Intervention de Serge Vinçon

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Serge VinçonSerge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères :

Ce qui sera décisif, pour la période qui s'ouvre, c'est l'engagement sincère, durable et vérifiable des Turcs en faveur du projet européen et la contribution effective qu'ils y apporteront.

Pour autant, ne nous masquons pas les motifs légitimes d'inquiétude et les interrogations que la perspective de l'adhésion peut susciter.

La première inquiétude tient à ce que seraient demain les frontières de l'Europe au contact de zones aussi instables que l'Irak, l'Iran ou la Syrie. Quelles pourront en être alors les conséquences au sein de l'Union ainsi élargie en matière de politique étrangère ?

La seconde inquiétude tient au risque de voir l'Union confrontée, en son sein, à des conflits - comme la question kurde - qu'elle n'a pas, par elle-même, les moyens politiques de régler.

L'élargissement de l'Union ne peut en effet être porteur de paix que si elle s'appuie sur des convictions et des intérêts partagés.

Qu'en sera-t-il, ensuite, de la capacité de l'Union à intégrer un Etat aussi vaste et peuplé que la Turquie, sans modifier la nature du projet européen ou en ralentir la marche ? Il serait grave en effet que, le moment venu, la Turquie rejoigne une Europe toujours en quête de son identité, où le consensus tient trop souvent à l'imprécision de ses objectifs finals.

Qu'en sera-t-il de la capacité de la Turquie à conduire dans les faits et de façon irréversible les réformes nécessaires, à modifier en profondeur certains aspects de ses institutions, à adapter les repères d'une société encore très traditionnelle, à porter un regard neuf sur certains moments de son histoire ?

Qu'en sera-t-il, enfin, de la capacité de la Turquie à se soumettre aux exigences de respect des peuples à se gérer eux-mêmes ? La question de Chypre, en effet, ne peut être éludée.

Ces interrogations, pour l'essentiel, concernent la Turquie telle qu'elle est aujourd'hui. L'ouverture des négociations, qui vient d'être décidée, est donc un pari sur la Turquie de demain. Gardons-nous donc tout autant de nous précipiter dans le refus que de considérer comme allant de soi le résultat du processus qui s'ouvrira le 3 octobre prochain.

L'Union européenne et la France ont devant elles dès maintenant des défis importants à relever, qui se posent, ou se poseront, quelle que soit d'ailleurs, à terme, l'issue de la négociation qui va s'ouvrir.

Le premier défi concerne les frontières de l'Union, objet d'un débat jamais conclu à ce jour. Il est indispensable de définir précisément et de proposer clairement aux partenaires de la politique de voisinage engagée par l'Union une alternative attractive à l'adhésion, sans nourrir d'ambiguïtés.

Second défi, il faut clarifier le fonctionnement de l'Union et donc ratifier le traité constitutionnel pour donner aux Vingt-cinq, et bientôt aux Vingt-sept, les moyens de consolider et de développer les ambitions du projet européen. §

Il s'agit d'ambitions économiques, pour continuer de créer la croissance nécessaire au partage de la prospérité. Ce partage est l'une des meilleures garanties de la paix et de la stabilité, et rappelons qu'il fut au coeur du projet européen des fondateurs.

Mais il s'agit aussi, et surtout, d'ambitions politiques, qui nous imposent de ne pas renoncer à l'approfondissement sous l'effet des élargissements successifs, et nous imposent aussi, plus que jamais, de renforcer notre convergence sur les terrains décisifs des affaires étrangères et de la défense.

Pendant les dix ou quinze ans au minimum qui nous séparent de l'éventuelle entrée de la Turquie dans l'Union, cette dernière ne doit pas rester inerte et spectatrice. Les Vingt-sept auront la possibilité d'avancer dans bien des domaines, grâce au traité constitutionnel. Certains d'entre eux pourront même, d'une manière ou d'une autre, comme cela s'est déjà fait, décider de progresser ensemble plus vite et plus loin dans certains secteurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion