La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 28 mars 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
Conformément à l’accord intervenu entre les présidents de groupes politiques en début de triennat, Mme Patricia Schillinger remplace Mme Mireille Jouve en qualité de secrétaire du Sénat depuis le 1er avril 2019, à zéro heure.
L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, modifié par lettre rectificative, d’orientation des mobilités (projet n° 157 rectifié, texte de la commission n° 369, rapport n° 368, tomes I et II, avis n° 347, rapport d’information n° 350).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.
Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce texte présente des aspects positifs, mais également certains aspects très négatifs.
En effet, si nous avons beaucoup évoqué les problèmes d’environnement en lien avec les mobilités, nous avons surtout mis l’accent sur de toutes petites choses, en laissant de côté la grosse pollution. Par cette expression, j’entends, en particulier, trois éléments : les cargos, ces gros bateaux qui fonctionnent au fioul lourd, le transport aérien et les poids lourds.
Les cargos, tout d’abord, génèrent une pollution épouvantable, contre laquelle je constate que rien n’est fait.
La pollution issue du transport aérien a, quant à elle, augmenté de plus de 25 % au cours des dix dernières années, et ne fait également l’objet d’aucune action. Pire, alors que l’on taxe l’essence, le kérosène des avions n’est même pas assujetti à la TVA. Il me semble tout de même bizarre d’affirmer que l’on incite à réduire la pollution en s’en prenant au diesel quand, dans le même temps, on ferme les yeux sur cela.
Que l’on ne me dise pas que l’on ne peut pas agir : il est tout à fait possible d’imposer une sorte d’écotaxe aux avions qui traversent notre espace aérien, même s’ils ne prennent pas de kérosène dans nos aéroports, ainsi qu’aux bateaux qui traversent nos eaux territoriales et qui fonctionnent avec du fioul lourd très polluant.
S’agissant des poids lourds, enfin, chacun d’entre eux pollue cent fois plus qu’une voiture qui roule au diesel. Il est donc vraiment regrettable que personne n’ait le courage de dire qu’il faut rétablir l’écotaxe ! Je rappelle que celle-ci a été votée à la quasi-unanimité du Parlement sous le président Sarkozy.
Ensuite, sous prétexte que les agités à bonnets rouges ont protesté
Exclamations amusées sur plusieurs travées.
et que le Gouvernement a changé, ceux qui soutenaient cette mesure, notamment les membres de l’ancienne majorité de M. Sarkozy, ont fait de la surenchère en excitant tout le monde ; à cela s’est ajoutée Mme Ségolène Royal, dont nous n’avions vraiment pas besoin !
Exclamations sur plusieurs travées.
Ce qui est scandaleux, c’est qu’aucun gouvernement n’ait eu le courage d’admettre que nous sommes passés à côté d’une occasion, ni, d’ailleurs, d’être prêt à permettre aux régions de prévoir, à titre expérimental, une écotaxe sur les poids lourds.
L’Allemagne, elle, a mis en place une écotaxe, qui s’appelle la LKW- Maut, sur les poids lourds. En conséquence, tous les poids lourds allemands qui circulent dans le sens nord-sud, qui traversent soit l’Alsace, soit la Lorraine, viennent polluer chez nous et user nos routes sans rien payer, parce qu’ils font le plein de gasoil au Luxembourg, avec lequel ils rejoignent l’Espagne, sans en prendre une goutte chez nous.
M. Jean Louis Masson. Il est affligeant que l’on ne fasse rien en la matière, affligeant pour vous, madame le ministre, mais également pour ceux qui vous ont précédée !
M. Sébastien Meurant applaudit.
M. le président. La parole est à Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, mes chers collègues, un Français sur quatre a déjà été contraint de refuser un emploi ou une formation en raison d’un manque de solutions de mobilité.
La mobilité se trouve à la croisée de nombreuses thématiques et problématiques, qui en font un sujet si primordial : perspectives d’emploi, innovations numériques, protection de l’environnement ou encore respect des données. Trente-six ans après la dernière grande loi d’organisation des transports, il était temps de revenir sur les transformations majeures affectant ce secteur et de se tourner vers les formidables opportunités qu’elles nous offrent.
Une autre donnée illustre bien les enjeux sous-jacents à cette réflexion : près de quatre Français sur dix estiment n’avoir aucune alternative à la voiture. Le premier des défis est le manque de solutions de mobilité, aujourd’hui vécu comme une source d’inégalités et d’injustices entre les citoyens comme de fractures entre les territoires. Cela donne le sentiment d’une assignation à résidence à une population sans autre réponse que la dépendance à la voiture individuelle.
