Albéric de Montgolfier est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 1737 (A.N. XVe lég.) portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés, sous réserve de sa transmission.
Notre Haute assemblée examinera en première lecture à compter du mardi 19 mars le projet de loi d'orientation des mobilités.
Pour la première fois, ce texte comporte en annexe une programmation financière pluriannuelle des infrastructures de transports, qu'avait réclamée le groupe de travail constitué par notre commission des finances sur le financement des infrastructures de transport dans son rapport d'information « Infrastructures de transport : sélectionner rigoureusement, financer durablement » présenté en septembre 2016.
Cette programmation financière, qui porte sur la période 2018-2037, devrait, à l'issue des débats parlementaires, donner enfin à notre pays une feuille de route claire dans un domaine stratégique pour notre avenir.
L'audition commune organisée aujourd'hui a pour objectif d'éclairer notre commission des finances sur les différents enjeux soulevés par cette programmation financière : priorité accordée à la rénovation des réseaux existants et aux transports du quotidien, devenir des grands projets structurants pour les territoires, place des différents modes de transport, recettes affectées à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), etc.
Pour nous informer sur ces questions, nous entendons aujourd'hui M. Philippe Duron, qui a présidé le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) chargé d'élaborer plusieurs scénarios de programmation financière, M. Jean Abèle, secrétaire général de l'Afitf, l'agence qui finance au nom de l'État les infrastructures de transport, et M. Yves Crozet, professeur émérite à l'Institut d'études politiques de Lyon, économiste des transports.
Je cède d'abord la parole à M. Philippe Duron, qui nous expliquera comment le COI a recensé et hiérarchisé les besoins en infrastructures de transport qui s'exprimaient sur le territoire, puis élaboré les trois scénarios d'investissements à l'origine de la programmation financière pluriannuelle qui nous est soumise aujourd'hui.
Le titre du rapport du Sénat que vous avez mentionné résume très bien les enjeux et pourrait aussi être celui de la lettre de mission adressée au président du COI : sélectionner rigoureusement et financer durablement les infrastructures de transport. Il fallait répondre au besoin d'efficacité des infrastructures et services de transport et mieux prendre en compte les déplacements du quotidien de nos concitoyens.
Pour restaurer la qualité des infrastructures, les moderniser et proposer des services répondant mieux aux besoins, le Gouvernement a mis en place un conseil mixte et pluraliste comptant trois sénateurs, dont M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, trois députés dont Mme Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, une députée européenne et les représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF), de France urbaine et Régions de France, ainsi que des personnalités qualifiées, hauts fonctionnaires, personnalités issues du secteur du BTP et élus locaux. Ce conseil a eu quatre mois pour travailler avec l'aide de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).
Nous avons commencé par sélectionner des projets et des programmes. Le rôle de la commission Mobilité 21, à laquelle M. Crozet et moi-même avions participé en 2012-2013, se limitait à ordonnancer les programmes contenus dans le schéma national d'infrastructures de transport (SNIT). Cette fois-ci, la réflexion de notre conseil incluait également la remise à niveau des infrastructures ayant pâti d'un manque d'investissement. Nous avons donc pensé en termes de programmes autant que de projets, en répondant à la double commande formulée par le président de la République le 1er juillet 2017 lors de l'inauguration du TGV Atlantique : mettre l'accent sur les mobilités du quotidien et la rénovation des infrastructures. Mais il fallait aussi veiller à la cohérence avec les autres politiques publiques de l'État - environnement, aménagement du territoire, économie et emploi notamment.
Autres enjeux identifiés : améliorer la qualité et assurer la pérennité des services - j'insiste sur le terme de « services » qui marque une rupture avec l'approche par l'offre - développer la performance des transports en ville en luttant contre la congestion et la pollution, réduire les inégalités territoriales en améliorant l'accès aux petites villes et aux villes moyennes, se doter d'infrastructures, et notamment d'un service de fret, performantes, et placer la France à la pointe de l'innovation en prenant en compte les deux innovations de rupture que sont la décarbonation des transports routiers et la digitalisation, désormais présente dans tous les secteurs de la vie économique et sociale.
Tout cela a un coût considérable. Pour la première fois, le projet de loi d'orientation des mobilités a intégré un volet programmation, une mesure très attendue par votre assemblée et d'autres institutions et groupes d'intérêt. La démarche de programmation a fait ses preuves en Allemagne et en Suisse ; depuis dix ans, l'Union européenne l'impose aux États qui la rejoignent.
Nous avons donc procédé à une évaluation des projets et programmes, en nous appuyant d'abord sur leur évaluation socio-économique monétarisée et l'estimation de leur valeur actualisée nette. Mais nous avons constaté, lors des travaux de Mobilité 21, que cette approche valorisait excessivement certains items comme le temps gagné. À cause de ce critère, dans le classement des 175 projets du SNIT apparaissent d'abord les autoroutes, puis les routes, le ferroviaire et enfin les voies navigables. C'est difficile à entendre ; c'est pourquoi la commission Mobilités 21 avait élaboré une série de critères, en ajoutant notamment le niveau de maturité des projets et programmes, pour éviter des effets d'éviction.
Au terme de cette réflexion, nous avons arrêté trois scénarios. De fait, les premières auditions avaient mis en évidence les contraintes financières à prendre en considération, à commencer par la trajectoire de dépenses d'infrastructures et de mobilité définie par la loi de programmation des finances publiques. Or en nous tenant à celle-ci, nous n'étions pas en mesure de répondre à l'ensemble des besoins.
Le premier scénario est celui qui se rapproche le plus de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, en retenant 48 milliards d'investissements d'infrastructures en vingt ans, à travers une augmentation modérée du financement de l'Afitf. Il ne permet pas d'enrayer la dégradation des grands réseaux routiers et ferroviaires, sans parler de voies navigables en déshérence.
Le deuxième répond à la double commande du Président de la République avec 60 milliards d'euros d'investissements sur deux décennies. Il implique d'augmenter de 600 millions d'euros par an le budget de l'Afitf par rapport au scénario 1.
