Intervention de Michèle Vullien

Réunion du 19 mars 2019 à 14h30
Orientation des mobilités — Discussion générale

Photo de Michèle VullienMichèle Vullien :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, enfin, nous y sommes : trente-cinq ans après la LOTI, le projet de loi d’orientation des mobilités, tant attendu par les acteurs du secteur et les citoyens, est à l’étude. Qui plus est, la première lecture commence devant le Sénat. Le fait est suffisamment rare pour être souligné !

Madame la ministre, pour la confiance que vous témoignez à la Haute Assemblée, pour votre qualité d’écoute lors des différents échanges et pour les nombreuses phases de concertation menées en préparation de ce projet de loi, je tiens à vous remercier tout particulièrement.

Je remercie également notre rapporteur, Didier Mandelli. Certains de mes collègues l’ont déjà dit : il a ouvert avec bienveillance les auditions à tous les élus de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Il a su rester attentif aux demandes, remarques et propositions faites tout au long du processus de travail.

Je souhaite également remercier les organismes professionnels, associations d’élus ou de citoyens, les entreprises, les collectivités avec qui nous avons eu des échanges constructifs durant nos travaux pour améliorer un texte qui se devra de faire référence durablement.

Mes chers collègues, comme vous le savez, ce projet de loi est essentiel, car la mobilité est absolument indispensable à tous les actes de la vie. Elle concerne tous les citoyens, quels que soient leur statut, leur âge, leur lieu de résidence, qu’ils soient femme ou homme, actif ou retraité, demandeur d’emploi ou étudiant. Que l’on vive en ville ou à la campagne, dans une métropole ou une commune isolée, on a toujours besoin de se déplacer pour étudier, travailler, se soigner, faire des courses, se cultiver ou aller voir des amis. Même pour utiliser un espace de coworking, il faut se déplacer.

La vie « à distance », avec les outils numériques, n’abolit pas la nécessité de se déplacer : un livreur devra toujours venir à notre domicile si nous commandons par internet. Ce constat met d’ailleurs en lumière les impératifs de la logistique du dernier kilomètre.

Le maître mot, l’objectif principal, l’enjeu, c’est bien qu’il n’y ait plus aucune « zone blanche » de mobilité sur notre territoire. Voilà pourquoi nous devons engager une réflexion sur la notion d’équité, notion différente de l’égalité stricte, entre tous nos territoires et sur la nécessité de trouver des solutions adaptées à la réalité concrète du terrain.

Plus que jamais, cette situation nous interroge quant aux solutions de mobilité pour tous, qui, de manière évidente, n’excluent pas la voiture, même si elle est de moins en moins sacro-sainte ; quant aux solutions ad hoc en fonction des territoires ; quant à l’impérieuse nécessité de créer un cadre propice au dialogue, à la décision et au financement entre les différentes strates administratives concernées.

Ce projet de loi nous conduit également à nous interroger sur le partage des données. Cherchant constamment à me mettre en situation d’usage et empruntant régulièrement les transports publics, je considère que tous les travaux entrepris dans la logique du MaaS – Mobility as a Service – vont dans le bon sens s’agissant déjà d’intermodalités, des mobilités actives au mass transit, de la marche à pied aux navettes autonomes. Le transfert des données à l’autorité organisatrice est alors une condition sine qua non de la pertinence de l’outil. Tandis que plane l’ombre de GAFA, il est de notre devoir de définir les conditions du succès de ces nouveaux services, en s’assurant qu’aucun prestataire privé ne puisse en tirer un avantage concurrentiel. L’intérêt général doit primer les intérêts particuliers.

Malgré toutes ces bonnes intentions, nous déplorons qu’au fil des jours, ou des arbitrages interministériels, ce texte tant attendu se soit vidé petit à petit de sa substance au point de manquer singulièrement d’ambition, notamment au regard de l’enjeu climatique et du développement durable. Le projet de loi a été dangereusement édulcoré pour ne pas faire de vagues dans le contexte politique actuel. C’est la raison pour laquelle il était nécessaire de l’amender. Le grand nombre d’amendements déposé est d’ailleurs significatif, et le groupe Union Centriste sera particulièrement attentif à la suite des débats. Ces derniers ne manqueront pas d’être animés, car, en la matière, nous sommes au cœur du quotidien de nos concitoyens.

