Merci de votre invitation. La LOM ne porte pas que sur la programmation des infrastructures : à preuve, on n'y parle plus tant de transports, de mobilités ou d'infrastructures que de services. Ne nous polarisons donc pas sur ce seul aspect. Cela dit, scénario 2 ou « 2 moins », et quoi qu'il advienne de la taxe carbone, le compte n'y est pas.
Je veux d'abord rappeler que la LOM est une loi absolument nécessaire. L'exposé des motifs - qu'il aurait fallu faire rédiger par un universitaire plutôt que par un cabinet d'avocats... - tourne autour du pot, si je puis dire, à deux égards. La LOM entend d'abord succéder à la LOTI, très grande loi qui a créé le versement transport, les périmètres de transport urbain, les PLU, etc., mais qui a été dépassée par de nombreuses mobilités. La mobilité, c'est le déplacement et la prise en compte de la localisation des activités. Or depuis la LOTI, partout en France, l'étalement urbain a considérablement progressé, en sorte que 80 % des territoires échappent aux gestionnaires des périmètres de transports urbains. L'Insee a enfoncé le clou récemment : à l'exception de la région parisienne, moins de 20 % des actifs utilisent des transports collectifs pour se rendre au travail ; Lyon est plutôt un bon élève avec 15 %, mais ils ne sont que 7 % à Marseille ! Lorsque 90 % des actifs n'utilisent pas les transports collectifs pour se rendre au travail, c'est que la LOTI est un échec. La LOM entend compenser cet oubli de nombreux territoires, cet oubli de l'automobile, cet oubli des financements.
Ensuite, dans les quinze points forts de la loi mis en avant dans les documents de communication du ministère, on peut lire que les trois quarts des investissements du quinquennat iront au ferroviaire : mais il s'agit des investissements de l'État central, dont la moitié proviendront de l'Afitf. C'est oublier que la majorité des investissements sont le fait des collectivités territoriales, et destinés à la route. Je suis surpris que la LOM n'aborde pas cette question. La programmation des investissements ne concerne pas que l'Afitf ! Or les investissements des communes et des départements, sur 98 % du réseau routier français, représentant 60 % des voyageurs-kilomètres - du trafic, si vous préférez - sont tombés de 11 à 8 milliards d'euros en quelques années.
Je suis donc surpris que l'exposé des motifs ne nous dise pas la chose toute simple suivante, certes guère dans l'air du temps : si l'on veut financer les mobilités, programmer les investissements et prendre en compte la transition écologique, il va falloir augmenter les prélèvements publics sur la mobilité, et sans doute les dépenses ! Tous les candidats à la présidentielle promettent de baisser les prélèvements et les dépenses ; c'est pourtant le contraire qui va se produire. Les porteurs de nouvelles mobilités, les opérateurs d'autopartage, Uber, font de moins en moins de business to customer car il n'y a pas sur ce créneau de modèle d'affaires concluant - voyez la faillite d'Autolib' à Paris et de beaucoup d'opérateurs de covoiturage - et de plus en plus du business to administration : Uber est ainsi devenu membre de l'Union internationale des transports public, gros consommateur d'argent public s'il en est... L'entreprise a en effet bien compris que pour rentabiliser son activité, le client ne suffira pas, il lui faudra de l'argent public.
Il était donc nécessaire de faire la transparence sur les prélèvements. Près de 40 milliards d'euros sont prélevés sur la route, sans parler de la TVA. C'est une bonne chose, et l'on pourrait sans doute prélever plus, mais on ne pourra le faire sans davantage de transparence. Savez-vous seulement qu'en 2015 - avant la hausse de TICPE -, d'après les chiffres publiés par le ministère des transports et le Trésor, un véhicule essence ou diesel en interurbain couvrait la totalité de ses coûts externes ? Si on augmente la TICPE qui pèse sur ces automobilistes, on s'expose à quelques problèmes...