Enfin, le scénario 3 concilie les objectifs définis et les attentes des territoires et des élus avec 80 milliards d'euros investis en vingt ans, ce qui conduirait à financer l'Afitf à hauteur de 3,5 milliards d'euros par an jusqu'en 2022, de 4 milliards d'euros ensuite, une fois les projets arrivés à maturité.
Longtemps, les déplacements interurbains ont été privilégiés par notre politique des transports, dans le cadre du plan autoroutier puis des lignes à grande vitesse. Le rapport de la commission Mobilité 21 a fait valoir que l'on ne pouvait continuer à construire des infrastructures interurbaines de très haut niveau sans assurer la maintenance de l'existant. Nous nous sommes inscrits dans ce prolongement, en conservant néanmoins trois grandes infrastructures. Les deux premières feraient l'objet d'une rénovation. Il s'agit de la LNPN (liaison nouvelle Paris-Normandie) et de la LNPCA (liaison nouvelle Provence-Côte-d'Azur), cette dernière, l'une des plus délabrées en France, engendrant une forte insatisfaction chez ses usagers. La troisième est la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse. Nous l'avons maintenue d'abord parce que la mise en service de la ligne Tours-Bordeaux a déjà mis en évidence un transfert modal depuis Toulouse ; ensuite parce que Toulouse est une métropole à caractère européen et que toutes les agglomérations de ce type doivent être reliées par la grande vitesse à l'horizon 2030 ; parce qu'il est souhaitable que la France maintienne un savoir-faire industriel dans ce domaine ; et enfin parce que les grandes collectivités d'Aquitaine et de Midi-Pyrénées avaient été incitées à financer la liaison Tours-Bordeaux contre la promesse d'une réalisation ultérieure du tronçon Bordeaux-Toulouse.
Voilà les grandes lignes de notre approche : rénovations, promotion d'alternatives à la route, prise en considération de l'aménagement du territoire à travers une amélioration du réseau autoroutier au profit des villes petites et moyennes. Dans les années 2000, la Datar avait envisagé la mise en place de liaisons en deux fois deux voies entre l'ensemble de ces villes ; nous nous contentons de proposer une amélioration de la desserte partout où cela est possible, dans le cadre d'un investissement de deux milliards d'euros sur les dix années à venir.
Merci. J'invite maintenant M. Jean Abèle, secrétaire général de l'Afitf, à nous présenter la situation financière actuelle de l'agence, tant du point de vue des dépenses que des recettes, et ses perspectives, compte tenu de la programmation financière pluriannuelle prévue par le projet de loi.
M. Christophe Béchu, président du conseil d'administration de l'Afitf, a été retenu et vous prie de l'en excuser.
L'Agence, avec son budget de 2,5 milliards d'euros par an, n'est que l'un des investisseurs dans les transports en France, domaine où le montant global d'investissement, dans les comptes 2017 de la Nation, s'élève à 19,6 milliards d'euros. Ces dépenses d'investissement représentent 12 % de celles de l'État et 17 % de celles des collectivités.
L'Afitf est un établissement public administratif créé par décret en 2004 pour apporter la part de l'État au financement des infrastructures, à la suite du Comité interministériel permanent pour les problèmes d'action régionale et d'aménagement du territoire (CIAT) de décembre 2003. Initialement, l'horizon retenu était 2025, mais celui-ci relève plutôt, désormais, de la loi d'orientation des mobilités. Les champs d'intervention de l'Afitf se sont multipliés au fil du temps. Cinq élus, une personnalité qualifiée et six représentants de différentes administrations siègent à son conseil d'administration.
L'Afitf emploie quatre personnes, et s'appuie bien sûr dans son action sur les services centraux et le terrain. Outre nos effectifs très modestes, notre originalité consiste à assurer le transfert de recettes du routier vers le ferroviaire, le routier non concédé, les transports en commun d'agglomération, les voies navigables, le maritime et le littoral. Nous assurons ainsi une forme de report modal financier. Cette redistribution, ne le nions pas, est aujourd'hui dans l'oeil du cyclone.
L'Afitf offre une transparence complète sur l'origine et l'utilisation des dépenses, et peut prendre des engagements financiers sur le long terme, ce qui sécurise les maîtres d'ouvrage. Nous avons ainsi des paiements prévus jusqu'en 2042.
Au départ, le fonds de l'agence devait être alimenté par les dividendes des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes. Les privatisations ont rapporté 4 milliards d'euros. Le socle des ressources de l'agence est constitué de la redevance domaniale et de la taxe d'aménagement du territoire, auxquelles s'ajoutent, depuis 2006, le produit des amendes radars, qui a rapporté environ 1 milliard d'euros en 2019, et 60 millions d'euros de contributions volontaires exceptionnelles des sociétés concessionnaires.
Pour arriver au budget de 2 ou 2,5 milliards d'euros qui a été celui des dernières années, la première idée, faute de ressources plus pérennes, a été de faire contribuer le budget de l'État, à hauteur d'un milliard d'euros. La taxe poids lourds devait prendre le relais à partir de 2015 : elle aurait dû rapporter 680 millions d'euros la première année. Depuis son abandon, c'est une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui apporte ce complément, pour un montant d'un milliard d'euros en 2018 et de 1,2 milliard en 2019 ; c'est ainsi qu'en 2019, malgré l'annulation de l'augmentation généralisée de la TICPE due aux événements que vous savez, la dotation de l'agence est restée conforme au niveau prévu en loi de finances initiale.
Depuis quelques années, les dépenses de l'agence financent d'abord la maintenance et la sécurisation des infrastructures routières et des voies navigables - SNCF Réseau faisant de même pour le ferroviaire. Elles financent aussi la mise en oeuvre des contrats de plan État-régions. Depuis la création de l'agence, 40 milliards d'euros ont été engagés, répartis de la façon suivante : 40 % en faveur du ferroviaire, 40 % en faveur du routier non concédé, environ 12 % pour les transports collectifs d'agglomération - en nette hausse ces dernières années -, et environ 2,5 % pour, respectivement, les voies navigables et les infrastructures maritimes et littorales.
