Intervention de Gilles Boeuf

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 mars 2019 à 10h00
Audition conjointe de Mme Isabelle Autissier présidente de wwf-france et de M. Gilles Boeuf président du conseil scientifique de l'agence française pour la biodiversité

Gilles Boeuf, président du conseil scientifique de l'Agence française pour la biodiversité :

Je siège en effet au conseil d'administration de WWF France, mais suis surtout un chercheur, en océanographie. J'ai présidé pendant sept ans le Muséum d'Histoire naturelle, suis professeur invité au Collège de France à la chaire « développement durable, énergie, environnement et société », et j'ai passé deux ans dans les cabinets ministériels pour préparer les COP 21 et 22.

Pour moi, l'écologie scientifique n'est pas la même chose que l'écologie politique. Il n'existe que des socio-éco-systèmes. Même en Antarctique, les humains sont passés. En Arctique, les Inuits ont toujours été présents. Chaque désordre écologique a donc un impact social. Ces questions sont donc loin d'être secondaires - et, en septembre 2018, nous avions publié dans Le Monde un appel disant que nous ne ferions plus confiance à aucun Gouvernement qui ne les placerait pas en priorité. L'effondrement de la biodiversité n'est pas moins important que le changement climatique.

Le Medef m'a invité cette année - quel changement ! - à parler sur le thème « sale temps pour la planète ». J'ai dit que ce n'était pas pour la planète, mais pour les humains ! Les aspects sociaux n'ont pas suffisamment été pris en compte, ce qui explique en partie les désordres actuels. Lors de la première manifestation des gilets jaunes, ceux-ci ont dit qu'il y avait la fin du mois d'un côté, et la fin du monde de l'autre... L'objectif doit donc être de restaurer la confiance et, pour cela, votre rôle politique est absolument essentiel.

Nous sommes tous d'accord : les relations actuelles de l'humain avec la vie ne sont pas bonnes : destruction des écosystèmes, pollution généralisée partout. Même en Arctique, les oies, qui n'ont jamais vu d'être humain, sont bourrées de pesticides - non pas les actuels, mais ceux d'il y a cinquante ans. Je suis un farouche défenseur des pêcheurs, tant qu'on ne surpêche pas. Et les espèces invasives se disséminent partout. Ne croyons pas que tout vient du changement climatique ! Je l'ai redit à des jeunes récemment lors d'une émission : la surpêche du thon rouge en Méditerranée, la destruction des forêts tropicales ou les pesticides n'ont rien à voir avec le changement climatique, même s'ils peuvent en accélérer les effets. Le problème nous concerne tous. Le rôle des scientifiques est d'éclairer la décision politique, pas de s'y substituer.

Nous avons vécu il y a quinze jours le lancement à Jussieu par Pierre Larrouturou et Jean Jouzel du projet de plan climat et de Banque européenne pour le climat : 1 000 milliards d'euros ! Et, lundi, j'étais avec des lycéens, qui sont très admiratifs de la jeune Suédoise qui a pris la parole, à 16 ans, pour dire des choses fortes. Cela donne de l'espoir. Professeur d'Université, je dis à mes étudiants qu'il faut se retrousser les manches, tous ensemble.

Nous devons arrêter l'économie actuelle, suicidaire, qui consiste à faire du profit en surexploitant la nature. On peut très bien faire du profit en vivant au pays, où on est fier et heureux de vivre, avec sa famille, en créant des emplois, et sans détruire l'endroit où on se trouve. Il serait difficile de prétendre que l'homme n'est pour rien dans le changement climatique, qui va trop vite.

On a besoin de tout le monde : scientifiques, ingénieurs, entreprises, ONG et citoyens. Dans un monde de fausses nouvelles, le rôle de l'enseignement est de donner un esprit critique à nos enfants - qui sont en train de le perdre. Les programmes de sciences de la vie et de la terre pour le baccalauréat sont affligeants. C'est dès la maternelle qu'il faut commencer à enseigner l'écologie. Je m'étais battu pour qu'on propose un cours d'écologie à l'ENA. J'avais obtenu gain de cause, mais le cours était facultatif, et personne n'y est allé ! Pour avancer, nous avons besoin de vous.

Quand j'étais au cabinet de Ségolène Royal, je me suis battu pour que, dès le départ, l'ONCFS soit dans le système. Sinon, la chasse et la mer sont ballotées entre les ministères de l'environnement et de l'agriculture... Comme le disait Einstein, le monde ne va pas mal à cause des méchants et des stupides, il va mal à cause des gens normaux qui les laissent faire !

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