Le groupe Union Centriste partage pleinement les objectifs de ce projet de loi. Trente-six ans plus tard, il fallait de nouveau penser un système de mobilité qui ne soit plus un frein à l’autonomie des personnes, à la cohésion des territoires, au développement économique et au retour à l’emploi.
Le groupe Union Centriste se réjouit que ce projet de loi ait d’abord été examiné en première lecture, ici, au Sénat, car les politiques de la mobilité reflètent les diversités, les spécificités ainsi que les très nombreuses opportunités de nos territoires, que nous défendons chaque jour dans cette institution.
Nous sommes également satisfaits de l’ampleur des apports du Sénat à ce projet de loi, dont les améliorations traduisent trois principales priorités.
La première, c’est la prise en compte de la ruralité.
Je le disais, le désenclavement des territoires passe par une refonte de notre système de mobilités. Si le projet de loi qui nous était présenté traduisait une approche classique par mode de transport, le Sénat a su défendre une approche multimodale et par territoire. Désormais, l’ensemble des territoires disposent d’une autorité organisatrice de la mobilité, contre 20 % d’entre eux auparavant. C’est assurément par une prise en compte accrue de la ruralité ainsi que des réalités territoriales que le texte s’enrichit. Désormais, l’application du mécanisme de péréquation verticale en cas de faible rendement du versement mobilité se fera par la prise en compte de la densité de la population.
L’intégration de l’objectif de désenclavement à l’horizon 2025 se double de mesures concrètes visant à définir des solutions alternatives à la voiture, via, par exemple, l’ouverture du transport scolaire en milieu rural à des personnes âgées isolées ou fragiles, grâce à notre collègue Michèle Vullien, ou encore la possibilité de décaler les horaires d’entrée et de sortie des établissements scolaires pour optimiser ce transport.
La deuxième priorité est en réalité une urgence : la transition énergétique.
Le secteur des transports représentait 33 % de la consommation d’énergie finale en France en 2015. Il était également le principal émetteur de CO2, avec 39 % des émissions totales de gaz à effet de serre.
Au vu de la version initiale du projet de loi, le Gouvernement semblait pourtant accepter que le transport fasse partie des secteurs qui rencontrent le plus de difficultés à atteindre les objectifs pour la croissance verte.
Pour y remédier, nous saluons l’ajout aux objectifs de la programmation des infrastructures de la lutte contre le changement climatique et la pollution atmosphérique ainsi que l’inscription de la diminution des émissions de gaz à effet de serre parmi les objectifs de la programmation des investissements dans les transports.
Le soutien à la filière hydrogène, la possibilité donnée aux collectivités d’augmenter la taxe de séjour qui s’applique aux navires de croisière les plus polluants, ou encore la faculté accordée aux communes de créer des voies et des stationnements réservés à certains véhicules en fonction de leurs émissions de polluants sont autant de mesures pragmatiques et conformes aux ambitions de la France en matière de transition énergétique.
Troisième priorité, enfin, et surtout, nous jugeons impérieux de disposer de garanties en termes de financement.
Nous avons déjà maintes fois fait part, madame la ministre, de nos inquiétudes quant à l’absence de financement des mesures de développement des mobilités sur le territoire ; nous regrettons cependant l’absence de réponse claire du Gouvernement. Dès 2020, ce sont pourtant 500 millions d’euros qui manqueront pour assurer la programmation pluriannuelle des infrastructures de transport.
Je félicite, à ce titre, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de son travail exemplaire. Son rapporteur, en particulier, a introduit des modifications importantes dans le texte pour sanctuariser les ressources de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’Afitf, en exigeant que celle-ci dispose de ressources pérennes.
De même, en gravant dans la loi le principe de l’affectation intégrale à l’Afitf du produit de l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, votée en 2014, la commission rétablit la cohérence et l’ambition de base en fléchant les recettes supplémentaires au financement des infrastructures routières et non à celui du budget de l’État.
Madame la ministre, au-delà de ces trois principales priorités, nous regrettons que, par manque de pédagogie, certaines ambitions de l’avant-projet de loi, qui allaient pourtant dans le bon sens, n’aient pas été discutées au Sénat, notamment l’expérimentation de micropéages urbains. Cette mesure illustrait pourtant le passage d’une logique coercitive à une logique incitative en termes de mobilités, se traduisant par le recours aux expérimentations de nouvelles mobilités.
