Toute augmentation des droits entraîne un risque d'éviction, nous le savons. Certains étudiants risquent d'être découragés de déposer leur candidature, par crainte, réelle ou supposée, de ne pouvoir s'acquitter du coût des études. La Suède et le Danemark ont ainsi connu une forte baisse du nombre d'étudiants internationaux accueillis la première année, respectivement de 30 % et de 35 %, mais avec un effet de rattrapage progressif.
La Cour des comptes estime que cette éviction pourrait, dans un scénario d'augmentation forte des droits d'inscription, atteindre 40 %, compte tenu de l'origine géographique des étudiants qui se dirigent actuellement vers la France. Les chiffres ne sont pas encore définitifs, mais on observe déjà une diminution de 2,4 % du nombre de candidatures recueillies sur le site « Etudes en France » pour l'entrée en L1, dans un contexte toutefois où la croissance de la mobilité étudiante internationale est chaque année comprise entre 5 % et 8 %... On observe un retrait beaucoup plus sévère du nombre de candidatures aux niveaux L2 à M2 - de l'ordre de 22 % au 22 février par rapport à la même date l'an dernier selon des chiffres provisoires-, mais les dernières annonces relatives aux exonérations supplémentaires peuvent faire espérer à la clôture, fin mars, une baisse de l'ordre de 15 % à 18 %. Il ne s'agit toutefois que de candidatures et rien n'indique que le nombre d'inscrits sera moindre que l'an dernier : en effet, en moyenne, seule une candidature sur dix se transforme en inscription définitive.
Il est certain que l'annonce très brutale de la décision du Premier ministre, qui n'a pas fait l'objet de concertation au-delà du cadre interministériel et que la plupart de nos partenaires ont découverte dans la presse, a été mal ressentie des candidats aux études en France. En témoignent les baisses drastiques de candidatures en provenance de certains pays - de 55 % pour le Brésil, 41 % pour l'Algérie et la Guinée, 28 % pour la Tunisie, 27 % pour l'Égypte, selon les chiffres provisoires - mais aussi les montées au créneau de nombreux ambassadeurs de pays étrangers et particulièrement de la zone francophone pour lesquels les études en France sont un débouché naturel d'une partie de leurs étudiants. À l'inverse, certaines nationalités progressent de manière significative par rapport à l'an dernier : la Chine, de 33 %, l'Indonésie, de 21 %, et l'Inde, de 10 %.
Devant la bronca suscitée par cette annonce brutale, cinq experts ont été mandatés par le Gouvernement pour faire de nouvelles propositions. Ils ont remis leur rapport le 18 février dernier et préconisé l'exonération des doctorants - les doctorants étrangers représentent plus de 40 % de nos doctorants -, l'augmentation, de 10 000 à 14 000, des exonérations à la main du ministère des affaires étrangères, avec une priorité donnée à l'Afrique pour 10 000 de ces exonérations, et la possibilité pour les universités d'exonérer partiellement les étudiants des frais d'inscription. Ces propositions ont été retenues par la ministre de l'enseignement supérieur dans les projets de décret et d'arrêté qu'elle a soumis au Cneser lundi dernier.
Les universités, prises de court elles aussi, n'ont pas eu le temps de réexaminer leur stratégie internationale ni, a fortiori, de définir une nouvelle politique d'exonération. Bien souvent, elles ont donc annoncé l'exonération d'office de tous les étudiants étrangers à la rentrée prochaine. L'apport de recettes supplémentaires au budget des universités sera donc vraisemblablement proche de zéro en 2019.
Nous sommes résolument favorables tant à la définition d'une stratégie d'attractivité en direction des étudiants internationaux qu'à l'instauration de droits différenciés. Mais ce sujet aurait mérité plus de temps de réflexion et l'inscription dans un cadre plus large. Les droits d'inscription dans le supérieur sont fixés chaque année par le ministre chargé de l'enseignement supérieur en vertu d'un texte qui date de 1951 ; la question de leur nature - taxe ou redevance - n'est toujours pas tranchée et tant le Parlement que les établissements sont exclus de leur fixation. Il pourrait être intéressant de réfléchir à la fixation d'une fourchette de droits d'inscription au sein de laquelle les établissements auraient l'autonomie de fixer les droits qui s'appliqueraient à leurs étudiants. En outre, le dispositif français des bourses à l'international est terriblement complexe et probablement insuffisant. Une remise à plat globale est nécessaire et il aurait été judicieux qu'une telle réforme constitue un volet à part entière du plan « Bienvenue en France ». Il faut enfin que les établissements élaborent progressivement de véritables politiques d'attractivité articulées à la politique nationale d'attractivité et aux politiques d'attractivité des collectivités territoriales.
Tous ces chantiers demandent du temps. C'est pourquoi nous préconisons le report de la mesure relative aux frais différenciés à septembre 2020.