Intervention de Jacques Baudot

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement suite

Photo de Jacques BaudotJacques Baudot :

Je rappelle qu'il n'hésitait pas, voilà peu de temps - il était pourtant considéré comme un islamiste modéré - à citer l'un des pères du nationalisme turc : « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes, les croyants nos soldats ».

Ce n'est pas la Turquie qu'il faut rejeter. Même si l'on me dit qu'il ne faut pas pratiquer l'amalgame entre le débat sur la Turquie et la ratification de la Constitution européenne, je me demande si ce n'est pas la Constitution européenne qu'il faut changer. Osons poser la question dans l'autre sens ! Le drame est que l'Europe du traité constitutionnel est condamnée à l'adhésion ou à l'exclusion.

L'Europe ne rencontre que des inconvénients s'agissant de la Turquie : ou bien elle rejette la Turquie et elle se brouille avec elle, ou bien elle l'accueille mais elle se brouille avec elle-même.

Avec l'entrée de la Turquie et, à terme, avec celle d'autres pays, l'Europe va changer de visage. L'Union européenne risque de ne pas encaisser le choc. Qui peut imaginer que la population turque, surtout celle de l'Est - pas celle d'Istanbul, que tout le monde connaît - adhère avec sincérité au modèle que les politiques occidentaux auront imposé autoritairement ? Si ce moule rigide ne peut convenir au peuple turc, je suis convaincu qu'il ne peut en l'état convenir aux autres nations.

C'est dans cet esprit qu'en Européen convaincu, à titre personnel et fidèle à mes convictions, je défends le principe confédéral cher au général de Gaulle, qui permet à chacun, sans abandon de ses droits et privilèges, d'adhérer à l'union qui lui convient sans contrainte intolérable. Une Europe à géométrie variable permettrait, en effet, d'échapper au dilemme devant lequel nous nous trouvons aujourd'hui. Un traité unissant et régissant les relations entre vingt-cinq, vingt-six, vingt-sept, vingt-huit, vingt-neuf peuples serait juridiquement et intellectuellement plus juste qu'une Constitution.

La question turque est un faux problème : elle est l'arbre qui cache la forêt. Il n'y a une question turque que parce qu'il y a une constitution fédéraliste, même si ce dernier mot a été retiré du traité. C'est la politique du tout ou rien ! Le manque de souplesse et de tolérance exclut sans discernement les uns ou les autres ; nous n'avons d'autre alternative que d'accueillir la Turquie sous des conditions draconiennes, qui seront fatalement ressenties comme une ingérence dans les affaires intérieures du pays, ou de la rejeter, au risque de compromettre nos relations avec elle.

Ne cédons pas à la « turcophobie ». Bien sûr, la situation géographique de la Turquie, verrou entre l'Occident et l'Orient, fait d'elle un partenaire à part entière avec lequel il faut favoriser les échanges culturels et économiques.

D'ailleurs, depuis quelques années, un travail de lobbying s'est développé sous l'impulsion de la mission économique française à Istanbul, concrétisée par plus de 250 entreprises françaises implantées sur le territoire turc depuis une quinzaine d'années. Je vous engage à ce propos à consulter le remarquable rapport de nos collègues Robert Del Picchia et Hubert Haenel.

Aussi, vouloir faire de la Turquie un Etat occidental est un projet utopique, réducteur, et contraire à ses intérêts comme à ceux des membres de la Communauté européenne eux-mêmes.

En outre, les avantages économiques d'une telle adhésion seraient à sens unique. Non seulement la Turquie jouit d'un traité d'association avec la CEE, mais elle fait aussi partie intégrante de l'union douanière depuis 1995 ; ses produits agricoles bénéficient d'un régime préférentiel. La libre circulation de ses travailleurs accroîtrait les problèmes que pose déjà la présence de plus de 2, 5 millions de Turcs en Europe occidentale. La modernisation de ses entreprises n'est plus à démontrer et le développement de son économie est bien engagé.

Alors, qu'attendre de plus d'une adhésion pleine et entière, sinon l'émargement coûteux aux budgets communautaires, alors que nous ne parvenons même pas à servir les nouveaux pays membres à hauteur de leurs demandes ?

Si la Turquie a enregistré, depuis plusieurs années, des progrès en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme, cela ne suffit pas à la qualifier. Bien d'autres pays à travers le monde ont accompli des progrès similaires ; ils n'ont pas pour autant vocation à rejoindre l'Union européenne.

Nous ne pourrons jamais former une grande nation européenne. Nous demeurerons - et c'est une chance - un ensemble de nations unies autour d'un même projet. Notre force est dans notre diversité et dans la pluralité de nos cultures. Si l'on admet ce principe, chacun peut y trouver, à un titre ou à un autre, sa place dans le respect de tous.

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