De telles expérimentations bénéficieraient d’ailleurs pleinement d’une prise de décision décentralisée. À ce titre, nous sommes prêts à défendre un droit à la différenciation que notre pays et nos territoires attendent pour répondre aux besoins d’innovation et faire l’expérience de réformes grandeur nature. Ce n’était certes pas l’objet de ce texte, mais, alors qu’est examiné en ce moment même le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, cette question apparaît, pour le groupe Union Centriste, comme son corollaire, qui permettrait un nouvel approfondissement de la décentralisation.
Madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est désormais présenté est amélioré, intégrant les enjeux relatifs à la ruralité, à la transition énergétique, et remédiant aux carences en termes de financements.
Force de proposition, le Sénat a également voulu rechercher un compromis équilibré grâce à des débats constructifs. J’en veux pour preuve que, en donnant compétence aux présidents de département et aux préfets pour déterminer la vitesse maximale autorisée sur les routes dont ils ont la gestion, nous sortons par le haut d’un débat manichéen sur la limitation à 80 kilomètres par heure via une prise de décision décentralisée et adaptée aux réalités de notre territoire et de notre pays. Je remercie à ce titre notre collègue Michel Raison.
Madame la ministre, le groupe Union Centriste votera ce projet de loi en première lecture, mais, avec le président Maurey, il tient à vous rappeler que nous attendons de votre part des précisions et des clarifications en ce qui concerne son financement.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, mes chers collègues, nous nous prononçons aujourd’hui sur l’ensemble du projet de loi d’orientation des mobilités, un texte attendu par les Français et par les collectivités, tant, depuis trop longtemps, certains de nos territoires vivent mal leur isolement.
La politique de la mobilité est une condition de la liberté et de l’égalité. La mobilité, c’est l’échange, qui doit être durable, effectif, et concerner tous les citoyens ; c’est également un vecteur de lien social. Nous espérons donc vivement que les dispositions de ce projet de loi permettront de donner un nouveau souffle aux transports en France, que l’on appelle aujourd’hui « mobilités ». Ce n’est pas le moindre des changements, car la sémantique a de l’importance en la matière.
Nous nous réjouissons que ce texte ait d’abord été présenté devant la chambre des territoires. À cet égard, le groupe Les Indépendants tient à saluer le travail de notre assemblée et de ses rapporteurs – on ne le dira jamais assez –, qui ont su mettre en lumière ses forces et ses faiblesses.
La question du financement a suscité une inquiétude majeure, qui nous a semblé légitime. Les modifications apportées par le Sénat ont amélioré le projet sur ce point, mais il reste encore des incertitudes, sur lesquelles nous devrons travailler.
L’inscription dans le texte de l’affectation d’une fraction de la TICPE à l’Afitf permet ainsi de sécuriser les ressources de cette agence si essentielle. L’État devra tout de même trouver 500 millions d’euros par an ; nous y serons très attentifs lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Nous comprenons les contraintes budgétaires, bien évidemment, mais, ne pas investir aujourd’hui, c’est devoir payer bien plus demain. Nos infrastructures ont besoin d’investissement, cela a été dit durant nos débats. Il nous faut cependant être vigilants quant aux moyens de financement, afin de ne pas tomber dans le concours Lépine de la nouvelle taxe ou de la nouvelle contrainte. Ne montrons pas du doigt tel ou tel secteur.
L’État a besoin d’argent, les collectivités aussi. Nos territoires peuvent faire plus et ils le font déjà ; ils ont néanmoins besoin de moyens et de flexibilité. Nous nous réjouissons ainsi que la gouvernance de la mobilité ait gagné en flexibilité, en permettant une certaine adaptabilité de la compétence mobilité. Paris n’est pas la Corrèze, la baie de Somme n’est pas la région lyonnaise, une solution unique de mobilité pour l’ensemble de la France ne fonctionnera pas.
Nous avons eu le souci de rendre certaines dispositions du texte plus pragmatiques et de faire davantage pour la transition écologique. Nous espérons que nos ajouts visant à promouvoir l’usage des mobilités propres et actives permettront une décarbonation des transports.
