Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement suite

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

A cet égard, la valorisation de ce que représente la communauté des immigrés turcs et son désenclavement sur notre territoire doivent devenir un aspect particulier de la responsabilité française.

Tous ces détours nous ramènent, au fond, aux seules questions qui vaillent pour ce début de xxie siècle : quelle est la nature de l'Europe que nous voulons et quelle doit être sa place dans un monde multipolaire de paix et de stabilité ?

A nos concitoyens qui en doutent largement encore et auxquels reviendra le dernier mot, nous devons expliquer sans relâche qu'il est bon pour nous tous que les frontières de l'Union intègrent la Turquie. Et cela pas seulement à partir d'un regard sur le passé ou d'une analyse de la situation actuelle. Il faut essayer de voir ce que seront et l'Europe et la Turquie dans une quinzaine d'années.

La perspective de l'adhésion de la Turquie nous interpelle fortement eu égard au projet européen. La capacité de ce pays à se moderniser dans le cadre de l'Union constitue potentiellement une façon d'équilibrer les économies, de repenser territorialement le continent, de mieux réguler les phénomènes de délocalisation, de gérer intelligemment les flux de migrations et de marchandises. Le dynamisme démographique des Turcs n'est pas non plus une menace pour nous : c'est une ressource à long terme dans un continent qui vieillit.

L'invention par notre continent d'une façon pacifique et démocratique de brasser les populations représente ainsi le plus formidable défi d'une mondialisation solidaire réussie. Les peuples du monde entier sont attentifs à l'évolution de ce modèle en construction.

La capacité de l'Union à porter un projet de « vivre ensemble » dans lequel cohabitent sereinement des croyances ou des non-croyances différentes constitue certainement pour l'avenir un puissant démenti aux prophètes de la « guerre des civilisations ». Il faut donc cesser d'attiser les peurs, qui témoignent au fond de nos propres problèmes d'identité. Il est temps de susciter la confiance.

Géopolitiquement, par exemple, il ne faut pas laisser sans réponse cet argument que l'intégration de la Turquie à l'Union multiplierait les risques d'affrontement en rapprochant nos frontières d'un Moyen-Orient traversé par les conflits et par la guerre.

C'est l'inverse qui est vrai : on renforcerait cette menace en considérant la Turquie comme une sorte d'Etat tampon, une sorte de marche aux portes de l'Europe, qui deviendrait alors l'enjeu de tous les affrontements ; l'histoire nous le démontre.

On augmenterait les facteurs d'instabilité en laissant aux Etats-Unis le dangereux monopole d'une présence stratégique dans la région et en étendant de fait à la Turquie le possible champ d'action de la déstabilisation terroriste.

La seule politique de paix réaliste et efficace réside non pas dans une contraction volontaire des frontières de l'Europe, mais dans une implication plus grande de celle-ci s'agissant de la Turquie, dans un effort pour la paix, dans la relance d'une capacité de négociation, qui fait si cruellement défaut dans cette région à l'heure actuelle.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je fais partie de celles et de ceux qui auraient préféré, voilà quelques années, que l'on privilégie l'approfondissement à l'élargissement. Nos démocraties, et en leur sein certains de ceux qui curieusement, aujourd'hui, demandent une pause, ne l'ont pas entendu ainsi.

La réalité des faits nous impose donc de mener, à partir des mois à venir et pour les vingt prochaines années, la bataille sur les deux fronts. Elle nous incite à plus d'Europe, et non à moins, à plus de lucidité, à plus de créativité, à plus de générosité.

Nous sommes les garants, en France, d'un débat démocratique de qualité. Nous devons veiller à ce que l'évaluation des avancées et des obstacles s'effectue dans la transparence et non dans la propagande et la déformation des faits.

C'est à ce prix que nous pourrons nous hisser à la hauteur des défis et des enjeux et donner du sens et de l'élan à l'engagement de plusieurs générations d'Européens.

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