Intervention de Claude Raynal

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 mars 2019 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Réforme du cadre européen applicable aux entreprises d'investissement : avis politique de mm. claude raynal et jean-françois rapin

Photo de Claude RaynalClaude Raynal, rapporteur :

On aurait pu s'attendre à ce que la période précédant les élections européennes soit calme. Il n'en est rien. Le Brexit n'y est évidemment pas étranger... Et la Commission européenne comme le Parlement ont la volonté d'avancer sur certains dossiers en discussion depuis longtemps.

Les entreprises d'investissement regroupent un ensemble d'acteurs non bancaires qui interviennent sur le marché du conseil et de la gestion de l'épargne et de l'investissement pour le compte de clients, entreprises et particuliers, ainsi que pour compte propre. Elles sont souvent en concurrence avec les banques pour la fourniture de leurs services et sont, avec ces dernières, des acteurs significatifs des marchés de capitaux. Il est donc important d'en assurer une régulation adaptée pour garantir un développement harmonieux des marchés financiers entre les différents acteurs.

Dans ce contexte, la Commission européenne a proposé en décembre 2017 une révision des règles prudentielles et de supervision applicables aux entreprises d'investissement. Son adoption est inscrite à la plénière d'avril prochain du Parlement européen. Cette révision, qui intervient dans le contexte du Brexit, emporte potentiellement de fortes conséquences pour le secteur financier européen. Les enjeux clés portent sur les conditions de simplification de la réglementation et, particulièrement, sur le traitement du régime de pays tiers.

Les entreprises d'investissement britanniques occupent une place prépondérante en Europe. Parmi les 6 000 entreprises d'investissement recensées par l'Autorité bancaire européenne (ABE), plus de 55 % sont situées au Royaume-Uni. Parmi les 2 780 entreprises d'investissement qui bénéficient du passeport européen, 75 % sont britanniques. Huit entreprises d'investissements basées au Royaume-Uni, pour la plupart des filiales de sociétés américaines, suisses ou japonaises, concentrent 80 % des actifs totaux du secteur européen. Dès lors que le Royaume-Uni devient un pays tiers pour l'Union européenne, les établissements qui y sont installés perdent le bénéfice du passeport européen. Il convient donc d'éviter une situation où les entreprises d'investissement basées dans un pays tiers bénéficieraient d'un accès au marché européen avec des exigences allégées par rapport aux entreprises d'investissement dont la maison mère est située au sein de l'Union.

Les entreprises d'investissement européennes sont actuellement soumises à un double régime. D'une part, leur cadre opérationnel est précisé par la directive sur les marchés d'instruments financiers MiFID et le règlement MiFIR. Ces textes recensent les neuf services et activités qui définissent une entreprise d'investissement au sein de l'Union européenne. Ces dernières constituent en conséquence un ensemble très hétérogène d'intermédiaires financiers allant du simple conseiller en investissement, au gestionnaire d'actifs en passant par le courtier... Le règlement MiFIR précise aussi le cadre du régime d'équivalence accordé aux régulateurs de pays tiers, les règles de bonne conduite applicables ainsi que les conditions d'octroi du passeport européen qui permet à une entreprise d'investissement autorisée dans un État membre de proposer les mêmes services dans tout autre État membre.

Les entreprises d'investissement sont, d'autre part, soumises aux mêmes règles prudentielles que les établissements de crédit. Au regard de la diversité du secteur, le cadre prudentiel est envisagé de façon différenciée et progressive pour onze catégories d'entreprises d'investissement. Conçues pour s'appliquer aux banques et fondées largement sur la taille des bilans, certaines de ces exigences ne sont pas adaptées aux entreprises d'investissement de petite taille ou ne fournissant que certains types de services. De plus, les exigences prudentielles ne sont pas appliquées de la même manière par les États membres aux mêmes services d'investissement.

Le régime actuel applicable aux pays tiers, pour les professionnels et les particuliers, relève d'une organisation atomisée peu propice au développement d'un marché européen harmonisé.

En principe, un établissement d'un pays tiers qui souhaite proposer des services d'investissement au sein de l'Union européenne doit établir une filiale dans un des pays de l'Union. À partir de cette filiale, il peut opérer en libre prestation de services au sein de l'Union. Plusieurs voies sont théoriquement possibles pour éviter cette contrainte de localisation.

Les entreprises de pays tiers sont autorisées à fournir des services d'investissement à une clientèle de détail selon la transposition de la directive MiFID dans chacun des pays de l'Union. Chaque autorité nationale peut optionnellement imposer l'établissement d'une succursale. En tout état de cause, il s'agit d'une autorisation nationale, une succursale d'un établissement de pays tiers ne pouvant bénéficier d'un passeport européen. Aucune obligation spécifique de reporting aux autorités de supervision n'est exigée par les textes européens. Du fait de son absence d'harmonisation, le régime applicable apparaît singulièrement peu protecteur pour la clientèle de détail.

