C’est l’un des éléments déclencheurs de la crise qui n’en finit pas de secouer notre pays.
L’équation est simple à énoncer, mais difficile à résoudre : comment faire pour que la révolution des mobilités soit, non pas une machine de plus à créer des gagnants et des perdants, mais, au contraire, une machine à « désenclaver » ?
Un grand nombre de mesures de votre projet de loi vont dans le bon sens : meilleure gouvernance, soutien au développement des mobilités propres, plus grande sécurité dans nos réseaux de transport. Les acteurs que nous avons rencontrés nous ont tous dit qu’ils avaient été largement associés à la construction de texte, même si beaucoup de sujets ont disparu au fil des arbitrages successifs de Bercy et de Matignon. Mais, au-delà de ces avancées, subsiste malheureusement une faiblesse majeure qui compromet l’efficacité des mesures proposées : je parle évidemment de l’absence de moyens à la hauteur des enjeux.
Certes, comme vous le répétez souvent, ce projet de loi n’est pas un projet de loi de finances et, effectivement, on peut le voir comme une boîte à outils. Mais combien de sujets ont été renvoyés, au cours des derniers mois, à l’examen de ce texte ? Et comment pourrait-on passer sous silence les 28 milliards d’euros d’investissement de l’État prévus dans le secteur des transports pour les dix prochaines années ?
Vous demandez aujourd’hui à notre assemblée de voter une trajectoire financière de dépenses, alors que les ressources prévues ne sont ni suffisantes, ni stabilisées, ni même, pour certaines, encore connues. En effet, il apparaît clairement que cette programmation suppose, non seulement une ressource complémentaire, que vous estimez à 500 millions d’euros, mais également un niveau de recettes provenant des amendes radars défiant toute crédibilité, afin de compenser la baisse prévisionnelle annoncée de la part des taxes sur les carburants affectée au financement des infrastructures, qui devrait chuter de 1, 1 milliard d’euros, aujourd’hui, à 526 millions d’euros en 2022.
Face à ce constat, et avec le peu de marges de manœuvre dont nous disposons, notre commission a fait des choix clairs. Elle souhaiterait que vous puissiez les entendre, afin de garantir la soutenabilité de la programmation.
Tout d’abord, elle n’a pas cédé à la facilité consistant à augmenter artificiellement les dépenses de tel ou tel programme d’investissement ou de telle ou telle priorité. Alors même que le niveau de dépenses que vous avez retenu se situe bien en deçà du scénario central préconisé par le Conseil d’orientation des infrastructures, lequel impliquait 3 milliards d’euros d’investissement par an, la commission a préféré garantir le financement de cette trajectoire, fût-elle décevante, plutôt que de tomber dans les écueils des programmations précédentes et renoncer à toute crédibilité. Nous avons également sanctuarisé les ressources de l’Afitf, afin d’asseoir la programmation sur des recettes crédibles. Porterez-vous une réforme en ce sens dans le prochain projet de loi de finances, afin que les ressources de cette agence ne reposent plus sur des recettes, par nature instables, comme les amendes radars ?
Ensuite, nous avons prévu l’affectation intégrale à l’Afitf du produit de l’augmentation de la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, sur les véhicules et les poids lourds, décidée en 2014 pour compenser l’abandon de l’écotaxe. Une telle disposition garantirait un niveau de TICPE affectée au financement de nos infrastructures de 1, 2 milliard d’euros par an. Il s’agit d’une mesure de justice, qui s’inscrit dans la perspective d’une fiscalité écologique acceptée. N’oublions pas que, en 2014, lorsque nous avons taxé les Français qui prennent leur voiture pour aller travailler et les poids lourds, c’était pour financer nos infrastructures ; or cet argent a progressivement été détourné vers le budget général, comme dans bien d’autres cas, d’ailleurs ! Comment aujourd’hui demander à nouveau 500 millions d’euros aux Français ?
L’économiste Jean Pisani-Ferry lui-même, artisan du programme économique de campagne du Président de la République, a reconnu très récemment dans une tribune le caractère régressif de la taxe carbone, qui s’est traduite par une perte importante de pouvoir d’achat, non compensée pour les classes moyennes et populaires. Pour lui, la leçon est claire : « Pour que la taxe carbone soit acceptée, il ne faut pas qu’elle rapporte à l’État. » Le produit doit en effet être intégralement redistribué pour la transition écologique et la compensation des pertes de pouvoir d’achat. Il ajoute même : « Chaque euro prélevé doit être rendu. »
Cette règle nous semble juste. C’est le choix que fait notre commission : affectons à la transition écologique dans le domaine des transports les taxes que nous prélevons déjà sur les carburants.
Sur les 17 milliards d’euros de TICPE prélevés par l’État, une somme allant de 1, 6 milliard à 1, 8 milliard d’euros devrait, selon nous, être fléchée vers l’entretien de nos routes et la régénération de nos réseaux. Cela représente le produit de l’augmentation de 2014, auquel il conviendrait d’ajouter, en moyenne, entre 400 millions et 600 millions d’euros dans les années à venir pour garantir la soutenabilité de votre programmation, sur la route comme sur le rail ou pour d’autres moyens de transport.
Ce principe simple permet un financement à la hauteur des ambitions. C’est pourquoi – je le dis par avance – notre commission donnera un avis défavorable à toutes les nouvelles taxes légitimement proposées par nos collègues désireux de trouver des financements pour l’Afitf.
