Intervention de Nathalie Delattre

Réunion du 13 mars 2019 à 14h30
Amélioration de la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes — Vote sur l'ensemble

Photo de Nathalie DelattreNathalie Delattre :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 6 mars dernier, la commission des lois a adopté à l’unanimité la proposition de loi de Vincent Delahaye et de cent cinquante-trois de nos collègues, dont je faisais partie. Ce texte vise à abroger des lois adoptées entre 1819 et 1940 et tombées en désuétude depuis lors.

Au sein de la commission, tous les intervenants ont regretté la complexité de notre droit. Certains ont cité Montesquieu, d’autres les trois rapports du Conseil d’État sur la sécurité juridique. Pour ma part, je vous rappellerai les mots de Montaigne : « Nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure ». Cinq siècles plus tard, ce constat n’est pas démenti.

Pis, l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » paraît de moins en moins réaliste : au 25 janvier 2018, notre ordre juridique comptait plus de 80 000 articles de valeur législative, 240 000 articles de valeur réglementaire, pour un total de 320 000 articles répertoriés par Légifrance. Pour la seule année 2018, le Journal officiel comprend 71 521 pages, 45 lois, 1 267 décrets et 8 327 arrêtés réglementaires.

Or la complexité du droit égare les administrés et bride les initiatives des acteurs économiques et des collectivités territoriales. Pour ne prendre qu’un exemple, les 308 articles de la loi Macron de 2015 ont entraîné 848 modifications législatives, affectant 30 codes et 55 lois ou ordonnances !

Notre droit conduit également à empiler des dispositions anciennes et des règles plus récentes, au détriment de l’objectif de clarté des normes.

Depuis les années quatre-vingt-dix, de nombreuses actions ont été menées pour lutter contre la complexité du droit. Parmi les réussites, nous pouvons citer le site Légifrance et les efforts de codification, qui ont permis d’améliorer l’accessibilité et la lisibilité des normes.

L’objectif de simplification du droit semble plus difficile à atteindre. Nous gardons tous en mémoire les lois de simplification qui sont devenues des textes « fourre-tout » regroupant des mesures ponctuelles et éparses.

De même, les Gouvernements successifs ont publié plusieurs circulaires de simplification. La dernière en date fixe le principe du « deux pour un » : la publication de certains décrets doit être compensée par la suppression ou la simplification d’au moins deux normes existantes. Séduisant, ce dispositif reste toutefois marginal : il n’a concerné que 32 décrets depuis juillet 2017, sur plus de 1 500 décrets publiés…

Au sein de la commission, nombre de collègues ont rappelé l’importance du Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN, présidé par Alain Lambert.

En 2017, le CNEN a étudié plus de 350 projets de texte, dont beaucoup représentaient une charge supplémentaire pour les collectivités territoriales. Il a également signé une charte de partenariat avec notre délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pour mieux identifier les difficultés des élus locaux. Nous attirons toutefois votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur les conditions de travail et les moyens du CNEN, qui doit être en mesure d’émettre un avis éclairé sur les textes qui lui sont soumis.

Créée par le bureau du Sénat en janvier 2018, la mission Balai, ou Bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles, vise à améliorer la lisibilité du droit en abrogeant les « fossiles législatifs ». Il s’agit d’un chantier de plusieurs années engagé par notre collègue méritant Vincent Delahaye. D’autres propositions de loi sont en préparation, notamment pour abroger des dispositions inconventionnelles ou issues de malfaçons législatives.

La proposition de loi qui nous est soumise traduit les premiers résultats de la mission Balai. Je salue d’ailleurs l’implication des ministères, qui ont échangé avec nous pour s’assurer de la pertinence des abrogations proposées.

L’éventail des lois abrogées est particulièrement large. À titre d’exemple, une loi de 1885 régissait encore les sociétés de patronage des détenus libérés, qui ont fermé leurs portes au milieu du XXe siècle. Une loi de 1898 réglementait la formation des pharmaciens, en contradiction avec l’actuel code de la santé publique et le droit de l’Union européenne…

Comme l’a souligné le Conseil d’État, la proposition de loi sera sans incidence sur le droit applicable, car elle abroge des lois qui ne sont plus mises en œuvre depuis plusieurs dizaines d’années. Certains collègues se sont d’ailleurs interrogés pour savoir si cette proposition de loi devait constituer une priorité pour le Sénat. Trois arguments m’incitent à répondre par l’affirmative.

Premièrement, nous devons réduire le stock de normes, pour éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et améliorer la lisibilité de notre droit.

Deuxièmement, cette proposition de loi revêt un caractère pédagogique pour nous rappeler à tous, parlementaires ou membres du Gouvernement, les méfaits de l’empilement des lois et des décrets.

Troisièmement, ce texte annonce d’autres propositions de loi pour abroger des lois plus récentes. Il s’agit ainsi d’un galop d’essai, avant des propositions de loi qui s’attaqueront à des textes plus récents, qui pourraient soulever davantage de questions politiques et de débats.

Lors de ses travaux, la commission a adopté 15 amendements pour préciser le cadre général de la proposition de loi et s’assurer de la pertinence des abrogations suggérées. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur l’avis du Conseil d’État, saisi par le président Gérard Larcher conformément à l’article 39 de la Constitution.

Nous avons maintenu les dispositions législatives qui n’étaient ni inutiles ni obsolètes. Tel est le cas de l’article 82 de la loi du 31 juillet 1920, qui interdit d’ouvrir un casino à moins de cent kilomètres de Paris, à l’exception de celui d’Enghien-les-Bains. En effet, il ne faudrait pas déstabiliser l’offre de jeux à Paris, alors même que le Gouvernement expérimente des clubs de jeux dans la capitale.

Dans la même logique, nous avons conservé l’article 1er de la loi du 31 mai 1854, qui a permis d’abolir la mort civile. Nous n’avons pas codifié cette loi, car nous pensons que certains textes, comme la loi portant abolition de la peine de mort de 1981, doivent subsister pour leur intérêt historique et symbolique.

Nous avons également maintenu le droit de communication des documents administratifs au bénéfice des bibliothèques des assemblées parlementaires.

Par ailleurs, la commission a adopté trois amendements du Gouvernement pour maintenir des lois du début du XXe siècle qui constitueraient le fondement législatif du code général des impôts, codifié par décret en 1950.

Comme Alain Richard, je regrette cette complexité : pour trouver les fondements du consentement à l’impôt, il faut consulter des lois absentes de Légifrance et un code général des impôts de papier, seulement accessible au ministère de l’économie et des finances ! Nous vous invitons, monsieur le secrétaire d’État, à prendre l’attache de la Commission supérieure de codification pour remédier à cette situation quelque peu ubuesque.

Enfin, la commission a abrogé huit lois obsolètes supplémentaires dans le prolongement des travaux de la mission Balai.

Au total, le texte de la commission abroge intégralement ou partiellement 49 lois adoptées entre 1819 et 1940. Ce chiffre correspond à environ une année d’activité législative. Il peut paraître modeste, mais ce n’est qu’un début, la mission Balai poursuivant inlassablement ses travaux.

Mes chers collègues, au bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose d’adopter la proposition de loi ainsi amendée.

De nouveau, je tiens à remercier Vincent Delahaye de son engagement constant contre la complexité du droit, ainsi que le président Gérard Larcher des moyens mis à la disposition de la mission Balai.

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