Intervention de Isabelle Autissier

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 mars 2019 à 10h00
Audition conjointe de Mme Isabelle Autissier présidente de wwf-france et de M. Gilles Boeuf président du conseil scientifique de l'agence française pour la biodiversité

Isabelle Autissier, présidente de WWF-France :

Nous avons bien accueilli le plan de reconquête de la biodiversité, bien sûr. Nous attendons à présent une mise en oeuvre rapide car, pour la plupart des espèces, il y a urgence.

J'avais pris note de l'alerte de la FAO. L'agriculture industrielle détruit la biodiversité, et subit les conséquences de cette destruction : explosion de certaines plantes, qui passent à travers la sélection imposée par les pesticides, destruction des sols eux-mêmes, imprégnés de pesticides depuis des dizaines d'années... Les sols ne comportent plus les insectes et les micro-organismes qui font en quelque sorte le travail à notre place pour transformer les déchets de bois ou les feuilles mortes en produits assimilables par les plantes. Les pratiques d'érosion des haies, par exemple, provoquent non seulement une érosion de la biodiversité mais aussi une destruction des sols, que plus rien ne retient. La FAO a montré que l'agro-écologie permettrait de nourrir la planète. Loin d'être un fantasme d'écolo, celle-ci fait appel à la véritable agronomie, qui tient compte du sol, du climat, et s'efforce d'appuyer une partie de la production alimentaire sur ces aides naturelles, au lieu de détruire et de reconstituer artificiellement, par exemple avec de l'engrais . Bref, le modèle actuel est dangereux. Il y a des alternatives ; toute la difficulté est d'opérer la transition. J'aime le nom du ministère de la « transition écologique et solidaire ».

J'ai fait voter une résolution sur la haute mer au CESE. La deuxième phase des discussions commencera dans quelques jours. La haute mer constitue tout de même la moitié de la planète - et, en volume, 90 % de la biosphère. Les enjeux de biodiversité y sont colossaux, et notre connaissance de ce qui se passe dans les profondeurs des océans est encore très lacunaire : il y a sans doute moins de personnes qui sont allées au fond des océans que sur la Lune !

La haute mer est un réservoir de biodiversité, de protéines, de mécanismes physico-chimiques, sans parler de l'énergie... C'est peut-être elle qui viendra au secours des hommes, en particulier sur les questions médicales. Je souhaite que les sénatrices et les sénateurs suivent ces négociations, car l'ambassadeur Ségura se sent un peu seul !

L'avis demandait que, dans l'introduction de cette négociation, on précise bien que la haute mer est un bien commun de l'humanité. Elle n'appartient à personne, sans être pour autant res nullius, car c'est un bien commun que nous avons la responsabilité collective de protéger. Les États ont la responsabilité collective de maintenir son bon état écologique. Une haute mer en mauvais état écologique, c'est moins de plancton, moins d'oxygène, moins d'absorption des gaz à effet de serre, donc une accélération du réchauffement climatique.

Quant au partage des avantages, c'est le point qui va faire le plus débat dans cette négociation. Aujourd'hui, chacun prend ce qu'il veut en haute mer, comme molécule ou poisson. Et 40 % des brevets déposés ainsi le sont par une seule entreprise : Bayer. Ce n'est pas tout à fait normal. Sans interdire à qui que ce soit de faire de la recherche en haute mer, il faudrait s'assurer que le produit de cette recherche aille au moins en partie à la protection de ce milieu, par des aires marines internationales en particulier. L'ONU a décrété une décennie de la recherche marine, cela réclame aussi des moyens.

On travaille trop en silos, en effet, ce qui sépare les efforts pour le climat, l'écologie et le social. Les questions de développement durable ne sont pas à la croisée du social, de l'environnemental et de l'économique. Il y a une base, qui est la vie sur Terre et la biodiversité, à partir de laquelle on peut commencer à faire fonctionner les sociétés humaines, qui à leur tour développent de l'économie et de la politique. La strate de base doit rester la protection de notre planète en tant que milieu de vie. Sans doute faudrait-il ré-imaginer le schéma comme une pyramide, plutôt que comme une intersection.

Enfin, les collectivités territoriales sont en effet impliquées au quotidien dans la vie des citoyens. Elles ont aussi pour responsabilité d'éduquer leurs citoyens à venir au secours de leur biodiversité locale. Elles peuvent favoriser ce qui est favorable à la biodiversité, dans l'agriculture ou l'industrie. Elles doivent être aidées par l'État, qui peut donner un cadre général favorable.

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