Je veux également dire un mot sur le contrôle de la programmation financière.
Le manque de transparence sur l’affectation de la fiscalité écologique a été l’un des facteurs déclencheurs du mouvement des « gilets jaunes ». Nous avons donc souhaité prévoir un volet dédié au contrôle de la programmation. Celui-ci s’appuiera sur les travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, que nous avons pérennisé dans la loi. En se fondant sur ces travaux, le Gouvernement présentera chaque année un rapport sur la mise en œuvre de la programmation, sachant que nous avons intégré au dispositif une révision quinquennale.
Enfin, j’évoquerai brièvement le choix de notre commission de ne pas faire figurer la liste des projets d’infrastructures dans le corps du projet de loi ou du rapport annexé, afin de respecter une logique de moyens, plutôt que de céder à la tentation de promesses non financées. Nos collègues, nombreux, qui ont déposé des amendements pour inscrire tel ou tel projet doivent néanmoins pouvoir interpeller le Gouvernement et obtenir des réponses au cours du débat.
La commission, attentive à leurs préoccupations, a introduit deux dispositifs importants : la réévaluation quinquennale des projets sous l’égide du COI et l’inscription, dans le rapport annexé, de l’objectif de répondre à terme aux calendriers ambitieux prévus par le scénario 3 établi par le Conseil. Avec cette double garantie, la commission demandera aux auteurs de ces amendements de bien vouloir les retirer.
S’agissant de la partie « loi ordinaire » du projet de loi, notre commission a donné aux collectivités, notamment les plus rurales, les moyens que la rédaction du Gouvernement ne prévoyait pas pour organiser les services de mobilité : une extension du versement mobilité aux collectivités n’organisant pas de services réguliers ; l’attribution d’une partie du produit de la TICPE aux territoires ruraux dont les ressources seraient insuffisantes ; le fléchage des certificats d’économies d’énergie vers la mobilité propre.
Madame la ministre, vous avez déposé des amendements de suppression afin de revenir sur ces avancées, mais sans rien proposer en échange. Je ne vous le cache pas, la balle était pourtant dans votre camp ! Nous aurions été prêts à envisager d’amender, pour améliorer ces dispositifs !
En matière de gouvernance, notre commission a apporté souplesse et sécurité pour les acteurs, au premier rang desquels les collectivités territoriales. Elle a notamment allongé le délai accordé aux communes pour décider du transfert de la compétence d’organisation des mobilités aux communautés de communes, ainsi que celui dont disposent les autorités organisatrices de la mobilité pour élaborer leur plan de mobilité. Elle a également prévu un nouveau cas de réversibilité pour les communautés de communes souhaitant récupérer la compétence, en commun accord avec la région. Je tiens à préciser que cette réversibilité ne sera pas possible sans l’accord express des régions – c’est important ! La commission a aussi renforcé la coordination et la concertation entre les AOM, les autorités organisatrices de mobilité, notamment via la réintroduction des contrats opérationnels de mobilité, qui avaient disparu de la version finale du projet de loi.
Concernant les nouvelles mobilités, le développement rapide des services de free floating pose un certain nombre de difficultés, notamment en termes de régulation, de sécurité et de tranquillité publiques.
Notre commission a adopté un amendement renforçant les pouvoirs des autorités organisatrices, en leur permettant de soumettre ces services à des prescriptions particulières via un régime d’autorisation préalable. Il faut bien entendu trouver un équilibre pour apporter aux collectivités le cadre juridique sécurisant qu’elles réclament – c’est une demande très forte de leur part – sans entraver le développement de ces nouveaux services. Là encore, madame la ministre, vous nous proposez de revenir à votre texte initial. Tout en reconnaissant ses faiblesses, vous ne proposez aucune alternative.
La commission a également adopté de nombreux dispositifs permettant d’améliorer les offres de mobilité dans les zones peu denses, notamment au travers du renforcement du « forfait mobilités durables » ou encore d’une meilleure modulation du tarif de raccordement aux infrastructures de recharge publique. Elle a considérablement renforcé le volet dédié aux modes de transports peu polluants, ainsi que celui qui a trait à la sécurité routière et à la sûreté dans les transports.
Je voudrais vous remercier, madame la ministre, d’avoir déposé un amendement tendant à rendre possible le transfert de la gestion de certaines petites lignes ferroviaires d’intérêt local aux collectivités territoriales, en particulier aux régions. Nos collègues avaient été nombreux à déposer des amendements, tombés en commission sous le coup de l’article 40. Nous avions exprimé fortement le souhait que vous puissiez nous présenter un dispositif en séance sur cette question importante. C’est chose faite, et je suis heureux que le Sénat puisse en débattre en toute transparence, plutôt que d’en passer par des ordonnances plus techniques.
Mes chers collègues, pour conclure, je tiens à remercier chacune et chacun d’entre vous, en particulier les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, pour leur travail, leur coopération et leur attitude constructive tout au long de nos travaux et de la centaine d’auditions que nous avons menées.
Je remercie Mme la ministre pour la qualité et la régularité des échanges que nous avons pu avoir, le président de la commission Hervé Maurey, Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois, avec qui nous avons travaillé en bonne intelligence, ainsi que Benoît Huré, pour le travail qu’il a réalisé au nom de la commission des affaires européennes.
Je suis convaincu que nous aurons des débats riches et de qualité, car nous partageons tous le même objectif : en finir, une bonne fois pour toutes, avec les fractures territoriales.