La fourniture de services d'investissement à des clients professionnels, sans établissement d'une filiale, suit une logique différente. Théoriquement, elle nécessite au préalable, de la part de la Commission, une décision d'équivalence. Une fois celle-ci obtenue, l'établissement de pays tiers peut, après enregistrement auprès de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), accéder à l'ensemble du marché européen et y fournir des services d'investissement sans aucune obligation d'implantation locale.

En pratique, en l'absence actuelle de régime d'équivalence pour les entreprises d'investissement, les solutions s'apprécient pays par pays. L'établissement de pays tiers ne peut pas bénéficier d'un passeport et doit généralement installer une succursale dans chacun des pays où il souhaite proposer des services d'investissement (c'est ainsi en France en vertu de l'article 23 du projet de loi Pacte). Les approches varient selon les pays, certains n'exigeant pas de présence physique ce qui contribue à leur attractivité relative au sein de l'Union européenne.

Une dernière option permettant de conserver l'accès à la clientèle de l'Union européenne est la commercialisation passive (reverse sollicitation). Il s'agit d'une exemption de l'obligation d'agrément dans le cas où des clients européens professionnels sollicitent les services d'une entreprise d'investissement de pays tiers. Cette solution présente de forts risques de contournements de la réglementation. Sa pratique est donc limitée et encadrée, notamment par l'AEMF dans ses questions /réponses qui ne sont toutefois pas contraignantes.

L'importance de l'industrie des services d'investissement britannique va, dans la perspective du Brexit, mettre concrètement à l'épreuve le régime applicable aux pays tiers.

Dans ce contexte, il convient de soutenir la démarche de la Commission visant à promouvoir un cadre plus pertinent et, partant, plus efficace pour les entreprises d'investissement même si la proposition initiale manque d'ambition. Le gouvernement britannique l'avait d'ailleurs accueillie avec intérêt estimant qu'elle offrait une base prudentielle favorable pour les entreprises implantées au Royaume-Uni. Quels éléments méritent d'être soulignés ?

Tout d'abord, la proposition de la Commission s'exonère d'analyse d'impact. La Commission a précisé que la révision du cadre réglementaire applicable aux entreprises d'investissement était imposée notamment par l'article 508, paragraphe 3, du règlement sur les exigences prudentielles applicables aux banques. Sur ce fondement et au regard des consultations menées auprès des autorités européennes mandatées à cet effet (ABE et AEMF) et des intervenants du secteur, la Commission a considéré qu'il n'était pas nécessaire d'entreprendre une analyse d'impact spécifique. Elle s'est appuyée pour justifier cette option sur la « boîte à outils pour une meilleure réglementation ».

Pourtant, compte tenu de la part de marché des entreprises d'investissement britanniques et de l'incertitude qui persiste sur les négociations autour du Brexit, une étude d'impact approfondie aurait dû être menée pour éclairer la prise de décision.

Ensuite, le cadre prudentiel est simplifié avec désormais trois classes d'entreprises d'investissement en remplacement des onze catégories actuelles. Les grandes entreprises d'investissement d'importance systémique sont considérées de classe 1. Elles sont définies comme des établissements dont l'actif dépasse 30 milliards d'euros sur base individuelle ou consolidée et qui fournissent deux des services d'investissement listés, à savoir la négociation pour compte propre et la prise ferme d'instruments financiers. Ces entreprises, dont les activités sont similaires à celles des activités de marché des grandes banques, resteraient soumises au régime prudentiel « bancaire » et seraient, le cas échéant, supervisées par la Banque centrale européenne.

Pour ce faire, la Commission aurait pu proposer de modifier le périmètre de compétence de la BCE afin d'y inclure les entreprises d'investissement de classe 1. Elle a choisi de modifier directement le règlement CRR IV portant définition des établissements de crédit. Cette solution ne requiert pas l'unanimité mais emporte de nombreuses conséquences qui justifieraient une analyse d'impact. En effet, les entreprises d'investissement de classe 1 qui se relocaliseront en zone euro bénéficieront du fonds de résolution unique des banques (FRU), alors même qu'elles n'y ont pas contribué les premières années. Elles seront aussi considérées comme contreparties éligibles de l'Eurosystème.

En pratique toutefois, la catégorie 1 concernerait presque exclusivement les huit plus grosses entreprises d'investissement actuellement basées au Royaume-Uni d'où elles proposent des services d'investissement dans toute l'Union européenne et qui, une fois le Royaume-Uni devenu pays tiers, échapperaient de fait à cette réglementation et donc aussi au bénéfice du fonds de résolution unique notamment.

La classe 2 regrouperait environ les deux tiers des entreprises d'investissement avec, entre autres critères, un total de bilan entre 100 millions et 30 milliards d'euros et des actifs sous gestion supérieurs à 1,2 milliard d'euros. Ces entreprises se verraient appliquer un régime prudentiel adapté, fondé sur l'analyse des risques et le volume d'activité.

La classe 3 regrouperait les petites entreprises purement locales et serait largement exonérée des exigences prudentielles. La surveillance des classes 2 et 3 ne relèverait pas du superviseur européen mais des superviseurs nationaux.

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