Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du 2 avril 2019 à 14h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 21 et 22 mars 2019

Amélie de Montchalin :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d’être parmi vous cet après-midi, de retour de Berlin et dans le cadre de mes toutes nouvelles fonctions, le Premier ministre et le Président de la République m’ayant accordé leur confiance pour porter au mieux les questions européennes dans ces heures agitées.

Je suis aussi très heureuse de pouvoir vous rencontrer dans le cadre de ce nouveau format de débat, postérieur au Conseil européen. J’espère que cela permettra des échanges riches, après un Conseil européen qui a été particulièrement commenté.

Celui-ci, qui s’est donc tenu les 21 et 22 mars dernier, a débouché sur des décisions importantes à plusieurs égards.

J’évoquerai, tout d’abord, le Brexit.

Le Conseil européen a effectivement été dominé par le retrait britannique et la demande de Mme May de reporter la sortie jusqu’au 30 juin. Je ne reviens que rapidement sur le résultat, que vous connaissez. Sous l’impulsion du Président de la République, un accord a été trouvé, avec deux options pour cette extension : jusqu’au 22 mai, si la Chambre des communes avait approuvé l’accord de retrait d’ici au 29 mars, ce qui aurait pu permettre au Royaume-Uni d’achever sa procédure interne de ratification ; jusqu’au 12 avril, en l’absence de soutien de la Chambre à l’accord de retrait.

Pourquoi le 12 avril ? C’est la date limite pour que Londres décide d’organiser des élections européennes afin de disposer de députés au Parlement européen, comme ceux que la France y enverra à la suite des élections du 26 mai prochain.

Il se trouve que la Chambre des communes a rejeté une troisième fois, le 29 mars, l’accord de retrait. Il a manqué 58 voix à Mme May, un nombre en nette réduction, puisqu’il lui en manquait 149 le 12 mars et 230 le 16 janvier. Pour autant, nous savons, dans cette assemblée comme dans d’autres, qu’un tel écart reste considérable.

Où en sommes-nous désormais ? À la suite, notamment, des échanges que j’ai pu avoir ce matin avec mon homologue allemand Michael Roth, je vois trois scénarios se dessiner.

Dans un premier scénario, que je qualifierais d’optimiste, Mme May l’emporte sur le plan tactique.

Les conservateurs favorables au Brexit peuvent encore réaliser qu’il y a un risque à voir passer une solution à leurs yeux bien pire que l’accord de retrait, comme une union douanière permanente, laquelle n’a échoué que de 3 voix hier soir. Dans ce cas, l’accord de retrait peut finalement faire l’objet d’un vote favorable avant le sommet européen du 10 avril. Une brève extension technique supplémentaire serait alors nécessaire pour permettre la ratification.

Ce scénario reste peu probable au vu des derniers mouvements à la Chambre, mais n’est pas impossible. Ce serait la meilleure solution.

Il pourrait se décliner dans une version un peu moins optimiste, avec un accord, non juridiquement contraignant, de la Chambre sur une union douanière, qui puisse permettre, très rapidement derrière, de se rattacher à l’accord négocié par Michel Barnier. Dans ce cas, aussi, on pourrait imaginer revenir « dans les clous » !

Dans une version ou une autre, le scénario optimiste repose donc sur le fait que la perspective d’une possible majorité sur un projet d’union douanière fasse finalement céder les conservateurs sur l’accord de retrait initial.

Le deuxième scénario est beaucoup plus clair et sans appel : Mme May se présente au Conseil européen, le 10 avril prochain, sans vote positif sur l’accord de retrait et ne souhaite pas organiser d’élections européennes.

Dans de telles conditions, si rien n’était fait, les actes pris par le Parlement européen seraient entachés de nullité, car on ne peut pas être État membre de l’Union européenne sans disposer de représentants au Parlement européen.

Dans un tel cas de figure, le Royaume-Uni doit donc sortir de l’Union européenne sans accord – c’est le no deal. Les pays membres appliqueraient alors les mesures de contingence européennes et nationales préparées à cette fin – en France, 7 ordonnances ont pu être élaborées grâce à la loi d’habilitation votée au Parlement.

Sur le terrain, les contrôles seront prêts. Ils monteront progressivement en puissance, avec, bien sûr, le soutien de la Commission européenne. Des recrutements ont été lancés, la construction des infrastructures est en voie d’achèvement et des campagnes de tests pour l’exercice des différents contrôles sont en cours.

