Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement suite

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

...alors que nous étions dans nos départements. Une telle attitude montre que vous redoutez le débat. Peut-être même craignez-vous le sentiment populaire, qui est majoritairement opposé à l'adhésion de la Turquie.

Pourquoi la Turquie n'a-t-elle pas vocation à intégrer l'Union européenne ? Son adhésion est un non-sens à plusieurs égards.

C'est d'abord un non-sens géopolitique. D'un point de vue géographique, la Turquie n'est européenne que pour 5 % de son territoire. Elle n'est pas plus européenne sur le plan historique : il ne suffit pas qu'un pays en ait colonisé d'autres pour être assimilé aux continents sur lesquels se trouvaient ses colonies. A ce compte-là, la France serait africaine ou asiatique, voire américaine !

Le poids de la Turquie est considérable : elle est la première puissance militaire d'Europe ; elle est aussi la première puissance démographique. Avec la nouvelle architecture constitutionnelle, elle sera un décideur de premier rang.

L'entrée de la Turquie projettera l'Europe dans la zone la plus conflictuelle au monde, puisqu'elle aura alors des frontières avec l'Iran et l'Irak. Chacun sait ici que la Turquie est aujourd'hui fâchée avec pratiquement tous ses voisins.

C'est ensuite un non-sens budgétaire. Le coût de l'intégration s'élèvera à au moins 25 milliards d'euros. Dans le même temps, le Président de la République a enjoint le président de la Commission de ne pas dépasser 1 % du PIB de l'Europe, afin de limiter les dépenses de l'Union européenne.

On ne peut à la fois vouloir l'adhésion de la Turquie et en refuser les conséquences. C'est totalement incohérent ! L'adhésion de la Turquie vous obligera à admettre la création d'un nouvel impôt européen.

C'est enfin un non-sens en matière de droits de l'homme. Je me contenterai de citer l'excellent rapport de la Commission : plus de la moitié des femmes turques subissent, aujourd'hui encore, des formes de violence physique et psychologique dans leur environnement familial.

Pour justifier cette adhésion, le raisonnement tenu est le suivant. : il faut faire attention au choc des civilisations, syndrome décrit par Samuel P. Huntington, et préparer impérativement une forme d'occidentalisation du Moyen-Orient, en tout cas du monde islamique.

Cette affirmation suscite deux questions. : la laïcité est-elle contagieuse ? L'Islam est-il soluble dans la démocratie laïque ?

La réponse à la première question est négative. Depuis 1924, la Turquie est laïque. Cela a-t-il eu un effet de contagion sur le monde musulman ? Bien sûr que non !

La réponse à la seconde question est également négative. L'Etat turc est sans doute un Etat laïc ; ses élites sont sans doute profondément marquées par la culture laïque. Pour autant, la société turque n'est pas une société laïque.

Tout à l'heure, l'Europe a été comparée à un club chrétien. Il y a belle lurette, mes chers collègues, vous en conviendrez, que l'Europe n'est plus un club chrétien ! En revanche, la Turquie est un club musulman.

Il n'est qu'à voir ce que deviennent en Turquie les minorités religieuses !

Il n'est qu'à voir les hauts fonctionnaires qui souhaitent accéder au premier rang des fonctions politiques ou militaires : il faut qu'ils soient musulmans !

Il n'est qu'à voir les 70 % de femmes qui, en Turquie, portent le voile !

Aujourd'hui encore, la Turquie fait partie de l'Organisation internationale des Etats islamiques ! Il faut se méfier et faire la distinction entre un Etat qui se définit comme laïc et une société qui, en profondeur, est travaillée par un mouvement qui n'a rien de laïc, mais est vraisemblablement islamique.

Que s'est-il passé à Bruxelles au cours du Conseil européen ? Nous avons tout lieu d'être très inquiets.

Nous avons d'abord vu M. Erdogan omniprésent, tirant les ficelles dans l'ombre, disposant en temps réel du compte rendu des négociations et maniant habilement à la fois le chantage, la rodomontade ou encore la menace. Que se passera-t-il si, demain, ce partenaire ombrageux est membre de l'Union européenne ?

Nous avons également vu l'incapacité de l'Europe à résister, à protéger ses propres membres, c'est-à-dire Chypre, qui est aujourd'hui occupée par la Turquie. L'Europe n'a obtenu ni une reconnaissance formelle ni une reconnaissance directe : il est simplement question d'une adaptation de l'accord d'Ankara. La belle affaire !

Aujourd'hui, le pilotage de l'élargissement ne se fait pas à Bruxelles : il se fait à l'OTAN ; il se fait aux Etats-Unis.

En réalité, monsieur le ministre, l'adhésion de la Turquie est déjà jouée. La dramatisation à laquelle nous avons assisté nous laisse imaginer celle à laquelle nous aurons droit dans dix ans. Comment dire non dans dix ans ? Ce ne sera plus possible ! Vous cherchez tout simplement à rendre irréversible l'adhésion de la Turquie. Ce faisant, vous prenez un risque majeur, celui de la confusion. En effet, les Français, qui ne seront consultés que tardivement, risquent d'utiliser le premier référendum comme un moyen d'expression de leur opposition à l'adhésion de la Turquie.

La Constitution européenne et l'adhésion de la Turquie sont liées. Bien sûr, M. Erdogan a cosigné l'acte final du traité constitutionnel de l'Union européenne, mais cette architecture va placer le pays le moins européen d'Europe en situation d'arbitre.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, il faut dire non à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

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