Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après une bonne année de péripéties, voici enfin le projet de loi d’orientation des mobilités, texte tant attendu. Nous aurions préféré l’examiner au printemps dernier, en même temps que la réforme ferroviaire : ce choix aurait été plus cohérent. Nous aurions préféré l’examiner dans sa version initiale, à 220 articles, avant que les réunions interministérielles ne le vident de sa substance et particulièrement de ses financements…
Entre-temps, le mouvement des « gilets jaunes » est venu rappeler l’enjeu primordial que constitue la mobilité pour nos concitoyens. Dans notre pays, l’urbanisme a été façonné par la voiture, qui relie de plus en plus des zones-dortoirs délaissées et des métropoles encombrées. André Gorz nous avait pourtant prévenus dès 1973, dans son visionnaire petit essai, L ’ Idéologie sociale de la bagnole. Nous n’en avons rien fait, nous avons continué à développer les zones périurbaines seulement accessibles en voiture tout en laissant disparaître les lignes ferroviaires et, plus largement, les transports collectifs.
Madame la ministre, votre politique n’est que la continuité de ce mouvement, à une exception près : la prise en compte du fait qu’il est indispensable de sortir de l’ère du « tout-voiture individuelle ». Oui, mais comment ? Votre projet de loi ne répond que très partiellement à la question. La raison en est simple, et Gorz nous la donnait dès 1973 : « […] l’alternative à la bagnole ne peut être que globale. Car pour que les gens puissent renoncer à leur bagnole, il ne suffit point de leur offrir des moyens de transports collectifs plus commodes : il faut qu’ils puissent ne pas se faire transporter du tout parce qu’ils se sentiront chez eux dans leur quartier, leur commune, leur ville à l’échelle humaine, et qu’ils prendront plaisir à aller à pied de leur travail à leur domicile – à pied ou, à la rigueur, à bicyclette. »
Nous en sommes très loin. Je ne reprendrai pas l’excellente démonstration de ma collègue Éliane Assassi pour rappeler que presque rien dans ce texte ne concerne les transports collectifs – ces derniers demeurent pourtant la colonne vertébrale des mobilités –, si ce n’est l’ouverture à la concurrence de la RATP, qui fragilisera un peu plus nos capacités à entretenir et développer le réseau ferré francilien. Rien pour le rail – la question des lignes régionales est renvoyée à un énième rapport ! Rien pour le fluvial, ou presque ! Ce texte renonce d’emblée à l’ambition qui devrait être la sienne : restructurer notre réseau de transport, alors que pèse sur nous l’épée de Damoclès du changement climatique. Il s’agit, en somme, d’une boîte à outils dans laquelle manqueraient les outils essentiels.
Ce projet de loi n’est pas dénué d’intérêt pour autant, particulièrement dans la version que nous propose la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, qui l’a sérieusement musclé. Je salue à ce titre le travail de notre rapporteur, Didier Mandelli, qui n’a pas ménagé son effort et qui a pris soin d’associer l’ensemble des forces politiques à la rédaction de ce texte. Le projet de loi contient ainsi quelques dispositions intéressantes pour développer la pratique du vélo et des mobilités actives. Elles méritent toutefois d’être complétées, et plusieurs groupes le proposeront durant les débats.
Aucun maire ne se plaindra de pouvoir réguler et mettre à contribution les entreprises de free floating, qui inondent les trottoirs de vélos et de trottinettes électriques. Sur ce point également, il convient de conserver la rédaction du Sénat.
S’ils ne sauraient remplacer les transports en commun en zone urbaine, le covoiturage et l’autopartage peuvent, en zone rurale, représenter des solutions de déplacement intéressantes pour limiter l’usage de la voiture personnelle. Ils sont également le seul débouché viable de la voiture électrique, qui ne peut qu’être partagée pour remplir son ambition écologique. Là aussi, nous invitons le Gouvernement à aller plus loin à l’occasion du débat parlementaire.
En effet, pour lutter efficacement contre la pollution, dont on vient d’apprendre qu’elle tue en fait plus que le tabac – elle cause 67 000 décès par an dans notre pays –, il faut, sans mauvais jeu de mots, passer la seconde. Pour être efficace, le dispositif des zones à faibles émissions doit être renforcé et élargi à toutes les communes de plus de 50 000 habitants. Il faut également réintroduire dans le texte la fin des véhicules thermiques d’ici à 2040. Il faut aider les communes à développer leurs axes cyclables et des solutions non polluantes pour les livraisons dans le dernier kilomètre.
Cet effort passe également par le nouveau « forfait mobilités », dont nous saluons la création, mais qui, pour atteindre son but, doit être cumulable avec un abonnement de transports en commun et rendu obligatoire, afin que chaque salarié puisse en bénéficier. Voilà un moyen efficace pour développer l’intermodalité que nous appelons tous de nos vœux ! Voilà un moyen efficace pour diminuer quelque peu le coût de la mobilité et apporter un début de réponse aux revendications des « gilets jaunes » !
Mes chers collègues, sans doute aurait-il fallu, pour ce faire, attendre les conclusions du grand débat. Nous avons tenté de les anticiper en vous proposant non seulement cette solution, mais également une prise en charge accrue des abonnements de transports en commun pour les salariés au SMIC. Nous vous proposerons aussi de renforcer la démocratie dans la gouvernance des AOM, en y associant les syndicats de personnels et les associations d’usagers : ce que nous rappelle le mouvement social en cours, c’est que, pour gouverner, il faut partir des besoins de la population dans tous les territoires. Les gouvernements successifs ont eu tendance à l’oublier…
L’adoption de nos amendements ne comblera pas toutes les lacunes de ce texte, mais elle permettra de lui donner une densité supplémentaire et d’apporter davantage de réponses aux défis de la mobilité du XXIe siècle. C’est le minimum que nos concitoyens sont en droit d’exiger de la première grande loi relative aux transports depuis près de quarante ans.
Madame la ministre, nous comptons sur vous pour entendre la voix des territoires, dont le Sénat se fera, comme toujours, l’écho.