Nous sommes donc prêts s’il faut nous orienter, le 10 avril prochain, lors du sommet exceptionnel, vers un scénario de no deal, Mme May se présentant alors, je le rappelle, sans avoir ni le soutien des députés sur l’accord de retrait ni l’intention d’organiser des élections européennes.

Le troisième scénario, plus complexe et mouvant, serait celui où la Première ministre britannique demande une extension longue et organise des élections européennes.

Il créerait une difficulté politique au Royaume-Uni, évidemment, mais aussi, plus largement, en Europe, car nombreux sont ceux qui ne comprendraient pas cette décision après le référendum de 2016 sur la sortie.

Cette hypothèse devrait par ailleurs être soigneusement encadrée afin que le Royaume-Uni soit traité comme un État membre pas tout à fait comme les autres : il ne serait pas acceptable que Londres puisse peser sur le choix de la future Commission européenne ou sur des décisions de substance produisant des effets après son départ. Je pense, en particulier, à la négociation du cadre financier pluriannuel.

Nous sommes donc toujours dans une période très incertaine.

Il revient au Royaume-Uni de faire ses propres choix – des votes ont de nouveau lieu au Parlement demain et, aujourd’hui, se tiennent des réunions du cabinet extrêmement importantes. Il est clair que l’Union européenne doit continuer à manifester son unité et sa détermination à défendre les intérêts des Européens, notamment, comme le répète Michel Barnier, notre négociateur, en refusant de rouvrir l’accord de retrait et d’accepter une extension du délai si nous manquons de clarté sur une solution durable et crédible.

Ces discussions sur le retrait du Royaume-Uni ne doivent pas nous faire perdre de vue notre objectif central de relance du projet européen.

L’ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars nous a permis, et c’est heureux, de présenter plusieurs des idées exposées par le Président de la République dans sa tribune pour une renaissance européenne pour défendre notre liberté, protéger notre continent et retrouver l’esprit de progrès.

Un débat approfondi s’est tenu sur l’avenir du marché unique dans la perspective du prochain programme stratégique. Les chefs d’État et de gouvernement ont abordé tant l’avenir du marché intérieur que les politiques qui y sont liées, notamment l’économie numérique, la politique industrielle et, bien sûr, la recherche et l’innovation.

En particulier, le Conseil européen a engagé une discussion sur la nécessité d’une véritable politique industrielle européenne. Comme nous le souhaitions, le Conseil européen a invité la Commission à présenter, dès la fin de 2019, une vision stratégique de long terme sur l’avenir de l’industrie européenne, soutenue par des mesures concrètes.

Conformément aux propositions formulées par la France et l’Allemagne, cette stratégie devra en particulier soutenir les nouvelles technologies et s’assurer des financements nécessaires, notamment en ayant recours au Conseil européen de l’innovation. Il s’agira également de passer en revue l’ensemble des politiques contribuant à cet objectif, notamment la politique de la concurrence ; il faut, nous le savons, améliorer la cohérence entre les deux axes de la politique européenne que constituent la politique industrielle et la politique de la concurrence.

La Commission doit étudier d’ici à la fin de l’année les évolutions nécessaires pour répondre aux défis des évolutions technologiques et de la concurrence mondiale. L’enjeu est de mieux défendre nos technologies, nos entreprises et nos marchés, en utilisant pleinement le nouveau cadre de filtrage des investissements, en exigeant une plus grande réciprocité dans les marchés publics avec les pays tiers et en défendant à tout prix le multilatéralisme, tout en le modernisant chaque fois que c’est nécessaire – je pense notamment à l’Organisation mondiale du commerce.

Deuxième sujet au-delà du Brexit, les chefs d’État et de gouvernement ont échangé sur les orientations proposées par la Commission dans le cadre de sa stratégie climatique de long terme, en particulier sur le scénario de neutralité carbone en 2050, que nous souhaitons voir adopter dans la perspective du sommet Action climat de l’ONU en septembre 2019.

