Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement suite

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, les déclarations de Jacques Chirac, Président de la République, n'ont pas caché les efforts considérables que la Turquie avait à accomplir en vue d'une éventuelle adhésion à l'Union européenne.

Les questions capitales ont été soulevées par le Président de la République lui-même : la contribution à la paix de la Turquie, la volonté de créer de meilleures conditions d'un développement économique et social, le renforcement de l'enracinement de la démocratie, des droits de l'homme et des libertés.

S'agissant de la paix, la volonté des dirigeants turcs ne saurait être mise en doute. La question dépend du contexte géostratégique et, singulièrement, de la possibilité pour la Turquie de jouer un rôle efficace dans la stabilisation des conflits du Moyen et du Proche Orient, et, plus généralement, de sa capacité à favoriser un découplage du terrorisme et du fondamentalisme islamique.

Autrement dit, la Turquie est-elle en mesure de jouer un rôle de leadership pacificateur du monde musulman ?

On peut en douter si l'on accorde du crédit aux propos du président libyen Mouamar Kadhafi, qui a déclaré, le 16 décembre 2004, dans le quotidien italien La Republica, que l'entrée de la Turquie dans l'Europe était le cheval de Troie des extrémistes, jusqu'à ben Laden.

Que pensent pour leur part nos partenaires privilégiés du Maghreb de cette perspective d'entrée de la Turquie, alors qu'eux-mêmes resteraient non adhérents de l'Union ? Y a-t-il, dans de telles conditions, une réelle perspective de paix ou, au contraire, une source supplémentaire de déstabilisation dans cette situation paradoxale pour la France, compte tenu de ses liens historiques privilégiés avec ces pays ?

J'en viens à la volonté de créer de meilleures conditions de développement économique et social, autre axe évoqué par Jacques Chirac dans son interview télévisée.

Cet espoir n'est-il pas vain, alors que nous luttons déjà avec difficulté pour la résorption de notre propre fracture sociale grâce à la loi de programmation pour la cohésion sociale ? Le fossé qui sépare les niveaux de salaires en Turquie et en France me rend, personnellement, très dubitatif.

L'idée de l'entrée de la Turquie n'est-elle pas une forme de fiction institutionnelle qui pourrait aggraver notre situation économique et sociale ? Une attitude de prudence serait préférable à la fuite en avant qui semble prévaloir au sein de l'Union aujourd'hui.

Reste le problème du renforcement de la démocratie, des droits de l'homme et des libertés. Cette question ne peut recevoir qu'une réponse dubitative. Il est vrai que Atatürk a tenté une perfusion de notre culture politique fondée sur la laïcité au sein des institutions turques. Mais le succès est-il définitivement assuré ? Car cette tentative date d'une époque très différente de la nôtre. La République turque a été instaurée contre le régime du sultanat et du califat. Aujourd'hui, le régime parlementaire turc est confronté à une difficulté de nature tout à fait différente de celle que Mustapha Kemal Pasha maîtrisa le 29 octobre 1923 en proclamant la République turque.

A l'heure actuelle, l'interrogation existentielle d'inspiration religieuse rebondit en Turquie, alors que la spéculation financière domine la mondialisation de l'économie en bouleversant l'identité des peuples ainsi que la dignité humaine.

La solution dépend de la capacité de résistance des régimes tels que les nôtres, dont la laïcité repose sur des soubassements culturels et religieux très structurés, issus principalement de l'hellénisme et du christianisme. Il y a à ce sujet une incertitude majeure face à la volonté de la Turquie d'adhérer à l'Union européenne.

En admettant, ce que je crois, que les dirigeants turcs veuillent trouver dans l'adhésion à l'Union européenne une protection contre l'intégrisme, l'Europe a-t-elle aujourd'hui la capacité et la force intellectuelle et spirituelle de fournir à la Turquie cette garantie de civilisation, alors que rien ne le laisse véritablement pressentir ?

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