Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement suite

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Pour nous Européens, le mot « paix » est extraordinairement chargé de sens, car notre mémoire collective a été profondément marquée par les guerres absurdes qui ont endeuillé notre continent. Tous les citoyens de l'Union connaissent la profondeur de ce mot, car il incarne leur première exigence.

Dès l'origine, la paix a constitué le ciment essentiel entre les membres de la Communauté, puis de l'Union européenne. Elle est aujourd'hui l'acquis essentiel. Communauté de paix entre les pays voisins dont le destin semblait la guerre, règle de vie à l'intérieur des pays membres dans le respect des minorités : la Turquie respecte-t-elle ces objectifs de paix ?

En 1974, la Turquie n'a pas choisi un mode d'intervention pacifique, une médiation, un arbitrage, pour protéger ses ressortissants au nord de Chypre ; elle a préféré la guerre, et ses troupes occupent encore la zone.

En 2004, avant le Conseil européen, la Turquie aurait dû reconnaître spontanément Chypre en signe de paix et de bonne volonté, au lieu que cette reconnaissance se fasse a minima, c'est-à-dire mécaniquement, via l'élargissement de l'accord d'Ankara aux dix nouveaux Etats membres. Du reste, je rappelle que, durant le Conseil européen, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, n'a promis qu'« une attitude positive » sur la reconnaissance de Chypre, tout en refusant de parapher le protocole additionnel au traité d'union douanière !

Cette attitude démontre pour le moins les réticences de la Turquie à respecter les règles de l'Union.

Pour ce qui est des droits des minorités, la Turquie a du mal à les accorder à sa minorité kurde. Chacun a présents à l'esprit les emprisonnements pour utilisation de la langue kurde, les villages kurdes rasés et les dizaines de milliers de morts, les victimes étant de part et d'autre, certes, mais pas dans les mêmes proportions.

De plus, personne ne peut exclure la possibilité d'un éclatement de l'Irak dans les années à venir et la création d'un Kurdistan indépendant ; dans cette hypothèse, la Turquie serait conduite à réagir et à intervenir militairement. Elle a déjà fait savoir qu'elle ne laisserait pas les Kurdes d'Irak constituer un Etat. L'Union européenne veut-elle être entraînée dans un tel conflit ?

Il apparaît que cette relation s'inscrit à marche forcée des deux côtés. En réalité, ces négociations ne sont-elles pas un marché de dupes ?

D'une part, les Turcs sont évidemment attirés par le niveau de vie européen et par la démocratie, comme l'attestent les 80% de personnes favorables à l'entrée dans l'Union, mais l'ouverture des négociations n'a pas engendré d'euphorie en Turquie. En effet, les valeurs profondes de la Turquie sont heurtées par les critères européens. Je citerai l'adoption récente d'une disposition législative relative à l'adultère féminin, condamnée par l'Union, et finalement retirée par les Turcs. Cette proposition initiale marquait pourtant bien une pulsion exprimée par le Parlement turc.

Rappelons-nous aussi que la Turquie, qui préside cette année l'Organisation de la conférence islamique, a laissé passer une motion, lors de son sommet de juin, critiquant l'ingérence sous prétexte de l'universalité des droits de l'homme et dénonçant « la condamnation par l'Union européenne de la peine de lapidation ».

D'autre part, nous, les Européens, nous nous laissons entraîner vers cet élargissement comme s'il était inéluctable. Nous subissons la pression de la Turquie, qui argue qu'un refus démontrerait notre hostilité à l'égard d'un pays musulman et prouverait que l'Union est un club de pays chrétiens.

La grande majorité de nos concitoyens veulent une Europe politique capable de faire contrepoids à la puissance américaine et d'exporter dans le monde entier nos valeurs humanistes.

Je n'insisterai pas sur les injonctions du président Bush, qui nous pousse à accepter la Turquie dans l'Union, mais peut-on imaginer qu'elles soient innocentes ?

Madame la ministre, monsieur le ministre, le partenariat avec ce grand pays, qui a fait de réels progrès vers la démocratie, n'est-il pas préférable ? Car pouvez-vous nous affirmer qu'ouvrir ces négociations avec la Turquie ne fait pas peser une menace réelle sur la naissance d'une Europe politique dans les années qui viennent ?

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