M. Duron a bien insisté sur la question des services, qui est un aspect très important de la LOM, mais il existe un autre point aveugle : la question de l'espace. Voyez Londres : le gestionnaire, Transport for London, est bien organisé ; l'équivalent du pass Navigo, à Londres, coûte 400 euros par mois ; et dans le centre de commande de Londres, les écrans de contrôle des transports collectifs jouxtent les écrans de contrôle des routes. À Stockholm, c'est la même chose. Comment imaginer qu'une autorité organisatrice de la mobilité fonctionne en Île-de-France, à Lyon, Toulouse ou Marseille si elle n'est pas aussi en charge de la voirie et des transports publics ? Il faut parler de l'ensemble des voiries, et de leur gouvernance, pas seulement de leurs financements. La LOM prévoit des autorités organisatrices de la mobilité à l'échelon des intercommunalités ; beaucoup n'ont pas de transports collectifs mais s'occupent des routes. J'ai lu que le Sénat proposait un versement transport à hauteur de 0,3 % ; objectivement, la route paie déjà beaucoup. On pourrait affecter une partie des recettes des routes pour entretenir les routes, plutôt que pour payer les dépenses sociales. Ceux qui gèrent l'espace doivent aussi gérer les mobilités. De ce point de vue, la LOM est pauvrement innovante : elle parle de covoiturage, mais pour développer le covoiturage, il faudra réorganiser les voiries, créer des parkings, des voies réservées, des péages, peut-être - mais le péage urbain, qui figurait dans le projet de loi, a été retiré du texte en novembre à la suite des événements que vous savez...
Pour revenir sur la programmation pluriannuelle des investissements, la grande fragilité de la LOM est financière. M. Duron et d'autres ont publié une tribune dans Les Échos sur cet aspect. Nous sommes dans le scénario 1 du COI, plutôt que dans le 2 ou le 3. Pour réaliser le scénario 2, qui est souhaitable - et je partage l'avis de M. Duron sur les lignes Paris-Normandie, les améliorations en PACA, et la nécessité d'avoir un TGV entre Bordeaux et Toulouse, mais sans doute pas entre Bordeaux et Dax -, il faudra poser la question de l'augmentation des prélèvements. Pour financer Bordeaux-Toulouse, dont le trafic ne permettra pas de financer l'infrastructure, faudra-t-il pomper l'Afitf, donc prélever des ressources sur d'autres projets ? Faudra-t-il prélever des impôts sur les bureaux et les entreprises avec des systèmes de type Société du Grand Paris ? On n'échappera sans doute pas à une hausse des prélèvements.
Se pose alors la question du versement transport, qui représente déjà 8 milliards d'euros en France, dont 4 milliards en région parisienne ; faut-il l'augmenter, alors qu'il dégage les entreprises de leurs responsabilités ? Dans la plaine de l'Ain, à l'Est de Lyon, où sont concentrés de nombreuses activités de logistique et de nombreux entrepôts, et où beaucoup d'entreprises fonctionnent en horaires décalés, les entreprises paient un versement transport important car elles ont une main d'oeuvre abondante, mais l'offre est nulle ; les chefs d'entreprises préféreraient prendre en charge le transport de leurs salariés plutôt que de payer le versement transport ! Le projet de loi initial proposait de développer les taxis amateurs : l'idée a hélas disparu, comme celle du péage urbain. Autre idée disparue, mais que le Sénat défendra peut-être : celle de contrats opérationnels entre les autorités organisatrices et les régions. Bref, arrêtons de chercher des vaches à lait qui s'appelleraient écotaxe poids lourds, TICPE, ou rente autoroutière, et disons aux usagers que, de même que l'eau paie l'eau, la mobilité doit payer la mobilité.
Le 20/03/2019 à 18:05, CAPARROZ a dit :
les chefs "des entreprises préféreraient prendre en charge le transport de leurs salariés plutôt que de payer le versement transport" :elles peuvent déjà faire leur déclaration du versement transport en déduisant la proportion de salariés qu'elles transportent par elle-mêmes. !
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