Comme le Président de la République l’a souligné, les conclusions du Conseil européen sur le climat sont décevantes. Alors que les signaux d’alarme lancés par la communauté scientifique et la société civile se multiplient, l’Europe doit agir de façon plus déterminée face à l’urgence climatique. La France et bon nombre de ses partenaires européens se sont engagés résolument en faveur de l’objectif de neutralité carbone en 2050 ; ce point figure dans le projet de loi sur la programmation pluriannuelle de l’énergie qui sera présenté très prochainement en conseil des ministres.

Nous avons obtenu que le Conseil européen revienne sur ce sujet dès le mois de juin, de telle façon que l’Union européenne soit pleinement préparée en vue de ce sommet sur le climat.

Renouer avec l’esprit de progrès qui caractérise le projet européen, c’est aussi, comme le propose le Président de la République, créer une banque européenne du climat pour mieux financer la transition énergétique dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. C’est enfin se fixer des objectifs ambitieux concernant le cadre financier pluriannuel, dont l’objectif de dépenses en faveur du climat doit être revu à la hausse par rapport à la proposition de la Commission.

Troisième sujet, les conclusions du Conseil européen font également état des progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation et la nécessité de protéger l’intégrité démocratique des élections européennes et nationales dans l’ensemble de l’Union européenne. Ce sont des enjeux essentiels pour notre liberté démocratique.

Le Président de la République a ainsi proposé que des experts européens puissent être déployés immédiatement en cas de cyberattaques ou de campagnes de désinformation. Dans le prolongement des derniers rapports publiés par la Commission, le 20 mars, sur les progrès réalisés par les plateformes en ligne, les conclusions du Conseil européen appellent ces plateformes à renforcer leurs efforts dans la mise en œuvre du code de bonnes pratiques contre la désinformation et à garantir des normes plus élevées de responsabilité et de transparence.

Quatrième sujet, nous restons déterminés à œuvrer pour renforcer la convergence économique et sociale au sein de l’Union, qui est au cœur du projet européen, pour nous doter de ce que le Président de la République appelle un « bouclier social ».

C’est le sens de l’action que nous avons menée avec la création d’une autorité européenne du travail, ou encore de nos efforts pour lier solidarité financière et convergence sociale dans le prochain budget européen.

Les chefs d’État et de gouvernement reviendront sur tous ces sujets – hormis, bien sûr, celui du Brexit – lors du sommet informel de Sibiu le 9 mai prochain, puis à l’occasion de l’adoption, en juin prochain, du programme stratégique pour la période 2019-2024, qui fixera les orientations et priorités politiques pour le prochain cycle institutionnel.

Sur la méthode, nous voulons nous appuyer, pour définir les priorités de l’Union, sur les principales préoccupations et attentes des citoyens, telles qu’elles ont été exprimées, en France et au-delà, dans les consultations citoyennes sur l’Europe qui se sont tenues au second semestre de 2018, et sur une conférence sur l’Europe, qui réunira tous les acteurs nécessaires d’ici à la fin de l’année, pour définir les changements nécessaires à mettre en œuvre.

Au fond, en France, nous avons eu le grand débat national ; en Europe, les consultations citoyennes sont également là pour alimenter cette feuille de route stratégique 2019-2024, pour s’assurer que l’Europe parle bien des préoccupations concrètes des citoyens à travers l’Union.

Dernier point pour conclure : le Conseil européen a échangé sur les relations avec la Chine afin de préparer le sommet Union européenne-Chine du 9 avril.

La discussion a donné lieu à un constat largement partagé sur le fait que la Chine est à la fois un partenaire et un concurrent pour l’Union européenne. Il est essentiel que les Vingt-Sept restent unis et défendent leurs intérêts économiques et stratégiques face à la Chine. L’Union doit être ferme et exiger de la réciprocité, notamment dans l’accès aux marchés.

Le Président de la République a résumé les discussions en estimant que, malgré certaines divergences de vue, « le temps de la naïveté de l’Union envers la Chine était révolu ». C’est dans cet esprit qu’a été organisée quelques jours plus tard à Paris, sur son initiative, une rencontre avec le Président Xi Jinping, la Chancelière Merkel et le Président Juncker.

La signature par le vice-Premier ministre italien et les autorités chinoises d’un accord de participation au projet des nouvelles routes de la soie souligne à quel point il est indispensable de renforcer encore davantage la coopération européenne dans ce domaine avant le sommet « 16+1 » du 12 avril en Croatie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil et je me réjouis maintenant d’entendre vos commentaires et vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion