Intervention de Isabelle Autissier

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 mars 2019 à 10h00
Audition conjointe de Mme Isabelle Autissier présidente de wwf-france et de M. Gilles Boeuf président du conseil scientifique de l'agence française pour la biodiversité

Isabelle Autissier, présidente de WWF-France :

Merci de votre accueil. Le WWF suit depuis plus de 40 ans des populations de vertébrés sauvages, pour disposer d'indicateurs de la biodiversité. Malheureusement, à chaque rapport que nous publions - tous les deux ans - la situation se détériore, alors même que nous accroissons le nombre de populations suivies.

En 40 ans, la biodiversité des vertébrés sauvages a régressé de 60 % : alarmant. Ce chiffre était de 52 % en 2014, de 58 % en 2016 et dépasse les 60 % aujourd'hui. Il diffère d'ailleurs selon les groupes : pour les espèces terrestres et marines, il se situe entre 35 et 40 % ; pour les espèces d'eau douce, il dépasse les 80 %. Le taux d'extinction d'espèces est infiniment supérieur à ce que comporte le renouvellement normal sur une planète vivante. Depuis le début du vingtième siècle, le nombre d'extinctions s'est accéléré, essentiellement sous l'action de l'homme.

Celle-ci s'exerce de plusieurs manières, qui malheureusement se conjuguent. D'abord, par la dégradation des habitats : nous enlevons aux espèces leur milieu de vie et les milieux grâce auxquels elles se nourrissent et se reproduisent. Puis, nous surexploitons certaines espèces, notamment marines. La pollution nuit aussi à la biodiversité, notamment la multiplication des déchets en plastique, encore soulignée par le dernier rapport mondial du WWF, mais aussi les pesticides agricoles. Autre facteur : les espèces invasives et les maladies qui se propagent à cause de la mondialisation, qui organise le transport des espèces d'un côté à l'autre de la planète. Et, bien sûr, le changement climatique, qui est déjà très ressenti par un certain nombre d'espèces.

Le problème est que, souvent, ces différentes menaces se conjuguent. Des espèces qui pourraient s'adapter, par exemple, au changement climatique sont fragilisées par d'autres facteurs. Ainsi, dans les milieux agricoles conventionnels, la perte d'habitat provoquée par la destruction des haies et l'asséchement des zones humides se conjugue à des pollutions aux pesticides, au changement climatique et, parfois, à la présence d'espèces invasives.

Pour les espèces terrestres et les espèces d'eau douce, la dégradation de l'habitat est le facteur principal de destruction. Pour les espèces marines, c'est la surpêche. Celle-ci est en réalité aussi un problème économique. En effet, le monde dispose d'une capacité de pêche deux fois et demie supérieure à ce que nous pouvons pécher. En d'autres termes, nous investissons dans des moyens de pêche qui finiront par épuiser le stock à pêcher ! On a bien vu, en France, se multiplier les dépôts de bilan et se réduire le nombre des pêcheurs, essentiellement parce que les ressources marines ne sont plus au rendez-vous.

Tous les indicateurs vont dans le même sens, et les courbes sont exponentielles, sans même présenter de palier. Évidemment, la biodiversité n'est pas capable d'absorber les demandes excessives des populations humaines. Et on voit bien que les courbes de chaque indicateur sont liées à celles reflétant l'activité humaine. L'augmentation constante des besoins par individu n'est pas soutenable. L'approche économique développée par le WWF montre que les services écosystémiques rendus gratuitement par la nature - épuration des eaux, pollinisation, fourniture de l'oxygène... - représentent à peu près une fois et demie le PIB mondial. Si nous devions nous en priver, quel déficit !

Bref, quand la biodiversité est attaquée, ce sont les sociétés humaines qui le sont. Il y a deux ans, le WWF a produit un rapport sur les trois « S » : soutenabilité, stabilité, sécurité. Ce qui n'est pas soutenable n'est pas stable. Et ce qui n'est pas stable conduira à une insécurité économique, puis politique. Les crises environnementales et de biodiversité ont toujours abouti à des crises d'ordre économique et politique. Que faire ? Il faut évidemment renverser la courbe. Si nous continuons « business as usual », nous arriverons vers 2030 à un écroulement de la biodiversité vraiment dangereux pour nous. Il faut donc remonter la pente.

À cet égard, 2020 est en effet une année particulière, comme vous l'avez souligné, monsieur le président. Et la France a une responsabilité particulière, notamment grâce à ses territoires d'outre-mer, qui lui confèrent un éventail de biodiversité extrêmement important et lui donnent un pouvoir d'intervention à peu près partout dans les différentes communautés et instances autour du monde. Sa voix porte. En 2019, l'IPBES publiera son rapport sur l'état de la biodiversité. Nous aurons alors des chiffres et des données incontestables, issues de l'ensemble des communautés scientifiques du monde entier. Au G7, la biodiversité doit être à l'ordre du jour, et nous espérons que la France portera des propositions fortes. En 2020, la COP 15 pour la biodiversité aura lieu en Chine. Nous espérons un mouvement comparable à ce qui s'est passé au moment de la COP 21 pour le climat à Paris : un engagement des parties prenantes que sont les États, les entreprises, les associations, les citoyens.

La question de la biodiversité doit monter dans l'agenda politique au même niveau que le climat. Aujourd'hui, pas un seul gouvernant ne néglige la question du climat, et tout le monde se met en ordre de marche. Il est grand temps d'arriver au même résultat pour la biodiversité. Chacun constate, chez soi, la disparition des espèces - en Europe, 80 % des insectes ont disparu - et la bataille des idées est en bonne voie. Reste à gagner la bataille de la décision. La menace que fait peser sur les sociétés humaines la réduction de la biodiversité n'est pas moindre que celle associée au réchauffement climatique.

Je suis membre du conseil d'administration de l'AFB, et le WWF accueille avec beaucoup d'intérêt la fusion projetée. Sans doute aurait-on pu souhaiter qu'elle ait lieu dès le départ, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire ! L'important est qu'en France les questions de biodiversité soient traitées d'une seule voix et collectivement. Il importe aussi que l'ensemble des bassins de la biodiversité française - et donc en particulier l'ensemble des cinq outre-mer français - soient représentés individuellement. Vous savez que 80 % de la biodiversité française se trouve outre-mer, et l'AFB a besoin du point de vue de chacun. Le conseil d'administration actuel compte une quarantaine de membres, représentant les acteurs économiques et politiques et les associations qui ont un rôle dans la biodiversité. Il faut que ce conseil reste fourni et large de manière à ce qu'il continue d'être le lieu de véritables débats.

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