Intervention de Gilles Boeuf

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 mars 2019 à 10h00
Audition conjointe de Mme Isabelle Autissier présidente de wwf-france et de M. Gilles Boeuf président du conseil scientifique de l'agence française pour la biodiversité

Gilles Boeuf, président du conseil scientifique de l'Agence française pour la biodiversité :

D'abord, concernant la question de M. Jean-Marc Boyer sur les réserves : je suis moi-même président d'une réserve naturelle, la forêt de la Massane. Le fait que ces réserves et ces parcs nationaux fonctionnent n'enlève rien au constat général. On m'appelle l'écologue optimiste, car je reste optimiste malgré tout ce que je raconte. C'est fondamental pour donner confiance aux jeunes. Il est trop tard pour être pessimiste.

Simplement, la question est : comment intervient-on globalement ? La situation est quand même globalement préoccupante. Je n'aime pas dire catastrophique. J'apprécie nos échanges aujourd'hui car nous nous battons pour que ce qui apparaît probable ne se produise pas. J'y crois encore, je reste optimiste. Mais il faut qu'on change. Or, ce n'est pas le cas. Nous devons nous préoccuper en permanence de certaines grandes questions.

Les parcs et réserves sont importants. Par exemple, aujourd'hui, je ne peux pas vous donner une seule espèce qui a disparu de France à cause du changement climatique. Ce qui est préoccupant, c'est l'effondrement du nombre d'individus dans les populations. Cela se passe aussi dans nos parcs, je le vois très bien. Je l'ai dit clairement tout à l'heure à propos de la déprise agricole. Heureusement, dans la forêt de la Massane, je garde mes vaches pour garder mes scarabées. Il n'existe pas d'antinomie de principe entre l'agriculture et la biodiversité. Simplement, aujourd'hui, je pense qu'il faut être raisonnable. On ne fera pas une agriculture digne de son nom en détruisant les sols. Je pense qu'il faut qu'on le reconnaisse tous, y compris le monde agricole. C'est pourquoi ces parcs et ces réserves gardent une grande importance.

Concernant le Mercantour, sur lequel je travaille beaucoup, c'est pareil. Quand on a créé le parc du Mercantour, il y avait 5 000 moutons. Combien y en a-t-il aujourd'hui ? 50 000 ? Est-ce qu'on a créé des parcs nationaux pour élever des moutons ? Je ne suis pas opposé à l'activité économique d'un parc national mais celle-ci ne doit pas devenir prédominante par rapport aux autres activités.

Arrêtons également l'opposition systématique entre le monde agricole et le reste. Nous avons besoin des agriculteurs, et nous devons leur redonner leur dignité. Je crois que cela est possible. Il en va de même pour la petite pêche. On vit un effondrement des populations de bars et de loups à la pointe du Raz. J'ai été élevé en baie de Douarnenez : c'était un poisson que tout le monde péchait. Pourquoi un tel effondrement ? Car quelques gros chalutiers industriels étaient autorisés à aller chaluter sur les frayères.

Cette situation est paradoxale : d'un côté, des instituts s'occupent de protection de l'environnement, de l'autre, certains mettent des technologies au point - le chalut pélagique pour ne pas le nommer - qui sont très destructrices. La pêche électrique est un drame. On ne va pas encore augmenter la pression sur les stocks menacés en inventant une technique que l'on sait insoutenable dans la durée.

Il existe une note d'espoir, sinon je ne serais pas là, mais il faut dire à nos concitoyens qu'aujourd'hui tout le monde doit se retrousser les manches pour faire beaucoup mieux.

Concernant la question de l'huile de palme, je suis allé en Indonésie car j'ai suivi des mouvements écologistes français. C'est une catastrophe. J'ai vu les petits paysans. Contrairement à ce que l'on pense, la plus grande quantité d'huile de palme n'est pas produite par des multinationales. J'ai vu de nombreux petits paysans qui ont amélioré leur niveau de vie grâce à l'huile de palme. Encore une fois, on revient à la mesure. Lisez un petit livre écrit par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) - ce ne sont ni des écolos, ni de farouches destructeurs de l'environnement - qui s'appelle La palme des controverses - Palmier à huile et enjeux de développement. Il montre bien ce qui se passe en fait. La question qu'on peut se poser est de savoir si la France a besoin d'huile de palme pour faire de l'énergie électrique mais c'est une autre question.

Encore une fois, ce que je crois aujourd'hui insoutenable c'est qu'on détruise une partie de la forêt primaire tropicale pour fabriquer de l'huile de palme. Il faut être responsable et mener une réflexion collective sur ces questions.

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