La possibilité de cumuler le « forfait mobilités durables » et le remboursement d’une partie de l’abonnement de transports collectifs ne peuvent qu’encourager les salariés à recourir à des moyens de transport propres. Couvrant le vélo, le covoiturage et les véhicules électriques, ce forfait participera nécessairement à la réduction de la pollution. Nous ne pouvons cependant que regretter le fait que sa prise en charge par l’employeur n’ait pas été rendue obligatoire, comme c’est déjà le cas pour l’abonnement de transports collectifs du salarié. Nous craignons que cette prise en charge facultative ne soit appliquée que de manière réduite.
La lutte contre le dérèglement climatique doit être notre priorité. Nous nous félicitons ainsi des avancées introduites en faveur du vélo : mobilité propre et active, celui-ci est un mode de transport qui reste trop peu usité en France ; il était important de favoriser son utilisation.
Qui eût pensé dans notre hémicycle, il y a vingt ans, que nous légiférerions sur l’usage du vélo ? Tout le monde aurait ri en affirmant que c’était dérisoire ! Aujourd’hui, pourtant, le vélo est parmi nous. Être ouvert et moderne, c’est aussi savoir se saisir de sujets contemporains sans les tourner en dérision. Cela a été fait par la création d’itinéraires cyclables, d’abord dédiés aux touristes et qui serviront aux urbains, par la mise en place de stationnements sécurisés et par l’organisation d’une plus forte intermodalité, grâce à la possibilité de voyager avec son vélo dans les transports collectifs. Cela existe déjà et sera renforcé.
L’intermodalité est évidemment une notion incontournable dans le domaine des transports, grâce aux nouvelles technologies. Pour qu’elle soit effective, les offres de transport doivent cependant être ouvertes et accessibles. La mise à disposition des données est cruciale, à ce titre, et nous ne pouvons que déplorer le durcissement de ses conditions porté par certains dans cet hémicycle.
Tout au long de son examen, nous avons pu constater à quel point le texte faisait confiance aux territoires en procédant à une plus large décentralisation. C’est une bonne chose. Il fallait aussi permettre aux collectivités de réguler les moyens de transport au sein de leur bassin.
C’est en effet à l’échelle locale que l’on peut le mieux apprécier les dangers de certains itinéraires et que l’on est le plus à même de poser des limites intelligentes aux nouvelles mobilités.
Nous pensons que les collectivités sont les plus aptes à apporter une réponse efficace, durable et adaptée aux défis qu’elles rencontrent en matière de mobilité. À cet égard, nous nous réjouissons que le Gouvernement ait introduit la faculté, pour les régions qui le souhaitent, de se saisir de la gestion des lignes ferroviaires de dessertes fines, les fameuses petites lignes. Je pense en particulier à Abbeville-Le Tréport.
Ces lignes, oubliées dans le projet initial, sont essentielles au maillage des transports dans les territoires. Aucune solution ne doit être écartée si l’on souhaite sortir du recours systématique à la voiture individuelle et de la situation d’isolement dans laquelle se trouvent les habitants d’une partie du territoire, qui n’ont rien pour se déplacer.
Le texte que nous nous apprêtons à voter devra certainement être revu à l’avenir, compte tenu des évolutions, notamment technologiques, en matière de mobilités, d’intermodalité. En tout état de cause, la question du financement nous conduira à y revenir. Les mesures contenues dans ce texte devront être articulées afin que l’échelon local parvienne à libérer la mobilité sur le territoire français.
En dépit de ses imperfections, le texte comporte, à notre sens, de nombreuses dispositions prometteuses, pour plus de flexibilité, plus d’efficacité et plus d’écologie. Pour cet ensemble de raisons, le groupe Les Indépendants le votera.
Des moyens de transport toujours plus durables, des solutions conçues au plus près des territoires et davantage de confiance aux collectivités et en nos concitoyens : voilà, mes chers collègues, ce en quoi nous croyons !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, au risque de manquer d’audace, mon explication de vote aura pour objet principal de rendre compte de la position du groupe Les Républicains sur ce projet de loi d’orientation des mobilités.
Pour ce faire, et là encore je vais conserver un style académique, je vais commencer par féliciter notre rapporteur, Didier Mandelli.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Maryse Carrère et Michèle Vullien applaudissent également.
Je profite de cette occasion pour associer à cet hommage Gérard Cornu, rapporteur de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, ainsi que Louis Nègre.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Michèle Vullien applaudit également.