Le budget pour 2019 affiche 2,478 milliards d'euros de recettes, soit 247 millions d'euros de plus qu'en 2018, où le produit des amendes radars a été près de 200 millions d'euros inférieur aux estimations. En dépenses, les crédits de paiements s'élèvent à 2,48 milliards d'euros, ce qui est légèrement inférieur au montant de 2018, mais ce dernier incluait 324 millions d'euros de solde de la dette Écomouv' ; en termes de budget opérationnel, nous avons en 2019 235 millions d'euros de plus qu'en 2018 pour investir sur les mobilités. Les autorisations d'engagement s'élèvent à 1,9 milliard d'euros, soit le niveau de 2017. C'est une mesure de prudence, en prévision de la LOM et de l'accroissement des financements à partir de 2020. Cela ne met pas pour autant en cause les financements de l'année puisque tous les domaines, sauf le maritime qui est en léger recul, sont en augmentation : 1 milliard d'euros sur le ferroviaire, 944 millions d'euros sur le routier, 274 millions d'euros sur les transports collectifs d'agglomération, 107 millions d'euros pour le fluvial - contre 80 millions d'euros l'an dernier, le ministère a donc compris la nécessité de renforcer le volet modernisation -, et 40 millions d'euros pour le maritime et le littoral. À 2,5 milliards d'euros, le budget 2019 ne remet pas en cause la trajectoire LOM, établie pour cinq ans. Le vrai sujet est plutôt de savoir où trouver les ressources supplémentaires à partir de l'année prochaine, qui doivent s'élever à environ 500 millions d'euros - ce qui nous place dans un scénario que l'on pourrait, à la suite de l'exposé de M. Duron, appeler « scénario 2 moins ».
Il est fondamental de conforter ces financements et d'en fixer la destination, pour éviter toute foire d'empoigne. Il serait utile de perpétuer le travail du COI, car le temps est court et ces choix nous engagent pour plusieurs années. Enfin, je pense que même si la trajectoire LOM augmente l'effort de 40 % en cinq ans, cela ne suffira pas : il faut certes travailler sur l'offre, mais surtout sur la demande, via l'urbanisme, le logement, l'organisation du temps de travail, les nouvelles technologies, etc.
Je cède à présent la parole à M. Yves Crozet, économiste des transports, pour qu'il nous livre son analyse sur cette programmation financière pluriannuelle des infrastructures de transport. Est-elle soutenable financièrement ? Est-elle cohérente avec les priorités affichées par le Gouvernement ?
Merci de votre invitation. La LOM ne porte pas que sur la programmation des infrastructures : à preuve, on n'y parle plus tant de transports, de mobilités ou d'infrastructures que de services. Ne nous polarisons donc pas sur ce seul aspect. Cela dit, scénario 2 ou « 2 moins », et quoi qu'il advienne de la taxe carbone, le compte n'y est pas.
Je veux d'abord rappeler que la LOM est une loi absolument nécessaire. L'exposé des motifs - qu'il aurait fallu faire rédiger par un universitaire plutôt que par un cabinet d'avocats... - tourne autour du pot, si je puis dire, à deux égards. La LOM entend d'abord succéder à la LOTI, très grande loi qui a créé le versement transport, les périmètres de transport urbain, les PLU, etc., mais qui a été dépassée par de nombreuses mobilités. La mobilité, c'est le déplacement et la prise en compte de la localisation des activités. Or depuis la LOTI, partout en France, l'étalement urbain a considérablement progressé, en sorte que 80 % des territoires échappent aux gestionnaires des périmètres de transports urbains. L'Insee a enfoncé le clou récemment : à l'exception de la région parisienne, moins de 20 % des actifs utilisent des transports collectifs pour se rendre au travail ; Lyon est plutôt un bon élève avec 15 %, mais ils ne sont que 7 % à Marseille ! Lorsque 90 % des actifs n'utilisent pas les transports collectifs pour se rendre au travail, c'est que la LOTI est un échec. La LOM entend compenser cet oubli de nombreux territoires, cet oubli de l'automobile, cet oubli des financements.
Ensuite, dans les quinze points forts de la loi mis en avant dans les documents de communication du ministère, on peut lire que les trois quarts des investissements du quinquennat iront au ferroviaire : mais il s'agit des investissements de l'État central, dont la moitié proviendront de l'Afitf. C'est oublier que la majorité des investissements sont le fait des collectivités territoriales, et destinés à la route. Je suis surpris que la LOM n'aborde pas cette question. La programmation des investissements ne concerne pas que l'Afitf ! Or les investissements des communes et des départements, sur 98 % du réseau routier français, représentant 60 % des voyageurs-kilomètres - du trafic, si vous préférez - sont tombés de 11 à 8 milliards d'euros en quelques années.
Je suis donc surpris que l'exposé des motifs ne nous dise pas la chose toute simple suivante, certes guère dans l'air du temps : si l'on veut financer les mobilités, programmer les investissements et prendre en compte la transition écologique, il va falloir augmenter les prélèvements publics sur la mobilité, et sans doute les dépenses ! Tous les candidats à la présidentielle promettent de baisser les prélèvements et les dépenses ; c'est pourtant le contraire qui va se produire. Les porteurs de nouvelles mobilités, les opérateurs d'autopartage, Uber, font de moins en moins de business to customer car il n'y a pas sur ce créneau de modèle d'affaires concluant - voyez la faillite d'Autolib' à Paris et de beaucoup d'opérateurs de covoiturage - et de plus en plus du business to administration : Uber est ainsi devenu membre de l'Union internationale des transports public, gros consommateur d'argent public s'il en est... L'entreprise a en effet bien compris que pour rentabiliser son activité, le client ne suffira pas, il lui faudra de l'argent public.
