Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 mars 2019 à 9h00
Proposition de loi portant diverses dispositions relatives aux mentions et signes de la qualité et de l'origine valorisant les produits agricoles ou alimentaires — Proposition de loi tendant à abroger la loi n° 57-1286 du 20 décembre 1957 interdisant la fabrication de vins mousseux autres que la « clairette de die » à l'intérieur de l'aire délimitée ayant droit à cette appellation d'origine contrôlée - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteure :

Comme vient de le rappeler Madame la Présidente, notre exercice est aujourd'hui régi par les termes du gentlemen's agreement.

Nous vous proposons la démarche suivante : après vous avoir présenté le contenu du texte, nous vous exposerons l'orientation de nos travaux que nous affinerons, par voie d'amendement, d'ici à la séance publique du 3 avril. Nous analyserons ensuite en commission les amendements dont la discussion a reçu l'accord du groupe ayant demandé l'inscription à l'ordre du jour de la séance.

Les deux propositions de loi de Marie-Pierre Monier et de Gilbert Bouchet ont un objet commun : rétablir un certain nombre d'articles adoptés par le Parlement dans la loi EGALIM, puis censurés par le Conseil constitutionnel faute d'un lien, même indirect, avec le texte initial du Gouvernement.

Lorsque nous rapportions cette loi en première lecture, Michel Raison et moi-même avions déploré l'adoption de ces très nombreux articles, qui avaient transformé une loi « agricole » en une loi « alimentaire ». De fait, le débat sur la question du revenu des agriculteurs s'est déporté vers un débat plus global relatif à l'alimentation ; les discussions ont donné le sentiment aux agriculteurs qu'ils étaient les « oubliés » de leur propre projet de loi.

D'un point de vue juridique, le Conseil constitutionnel a censuré vingt-trois articles. S'ils ne faisaient pas tous l'objet d'un consensus partagé entre l'Assemblée nationale et le Sénat, certains d'entre eux résultaient d'un travail approfondi et répondaient à des attentes tout à fait légitimes et justifiées.

La proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre Monier reprend l'esprit de quatre de ces articles. L'article 1er vise de nouveau à autoriser l'étiquetage de certains fromages fermiers même s'ils ont été affinés en dehors de la ferme, pratique répandue qui ne peut plus être valorisée depuis un arrêt du Conseil d'État de 2015. L'article 2 tend à abroger la loi de 1957 qui empêche les vignerons du Diois de produire autre chose que de la Clairette de Die, notamment des vins mousseux effervescents. L'article 3 a pour objet de renforcer la transparence des étiquetages des mélanges de miels, constitués de miels originaires de pays tiers. Enfin, l'article 4 vise à lutter contre les pratiques trompeuses constatées sur certains étiquetages des vins, laissant penser que des vins sont français, alors qu'ils sont espagnols.

Je précise que l'article unique de la proposition de loi de Gilbert Bouchet est en tout point identique à l'article 2 de la proposition de loi de Mme Monier, ce qui permet un examen commun des deux textes.

D'autres articles censurés mériteraient d'être repris : je pense notamment à l'obligation de déclaration de récolte ou au dispositif de compromis proposé par le Sénat afin de faciliter la commercialisation de certaines semences dans le respect des règles sanitaires. J'espère que prochainement une proposition de loi sera déposée sur ces sujets.

Ces deux propositions de loi sont un premier pas important. Permettez-moi ainsi de remercier la démarche et l'initiative de nos deux collègues.

Avec Henri Cabanel, nous avons travaillé de concert sur ces deux propositions de loi et avons procédé à huit auditions sur tous les articles concernés.

S'agissant de l'article 1er sur les fromages fermiers, il est important de rappeler le contexte. L'article 9-1 du décret du 27 avril 2007 encadrant l'étiquetage des fromages précise que la mention « fromage fermier » ou « tout autre qualificatif laissant entendre une origine fermière » est réservée à un fromage fabriqué sous deux conditions : d'abord, le fromage doit être fabriqué selon des techniques traditionnelles ; ensuite, le producteur doit traiter exclusivement les laits de sa propre exploitation sur le lieu même de celle-ci. Il est donc exclu qu'un industriel puisse étiqueter un produit « fromager fermier », car il ne remplit de fait aucune de ces deux conditions.

Le décret prévoyait une dérogation pour certains petits producteurs qui ne pouvaient pas affiner chez eux ou pour certaines coopératives, à condition que l'étiquetage soit complété d'une mention obligatoire précisant que l'affinage avait été réalisé en dehors de l'exploitation agricole, et spécifiant le nom de l'affineur. En avril 2015, le Conseil d'État a censuré cette disposition. Pour que cette pratique d'affinage continue de s'appliquer, il faut donc qu'elle soit élevée au niveau de la loi.

