La biodiversité est avant tout locale. Elle est d'abord chez vous, dans votre jardin, votre forêt, votre terre agricole. On part du local, et les régions sont donc essentielles. Elles mobilisent d'ailleurs beaucoup de moyens, sans doute plus que l'État. Je travaille beaucoup avec les agences régionales de la biodiversité en Occitanie, en Nouvelle-Aquitaine et en Bretagne, car c'est chez elles qu'est la connaissance. Chaque commune peut faire un inventaire de ce qui vit chez elle. Il est important que les gens se rendent compte de ce qui vit chez eux, même si ce n'est pas le tigre ou le rhinocéros : il y a toujours un insecte, un papillon, une grenouille qui ne vit que là - et la population se l'approprie et la défend. C'est ainsi que vous trouverez du soutien local, pour ne pas assécher les mares, détruire les forêts ou ne faire que de la monoculture de pin maritime.
Je suis un homme de la biodiversité, mais me suis toujours intéressé au climat. Je suis membre du bureau de l'IPBES et du GIEC. Le GIEC a eu beaucoup plus de liberté au début parce qu'il ne dépendait pas des Nations Unies. L'IPBES avait un véritable carcan : je me rappelle qu'à Bonn nous avions discuté toute une demi-journée pour savoir si on allait travailler en euros ou en dollars ! Chaque demi-degré compte dans le réchauffement. Nous rendrons aussi un rapport sur la désertification : demain, nous aurons des déserts en Europe, et la Méditerranée va souffrir. Le débit du Rhône baisse, et sept réacteurs nucléaires sur huit sont arrêtés, faute d'eau pour les refroidir. Il y aura aussi en septembre un rapport sur les masses océaniques et la cryosphère.
A Tautavel, il y a 600 000 ans, les premiers Français ne faisaient que cueillir et chasser, mais ils étaient vingt ! Certains d'entre nous étaient nés en 1945. À l'époque, nous étions deux milliards. Nous sommes désormais quatre fois plus... Il n'y aura pas d'agriculture durable, ni de santé durable, si l'on ne respecte pas les conditions écologiques. Il y aura des centaines d'agricultures différentes, à condition de ne pas détruire les sols. Du reste, personne n'a envie d'empoisonner son environnement... L'essentiel est de discuter et de progresser collectivement, pour préserver notre bien commun. Les connaissances scientifiques dont nous disposons, pour n'être pas parfaites, sont suffisantes pour agir.
Le court-termisme politique est nuisible en matière environnementale. Pour qu'une décision soit visible sur le terrain, cela peut prendre dix ou quinze ans... Avec Alain Rousset, nous avons développé un projet « Territoires d'innovation de grande ambition » consistant à arrêter totalement l'usage des pesticides à Bordeaux en huit ou dix ans. L'agriculture a absolument besoin de la biodiversité. Laissons des coquelicots dans les champs : une étude menée dans les Deux-Sèvres a montré que 60 % de chaque particule de miel provenait de cette fleur. Il faut réconcilier l'écologie avec l'économie.