Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation à m'exprimer sur la situation au Venezuela et ses conséquences internationales.
La crise au Venezuela est liée tout d'abord à des facteurs politiques.
Le régime, contesté et affaibli depuis la mort d'Hugo Chavez, a perdu la majorité parlementaire en décembre 2015. Il a ensuite dérivé vers un régime de plus en plus autoritaire, avec un parlement d'opposition progressivement neutralisé, une Cour suprême et un Conseil national électoral sous le contrôle de l'exécutif, et de multiples atteintes aux droits de l'homme.
On peut distinguer deux moments essentiels dans cette dérive.
Le premier a été l'élection de l'Assemblée nationale constituante en juillet 2017, boycottée par l'opposition et dont le mode de scrutin visait à favoriser le chavisme. Cette assemblée constituante, dont l'objectif affiché était de rédiger une Constitution, est en réalité devenue un instrument servant à réprimer, à destituer des opposants et à faire adopter des lois contraires aux libertés.
La convocation unilatérale de l'élection présidentielle anticipée, le 20 mai 2018, sans respecter les standards démocratiques est le second moment important de la dérive autoritaire, puisque la coalition de l'opposition, les partis et les principaux leaders d'opposition avaient été invalidés et que l'élection s'était déroulée en l'absence d'observation internationale.
Autre élément politique majeur dans les années récentes : le poids grandissant de l'armée au sein du régime, avec un tiers des ministres issus de ses rangs, de nombreux gouverneurs choisis parmi des militaires, et le président de la compagnie nationale pétrolière (PDVSA) qui est général de l'armée.
Les facteurs économiques de la crise sont aussi très lourds.
L'économie vénézuélienne est principalement fondée sur les énormes ressources pétrolières du pays, dont les revenus représentaient récemment 96 % des devises. Cette « surdépendance » au pétrole a empêché la diversification de l'économie et accru l'absence de résilience du Venezuela face à une baisse des cours du pétrole. En conséquence, l'hyperinflation a atteint 1 000 000 % en 2018, et devrait s'élever à 10 000 000 % en 2019 ! Le corollaire a été l'effondrement de la production : le PIB a diminué de moitié en cinq ans.
Cette situation politique et économique a abouti à une explosion de la pauvreté au Venezuela - le salaire minimum est de 6 dollars -, au délabrement du système de santé, à la résurgence d'épidémies et à l'apparition de cas de malnutrition infantile. Ce constat dramatique a longtemps été nié par le régime, avant qu'il ne sollicite une aide de ses alliés et de l'ONU. Une des priorités de notre action est d'apporter au Venezuela une aide humanitaire respectueuse des principes internationaux rappelés par l'Union européenne.
3,4 millions de Vénézuéliens ont fui le pays, soit 10 % de la population totale. Selon l'ONU, ce chiffre pourrait passer d'ici à la fin 2019 à 5,5 millions. Il s'agit du plus important mouvement migratoire qu'ait connu l'Amérique latine au cours de son histoire récente, phénomène qui a induit une crise régionale, puisque 1 million de Vénézuéliens se sont réfugiés en Colombie, 200 000 au Chili, mais aussi en Équateur et au Pérou. Les pays de destination ont dû faire face, et ont fait preuve de volontarisme pour coordonner leur politique migratoire.
J'en viens au second point : le tournant politique de janvier dernier.
Ce tournant fait suite à un certain nombre de tentatives pour régler la crise au Venezuela de la part de l'Union des nations sud-américaines (Unasur) en 2014, et du Saint-Siège en 2016. Plus récemment, les négociations de Saint-Domingue réunissaient le régime et l'opposition sous l'égide de la République dominicaine, de l'ancien Premier ministre espagnol, M. Zapatero, et de quatre pays parrains : le Mexique, le Chili, la Bolivie et le Nicaragua. Toutes ces tentatives de règlement ont échoué du fait d'un manque de confiance entre les parties à la négociation et d'un défaut de mise en oeuvre des engagements par le régime : à titre d'exemple, la libération de prisonniers politiques était immédiatement suivie de nouvelles arrestations. Citons également des manoeuvres dilatoires, une répression qui s'est poursuivie durant ces négociations, des décisions unilatérales telles que la convocation anticipée de l'élection présidentielle, ainsi que les divisions de l'opposition.
En janvier, après l'investiture contestée de Nicolas Maduro, puisque nous avons considéré avec l'Union européenne que cette élection n'avait pas rempli les exigences des standards démocratiques, Juan Guaido, président nouvellement élu du Parlement, s'est dit disposé à assurer la présidence par intérim, ce qu'il a confirmé publiquement. Très rapidement, ce statut a été reconnu par plusieurs États, dont les États-Unis, 24 pays de l'Union européenne et les pays du groupe de Lima.
Juan Guaido est une figure nouvelle dans l'opposition, il représente une jeune génération politique issue notamment des manifestations étudiantes de 2007, et de nouvelles pratiques comme l'utilisation des réseaux sociaux. L'émergence de cette figure a donné à l'opposition une unité qui n'existait pas encore.
Autre changement important, les sanctions financières et pétrolières, notamment de la part des États-Unis, ont eu un fort impact au Venezuela. Elles tendent à l'asphyxie du régime. La situation du Venezuela évolue donc sans cesse, rythmée par de fortes tensions.
J'évoquerai maintenant l'action de la France et celle de l'Union européenne.
Notre pays est impliqué depuis plusieurs années dans la recherche d'une solution politique et pacifique à la crise vénézuélienne, notamment au travers d'échanges, à Paris ou à Caracas par notre ambassadeur, avec les acteurs concernés. Notre action s'inscrit également dans un cadre européen, aux côtés notamment de l'Espagne et de l'Allemagne, en axant nos efforts sur la fermeté et le dialogue.
La fermeté vise à réagir aux violations des droits de l'homme. Elle se traduit par un embargo européen sur les armes, décidé en novembre 2017, ainsi que par des sanctions individuelles - refus de visa et gel des avoirs - datant de 2018, à l'égard de 18 hauts responsables vénézuéliens. En revanche, l'Union européenne n'a pas pris de sanctions financières ou économiques qui affecteraient la population vénézuélienne.
Quant au dialogue, le groupe de contact international réunit 8 États membres de l'Union européenne, dont la France, le Costa Rica, la Bolivie, l'Uruguay et l'Équateur. Ce groupe repose sur un double constat : la nécessité d'st une solution pacifique et négociée, d'où le rejet très clair de toute option militaire, et la nécessité d'oeuvrer avec les acteurs régionaux. Enfin, nous avons voulu tirer les leçons des négociations passées en incluant des conditions préalables, notamment la libération des prisonniers politiques et la réforme du système électoral, et en évitant que le processus ne traîne en longueur.
Le groupe de contact s'est donné 90 jours pour travailler sur l'organisation d'une nouvelle élection présidentielle. Il intervient également en matière d'aide humanitaire au Venezuela, et dans les pays voisins. L'Union européenne évalue à 60 millions d'euros les fonds nécessaires, sachant que la France a déjà engagé 740 000 euros en 2018 et compte poursuivre son action.
En conclusion, la priorité des autorités françaises est évidemment la sécurité de la communauté française au Venezuela.