Il était donc nécessaire de faire la transparence sur les prélèvements. Près de 40 milliards d'euros sont prélevés sur la route, sans parler de la TVA. C'est une bonne chose, et l'on pourrait sans doute prélever plus, mais on ne pourra le faire sans davantage de transparence. Savez-vous seulement qu'en 2015 - avant la hausse de TICPE -, d'après les chiffres publiés par le ministère des transports et le Trésor, un véhicule essence ou diesel en interurbain couvrait la totalité de ses coûts externes ? Si on augmente la TICPE qui pèse sur ces automobilistes, on s'expose à quelques problèmes...
M. Duron a bien insisté sur la question des services, qui est un aspect très important de la LOM, mais il existe un autre point aveugle : la question de l'espace. Voyez Londres : le gestionnaire, Transport for London, est bien organisé ; l'équivalent du pass Navigo, à Londres, coûte 400 euros par mois ; et dans le centre de commande de Londres, les écrans de contrôle des transports collectifs jouxtent les écrans de contrôle des routes. À Stockholm, c'est la même chose. Comment imaginer qu'une autorité organisatrice de la mobilité fonctionne en Île-de-France, à Lyon, Toulouse ou Marseille si elle n'est pas aussi en charge de la voirie et des transports publics ? Il faut parler de l'ensemble des voiries, et de leur gouvernance, pas seulement de leurs financements. La LOM prévoit des autorités organisatrices de la mobilité à l'échelon des intercommunalités ; beaucoup n'ont pas de transports collectifs mais s'occupent des routes. J'ai lu que le Sénat proposait un versement transport à hauteur de 0,3 % ; objectivement, la route paie déjà beaucoup. On pourrait affecter une partie des recettes des routes pour entretenir les routes, plutôt que pour payer les dépenses sociales. Ceux qui gèrent l'espace doivent aussi gérer les mobilités. De ce point de vue, la LOM est pauvrement innovante : elle parle de covoiturage, mais pour développer le covoiturage, il faudra réorganiser les voiries, créer des parkings, des voies réservées, des péages, peut-être - mais le péage urbain, qui figurait dans le projet de loi, a été retiré du texte en novembre à la suite des événements que vous savez...
Pour revenir sur la programmation pluriannuelle des investissements, la grande fragilité de la LOM est financière. M. Duron et d'autres ont publié une tribune dans Les Échos sur cet aspect. Nous sommes dans le scénario 1 du COI, plutôt que dans le 2 ou le 3. Pour réaliser le scénario 2, qui est souhaitable - et je partage l'avis de M. Duron sur les lignes Paris-Normandie, les améliorations en PACA, et la nécessité d'avoir un TGV entre Bordeaux et Toulouse, mais sans doute pas entre Bordeaux et Dax -, il faudra poser la question de l'augmentation des prélèvements. Pour financer Bordeaux-Toulouse, dont le trafic ne permettra pas de financer l'infrastructure, faudra-t-il pomper l'Afitf, donc prélever des ressources sur d'autres projets ? Faudra-t-il prélever des impôts sur les bureaux et les entreprises avec des systèmes de type Société du Grand Paris ? On n'échappera sans doute pas à une hausse des prélèvements.
Se pose alors la question du versement transport, qui représente déjà 8 milliards d'euros en France, dont 4 milliards en région parisienne ; faut-il l'augmenter, alors qu'il dégage les entreprises de leurs responsabilités ? Dans la plaine de l'Ain, à l'Est de Lyon, où sont concentrés de nombreuses activités de logistique et de nombreux entrepôts, et où beaucoup d'entreprises fonctionnent en horaires décalés, les entreprises paient un versement transport important car elles ont une main d'oeuvre abondante, mais l'offre est nulle ; les chefs d'entreprises préféreraient prendre en charge le transport de leurs salariés plutôt que de payer le versement transport ! Le projet de loi initial proposait de développer les taxis amateurs : l'idée a hélas disparu, comme celle du péage urbain. Autre idée disparue, mais que le Sénat défendra peut-être : celle de contrats opérationnels entre les autorités organisatrices et les régions. Bref, arrêtons de chercher des vaches à lait qui s'appelleraient écotaxe poids lourds, TICPE, ou rente autoroutière, et disons aux usagers que, de même que l'eau paie l'eau, la mobilité doit payer la mobilité.
Merci pour ces propos, qui stimuleront le débat ! Notre rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier, et notre rapporteur spécial sur les transports, Mme Fabienne Keller, vont à présent vous poser leurs questions.
Il y a quelques années, Christian Eckert, alors secrétaire d'État en charge du budget, se tenait à la place que j'occupe actuellement lorsqu'il a appris, en direct, en lisant le téléphone portable que lui tendait son conseiller, que Ségolène Royal avait annoncé la suppression de l'écotaxe... On a décidé un peu vite de se priver de cette recette et d'accepter un tel coût pour les finances publiques. Peut-on ressusciter une forme de taxe poids lourds ? On invoque souvent les exemples étrangers, allemand ou suisse notamment. Peut-on, d'une façon ou d'une autre, taxer les camions étrangers qui vont de l'Espagne à la Belgique en passant par notre territoire, ou qui passent par l'Alsace pour éviter l'Allemagne, afin de faire contribuer le trafic de transit au financement des infrastructures tout en évitant de nuire à la compétitivité du transport français ? Un poids lourd espagnol peut traverser la France sans verser un centime !
Sur les radars, M. Abèle est allé un peu vite sur les chiffres. Beaucoup ne sont pas actifs en ce moment... Craignez-vous une baisse du produit des amendes radars ? La direction du budget, invitée, n'a pas daigné venir, ce qui est dommage...
Le Gouvernement a commandé un rapport à l'inspection générale des finances et au conseil général de l'environnement et du développement durable sur l'avenir du réseau routier non concédé, qui n'est toujours pas public - j'en ai demandé une copie. Le réseau autoroutier francilien, en particulier celui que l'on utilise pour aller ou revenir de Roissy ou d'Orly, est insatisfaisant car sale, pas entretenu...