La loi sur le cumul des mandats aura eu raison de la possibilité que ce dernier partage avec nous sa grande expérience en matière de mobilités. Je n’oublie pas non plus Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
, et les nombreuses améliorations dont elle et sa commission sont à l’origine en matière de gouvernance de la mobilité. Je salue enfin Benoît Huré et ses pertinentes observations sur la transposition du droit européen par ce projet de loi d’orientation des mobilités.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
En ce qui concerne le contenu de ce texte, les louanges adressées à notre rapporteur ne sont pas un exercice imposé. Tous les critères étaient réunis pour que sa mission soit un chemin de croix : peu de temps pour se préparer ; un contexte politique unique, avec la crise des « gilets jaunes », qui, rappelons-le, est d’abord une crise de la mobilité ; un texte qui a évolué substantiellement dans la dernière ligne droite, qui touche aux compétences des collectivités territoriales – nous savons à quel point cette problématique est sensible dans notre Haute Assemblée –, qui offre, avec la programmation des investissements dans les transports, une opportunité sans précédent, pour beaucoup d’entre nous, de graver dans le marbre un projet d’infrastructure que notre terre d’élection nous réclame depuis parfois des décennies ; un texte, enfin, porteur d’enjeux industriels, mais aussi sociaux avec, notamment, l’ouverture à la concurrence des transports publics en Île-de-France.
Une multitude d’écueils se dressaient donc devant le rapporteur et notre Haute Assemblée ; je crois pouvoir dire qu’ils ont tous été évités.
En matière de programmation des investissements, le risque était de faire de ce projet de loi un cahier de doléances législatif avec 348 remontrances adressées au Gouvernement. Cela n’a pas été le cas. Si nos collègues de l’Ardèche ont bénéficié d’un traitement de faveur
Exclamations amusées.
Nous avons fait une autre entorse au principe selon lequel nous ne pouvions pas nommer chacune des infrastructures indispensables au développement de nos territoires : la liaison Lyon-Turin. Par son amendement, notre collègue Michel Savin a rappelé que la France doit honorer les accords et les traités internationaux qu’elle a signés : la convention alpine de 1991 et les traités franco-italiens de 2001, de 2012 et de 2015.
La réponse du rapporteur aux nombreuses sollicitations visant à inscrire tel ou tel projet ne pouvait pas être plus équilibrée. Elle comporte deux volets : affectation intégrale de la hausse de TICPE prévue par la loi de finances pour 2015 au financement des infrastructures de transport ; consécration des projets inscrits au scénario 2 du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures.
Avant de parler des compétences, je souhaite rappeler l’engagement que vous avez pris, madame la ministre, lors de la discussion générale. Je vous cite : « pas de prise de compétence sans ressources adaptées ». Là réside, justement, la faiblesse originelle d’un texte qui ambitionne de lutter contre les zones blanches de la mobilité en permettant la mise en place d’autorités organisatrices de la mobilité sur l’ensemble du territoire. Le projet est intéressant, l’intention est plus que louable, mais envisager le cadre d’une politique publique et consacrer dans la loi ses fondements ne donnera pas davantage de moyens à ceux qui devront la mettre en œuvre !
S’agissant, encore, du transfert aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, de la compétence mobilité, un amendement du rapporteur, vivement souhaité par les élus locaux, doit permettre que celui-ci se fasse jusqu’au 1er juillet 2021 et non plus au 1er janvier de la même année.
Un mot sur la régulation, qui était inéluctable, des opérateurs de free floating. L’adoption de l’amendement du rapporteur à ce sujet apporte une réponse équilibrée, qui ne fera obstacle ni au développement des mobilités douces ni aux prérogatives communales et intercommunales en matière de police de la circulation et du stationnement.
Sur les compétences des collectivités, comment ne pas évoquer l’amendement de nos collègues Michel Raison, Jean-Pierre Corbisez, Jean-Luc Fichet et Michèle Vullien sur les 80 kilomètres par heure ? Bien entendu, les commentateurs officiels n’ont pas manqué de parler de populisme ou de démagogie, comme c’est le cas chaque fois qu’est proposée une mesure populaire et de bon sens mais qui n’intéresse pas les zones urbaines !
Sur les nouvelles mobilités, le Sénat a eu raison de ne pas conserver, à l’issue des travaux en séance publique, la charte facultative pour les plateformes de mise en relation. Une telle mesure n’aurait pas été conforme à ses standards en matière de qualité de la loi ; de plus, quel aurait été l’impact de cet OVNI législatif sur une jurisprudence en pleine effervescence ? Le Sénat ne pouvait pas cautionner ce dispositif.
