Intervention de Nelly Tocqueville

Réunion du 14 mars 2019 à 10h30
Bilan des dispositifs de soutien aux territoires ruraux les plus fragiles — Débat organisé à la demande du groupe du rassemblement démocratique et social européen

Photo de Nelly TocquevilleNelly Tocqueville :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie également le groupe du RDSE d’avoir saisi le Sénat une fois encore sur la thématique de la ruralité, que nous avons traitée précédemment sous un autre angle : « La ruralité, une chance pour la France ».

Effectivement, et nous l’avons démontré à bien des reprises au sein de cet hémicycle, la ruralité représente une véritable richesse pour notre pays ! Toutefois, nous constatons aussi qu’elle nécessite d’être soutenue pour vivre et se développer. Je pense notamment aux territoires ruraux les plus fragiles.

Avant de dresser un bilan des dispositifs de soutien aux territoires ruraux, je veux rappeler qu’un tel vocable recouvre plusieurs réalités. Si certains territoires ont connu de véritables mutations sur le plan tant démographique, qu’économique ou territorial, d’autres, qualifiés de « fragiles », et que nous tenons parfois pour périphériques, parce que jugés peu dynamiques et éloignés des services de proximité, sont sources d’inquiétudes. Ce sont d’ailleurs les habitants de ces espaces qui expriment aujourd’hui leurs préoccupations et ressentent un très fort sentiment d’abandon.

Par ailleurs, la diversité territoriale dans sa globalité est aussi confrontée aux grandes problématiques actuelles, qu’il s’agisse de la préservation de l’environnement, de l’aménagement du territoire, de l’alimentation, de la préservation de la biodiversité, ou encore du logement. Nous nous devons d’élaborer des dispositifs d’accompagnement pour relever ces nouveaux défis.

En effet, si certains territoires ruraux ont eu l’occasion de se développer, d’autres accusent un grand retard et souffrent, par conséquent, d’un isolement préoccupant. Ces campagnes les plus fragiles sont généralement caractérisées par un recul économique et démographique important. Avec près de 800 cantons, elles représentent un tiers du territoire national. Souvent habitées par une population vieillissante, elles sont également peu denses, marquées par une dominante agricole, fréquemment elle-même en souffrance.

Les espaces ruraux, ouvriers et traditionnels, au tissu industriel en déclin – c’est le cas dans ma région, la Normandie, et, de manière plus générale, dans le tiers nord de la France –, sont de plus confrontés à un taux de chômage très élevé.

Au vu de ces difficultés accumulées et de ce diagnostic, il revient à l’État, aux élus et aux collectivités locales de s’interroger sur les dispositifs mis en place depuis plusieurs années.

Certes, l’action publique est présente et diverse dans ses modalités ; nous pouvons nous en féliciter. Ainsi, en 2014, les Assises de la ruralité ont permis de dresser une carte des difficultés auxquelles sont confrontées les ruralités, dans leur diversité, et les territoires les plus fragiles, en déprise démographique et économique.

En 2015, la création des maisons de services au public, les MSAP, a permis d’offrir aux habitants des petites communes, en partenariat avec La Poste, une gamme de services et d’accès aux services publics. Avec plus de 1 300 maisons ouvertes et près de 500 projets, ces maisons, qui connaissent un véritable succès, répondent à un besoin fort de désenclavement.

La réforme des zones de revitalisation rurale, en 2015 également, les contrats de ruralité créés en 2016 et qui courent jusqu’en 2022, pilotés par les préfets et dotés d’un fonds de soutien, les dotations d’investissement, telles la DETR, la dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL, sont autant de dispositifs ciblés vers ces territoires et autant d’engagements pris pour aider à stopper leur désertification, mais aussi pour y engager des projets de redynamisation. Ils méritent sans doute d’être revisités à l’aune des défis que je mentionnais précédemment.

À l’échelon européen, le Fonds européen agricole pour le développement rural, le Feader, et le programme Leader, liaison entre actions de développement de l’économie rurale, sont conçus également pour venir en appui aux perspectives d’investissement. Néanmoins, la complexité que représente le montage des dossiers, en particulier pour des petites communes qui ne disposent pas des services adaptés, décourage souvent les élus. On doit le regretter, car il s’agit là de leviers qui permettraient précisément d’aider à la relance d’une activité économique en milieu rural. L’actualité, à bien des niveaux, exprime d’ailleurs très clairement que ces difficultés ne sont pas surmontées !

La crise des gilets jaunes est, en partie, symptomatique de ces carences et de ce constat de fractures sociales et territoriales qui se creusent progressivement, mais sûrement, dans notre pays. De même, certains maires ruraux ont exprimé lors des débats avec le Président de la République leur déception, voire leur découragement, devant la disparition accrue de services de proximité. Cela oblige leurs concitoyens, qui ne le comprennent pas, à se déplacer ou à entamer des démarches par internet, alors que leur territoire n’est pas connecté ! Sur ce point, force est de reconnaître que nous ne pouvons pas être satisfaits du peu de progrès effectué au regard des nombreuses zones blanches encore présentes.

Nous constatons donc que des problèmes récurrents demeurent malgré tout lorsque l’action publique affirme un soutien régulier à ces territoires. Comment interpréter alors la suppression du Fisac lors de l’examen du dernier projet de loi de finances ? Pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, quel dispositif sera amené à s’y substituer, afin de permettre cet indispensable soutien à l’investissement pour la modernisation et la réimplantation d’activités commerciales dans les territoires ruraux ? On ne peut envisager, en effet, qu’il n’y ait pas de disposition de remplacement.

Par ailleurs, nous regrettons, comme nombre de maires, la disparition de la réserve parlementaire, qui était un vrai coup de pouce pour les projets communaux quelquefois modestes, mais essentiels pour la dynamique locale. §, elle a été basculée dans la DETR, mais à hauteur de 80 % seulement…

Il importe, monsieur le ministre, que très rapidement les élus de cette ruralité, qui plus est la plus fragile, puissent enfin constater que les discours sont cohérents avec les actes.

Une action concertée avec les collectivités locales et leurs représentants est indispensable dans la réalisation de ce principe républicain qu’est l’égalité des territoires. Pourquoi, par exemple, ne pas mener une réflexion identique à celle qui a concerné les 222 communes retenues dans le cadre du pacte national de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, mais adaptée à la grande ruralité ?

Enfin, à la veille de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités par le Sénat, n’ajoutons pas de la colère à la souffrance en restant sourds aux attentes de nos concitoyens, habitants des territoires que certains qualifient, à tort, de « reculés ». Il ne faudrait pas qu’au nom de la rentabilité on accentue encore le sentiment d’abandon. Si la ruralité est une véritable chance pour la France, ne nous contentons pas de l’affirmer !

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