Il est en effet mal éclairé, car des câbles ont été volés... Bref, c'est indigne. Comment l'entretenir ? Faut-il étendre le réseau routier non concédé jusqu'aux portes de Paris ? Le réseau concédé est peut-être cher, mais au moins, il est entretenu.
Je remercie les trois intervenants pour leur éclairage.
Le profil de recettes de l'Afitf a été placé par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable à l'article 1er du projet de loi, afin de le consolider. Monsieur Abèle, pouvez-vous nous indiquer un montant réaliste dès 2019, ou à tout le moins une fourchette ?
Sur les radars, je suis moins pessimiste que le rapporteur général, car des réparations sont en cours, et on ne peut pas souhaiter que les dépassements de limitation de vitesse soient nombreux... Quoi qu'il en soit, on peut espérer que les recettes soient au rendez-vous en 2019.
Le système ERTMS, qui permet de mettre entre 20 % et 30 % de trains supplémentaires sur une ligne, et donc de mieux utiliser des axes ferroviaires saturés, est un investissement intéressant mais compliqué à mettre en oeuvre car il concerne à la fois le rail et le train. Est-ce néanmoins un levier intéressant ? Faudrait-il mieux le valoriser ? Je ne crois pas qu'une évaluation ait été conduite à son sujet.
Notre rapport proposait en deuxième hypothèse de mettre en place non pas une vignette kilométrique, inacceptable politiquement après la crise des bonnets rouges, mais une vignette temporelle et forfaitaire. C'était aussi une contre-proposition de l'organisation des transporteurs routiers européens à l'époque de l'écotaxe.
Sans doute 3,5 tonnes. Les Allemands, qui ont commencé à 12 tonnes, sont à présent descendus à 3,5 tonnes. Retenir une approche progressive, graduelle, peut être prudent. Ce point n'a fait l'objet d'aucun arbitrage.
La ministre souhaite une taxe qui s'imposerait aux camions étrangers en transit, qui paient peu, ou pas, le coût de l'infrastructure. Pour éviter de créer une discrimination, il faudrait que tous les poids lourds s'en acquittent, mais avec un avantage consenti aux nationaux.
Madame Keller, l'ERTMS est actuellement appliqué en France, dans sa deuxième version, entre Paris et Lyon. Ce système de signalisation embarqué permet des gains de capacité, davantage de trains pouvant passer sur un même sillon, ce qui évitera de créer des lignes nouvelles. La LNPCA en sera également équipée, car elle est saturée. Les Italiens sont plus ambitieux puisqu'ils envisagent d'appliquer ce système, d'ici à 2030, sur plusieurs milliers de kilomètres. ERTMS permettra aussi une interopérabilité avec les trains étrangers qui traverseront notre pays.
Il faut avancer dans cette voie, mais le dispositif est coûteux.
Le système ERTMS favorise l'ouverture à la concurrence, d'où les retards dans son application en France. Aujourd'hui, un train allemand ne peut pas circuler entre Paris et Lyon, car il n'est pas équipé du système de contrôle de vitesse par balises (KVB). La SNCF et la Deutsche Bahn freinent des quatre fers, tandis que les petits pays, notamment la Belgique, sont tous passés à l'ERTMS.
Vous avez dit, monsieur le rapporteur général, que les réseaux concédés étaient bien entretenus, contrairement aux non concédés. Je plaide pour que la route sorte du système non marchand, à l'instar de ce qui a été fait pour l'eau, la gestion des ordures ménagères et la télévision, pour lesquelles on paie des redevances. Il est surprenant qu'en matière de mobilités, secteur qui influe sur l'environnement, le climat et la vie des générations futures, on ne soit pas capable de mettre en place une tarification.
La TICPE, qui ne concerne ni les véhicules électriques ni les poids lourds étrangers, n'est pas un système d'avenir. Ce qui permet d'entretenir le réseau, c'est la tarification, et non les solutions bancales qui sont envisagées en lieu et place de la véritable solution : tarifer l'usage des routes. La vignette « ancien modèle » est certes un retour en arrière, mais elle a le mérite de permettre une tarification forfaitaire.
L'idée de faire payer les camions en transit me gêne. Les poids lourds représentent 30 % du chiffre d'affaires des sociétés d'autoroute, soit 3 milliards d'euros. Les camions étrangers, qui circulent massivement sur les autoroutes, en paient une grande partie et contribuent donc, d'ores et déjà, au financement des infrastructures françaises via les péages.
Je rappelle, par ailleurs, qu'une voiture diesel ou essence qui roule sur une route rurale paie ses coûts externes, ce qui est loin d'être le cas d'un véhicule circulant en zone urbaine. C'est donc d'abord en ville qu'il faut tarifer la route.
Il faut cesser de désigner des méchants et faire payer l'ensemble des véhicules motorisés. Ainsi ne doit-on pas créer une vignette pour les seuls poids lourds, mais aussi, à un niveau faible, pour les voitures. Les émissions de CO2 ayant augmenté en 2017 et en 2018 malgré la hausse de la TICPE, il convient de serrer la vis en matière de mobilité automobile, d'annoncer la hausse des prélèvements non pas sous forme d'impôt, mais de redevance permettant d'entretenir les routes et de financer des systèmes alternatifs à l'autosolisme, et de tenir un langage d'économiste.
En 2017, les amendes radars ont rapporté 1,9 milliard d'euros, dont 900 millions d'euros ont été fléchés vers la lutte contre l'insécurité routière, 270 millions vers les collectivités territoriales, 249 millions vers la Délégation à la sécurité routière (DSR), 89 millions vers le désendettement de l'État ; le reste, 405 millions d'euros, a servi à financer l'Afitf. Avec 248 millions d'euros, l'année 2018 fut moins bonne. Le budget prévisionnel pour 2019 est de 226 millions d'euros. Il n'y a donc pas de fuite en avant en termes de ressources.
