Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 19 mars 2019 à 14h30
Orientation des mobilités — Question préalable

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi d’orientation des mobilités est très attendue. Elle est présentée comme la version moderne de la LOTI, loi fondatrice de l’existence d’un droit au transport comme corollaire d’un service public. C’est un projet ambitieux !

Nous partageons l’idée d’une nécessaire redéfinition des besoins, pour créer les outils permettant de répondre aux enjeux nouveaux de déplacement, d’aménagement du territoire, de développement des technologies et, surtout, aux enjeux environnementaux, qui doivent nous conduire à la sobriété énergétique. La planète et nos concitoyens ne peuvent plus supporter cette pollution massive et continue, liée à l’activité humaine et aux flux mondiaux. Alors que les courbes des émissions de gaz à effet de serre, contrairement aux engagements de l’accord de Paris, sont reparties à la hausse, notre système de transport doit être compatible avec la lutte engagée contre le changement climatique. C’est bien l’« affaire du siècle » ! Pourtant, ces enjeux sont mal traités dans le projet de loi. L’exigence du report modal, notamment pour le transport de marchandises, est sous-estimée ; la place du ferroviaire, comme du fluvial, mineure.

Ce projet de loi, au fond, poursuit la voie engagée au cours des trente dernières années, ne proposant comme solution d’avenir que la libéralisation, le démantèlement des opérateurs publics et le désengagement de l’État, laissant une part prépondérante aux intérêts privés pour satisfaire l’intérêt général.

C’est une loi bien dans son temps qui, sous couvert de modernité, consacre la primauté des solutions individuelles sur le collectif. Or, faut-il le rappeler, l’addition de transports individuels n’a jamais fait un transport collectif.

C’est une loi qui manque de structure puisque, si elle traite bien les mobilités des trajets courts, elle passe totalement à côté de la nécessité de conserver la colonne vertébrale du système de transport que constituent les lignes ferroviaires, y compris des lignes de vie.

C’est une loi qui exclut, encore une fois, d’appréhender dans un même mouvement les questions de transports, de logements, d’emploi et de service public, alors même que l’éloignement de l’habitat des lieux de travail, le logement cher et l’étalement urbain sont à l’origine de l’allongement des temps de transport et induisent la saturation et l’engorgement des routes. Avec ce texte, nous travaillons donc, non pas sur les causes de l’accroissement du besoin de mobilité, mais sur les modalités de réponse à ce besoin, ce qui nous paraît constituer une lacune importante.

Je commencerai par quelques remarques sur la forme – comme souvent, elles rejoignent le fond.

Nous sommes particulièrement inquiets du recours inédit sur ce texte, pour l’étude d’impact et l’exposé des motifs, aux services d’un cabinet privé, comme si les compétences n’existaient pas en interne. Ce choix n’est pas un hasard. Que l’État laisse le soin à d’autres de définir l’intérêt public nous préoccupe, notamment quand cela touche à des actes aussi régaliens que la rédaction d’un projet de loi.

Plus grave encore, alors que le Gouvernement s’était engagé à repousser l’examen du texte à l’issue du grand débat, il n’en est rien. Pourtant, cela a été dit, les questions de mobilité sont au cœur du mouvement des « gilets jaunes » et des revendications portées par nos concitoyens. Le mouvement a d’ailleurs débuté autour de la thématique du prix du carburant, posant, non seulement la question du coût du transport, mais aussi celle des conditions d’un égal accès de tous à l’emploi, au service public, à la santé, à la culture… En effet, nous le savons tous, le droit au transport conditionne concrètement l’exercice d’autres droits.

Nous aurions donc souhaité que ce projet de loi tienne compte des aspirations de nos concitoyens et considérons que son examen, dans cette enceinte, est prématuré.

Sur le fond, il s’agit d’un texte fourre-tout – vous le qualifiez vous-même, madame la ministre, de boîte à outils –, abordant pêle-mêle le covoiturage, les trottinettes, le vélo, le bus… sans aucune cohérence.

Inversement, nous voyons dans le cadencement des réformes une grande cohérence. L’année dernière, avec la réforme ferroviaire, vous avez enterré le train. Nous pouvons donc aujourd’hui parler des autres mobilités : « Vous n’avez plus de train, prenez votre trottinette ou optez pour le covoiturage ! » §Telle est la philosophie de ce projet de loi, qui renvoie la définition de l’offre de transport à chaque autorité organisatrice, selon ses moyens, des intercommunalités aux régions, laissant craindre de grandes inégalités territoriales et une balkanisation de l’offre de transport.

