Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement

Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre :

Elle doit aussi garantir tous leurs droits aux Kurdes de Turquie, assurer la liberté des minorités religieuses et promouvoir une vraie égalité entre les femmes et les hommes.

En matière de réconciliation régionale également. Il est évident que le Conseil européen a eu raison de subordonner l'ouverture des négociations à la signature du protocole d'Ankara. Il a en effet clairement montré que la question de Chypre doit être résolue dans l'esprit du projet européen, cet esprit de réconciliation qui nous rassemble.

La qualité des relations avec le voisin grec devra aussi se confirmer.

Des progrès socio-économiques considérables devront également être établis.

La coupure économique entre l'est et l'ouest du pays devra être résolue par le maintien d'une forte croissance générale et par un investissement massif de l'Etat turc dans ces zones géographiques qui ne sont pas au niveau de la prospérité européenne.

Enfin, un considérable travail d'intégration de l'acquis communautaire doit être poursuivi : il sera long. Ce travail est immense, il va représenter des années et des années de négociations. Nous serons particulièrement vigilants à ce que toutes les décisions soient en cohérence avec les valeurs du projet européen.

Des périodes transitoires et des clauses de sauvegarde pourront, si nécessaire, être prévues et intervenir.

Ainsi, les négociations vont pouvoir s'ouvrir. Mesdames, messieurs les sénateurs, s'il s'avérait que la Turquie ne veut pas ou ne peut pas adhérer à l'ensemble de ces réformes, il va de soi que l'Union devra lui proposer un lien partenarial en lieu et place de l'adhésion.

Il est clair qu'à chaque instant nous aurons la possibilité d'arrêter les négociations qui sont ainsi engagées.

Dans ce processus, le Parlement aura toute sa place et sera régulièrement consulté. C'est une négociation d'Etat à Etat qui s'ouvre, mais, pendant toute la période des négociations, chaque Etat, chaque nation, chacun des vingt-cinq membres de l'Union européenne pourra utiliser son veto pour bloquer la totalité des négociations, s'il considère que ces dernières ne sont pas conformes à notre projet européen.

Pour la première fois, nous allons mener des négociations chapitre par chapitre, et pour entamer le deuxième chapitre, il faudra avoir clos le premier chapitre à l'unanimité. A chaque étape, chaque Etat aura un droit de veto, pour dire s'il adhère ou non à la démarche de négociation.

Je le dis donc solennellement : la France conservera la faculté d'arrêter les négociations si elle le juge nécessaire.

Je souhaite que nous soyons exemplaires dans ce processus de négociation, et surtout que nous ne nous enfermions pas les uns et les autres dans des slogans qui visent à attiser les peurs. N'ayons pas peur ! La peur ne saurait dicter un choix politique de cette importance. Il nous faut être exemplaires.

Exemplaires par la qualité du débat démocratique sur cette question fondamentale, qui ne doit pas être réduite à des slogans ou à des invectives jetées à la face d'un grand pays ami.

Exemplaires aussi par notre capacité d'ouverture : il n'y a pas de place en France, dans le pays des droits de l'homme, pour l'extrémisme et le populisme.

Nous ne pouvons pas accepter l'idée que la France décourage des dirigeants qui veulent engager leur pays dans la voie de la laïcité. Vous avez voté à l'unanimité un texte d'avant-garde sur la laïcité : la France qui, sur ce sujet, a porté haut et loin le message ne peut pas décourager les dirigeants Turcs qui veulent s'engager sur cette voie.

Ce n'est pas en attisant les peurs, qui sont réelles et que je respecte, que l'on fera progresser nos convictions. « Qui craint de souffrir souffre déjà de ce qu'il craint », disait déjà Montaigne.

Il nous faut affirmer cette vision d'avenir, cette vision d'homme d'Etat qui a été celle du Président de la République. Dans ces négociations, il a voulu placer la France comme le pays de l'avenir, comme le pays de l'histoire, comme le pays qui veut rassembler le continent européen autour de ses valeurs. C'est cette mission qui est celle de la France. Dans le respect de notre Constitution et de la Ve République : le chef de l'Etat négocie les traités, le Parlement et le peuple peuvent ensemble autoriser la ratification de ces traités.

Les Français auront leur mot à dire. Dans quelques semaines, une réforme constitutionnelle vous sera proposée, avant que le nouveau traité constitutionnel soit soumis à référendum. Dans cette réforme constitutionnelle, comme le Président de la République l'a souhaité, il est prévu qu'après la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie, toute nouvelle adhésion sera sanctionnée par l'adoption d'un traité qui devra obligatoirement être ratifié par la voie référendaire. §

Ainsi, chaque Française et chaque Français conservera son droit d'expression personnelle. Nous ferons vivre les principes de la Ve République, qui inspirent aussi le nouveau traité constitutionnel et parmi lesquels figure le principe selon lequel le peuple est souverain. Sur ce dossier, le peuple aura le dernier mot.

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