Madame Keller, la trajectoire générale sur cinq ans se situe entre 13,4 et 13,6 milliards d'euros. Pour financer les projets à venir, une ressource supplémentaire est nécessaire à partir de l'année prochaine ; après une montée en puissance, elle devra atteindre son plein régime à partir de 2021. Un dispositif de vignette serait rapide à mettre en place et concernerait l'ensemble des véhicules, mais il doit être accepté et réellement rentable en rapportant 500 millions d'euros par an au moins.
Je crois beaucoup au report modal s'agissant de la mobilité des marchandises. Pour la réalisation du canal Seine-Nord Europe, il manque 1 milliard d'euros que doit verser l'État et 800 millions destinés à rembourser la dette contractée par la société du canal. L'Union européenne est plutôt favorable au système de financement via une taxe affectée, à condition que celle-ci permette de financer un report modal. Sur ce cas pratique, quelle sont vos suggestions ?
La Cour des comptes estimait dans son rapport de 2016 que l'Afitf était un opérateur de l'État sans feuille de route ni marge de manoeuvre, et recommandait que son conseil d'administration assume pleinement ses responsabilités en hiérarchisant les projets et en garantissant leur conformité à une trajectoire financière explicite. Cette recommandation a-t-elle été mise en oeuvre ?
Selon la Cour, le président de l'Afitf n'est destinataire ni d'une lettre de mission ni d'un contrat d'objectifs et de performance. Cette situation a-t-elle changé depuis lors ?
Par ailleurs, surtout considérée comme un instrument de débudgétisation, l'Agence met en oeuvre les décisions du ministère et n'a aucune maîtrise sur ses ressources, l'État décidant de tout. Quelle est la réelle utilité de l'Afitf ? Quelle plus-value apporte-t-elle ?
De nombreuses communes s'acquittent depuis longtemps d'une taxe transport, destinée notamment à financer le transport par bus de salariés. On constate depuis trois ou quatre ans que de petites communes de 2 000 ou 3 000 habitants sont devenues du jour au lendemain, à la suite de leur adhésion à une intercommunalité, redevables de cette taxe, bien qu'il n'y ait pas de gare ferroviaire ou routière sur leur territoire. Cette charge supplémentaire ne sert donc à rien, ni aux habitants ni aux salariés ; c'est un rapport perdant-perdant ! Ne pourrait-on, dans le cas de ces communes, remplacer cette taxe par une aide au transport versée aux salariés ?
M. Duron connaît bien les problèmes de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT). On nous a confirmé qu'une ligne à grande vitesse relierait Bordeaux et Toulouse, tandis que le projet de LGV entre Poitiers et Limoges était abandonné. Il faut aujourd'hui trois quarts d'heure de plus que dans les années soixante - il y avait alors le mythique train Capitole - pour aller de Paris au centre de la France ! Des investissements lourds sont-ils prévus sur cette ligne ? Je rappelle que le tragique accident de Brétigny-sur-Orge était dû au mauvais entretien de la ligne POLT...
M. Crozet a eu la franchise de nous dire que, faute de moyens pour réaliser nos ambitions, nous n'aurions pas d'autre solution que d'augmenter les prélèvements sur les usagers et sur les entreprises. Dans la période que nous vivons, avec la sortie de la crise des gilets jaunes, quel gouvernement prendra le risque d'appliquer ce type de solution ? La preuve en est que la possibilité laissée aux collectivités locales de mettre en place un péage urbain a été retirée du texte qui va nous être soumis...
Vous avez expliqué comment il fallait sélectionner les projets, que le coût socio-économique n'était pas le seul critère pertinent et qu'il faudrait ajouter un critère de maturité. Cela vaut pour les projets nouveaux, mais qu'en est-il de l'entretien du réseau ? Le rapporteur général a rappelé quel était l'état des autoroutes non concédées en Île-de-France ; c'est absolument dramatique : il n'y a plus d'éclairage public et les murs antibruit de l'A3 et de l'A1 finiront par tomber sur la chaussée, avec des morts à la clé... Ce n'est pas une caricature !
L'État est incapable de dégager des moyens pour l'entretien courant de ce réseau ainsi que des ponts, ce qui nous inquiète après la catastrophe de Gênes. Quels critères proposez-vous de mettre en place pour traiter l'urgence ?
Je partage l'analyse de Philippe Dallier. La priorité est à l'entretien du réseau et non au lancement de nouveaux projets, notamment de LGV.
S'agissant du financement de l'Afitf, il y a un paradoxe. D'une part, la part qu'elle perçoit des amendes radars - ce qui reste après que les autres soient servis - fluctue chaque année. D'autre part, ces recettes proviennent exclusivement de comportements non vertueux. Financer l'Agence et nos infrastructures de transport par des amendes ou par la TICPE, cela pose un problème de moralité. Ne peut-on procéder autrement ?
Quels prélèvements pour financer la mobilité publique de demain, s'interrogeait M. Crozet. Il a aussi rappelé la faible utilisation des transports publics dans certaines villes françaises, notamment Marseille. Pourquoi ? La gratuité permettrait-elle d'inverser cette tendance ?
Ce que paient les usagers représente 25 % à 30 % des recettes d'un syndicat de transports. Quel est votre avis sur la gratuité des transports publics ?
Comment trouver un équilibre entre l'aménagement du territoire, qui correspond à une nécessité d'anticipation des besoins, et l'équipement du territoire, qui englobe les transports du quotidien et répond à un besoin immédiat ? Il ne faudrait pas reproduire le schéma d'une France organisée en étoile non pas autour de la capitale, mais autour de cinq ou six métropoles - Bordeaux, Toulouse, Nantes... -, dans lequel seules compteraient les liaisons entre ces grandes villes.
M. Duron, comment peut-on introduire des projets en cours d'étude dans la programmation ? Je pense notamment à la liaison transversale entre Cholet et Nantes, qui doit permettre de contrer les aménagements en étoile. Un projet de faisabilité lancé par le ministère est à l'étude.
