Intervention de Michel Barnier

Réunion du 21 décembre 2004 à 16h30
Turquie — Débat sur une déclaration du gouvernement suite

Michel Barnier, ministre :

A ce cadre s'ajoute une exigence de démocratie.

Madame Voynet, vous avez dit que le Parlement devait continuer à être tenu régulièrement informé de l'avancement des discussions avec la Turquie. Je le dis avec humilité, surtout dans cet hémicycle : il faut rester fidèle aux institutions de la ve République.

Chacun doit être dans son rôle : depuis le début de la ve République, c'est le chef de l'Etat qui négocie les traités, en informe le Parlement, l'associe aux négociations, puis l'informe de nouveau lorsque le traité est signé ; ce fut le cas pour Maastricht, pour Amsterdam ou pour Nice Je puis dire sans me tromper que l'information a été beaucoup moins fréquente pour les traités de Maastricht et d'Amsterdam que pour le traité de Nice ou le traité constitutionnel.

Le Premier ministre, la ministre déléguée aux affaires européennes et moi-même nous prenons l'engagement d'être disponibles, d'informer le Parlement sur chacun des chapitres et de répondre à telle ou telle question qui sera posée tout au long de cette négociation. Ce débat, qui participe de notre volonté de transparence, se poursuivra aussi longtemps que durera la négociation.

Si la négociation aboutit, la ratification du traité d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne interviendra d'ici dix à quinze ans et elle sera soumise au peuple français par la voie du référendum. Il s'agit d'une garantie supplémentaire non seulement que les Français auront leur mot à dire, mais qu'ils auront le dernier mot dans ce processus de négociation.

C'est la raison pour laquelle notre Constitution sera prochainement révisée et contiendra, si vous en êtes d'accord, une disposition permettant aux Français de se prononcer sur d'éventuelles futures demandes d'adhésion à l'Union européenne.

En répondant à la question sur l'adhésion de la Turquie, les Français répondront à une autre question : celle des limites définitives du projet européen, notamment au sud-est de l'Europe.

Voilà quelques jours, je disais, au risque de mériter le prix de l'humour politique, que si l'on regarde une carte - les cartes en disent souvent plus que les discours -, on voit que la Turquie se situe à notre frontière. Et elle y restera, que l'on accepte ou que l'on rejette son adhésion à l'Union européenne.

Voulons-nous qu'elle soit une frontière définitive interne ou prendrons-nous le risque qu'elle constitue une frontière définitive externe ?

J'ai beaucoup réfléchi à cette question et, à l'instar du Président de la République, je pense en conscience que, le moment venu, lorsque toutes les garanties et toutes les précautions auront été prises, il sera préférable que la Turquie, ce grand pays charnière situé entre deux continents, soit une frontière interne à l'Union, une frontière définitive située au sud-est de l'Europe.

Il vaudra mieux qu'elle soit conduite, par son engagement propre et notre propre volonté, à suivre le modèle européen sur le plan de la démocratie, des droits de l'homme, des droits des femmes et de l'économie, plutôt que de rester dans une situation d'isolement et d'instabilité, avec le risque toujours réel de devoir choisir un autre modèle.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, comme plusieurs d'entre vous l'ont dit, notamment Jacques Blanc, et comme le Président de la République l'a rappelé aux Français avant le Conseil européen, je pense que la Turquie sera un atout majeur dans le projet européen pour le développement de la politique extérieure et de la défense commune de l'Union, notamment en ce qui concerne le conflit central du Proche-Orient, évoqué tout à l'heure par Bernard Seillier.

Nous avons besoin de cette politique étrangère commune - et non pas unique - et de cette politique de défense commune, et la Turquie a toutes les qualités pour y prendre sa place.

Elle sera un atout économique, grâce à son potentiel de croissance et à son dynamisme démographique. N'ayons pas peur de ce dynamisme-là ! Puisqu'il s'agit, monsieur Haenel, de relever la ligne d'horizon, j'invite chacune et chacun d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à lire les chiffres de la démographie européenne dans une trentaine d'années : vous constaterez la faiblesse de notre continent de ce point de vue.

Le dernier atout, non négligeable, que représente l'adhésion de la Turquie, rappelé avec force par le Président de la République, concerne notre place à nous, Européens, dans le dialogue que nous souhaitons engager avec les autres civilisations et les autres religions.

Sincérité à l'égard de la Turquie, réalisme quant aux difficultés de cette négociation, transparence à l'égard du Parlement, respect de la démocratie et du droit des Français : tel est l'état d'esprit dans lequel nous engageons cette longue négociation.

Nous garderons en mémoire la vision exprimée en 1963 par deux hommes d'Etat, dont la poignée de mains est à l'origine de mon propre engagement : le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Tous deux avaient exprimé l'idée qu'il fallait engager un dialogue avec la Turquie. Le général de Gaulle avait même reconnu une vocation européenne à ce pays.

C'est en étant fidèle à cette vision et en l'ayant présent à l'esprit que le Président de la République a travaillé aux conclusions de ce Conseil européen, dont j'ai essayé de vous exposer le contenu, les limites et les garanties apportées, à la veille de l'ouverture, dans quelques mois, de cette longue et importante négociation avec la Turquie.

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