Le changement sémantique illustre parfaitement cette stratégie. Nous ne parlerons donc plus du « droit au transport », droit fondé sur un maillage territorial, une offre structurante de masse, mais du « droit à la mobilité », aux contours flous et à la définition évanescente, laissant les individus libres de choisir leur mobilité, comme si l’offre de transports n’était pas directement le résultat de l’investissement public et de choix politiques.

Ce changement terminologique s’explique par le passage d’un système de transport public, opéré par des opérateurs publics, à des solutions individuelles ou reposant sur l’initiative privée, des solutions qui ont d’ailleurs toutes pour point commun d’emprunter la route. L’avenir de la route, c’est donc… la route ! Bel effort pour la transition écologique !

Bien sûr, nous ne sommes pas opposés au développement du vélo, de la marche ou d’autres mobilités décarbonées, mais nous voulons aussi aborder la question du service public, des transports collectifs et d’une politique publique.

Nous voulons également aborder la question des financements, grande inconnue de ce projet de loi. Le Gouvernement fait le choix du scénario 2 du COI, ce qui nous paraît faible. Pire encore, malgré les annonces d’un effort de 40 % de financements supplémentaires, c’est le silence radio sur les financements nouveaux pour l’Afitf. Soulignons tout de même les efforts évidents et remarquables du rapporteur, qui a permis – c’est déjà bien – de sanctuariser la part de la hausse de la TICPE attribuée à l’Afitf et d’attribuer une nouvelle portion de cette recette aux collectivités. Des efforts de fléchage, donc, mais pas de sources nouvelles ! Nous y reviendrons par nos amendements, en proposant des financements nouveaux, à la fois pour les autorités organisatrices au travers du versement transport ou de la baisse de la TVA et pour l’Afitf. Nous proposerons ainsi la mise en œuvre d’une taxe poids lourds : il faut bien revenir sur cet avantage concurrentiel de la route, qui ne finance pas les infrastructures.

Parce qu’il s’agit aussi de justice et d’efficacité fiscales, nous pensons que les exonérations fiscales des camions seraient mieux employées pour le financement de l’Afitf, tout comme nous considérons que l’État aurait intérêt à retrouver la maîtrise de ses infrastructures, au premier chef des concessions autoroutières, ou, pour le moins, à ne pas en autoriser de nouvelles, comme le fait ce projet de loi. L’État doit reprendre la main !

Enfin – c’est le troisième argument, et non le moindre, qui justifie cette motion de procédure, nous sommes farouchement opposés à la libéralisation des transports urbains et à l’explosion de la RATP en une myriade de filiales au gré des contrats obtenus. Nous considérons que l’organisation de la filialisation correspond à une stratégie connue : segmenter pour mieux privatiser ensuite les opérateurs publics.

Certes, cette ouverture à la concurrence est prévue depuis l’adoption du règlement OSP et de la loi de 2009. Certes, les possibilités de dérogation pour le transport urbain n’existent pas dans ce règlement, contrairement au ferroviaire. Mais nous continuons de penser que cet horizon n’est pas indépassable, y compris parce qu’il va s’avérer coûteux pour les autorités organisatrices dans l’organisation des procédures. Nous considérons, à l’instar de ce que nous avons soutenu l’année passée pendant la réforme ferroviaire, que la France s’honorerait à porter au niveau européen l’exigence d’une révision des traités et des directives qui imposent la concurrence en tout domaine. Nous avons l’expérience aujourd’hui de ces ouvertures à la concurrence : elles dégradent les services publics, démantèlent les monopoles publics pour en faire des monopoles privés, se traduisent par une baisse de qualité du service public, de la sécurité des infrastructures et, le plus souvent, par une augmentation des coûts pour les usagers.

La question des personnels des transports publics est également centrale. Leur statut public n’est pas un archaïsme du passé, mais bien le corollaire de salariés tournés vers un objectif de service public, notamment de ces principes fondateurs : égalité, continuité, mutabilité et accessibilité.

Aujourd’hui, vous proposez de dynamiter ce système en organisant le dumping social dans ce secteur, préconisant ainsi une harmonisation vers le bas des garanties salariales et la fin programmée du statut spécifique. Nous ne participerons pas à ce gâchis ! Nous pensons bien au contraire qu’il conviendrait de réfléchir, y compris pour aider et accompagner les collectivités dans leurs nouvelles compétences, à la création d’un opérateur public du transport urbain, à l’échelle nationale, qui permettrait de faire prévaloir les enjeux d’intérêt général sur ceux du privé et la complémentarité des modes plutôt que leur mise en concurrence.

Dernier point : nous sommes absolument opposés à l’ajout en commission de l’allongement de la période de déclaration individuelle de grève. Cet amendement, adopté à la hussarde, …

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion