structure.

Les relations avec l'UNESCO sont aujourd'hui pacifiées. Elle est seule compétente pour gérer les inscriptions au patrimoine mondial et dispose d'une expertise qui nous est précieuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

L'Institut du monde arabe a organisé une exposition remarquable sur les Chrétiens d'Orient et Charles Personnaz, que nous auditionnerons la semaine prochaine, a réalisé un rapport de grande qualité sur le patrimoine du Moyen-Orient.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Ce rapport est formidable. Il traite à la fois des Chrétiens d'Orient et des écoles. Je me suis intéressée depuis longtemps à l'avenir des Chrétiens d'Orient. Nous sommes à l'origine de la conférence de Paris sur les minorités. On travaille sur la réhabilitation du patrimoine des minorités. Le ministre de la culture a organisé récemment une réunion avec 130 opérateurs français et nous espérons pouvoir prochainement réaliser une rencontre similaire avec les opérateurs qui travaillent avec le quai d'Orsay.

La réunion est close à 11 h 26.