Lors des débats sur la loi EGALIM, les deux assemblées s'étaient entendues sur une rédaction qui permettait à tous les fromages fermiers, dont le processus d'affinage était réalisé en dehors de la ferme en totale conformité avec les usages traditionnels, de bénéficier de la mention « fromage fermier ». Cette disposition permettait d'écarter le dévoiement de cette mention par l'industrie. En outre, l'information des consommateurs devait être assurée par le rappel explicite du fait que l'affinage avait bien été réalisé à l'extérieur de la ferme. Il était prévu que le pouvoir réglementaire précise les conditions de cet affichage. Cette rédaction consensuelle permettait de revenir à la situation qui prévalait avant 2015.

L'article 1er retient toutefois une rédaction différente, puisqu'il réserve la mention « fromage fermier » aux seuls fromages sous signes d'identification de la qualité et de l'origine, ou SIQO. Ce dispositif revient à exclure certains petits producteurs, qui ne pourront pas valoriser leurs produits. En outre, elle crée une différence de traitement entre les producteurs. Pour les produits sous appellation d'origine contrôlée - AOC -, ou sous indication géographique protégée - IGP -, le cahier des charges encadre déjà les pratiques d'affinage. En revanche, pourquoi les producteurs de fromage bio auraient-ils le droit, contrairement aux autres, d'afficher la mention « fromage fermier » en cas d'affinage hors de la ferme ? Enfin, la rédaction supprime la référence aux « méthodes traditionnelles », qui était pourtant le seul moyen d'éviter que les industriels ne dévoient cette appellation.

Ce débat, nous l'aurons en séance publique. D'ici là, je pense qu'il serait préférable de revenir à la rédaction consensuelle issue de nos débats sur la loi EGALIM.

L'article 3 concerne l'étiquetage du miel. Comme vous le savez, il est possible aujourd'hui de n'afficher sur l'étiquette d'un mélange de miels que la mention « miels originaires de l'Union européenne », « miels non originaires de l'Union européenne » ou « miels originaires et non originaires de l'Union européenne ». Cette rédaction résulte d'une directive européenne de 2001, transposée dans le droit français au niveau réglementaire.

La situation est insatisfaisante au regard de l'information due au consommateur. Comment justifier qu'un miel constitué à 98 % de miel chinois ou hongrois soit étiqueté de la même manière qu'un miel composé à 98 % de miel français ? Dans un contexte où la production de miel en France a été divisée par deux en quinze ans, cela n'est plus tenable. C'est pourquoi l'article 3 rétablit l'obligation d'afficher l'ensemble des pays d'origine des miels contenus dans le pot. C'est un minimum.

La position du Sénat lors des débats sur la loi EGALIM était d'aller plus loin et de déclencher une négociation européenne pour favoriser l'affichage de la liste des pays d'origine par ordre décroissant d'importance. Le consommateur pourrait ainsi mieux distinguer le mélange provenant majoritairement d'un pays d'un autre mélange, sans pour autant que la mesure constitue un surcoût exorbitant pour les conditionneurs de miel. Cette position nous tenait à coeur, tant elle apparaissait plus opérationnelle et équilibrée.

Toutefois, de nouveaux éléments ont changé la donne depuis la promulgation de la loi EGALIM.

D'une part, les instances européennes nous ont indiqué qu'il faudrait modifier la directive de 2001 pour imposer un affichage de l'ordre décroissant des pays d'origine, mais pas pour tous les pays, dans la mesure où l'affichage « miel UE/hors UE » est une faculté laissée à chaque État membre. La France a en quelque sorte surtransposé cette directive au détriment de la bonne information de ses consommateurs.

La solution consistant à afficher les pays d'origine des miels, sans les classer par ordre d'importance, apparaît comme la solution juridique la plus fiable à très court terme ; elle devra cependant s'accompagner d'une négociation européenne pour que l'information soit à l'avenir plus complète : affichage des pays par ordre décroissant d'importance et, pourquoi pas, pourcentage que représente chaque miel dans le mélange final et affichage des noms complets des pays, le sigle « RPC » étant obscure pour les consommateurs. Aussi, il me semble essentiel d'interpeler le ministre sur la nécessité d'obtenir davantage au niveau européen.

D'autre part, la nouvelle interprofession du miel soutient l'affichage des pays d'origine, peu importe leur ordre d'importance. Je rappelle que cet accord doit être unanime au sein de l'interprofession, ce qui n'était pas acquis lors des débats sur la loi EGALIM.

Dès lors, je vous propose de conserver la rédaction de cet article, à la demande de l'interprofession apicole et dans un souci de sécurité juridique. Cela permettra de changer les étiquetages rapidement sans nécessiter de négocier au niveau européen. Je vous propose ensuite d'interpeler le ministre en séance publique afin que nous obtenions des engagements pour aller plus loin.

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