Peut-on envisager de reconcéder des autoroutes d'État gratuites, afin d'assurer leur entretien ?
Je suis surpris par les chiffres annoncés à propos de la ventilation des amendes de radars. Aujourd'hui, 100 % des ressources de l'Afitf proviennent de la route - péages, amendes radars et TICPE -, mais moins de 50 % de ces recettes bénéficient aux infrastructures routières. Cela pose un problème de fléchage et de cohérence.
En 2017, les recettes provenant des amendes de radars ont été supérieures à ce qui était prévu. Dans la loi de finances rectificative pour 2018, le solde a été redistribué au bénéfice de l'Afitf. En 2019, ce sont 500 millions d'euros qui abonderont son budget. Je dispose par ailleurs de chiffres un peu différents des vôtres concernant le désendettement de l'État.
Le système est à revoir, car les amendes de radars ont huit destinations différentes ; c'est confus ! Citons, entre autres, le Fonds de modernisation des établissements de santé public et privés, ainsi que l'a annoncé le Premier ministre en même temps que la limitation à 80 kilomètres à l'heure... Ne faudrait-il pas recentrer le dispositif au lieu de l'étaler ? Par ailleurs, le fléchage de la participation au désendettement de l'État ne correspond pas à grand-chose.
Au lieu de chercher d'autres sources de financement, il faudrait optimiser celles qui existent - amendes de radars, mais aussi redevance domaniale des stations-service.
Je serai bref sur un sujet qui me passionne de longue date, étant un nostalgique du rail. On ne peut que regretter l'abandon progressif du rail hors TGV.
La fermeture des petites lignes est contradictoire avec les exigences de l'aménagement du territoire. C'est aussi vrai pour les lignes capillaires de fret ferroviaire. Quelle est votre position sur le sujet ?
Je suis élu du Lot, un département qui est vierge et tout TGV, et qui le restera longtemps. Monsieur Crozet, pouvez-vous nous confirmer que la LGV Bordeaux-Toulouse ne sera pas rentable ?
Pourquoi la France n'aime-t-elle pas les trains pendulaires, qui existent en Italie, et qui sont sans doute plus économiques que les TGV ?
Nous espérons dans les jours qui viennent récupérer la quatrième voie sur le viaduc de Gennevilliers, ce qui mettra un terme à plusieurs mois de perturbations, y compris économiques, dans la vie des habitants du Val-d'Oise. Les travaux ont fait suite à l'effondrement d'un mur de soutènement, qui aurait pu être évité grâce à un diagnostic plus invasif en amont. À cet égard, avez-vous toute confiance dans la fiabilité des diagnostics faits sur le réseau ? Vous permettent-ils de bien calibrer les fonds nécessaires aux travaux de rénovation ? J'ai cru comprendre que les ouvrages d'art avaient été mieux diagnostiqués en province qu'en Île-de-France.
M. Crozet a évoqué les concours substantiels des collectivités locales dans le financement des infrastructures. M. Duron, comment intégrez-vous les programmes d'investissement dans les contrats de plan État-régions en cours ?
Pour commencer, je vous informe que le canal Seine-Nord-Europe, le Lyon-Turin ferroviaire, de même que le Grand Paris Express ne figurent pas dans le périmètre d'étude du COI, donc je ne suis pas en mesure de répondre à vos interrogations à ce sujet.
L'Afitf a été imaginée lors du CIAT de 2003. Il s'agissait d'une première approche de programmation vertueuse mettant en parallèle les besoins de financement et les recettes. Elle a plusieurs vertus. La première, c'est de sécuriser assez bien un certain nombre de ressources, même si l'épisode de l'écotaxe nous a montré que rien n'était acquis. La deuxième, c'est qu'elle assure de la transparence dans les décisions d'investissement de l'État. Elle permet d'avoir une vision claire sur la trajectoire financière des grands projets, qui s'étalent sur le long terme, mais je pense nécessaire de renforcer son rôle à cet égard. Ainsi, il faudrait peut-être lui confier un pouvoir d'alerte lorsque les financements sont mal assurés.
S'agissant des taxes destinées à financer les transports, il est recommandé de mieux répartir les contributions des usagers et des contribuables. Aujourd'hui, pour un certain nombre de déplacements, la part de l'usager est relativement faible. C'est le cas dans les transports urbains ou régionaux, ou sur les autoroutes non concédées. Pour ces dernières, la part que l'État consacre à leur entretien est notoirement insuffisante. Un audit réalisé par un cabinet suisse a estimé à 1,8 milliard d'euros le besoin de financement des routes et autoroutes non concédées. L'État s'est engagé à y consacrer 1,3 milliard d'euros à l'horizon 2023. La catastrophe génoise nous a montré que cet effort était absolument indispensable.
Certains d'entre vous ont évoqué la problématique de la dégradation de lignes ferroviaires comme Paris-Orléans ou Paris-Clermont, mais également des petites lignes, que l'on appelle les lignes 7 à 9, pour reprendre une catégorisation de l'Union internationale des chemins de fer.
Le rapport du COI préconise de réaliser un effort important, notamment sur la ligne Paris-Limoges, et ce afin d'améliorer l'axe POLT. S'agissant des trains d'équilibre du territoire comme Paris-Cherbourg, Paris-Limoges ou Paris-Clermont, j'avais recommandé l'instauration d'objectifs de performance, avec des voies capables de supporter des vitesses supérieures à 200 kilomètres par heure. M. Gabouty, je dois vous dire que je ne partage pas votre avis sur les trains pendulaires de nouvelle génération. J'observe que les Polonais ont retenu cette technologie pour le Cracovie-Varsovie, qui roulera à 240 kilomètres par heure. Cela me semble une option intéressante, mais Alstom nous dit que c'est impossible.
Je ne suis pas en mesure de vous l'expliquer aujourd'hui.
