Intervention de Elisabeth Borne

Réunion du 19 mars 2019 à 14h30
Orientation des mobilités — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Elisabeth Borne :

Une boîte à outils, cela veut dire que l’on facilite et que l’on aide financièrement les élus qui veulent mettre en place des solutions de covoiturage, des véhicules électriques en libre-service ou du transport à la demande.

Nous avons d’ores et déjà prévu de mobiliser 500 millions d’euros durant le quinquennat au travers de la dotation de soutien à l’investissement local, pour soutenir financièrement ce type de projets concrets. Cela n’est pas assez connu, et j’invite les élus à s’en saisir dans les territoires, en liaison avec les préfets : l’État est bien là.

Pour apporter les meilleures réponses à la diversité des besoins, nous pouvons compter sur le formidable potentiel offert par l’innovation. La loi portera l’ouverture des données en temps réel des offres de mobilité pour voir émerger de nouveaux services porte-à-porte.

Autre élément essentiel : l’accès aux services de vente. C’est la condition nécessaire à l’émergence de services intégrés de mobilité. Nous devons encore trouver un bon équilibre entre la mission des autorités organisatrices et les initiatives des acteurs économiques.

La loi donnera également tous les outils nécessaires pour accompagner le développement de l’autopartage, le transport à la demande ou le covoiturage, avec de nouveaux leviers, en vue de permettre leur déploiement ou encore, très prochainement, la mise en service de navettes autonomes. Ces innovations ne doivent pas être l’apanage des grandes villes, mais elles doivent profiter à tous dans tous les territoires.

La méthode à laquelle je crois, c’est un cadre normatif adapté et une impulsion. C’est tout l’objet de la démarche France Mobilités : elle permet le développement et la diffusion de ces innovations par l’accompagnement et la mise en relation des territoires et des porteurs de solutions.

Les projets soutenus sont d’une remarquable diversité. Je vous invite d’ailleurs à relayer les soixante-dix projets nés dans vos territoires, car ils sont une illustration opérationnelle de cette « intelligence des territoires » à laquelle le Sénat est, je le sais, attaché. Je lancerai prochainement une plateforme en ligne, France Mobilités, pour mieux les faire connaître.

Ne soyons pas naïfs ! Ces innovations posent aussi un certain nombre de défis, qui nécessitent une régulation adaptée. Je pense notamment aux nouveaux services de mobilités en libre-service et au nécessaire cadre de protection pour les travailleurs de cette nouvelle économie. Ce sont des sujets importants, et nous aurons à en débattre.

Ne soyons pas non plus attentistes ! Nous devons avoir en permanence un temps d’avance. C’est pourquoi nous proposons une habilitation portant sur l’expérimentation dans le monde rural. Celle-ci permettra d’avoir un cadre pour imaginer et tester de nouveaux services entre particuliers en expérimentant, par exemple, l’assouplissement de certaines règles liées au covoiturage, sans prendre le risque de créer une concurrence déloyale vis-à-vis des professionnels.

Je dirai un mot sur les ordonnances.

Je sais que les commissions se sont émues du nombre d’ordonnances. Les rapporteurs pourront en témoigner, nous avons partagé les textes qui étaient d’ores et déjà disponibles. Le choix de passer par ordonnances s’explique principalement par le niveau de technicité, qui aurait eu pour conséquence d’alourdir considérablement la loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons prendre une autre révolution à bras-le-corps, celle de la transition écologique : elle est une chance, pour que nous changions durablement notre façon de nous déplacer.

Le projet de loi s’inscrit dans l’agenda ambitieux de l’accord de Paris et du plan Climat. Il fixe des objectifs clairs, progressifs, partagés, qui permettent à tous d’anticiper et d’être acteurs de la transition. Il prévoit des mesures d’accompagnement concrètes afin que cette transition ne laisse personne sur le bord de la route.

Des transports plus économes, c’est un impératif pour la planète, c’est aussi une opportunité pour nos concitoyens. C’est en ce sens que nous proposons des dispositifs de soutien aux usages vertueux. Je pense au « forfait mobilités durables » pour permettre aux employeurs de soutenir le covoiturage et le vélo. Je pense aussi à la conversion des parcs, avec, notamment, la prime à la conversion ou le soutien au déploiement des infrastructures de recharge et d’avitaillement. Je vous propose aussi des mesures fortes pour développer les mobilités actives. Je suis heureuse de voir que l’impulsion du plan Vélo a bien été relayée par votre commission, avec des apports nécessitant peut-être quelques ajustements, mais ceux-ci vont dans le bon sens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, ce texte a pour ambition d’apporter des réponses au plus près des besoins. Cela rejoint pleinement ce qui s’est exprimé dans le grand débat, dont je tire trois enseignements.

Premier enseignement : nos concitoyens ont besoin de solutions « sur mesure ». Aussi, nous travaillons avec Muriel Pénicaud, Jacqueline Gourault, les partenaires sociaux et les associations d’élus pour renforcer le « forfait mobilités ». Les discussions avancent, et je souhaite que nous aboutissions dans les prochaines semaines, afin de rendre ce forfait systématique, voire obligatoire.

