Nous examinons ce matin une proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Férat, visant à protéger les drapeaux des associations d'anciens combattants, notamment en en interdisant le commerce. Cosigné par un grand nombre de collègues de différents groupes, ce texte illustre le consensus qui règne au Sénat sur la question de la mémoire, en particulier de la mémoire combattante.
Alors que la première génération du feu, celle de la Première Guerre mondiale, a disparu et que s'éteignent progressivement les anciens combattants de la deuxième et même de la troisième génération, qui ont combattu durant la Seconde Guerre mondiale, en Indochine et en Afrique du Nord, la question de la transmission de la mémoire aux jeunes générations apparaît plus que jamais d'actualité.
Chacun ici le sait pour le vivre sur son territoire, les associations d'anciens combattants jouent un rôle essentiel dans la politique mémorielle, en assurant régulièrement les commémorations patriotiques qui rythment la vie de nos communes.
Compte tenu de l'âge de leurs membres, ces associations ont malheureusement aujourd'hui tendance à disparaître. Il arrive donc que leurs drapeaux soient oubliés, délaissés dans une cave ou un grenier. Il arrive également qu'ils soient mis en vente, par exemple par les héritiers d'un ancien combattant, que ce soit sur internet ou à l'occasion de vide-greniers ou de brocantes, ce qui peut choquer.
Le drapeau tricolore, que l'article 2 de la Constitution établit comme emblème national, fait, depuis une date relativement récente, l'objet d'une protection juridique. L'outrage au drapeau constitue ainsi, selon les circonstances dans lesquelles il est commis, une contravention ou un délit, dont la punition peut aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Toutefois, cette protection concerne le symbole que le drapeau représente et non l'objet lui-même, qui est du point de vue du droit un bien matériel.
Les drapeaux appartenant ou ayant appartenu à des associations d'anciens combattants ne font pas exception, malgré leur dimension patriotique et symbolique. Au demeurant, ils sont librement acquis dans le commerce par ces associations. Par ailleurs, les acheteurs de ces drapeaux ne sont pas nécessairement mal intentionnés. Il s'agit souvent de collectionneurs passionnés d'histoire qui entendent traiter ces objets avec respect.
Pour autant, aux yeux de certains de nos compatriotes, assimiler les drapeaux d'associations d'anciens combattants à des antiquités ordinaires conduit à nier leur dimension symbolique. Alors que le souvenir des grands conflits du passé tend à s'estomper, le commerce de ces drapeaux est mal vécu par les anciens combattants, qui y voient un manque de considération de la société pour les services qu'ils ont rendus à la Nation et qui craignent que le souvenir qu'ils entretiennent au moyen de ces drapeaux ne tombe dans l'oubli.
Face à ce constat, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité garantir une protection des drapeaux appartenant ou ayant appartenu à des associations d'anciens combattants.
Cette proposition de loi comporte un article unique, qui contient deux séries de dispositions. Elle prévoit premièrement que, en cas de disparition de la personne ou de l'association conservant des drapeaux, ceux-ci devront être remis soit à une autre association soit à la commune pour être, le cas échéant, confiés à un établissement scolaire. Deuxièmement, elle prévoit une interdiction de vendre ou de céder gratuitement tout drapeau d'une association d'anciens combattants, sous peine d'une amende de 1 500 euros.
La rédaction actuelle pose toutefois un certain nombre de difficultés.
Premièrement, la proposition de loi ne faire guère de distinction entre deux cas de figure pourtant différents. Dans le cas où un drapeau appartient à une association d'anciens combattants, l'interdiction proposée est superfétatoire. En effet, on ne peut vendre que ce dont on est légalement propriétaire. À l'inverse, dans le cas d'un drapeau oublié et retrouvé dans un grenier, qui semble être le cas visé par les auteurs du texte, l'interdiction proposée constituerait une remise en cause de la propriété, dont la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précise que c'est un droit « inviolable et sacré ». En effet, conformément au principe de prescription acquisitive posé par le code civil, le possesseur d'un bien qui n'a pas été réclamé pendant trois ans en devient légalement propriétaire, ce qui implique de pouvoir en disposer à sa guise.
Créer une exception pour les drapeaux d'associations d'anciens combattants constituerait un précédent sur lequel il convient de s'interroger. En effet, des objets ayant une valeur symbolique, culturelle, historique ou même cultuelle forte sont régulièrement mis en vente dans des brocantes, sur internet ou par des maisons spécialisées. C'est le cas des uniformes ou décorations militaires, qui peuvent être vendus et achetés, à condition de ne pas être portés indument.
Enfin, l'amende proposée de 1 500 euros, qui relève au demeurant du domaine réglementaire, conduirait à punir avec la même sévérité l'héritier d'un drapeau ou le collectionneur respectueux et celui qui brulerait publiquement un drapeau tricolore.
Face à ces difficultés juridiques, je vous proposerai un amendement permettant d'atteindre, au moins partiellement, l'objectif des auteurs de la proposition de loi. Il tend non pas à interdire la vente par le propriétaire légitime, ce qui serait contraire à la Constitution, mais à permettre aux associations d'obtenir la restitution des drapeaux leur ayant appartenu et qui se retrouveraient entre les mains de particuliers. Il faut pour cela prévoir une exception au régime juridique de la prescription acquisitive et inscrire dans le droit que le drapeau portant les insignes d'une association d'anciens combattants est présumé, sauf preuve du contraire, appartenir à cette association. Cet amendement vise également à permettre à une association de récupérer gratuitement tout drapeau lui appartenant qui aurait été vendu à un particulier, là où le droit civil prévoit en principe que le propriétaire originaire doit racheter son bien. Enfin, il tend à conserver la disposition aux termes de laquelle les drapeaux des associations d'anciens combattants sont transférés gratuitement à la commune en cas de dissolution, sauf si les statuts de l'association ou une décision de son assemblée générale en disposent autrement. La commune pourra alors confier les drapeaux en question, par exemple à un établissement scolaire, afin d'en assurer la conservation.
En cohérence, je vous proposerai un second amendement tendant à modifier l'intitulé de la proposition de loi.
Lors de nos auditions, il nous a été indiqué que Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, a réuni un groupe de travail sur cette question notamment. Ses conclusions, qu'il doit rendre avant l'été, permettront d'éclairer la suite de la navette parlementaire, sachant que les associations ne sont pas toutes d'accord sur cette question.