Il est également dommage d’examiner ce projet de loi en sachant que certaines de ses lacunes ne pourront être gommées à court terme ; parce que des sujets, pourtant essentiels, demeurent à l’étude au sein du ministère – je pense à la péréquation du versement mobilité ou encore à la taxe pour les poids lourds étrangers – ; parce que des travaux sont en cours – je pense notamment au rapport du préfet Philizot sur le devenir des petites lignes ferroviaires ; d’ailleurs plusieurs collègues l’ont déjà dit, les enjeux ferroviaires ont été finalement gommés de ce texte – ; parce que le projet de loi a trop largement recours aux ordonnances.

Enfin, au même titre que mes collègues, je ne peux que m’interroger sur la problématique du financement : financement des infrastructures, financement des solutions de mobilité choisies par les autorités organisatrices, financement de la régénération, financement de la dette de la SNCF.

Madame la ministre, j’approuve totalement votre point de vue lorsqu’il s’agit de définir une programmation sincère et crédible. Nos concitoyens ne peuvent plus accepter les reports systématiques, les promesses non tenues, les DUP non respectées, les atermoiements et les délais glissants : souvent, on laisse passer tant de temps que les infrastructures sont construites sur la base d’études et de solutions obsolètes ! Pourtant, la programmation de l’hypothèse 2 de l’excellent rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, instance que nous souhaitons tous voir pérenniser, est rapidement devenue une programmation « 2 moins ». Surtout, elle n’est assortie d’aucune garantie financière. Vous conviendrez que l’on gagne beaucoup en crédibilité lorsque l’on apporte lesdites garanties. Or, j’y insiste, je ne les vois pas vraiment. Il semble qu’il faille attendre le prochain projet de loi de finances pour les obtenir.

Plusieurs dossiers brûlants, volontairement laissés hors du cadre du COI, alors qu’ils représentent des enjeux financiers colossaux, ne font que renforcer mon inquiétude. Je pense au Lyon-Turin, au Grand Paris Express ou encore au canal Seine-Nord-Europe.

La présentation récente du budget de l’Afitf n’est pas parvenue à nous rassurer. Je fais partie de ceux pour qui les ressources issues des mobilités, la TICPE notamment, doivent être fléchées vers les mobilités. Les taxes, péages, impôts et autres redevances ont alors un sens, une réalité objective facilitant leur acceptation. Imaginer un financement d’infrastructures prioritaires en les corrélant à la productivité des radars, sachant que l’Afitf est la dernière servie, relève plus du non-sens que de la stratégie.

Pour conclure, alors que j’évoquais à l’instant les problèmes de financement, je voudrais vous lancer un défi, madame la ministre.

La baisse de la dotation globale de fonctionnement a amené les collectivités locales à revoir leur organisation, à remettre en question les process, à améliorer leur politique d’achats, dans un souci constant d’économie. Je n’ai pas de réponse toute faite à vous proposer, mais la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités me semble offrir l’occasion rêvée de nous interroger sur la multiplicité des organismes publics et parapublics intervenant sur la thématique des mobilités, sur leurs missions, leur pertinence, leur fonctionnement et leur efficience, ainsi que sur la multiplicité des documents d’orientation, des schémas directeurs, souvent rédigés selon des temporalités différentes. Si le Sraddet, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, doit devenir un document de référence pour les mobilités, musclons-le comme il doit l’être et clarifions sa position par rapport aux autres schémas. Seuls les spécialistes parviennent à s’y retrouver dans cet emboîtage de schémas. De même, nous avons ici l’occasion de mettre en question la profusion normative, qui engendre des dépenses importantes, ainsi que les approches en silo qui empêchent une vision globale et transversale. L’intermodalité relève d’une approche globale des mobilités, tenant compte de ce qui se passe dans les territoires alentour.

Madame la ministre, mes chers collègues, notre tâche est sans nul doute complexe, mais nous ne devons pas décevoir nos concitoyens : nous savons combien leur attente est fébrile.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion