Intervention de Hubert Haenel

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Hubert HaenelHubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne :

A partir de là, c'est la deuxième condition qui devient déterminante. La Turquie est-elle sur la bonne voie ? S'est-elle assez rapprochée des critères d'adhésion pour que l'on puisse espérer qu'elle les remplisse intégralement un jour ?

Là également, le jugement de l'Union n'est pas quelque chose d'arbitraire. C'est la Commission européenne, gardienne de l'intérêt général au sein de l'Union, qui doit donner au Conseil européen la base de son jugement. Et nul dans cette enceinte ne peut dire que, concernant la Turquie, la Commission européenne a pris son travail à la légère !

Or, la conclusion de la Commission a été claire : la Turquie ne remplit pas aujourd'hui les critères d'adhésion, mais elle s'en est suffisamment rapprochée pour permettre l'ouverture de négociations d'adhésion.

A partir de là, ce que nous devons toujours garder à l'esprit, c'est que tout reste ouvert. Comme le disait le philosophe Alain, quand le mariage est fait, il est à faire. Nous n'en sommes même pas là : nous n'en sommes qu'aux fiançailles ; tout est à faire, et rien n'est acquis.

Ne laissons pas croire - ce ne serait bon ni pour l'Union ni pour la Turquie - que les négociations d'adhésion sont une sorte de toboggan, d'où l'on sort membre de l'Union par simple effet de gravitation.

Ne laissons pas croire non plus que, quand on parle de « négociations d'adhésion », cela signifie qu'on peut négocier les conditions de l'adhésion. En réalité, les négociations d'adhésion sont la vérification en commun que les conditions d'adhésion sont remplies. Dans le cas contraire, il ne peut y avoir d'adhésion.

Et cette vérification en commun s'effectuera - comme vient de le dire M. le Premier ministre - chapitre par chapitre, à l'unanimité des Etats membres. On peut tout de même penser que lorsque vingt-cinq ou vingt-huit Etats membres, sur proposition de la Commission, jugeront qu'un chapitre doit être clos, ce sera parce qu'il méritera de l'être ! Naturellement, dans notre pays, la confiance dans ce processus ne pourra qu'être accrue si les deux assemblées sont informées et associées de manière appropriée et régulière.

En tout état de cause, si l'on regarde de plus près les conclusions du Conseil européen, on voit que les garde-fous sont nombreux et que les difficultés ne sont pas sous-estimées. Le Conseil européen affirme que « les négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance » ; il précise que « de longues périodes transitoires, des dérogations, des arrangements spécifiques ou des clauses de sauvegarde permanente pourront être envisagés » ; il précise également que les négociations « ne sauraient être conclues qu'après l'établissement du cadre financier pour la période débutant en 2014 et les réformes financières qui pourraient en découler ».

Le Conseil européen s'est donc entouré des précautions nécessaires.

Supposons que tout tourne bien. Après la conclusion des négociations, l'adhésion supposera une décision unanime du Conseil européen, puis l'accord du Parlement européen et, enfin, l'accord de chaque Etat membre, soit par la voie parlementaire, soit par la voie du référendum. Selon toute vraisemblance, l'Union comptera alors vingt-huit Etats membres. Qui peut sérieusement prétendre que tout cela n'est rien et que tout est déjà joué ?

Puisque les inquiétudes des opinions publiques ont été prises en compte, puisque les garanties sont là, le moment est venu pour l'Union et la Turquie de se tourner davantage l'une vers l'autre. Dans les dix ans à venir, il faudra vaincre l'ignorance réciproque. Les peuples de l'Union devront mieux comprendre et mieux connaître les efforts de la Turquie et l'apport qu'elle pourrait constituer pour l'Europe ; le peuple turc devra mieux mesurer tout ce qu'implique l'appartenance à l'Union et montrer qu'il est prêt à accepter toutes les disciplines qu'impose cette appartenance. La convergence nécessaire se fera-t-elle ? Nul ne peut le dire aujourd'hui, ni dans un sens ni dans l'autre.

Si nous devions nous prononcer aujourd'hui, dans les conditions actuelles, il nous faudrait dire : non, la Turquie n'est pas prête à adhérer à l'Union ; non, l'Union n'est pas prête à accueillir la Turquie. Mais ce n'est pas la question qui se pose à nous en ce moment.

Aujourd'hui, la question est de savoir si l'Europe se conçoit comme un club de pays vieillissants qui regardent l'avenir dans un rétroviseur, un club de pays qui a peur de l'avenir, un club de pays frileux qui ont peur des autres parce qu'ils n'ont plus confiance en eux et qui sont pressés de sortir de l'histoire, ou bien si l'Europe se conçoit comme un acteur du monde globalisé, capable de se lancer de grands défis.

Or, je crois que la leçon de cinquante ans de construction européenne, c'est que l'Europe a un sens par les défis qu'elle se donne. On a oublié aujourd'hui le scepticisme qui entourait la création du Marché commun, comme les doutes qui avaient été émis sur le succès de l'Union monétaire. En réalité, la construction européenne n'a cessé de mener à bien des entreprises souvent jugées hors d'atteinte. Qui pensait que l'élargissement à l'Est serait aussi rapidement mené à bien et qu'il n'empêcherait pas l'Europe de se doter d'une Constitution ?

L'ouverture vers la Turquie est, à nouveau, une grande et périlleuse entreprise. Mais imaginons un instant que ce soit un succès : non seulement le gain pour l'Europe serait évident, sur le plan de l'économie comme sur le plan de la puissance, mais l'impact sur le voisinage de l'Union serait considérable.

L'ouverture des négociations avec la Turquie est, certes, un redoutable défi pour l'Europe. Parviendra-t-elle à le relever ? Cela vaut la peine d'essayer !

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