De la même façon, la prime à la conversion doit être complétée. Pour certains de nos concitoyens, le reste à charge est encore trop élevé et ne permet pas de franchir le pas. Je suis favorable à des solutions de microcrédits ou de location longue durée ; nous y travaillons avec ma collègue Christelle Dubos.

Deuxième enseignement : la proximité et la subsidiarité. Plus personne ne comprend que les décisions doivent systématiquement remonter à Paris. Tel est bien l’esprit du projet de loi. Aussi, je vous propose d’aller plus loin sur un sujet qui vous est cher, celui des petites lignes ferroviaires.

Ces lignes, qui n’ont de « petites » que le nom, ont été les grandes sacrifiées de notre réseau ferroviaire pendant des décennies et elles accusent aujourd’hui un retard en termes d’investissement, que nous devons rattraper. Avec la réforme ferroviaire, nous avons engagé un effort sans précédent dans la régénération du réseau et nous avons confirmé les engagements de l’État dans les contrats de plan État-région. Mais nous devons faire mieux, en engageant un plan de bataille région par région pour redonner un avenir aux petites lignes.

Sans attendre les conclusions de la mission que j’ai confiée au préfet Philizot, j’ai souhaité répondre à la demande exprimée par plusieurs régions de gérer directement certaines de ces lignes. Pourquoi s’y opposer au moment où le pays aspire à davantage de proximité ? Tel est le sens de l’amendement que le Gouvernement a déposé.

Ce que je retiens aussi des attentes exprimées par les territoires, c’est la nécessité de recréer de la confiance dans la parole publique et, plus particulièrement, dans les engagements de l’État. Telle est l’ambition de la programmation des infrastructures.

Cette programmation, c’est d’abord le fruit d’un travail exigeant et reconnu, celui du Conseil d’orientation des infrastructures, dont je veux de nouveau saluer ici les membres siégeant ou ayant siégé sur ces travées : le président Maurey, le sénateur Dagbert et votre ancien collègue Gérard Cornu.

Cette programmation, c’est également le fruit de choix difficiles et assumés pour mettre fin à des décennies de promesses non tenues ; j’ai déjà eu l’occasion de les présenter dans cet hémicycle lors des débats que vous avez utilement engagés.

Votre commission a fait le choix d’en faire le premier titre de la loi. Je le déplore, car je considère que cette première place revient aux collectivités, qui seront, demain, les plus à même d’apporter les solutions concrètes que nos concitoyens attendent. De plus, pendant trop longtemps, les infrastructures ont été l’alpha et l’oméga de notre politique des transports. Toutefois, pour la clarté des débats, je ne proposerai pas, à ce stade, de revenir sur ce choix.

Cette programmation, c’est une forte augmentation des investissements de l’État, avec 13, 4 milliards d’euros sur cinq ans, soit 40 % de plus qu’au cours du dernier quinquennat. Elle est le contraire d’une liste de grands projets. Elle consacre la priorité donnée aux transports du quotidien avec cinq grands programmes prioritaires : l’entretien et la modernisation des réseaux existants ; la désaturation des grands nœuds ferroviaires ; l’accélération du désenclavement routier des villes moyennes et des territoires ruraux ; le développement de l’usage des mobilités propres, partagées et actives ; le soutien au report modal dans le transport de marchandises.

Au sein des grands projets, priorité est donnée aux opérations concourant d’abord à l’amélioration des déplacements du quotidien. Le choix et le calendrier des projets qui seront financés ont été pris en concertation et sont cohérents. Je ne peux donc que vous mettre en garde contre la tentation d’ajouter tel ou tel projet à la liste, sans conserver la cohérence des enveloppes globales.

Cette programmation, c’est un cap clair que je vous propose de partager, une vision sur dix ans, déclinée en priorités.

J’ai entendu, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, les interrogations, voire les inquiétudes concernant le financement de cette programmation et, plus largement, de ce texte ; je veux y répondre.

Sur la forme, tout d’abord : vous le savez, les financements n’ont pas vocation à figurer dans cette loi, car il ne s’agit pas d’une loi de finances. En cela, ce projet de loi ne diffère pas des autres exercices de programmation auxquels vous êtes habitués. Je pense à la loi de programmation militaire que vous avez adoptée.

Sur le fond, ensuite : pour l’exercice 2019, l’État est bien au rendez-vous. Je me félicite que, malgré une situation conjoncturelle compliquée, le budget de l’Afitf, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, ait été adopté en hausse de 10 % par rapport à 2018. Pour l’année 2020 et les années suivantes, la question du financement reste en débat. Vous le savez, nous aurons à dégager 500 millions d’euros supplémentaires par an à partir de l’an prochain.

Sur ce sujet, qui, je le sais, suscite beaucoup d’intérêt, nombre de nos concitoyens ne comprennent pas que des files de camions traversent notre pays sans faire le plein en France et donc sans contribuer au financement de nos infrastructures. C’est un sentiment que je partage, et leur contribution me paraît être une piste légitime. Mais nous n’arrêterons aucune décision en la matière avant d’avoir étudié toutes les propositions issues du grand débat.

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