Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement

Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre :

Monsieur le président, je vous remercie de votre propos introductif chaleureux. Je suis en effet heureux de pouvoir participer à ce débat avec la Haute Assemblée, à un moment important de l'histoire de la construction européenne.

Pour l'ouverture des négociations européennes en vue d'une éventuelle adhésion de la Turquie, le Président de la République a fixé la position de la France : oui à l'entrée de la Turquie à terme, si elle remplit les critères d'adhésion à l'Union européenne.

Pourquoi cette position ? Parce que si les conditions sont réunies, ce sera, nous en sommes convaincus, l'intérêt de la France et celui de l'Europe.

En participant aujourd'hui à votre débat, nous engageons un dialogue avec le Parlement que je souhaite régulier, transparent et conforme à la Constitution.

Ce dialogue durera tout au long des négociations qui vont s'échelonner sur une certaine durée.

Le ministre des affaires étrangères, M. Michel Barnier, et la ministre déléguée aux affaires européennes, Mme Claudie Haigneré, resteront disponibles pour la Haute assemblée à chaque étape de la négociation pour vous tenir informés, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je veux d'abord souligner à quel point il apparaît clairement que l'Union européenne possède aujourd'hui une véritable puissance d'attraction démocratique.

La France propose une vision courageuse de l'histoire. Elle fait le choix d'un avenir ambitieux. C'est ce qui a guidé l'attitude du chef de l'Etat pendant le sommet de l'Union européenne.

Depuis 1963, la question de l'entrée de la Turquie en Europe est posée.

C'est le général de Gaulle qui, après le rapprochement en juin 1964 à propos de Chypre, puis lors de deux voyages présidentiels alternés en 1967 et en 1968, encouragea le dialogue européen avec la Turquie.

Aucun Président, aucun chef de gouvernement, aucun ministre n'a ensuite interrompu ce dialogue.

En 1999, l'ensemble des pays membres a reconnu la vocation européenne de la Turquie.

Le 6 octobre dernier, la Commission a donné un avis positif sur l'ouverture des négociations, ouverture que le Conseil européen a donc autorisée le 17 décembre.

Le débat sur cette question a été particulièrement animé dans notre pays.

Le Gouvernement a été attentif à tous les Européens convaincus qui se sont exprimés sur ce sujet, parfois dans des sens différents.

Le Gouvernement a entendu aussi tous ceux qui, exaspérés par l'immigration clandestine, voulaient exprimer sincèrement leurs craintes et leurs inquiétudes.

Ces positions sont respectables, même si elles ne sont pas toujours justes.

Le choix que l'Europe a fait le 17 décembre nous engage.

Ce n'est pas un choix d'opportunité, ce n'est pas un choix partisan, c'est un choix qui s'appuie sur une vision de la France et sur une vision de l'Europe : nous proposons à la Turquie de faire sa véritable révolution européenne.

Cette perspective correspond à une nouvelle idée de la puissance européenne, puissance d'attraction autant que d'organisation, puissance pour la paix, pour la stabilité et pour un modèle européen économique et social : une puissance qui incite un grand pays, à l'histoire riche et complexe, fort de 70 millions d'habitants, à mener les réformes nécessaires pour se conformer aux exigences européennes en matière de liberté, de droits de l'homme et de libre initiative.

Quelle autre organisation dans le monde a ce pouvoir d'attraction démocratique ?

Qui peut conduire une telle nation à mener des réformes si profondes, qui touchent au coeur même de son système politique ?

Qui peut conduire ce grand pays sur la voie de la réconciliation avec son ennemi d'hier, la Grèce ?

Qui peut ancrer 70 millions d'habitants dans l'économie sociale de marché ?

C'est un véritable aimant démocratique que notre Union européenne.

Reconnaissons qu'une Turquie démocratique serait une chance pour l'Europe, une Turquie qui aurait rempli les conditions nécessaires à son adhésion, avec son marché en forte croissance et en pleine expansion démographique, avec sa tradition jamais démentie de dialogue étroit avec nos alliés au Proche-Orient, avec la francophilie de ses élites, pour qui la France a toujours été la patrie des droits de l'homme et de la liberté.

La Turquie dans l'Europe serait une force de stabilité dans l'ensemble méditerranéen.

La voix de l'Europe au Proche-Orient sera plus forte avec la Turquie qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Quant à l'immigration venue des nouveaux pays, elle fait toujours peur avant les élargissements, avant que l'on se rende compte que l'entrée dans l'Europe contribue au contraire à fixer les populations dans leur pays et ainsi à tarir l'immigration.

Le développement est toujours plus humain à la maison, et nous avons vu à l'occasion de tous les élargissements précédents que l'immigration stoppait avec l'adhésion.

Aujourd'hui, l'Europe a intérêt à ce que la Turquie penche du côté de l'Europe, et nous devons veiller à ne pas humilier la Turquie, ce grand pays qui se veut laïc, qui travaille depuis près de quatre-vingts ans à se rapprocher de l'Europe.

Si l'Europe lui claquait la porte, elle pourrait être sensible, personne n'en doute, aux thèses les plus aventureuses.

La vision de l'Europe ne doit pas se réduire à la géographie. On peut discuter longuement pour savoir si la Turquie est européenne sur le plan géographique ou pas, si son histoire est européenne ou pas, si sa culture est européenne ou pas.

Ce qui définit l'Europe, c'est la pensée libre, cet héritage complexe de la Renaissance, qui ne se réduit ni à une religion ni à des idéologies.

L'apport de l'Europe, c'est son humanisme, qui trouve déjà sa source dans la pensée grecque et latine. C'est le poète Térence qui disait : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger. »

La Turquie n'est pas étrangère à l'Europe.

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