Le dernier écueil que notre Haute Assemblée a su éviter est la boulimie fiscale. Combien de nouvelles taxes, de nouveaux prélèvements, de nouvelles contributions ou de nouvelles barrières tarifaires ont été proposés ces derniers jours ? Certes, il s’agissait, pour la plupart, d’amendements d’appel, mais nous pensons que, dans un premier temps, il faut à tout le moins stabiliser la pression fiscale.
Un mot, enfin, sur le report modal et sur le Lyon-Turin. À la suite d’une intervention de notre collègue Jean-Pierre Vial, vous nous avez assuré de l’engagement de la France à se joindre à la demande de l’Italie pour solliciter le financement à hauteur de 50 % de la part de l’Union européenne.
Avec la traversée de Lyon et la question du port de Marseille, le défi du Lyon-Turin représente aussi un enjeu en termes de report modal, comme l’a expliqué notre collègue Bruno Gilles lors de la présentation de l’un de ses amendements. Il est important que le Gouvernement s’engage sur un transfert des marchandises de la route vers le rail, qui, en l’espèce, concerne la relation entre la France et l’Italie, compte tenu des plus de 3 millions de poids lourds traversant les vallées alpines.
Madame la ministre, je vous demande de nouveau que nous puissions nous rencontrer pour aborder la question du nœud ferroviaire lyonnais, en y intégrant l’ensemble des projets induits, dont le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise, le CFAL, qui inquiète beaucoup les élus de l’Ain.
Vous l’aurez compris, le tracé actuel ne peut pas être accepté en l’état : on ne peut pas transférer les contraintes des uns vers les autres !
En définitive, malgré toutes les incertitudes que nous inspire la politique du Gouvernement en matière de mobilité, d’aménagement du territoire ou de transition écologique, le groupe Les Républicains votera sans hésiter pour ce projet de loi, tel qu’il a été amendé dans le cadre de nos travaux des deux dernières semaines !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues : « Un homme est fait pour être mobile. Tout le malheur vient de l’immobilité. On use les choses en étant immobile. » Ces paroles de Jacques Brel illustrent parfaitement la séquence que nous venons de vivre ces deux dernières semaines.
Au cours des débats, notre assemblée n’a en effet jamais cédé à la tentation de l’immobilité, celle de l’ornithorynque, pour donner corps à cette belle loi d’orientation des mobilités. Bien au contraire ! Nos échanges, toujours courtois et constructifs, ont permis à ce texte, dont nous savons toutes et tous qu’il est essentiel pour notre avenir collectif, d’être sensiblement amendé et abondé.
Ces deux semaines de discussions ont permis à chaque groupe de défendre ses propositions sur les mobilités du quotidien, de confronter ses points de vue aux autres, d’argumenter sans relâche dans un climat serein, qui doit beaucoup à celles et ceux qui étaient à la manœuvre – si l’on recourt à la métaphore fluviale – ou aux commandes – si l’on préfère se référer aux véhicules, avec un choix clairement affirmé pour ceux qui fonctionnent grâce à une énergie renouvelable et propre, évidemment.
Ce projet de loi d’orientation des mobilités, que le groupe La République En Marche votera, est le résultat d’un travail collectif mené depuis maintenant plusieurs mois.
Il s’agit d’abord du vôtre, madame la ministre, après des Assises de la mobilité qui ont été une vraie réussite et demeurent l’exemple d’une démarche participative achevée. Vous avez fait preuve d’une écoute permanente et démontré un vrai souci de l’échange avec les nombreux sénateurs qui ont défendu leurs amendements et qui ont, je le pense, apprécié la clarté, la qualité et la transparence de vos réponses.
C’est également le travail de notre rapporteur, Didier Mandelli, qui a souhaité associer tous les sénateurs de notre commission…
… aux nombreuses auditions organisées, permettant à celles et ceux qui le souhaitaient de s’emparer de ce formidable sujet des mobilités. Durant ces deux semaines, chacun a pu apprécier deux des principales qualités de notre rapporteur : l’humanité et la fermeté.
