Intervention de Philippe Duron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 mars 2019 à 14h35
Financement des infrastructures de transport — Audition commune de Mm. Jean Abèle secrétaire général de l'agence de financement des infrastructures de transport de france afitf yves crozet professeur émérite à l'institut d'études politiques de lyon et philippe duron président du conseil d'orientation des infrastructures

Philippe Duron, président du Conseil d'orientation des infrastructures :

Le titre du rapport du Sénat que vous avez mentionné résume très bien les enjeux et pourrait aussi être celui de la lettre de mission adressée au président du COI : sélectionner rigoureusement et financer durablement les infrastructures de transport. Il fallait répondre au besoin d'efficacité des infrastructures et services de transport et mieux prendre en compte les déplacements du quotidien de nos concitoyens.

Pour restaurer la qualité des infrastructures, les moderniser et proposer des services répondant mieux aux besoins, le Gouvernement a mis en place un conseil mixte et pluraliste comptant trois sénateurs, dont M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, trois députés dont Mme Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, une députée européenne et les représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF), de France urbaine et Régions de France, ainsi que des personnalités qualifiées, hauts fonctionnaires, personnalités issues du secteur du BTP et élus locaux. Ce conseil a eu quatre mois pour travailler avec l'aide de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).

Nous avons commencé par sélectionner des projets et des programmes. Le rôle de la commission Mobilité 21, à laquelle M. Crozet et moi-même avions participé en 2012-2013, se limitait à ordonnancer les programmes contenus dans le schéma national d'infrastructures de transport (SNIT). Cette fois-ci, la réflexion de notre conseil incluait également la remise à niveau des infrastructures ayant pâti d'un manque d'investissement. Nous avons donc pensé en termes de programmes autant que de projets, en répondant à la double commande formulée par le président de la République le 1er juillet 2017 lors de l'inauguration du TGV Atlantique : mettre l'accent sur les mobilités du quotidien et la rénovation des infrastructures. Mais il fallait aussi veiller à la cohérence avec les autres politiques publiques de l'État - environnement, aménagement du territoire, économie et emploi notamment.

Autres enjeux identifiés : améliorer la qualité et assurer la pérennité des services - j'insiste sur le terme de « services » qui marque une rupture avec l'approche par l'offre - développer la performance des transports en ville en luttant contre la congestion et la pollution, réduire les inégalités territoriales en améliorant l'accès aux petites villes et aux villes moyennes, se doter d'infrastructures, et notamment d'un service de fret, performantes, et placer la France à la pointe de l'innovation en prenant en compte les deux innovations de rupture que sont la décarbonation des transports routiers et la digitalisation, désormais présente dans tous les secteurs de la vie économique et sociale.

Tout cela a un coût considérable. Pour la première fois, le projet de loi d'orientation des mobilités a intégré un volet programmation, une mesure très attendue par votre assemblée et d'autres institutions et groupes d'intérêt. La démarche de programmation a fait ses preuves en Allemagne et en Suisse ; depuis dix ans, l'Union européenne l'impose aux États qui la rejoignent.

Nous avons donc procédé à une évaluation des projets et programmes, en nous appuyant d'abord sur leur évaluation socio-économique monétarisée et l'estimation de leur valeur actualisée nette. Mais nous avons constaté, lors des travaux de Mobilité 21, que cette approche valorisait excessivement certains items comme le temps gagné. À cause de ce critère, dans le classement des 175 projets du SNIT apparaissent d'abord les autoroutes, puis les routes, le ferroviaire et enfin les voies navigables. C'est difficile à entendre ; c'est pourquoi la commission Mobilités 21 avait élaboré une série de critères, en ajoutant notamment le niveau de maturité des projets et programmes, pour éviter des effets d'éviction.

Au terme de cette réflexion, nous avons arrêté trois scénarios. De fait, les premières auditions avaient mis en évidence les contraintes financières à prendre en considération, à commencer par la trajectoire de dépenses d'infrastructures et de mobilité définie par la loi de programmation des finances publiques. Or en nous tenant à celle-ci, nous n'étions pas en mesure de répondre à l'ensemble des besoins.

Le premier scénario est celui qui se rapproche le plus de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, en retenant 48 milliards d'investissements d'infrastructures en vingt ans, à travers une augmentation modérée du financement de l'Afitf. Il ne permet pas d'enrayer la dégradation des grands réseaux routiers et ferroviaires, sans parler de voies navigables en déshérence.

Le deuxième répond à la double commande du Président de la République avec 60 milliards d'euros d'investissements sur deux décennies. Il implique d'augmenter de 600 millions d'euros par an le budget de l'Afitf par rapport au scénario 1.

Enfin, le scénario 3 concilie les objectifs définis et les attentes des territoires et des élus avec 80 milliards d'euros investis en vingt ans, ce qui conduirait à financer l'Afitf à hauteur de 3,5 milliards d'euros par an jusqu'en 2022, de 4 milliards d'euros ensuite, une fois les projets arrivés à maturité.

Longtemps, les déplacements interurbains ont été privilégiés par notre politique des transports, dans le cadre du plan autoroutier puis des lignes à grande vitesse. Le rapport de la commission Mobilité 21 a fait valoir que l'on ne pouvait continuer à construire des infrastructures interurbaines de très haut niveau sans assurer la maintenance de l'existant. Nous nous sommes inscrits dans ce prolongement, en conservant néanmoins trois grandes infrastructures. Les deux premières feraient l'objet d'une rénovation. Il s'agit de la LNPN (liaison nouvelle Paris-Normandie) et de la LNPCA (liaison nouvelle Provence-Côte-d'Azur), cette dernière, l'une des plus délabrées en France, engendrant une forte insatisfaction chez ses usagers. La troisième est la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse. Nous l'avons maintenue d'abord parce que la mise en service de la ligne Tours-Bordeaux a déjà mis en évidence un transfert modal depuis Toulouse ; ensuite parce que Toulouse est une métropole à caractère européen et que toutes les agglomérations de ce type doivent être reliées par la grande vitesse à l'horizon 2030 ; parce qu'il est souhaitable que la France maintienne un savoir-faire industriel dans ce domaine ; et enfin parce que les grandes collectivités d'Aquitaine et de Midi-Pyrénées avaient été incitées à financer la liaison Tours-Bordeaux contre la promesse d'une réalisation ultérieure du tronçon Bordeaux-Toulouse.

Voilà les grandes lignes de notre approche : rénovations, promotion d'alternatives à la route, prise en considération de l'aménagement du territoire à travers une amélioration du réseau autoroutier au profit des villes petites et moyennes. Dans les années 2000, la Datar avait envisagé la mise en place de liaisons en deux fois deux voies entre l'ensemble de ces villes ; nous nous contentons de proposer une amélioration de la desserte partout où cela est possible, dans le cadre d'un investissement de deux milliards d'euros sur les dix années à venir.

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