S'agissant des petites lignes capillaires, toutes ne sont pas dans la même situation. Certaines, comme Lison-Cherbourg, connaissent un trafic quotidien très important. Son arrêt serait problématique pour une agglomération de 90 000 habitants. En revanche, d'autres connaissent très peu de mouvements.
SNCF Réseau a estimé récemment le besoin de financement entre 5 et 6 milliards d'euros, quand le contrat de plan, qui n'est pas encore totalement exécuté, prévoyait 1,5 milliard d'euros.
Il faut se poser la question du modèle économique et du service que l'on veut rendre à la population. Quelle est la façon de rendre le meilleur service au meilleur coût ?
Vous n'êtes pas sans savoir que le Conseil d'État a cassé la DUP pour la LGV Paris-Poitiers-Limoges. C'est le modèle économique qui est en cause.
Yves Crozet a dit tout à l'heure que l'on perdrait de l'argent sur Bordeaux-Toulouse. Permettez-moi d'émettre des doutes. Sur Tours-Bordeaux, les prévisions de la SNCF ont été pulvérisées.
Concernant la fiabilité des diagnostics, je le confirme, nous avons travaillé à dire d'expert, en nous appuyant notamment sur les informations du CGEDD. Il est toujours envisageable de progresser avec de nouvelles technologies, comme des capteurs numériques. Le Sénat est en train de travailler sur le sujet, mais je pense pouvoir dire que nous connaissons bien les ouvrages de l'État. Je suis plus inquiet pour ceux qui dépendent des collectivités locales, notamment celles qui ne sont pas toujours bien dotées en moyens techniques et financiers.
S'agissant du viaduc de Gennevilliers, monsieur Bazin, je n'ai pas d'information particulière.
Quant aux investissements sur les CPER, Mme Borne a dit que l'État respecterait ses engagements.
Il y aura une procédure de revoyure.
Pour ce qui est du financement de l'Afitf, un contrat de performance est en préparation, avec une trajectoire sur 5 ans. C'est une agence de financement, et elle doit rester dans ses missions.
S'agissant de la régénération routière, ont été décaissés ou sont prévus : 100 millions d'euros de 2008 à 2014 ; 270 millions d'euros en 2017 ; 370 millions d'euros en 2018 et 446 millions d'euros programmés pour 2019. On constate donc une nette accélération, même si certains pourraient être tentés de voir le verre à moitié vide.
Notre priorité fut d'abord la sécurisation des tunnels après le drame du Mont-Blanc. Une somme de 1,5 milliard d'euros lui a été consacrée. Nous sommes en fin de paiement et se dressent devant nous les ponts. Je suis plutôt confiant dans les analyses qui ont été faites.
Pour le reste, il faut avoir à l'esprit que le réseau national, c'est 12 000 kilomètres sur un total de 1 million de kilomètres de voies. Il convient donc de s'interroger sur la capacité technique et financière des collectivités à supporter l'entretien et la sécurisation de ce réseau.
Vous avez ouvert la question de la redistribution, mais si on arrête, où va-t-on ? Il convient de ne pas déshabiller Paul pour habiller Pierre, mais, à budget constant, l'Afitf a un certain nombre de missions à remplir.
Les LGV, c'est 300 millions d'euros par an, jusqu'en 2024, en application de trois contrats de partenariat. Pour SNCF Réseau, c'est 3 milliards d'euros par an d'investissements sur les voies ferroviaires.
Sur les recettes des radars, on attendait 500 millions d'euros, mais il faudra se contenter de 226 millions d'euros.
Sur la question des travaux d'entretien des infrastructures, on est sur des logiques de cycles. Pendant un temps on s'occupe d'un type d'équipement, puis on passe à autre chose.
À titre d'exemple, voilà vingt ans, l'investissement en Île-de-France, c'était 3 % du total pour 20 % de la population, donc un sous-investissement important. Aujourd'hui, on est à 20 %, mais c'est uniquement grâce au Grand Paris Express. C'est pareil dans le ferroviaire. L'État n'a eu de cesse de se défausser et de se désengager. Pour les routes, on est passé de 12 milliards d'euros à 8 milliards d'euros.
Comment faire pour éviter Gênes en France ? On ne pourra rien faire sans une ressource affectée.
Pour ma part, je suis partisan d'une augmentation de l'intervention de l'État financée non pas par l'impôt, mais par les redevances, avec une agence chargée de la contractualisation, qui serait un peu l'équivalent d'une agence de l'eau.
Imaginez un pays surprenant, un pays fictif, où un Président de la République appellerait de ses voeux une réduction des déficits publics tout en supprimant la taxe d'habitation...
Il faut réhabiliter la dépense publique financée par les redevances, pourquoi pas une vignette mobilité.
Je termine sur la question du report modal et de la gratuité. Excusez-moi d'être brutal, mais il faut en faire le deuil ; cela n'existe pas, ou alors localement, de façon marginale. Un rapport rendu au commissaire européen chargé des transports indique que le partage modal n'a pratiquement pas évolué en Europe de 1996 à 2016. Le ferroviaire n'a pas bougé d'un pouce et la route a légèrement augmenté. En Allemagne, si le fret ferroviaire a augmenté, c'est seulement au détriment du fluvial, le fret routier n'ayant pas bougé. Je le répète, il faut faire le deuil du report modal, et la gratuité n'y fait rien.
Il y a 31 villes en France qui ont des transports publics gratuits, mais c'est parce que les recettes d'exploitation étaient marginales. Aujourd'hui, en France, passer à la gratuité équivaut à abandonner les transports collectifs. Châteauroux a fait le choix de la gratuité et le trafic routier n'a diminué que de 1 %. La gratuité à Paris, ça coûte dix milliards d'euros par an. Pour quel résultat ?
À mon sens, si l'on veut imposer la gratuité des transports collectifs, il faut en même temps faire payer les voitures individuelles, comme à Londres ou à Stockholm, où les autorités organisatrices de transports sont très puissantes. Pour être efficace, il faut jouer sur les deux leviers.
Nous vous remercions.
La réunion est close à 16 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.