C’est aussi le travail de notre président de commission, Hervé Maurey, dont chacun connaît l’appétence pour le sujet des mobilités, notamment en ce qui concerne les financements dédiés, au cas où vous ne l’auriez pas compris, madame la ministre ! §C’est enfin le travail de celles et ceux qui se sont succédé à la présidence de nos débats, et qui ont permis à ceux-ci de se tenir dans des conditions optimales.
Oui, mes chers collègues, le Sénat a une fois de plus fait œuvre utile s’agissant de l’épineuse question des mobilités. Il y a eu la réforme ferroviaire, il y aura désormais la loi d’orientation des mobilités : ces deux textes sont des réponses fortes à celles et ceux qui manifesteraient encore un certain scepticisme à l’égard de notre assemblée.
Le Sénat fait belle œuvre utile quand il s’empare de sujets et de textes sur le fond, et qu’il travaille sans relâche à les améliorer dans le souci de l’intérêt collectif, celui des territoires et, aussi et surtout, celui de nos concitoyens. C’est chose faite avec ce texte.
Nous pouvons affirmer, sans forfanterie aucune, que la copie que nous livrons à nos collègues de l’Assemblée nationale est riche en sujets de discussion. Elle doit permettre de poursuivre la dynamique enclenchée, sans faire d’impasse sur quelque sujet que ce soit et en abordant les mobilités du quotidien sous tous les angles.
Nos collègues de l’Assemblée nationale, que je salue ici, en particulier le député Jean-Marc Zulesi qui nous fait le plaisir d’être parmi nous, vont pouvoir s’appuyer sur un texte ayant aujourd’hui les faveurs de nombre d’acteurs des mobilités qui ont suivi nos débats avec la plus grande attention.
En effet, dans plusieurs domaines, nous avons souhaité aller plus loin que les seules mesures figurant dans le texte : cela est vrai pour les infrastructures et la trajectoire de financement ; c’est aussi vrai du rôle confié aux autorités organisatrices de la mobilité, de la problématique des personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite, des dispositions relatives à nos territoires ultramarins, de l’ouverture des données, des mobilités partagées, du développement du réseau des recharges électriques ou de la création du « forfait mobilités durables » ; et de bien d’autres sujets encore !
Comme toujours en pareil cas, nous pouvons nourrir des regrets de ne pas avoir été suivis par notre assemblée sur plusieurs points. C’est le cas pour le free floating, sujet sur lequel j’ai la conviction que notre assemblée a privilégié l’émotion – légitime – d’une situation actuelle, qui n’est sans doute pas des plus satisfaisantes, au détriment de la nécessaire concertation avec des acteurs – nous l’avons vu au fil des concertations – qui souhaitent, dans le cadre d’une régulation inéluctable du secteur, s’impliquer dans les nouvelles mobilités au service des collectivités.
Je regrette aussi la frilosité de notre assemblée, qui n’a pas souhaité graver dans le marbre le respect des objectifs fixés par le plan Climat, comme la fin de la vente des véhicules essence et diesel à l’horizon 2040, la neutralité carbone du transport fluvial à l’horizon 2050, ou bien encore la réduction de 50 % des émissions de CO2 dans le transport aérien à l’horizon 2050.
Je regrette que notre assemblée n’ait pas été au rendez-vous sur un sujet qui va bien au-delà des préoccupations de la jeunesse et sur lequel nous avons une impérieuse obligation d’agir et de prendre nos responsabilités, loin de toute considération partisane. Je suis persuadé que l’Assemblée nationale ne fera pas montre de la même frilosité et que cette mesure sera réintroduite.
Nous avons aussi de réels motifs de satisfaction : des mesures fortes ont ainsi été prises après l’adoption d’amendements soutenus sur toutes les travées.
Je me félicite de ce que la notion de mobilité inclusive se soit substituée à celle de mobilité solidaire car, ne nous y trompons pas, la question de l’inclusion des exclus dans la mobilité est une question primordiale. N’oublions jamais que, en 2019, une personne sur quatre a déjà refusé un travail ou une formation, faute de pouvoir s’y rendre. Le sujet est donc essentiel.
Avant le début de l’examen du texte en séance, je vous avais fait part, mes chers collègues, de ma volonté et de celle de mon groupe de porter un regard particulier sur la question du vélo. Notre assemblée s’est pleinement saisie du sujet pour favoriser la pratique du vélo du quotidien, qu’il s’agisse du stationnement, de l’emport dans les trains, de l’apprentissage du vélo chez les plus jeunes, du schéma national des véloroutes ou de l’obligation de réaliser des itinéraires cyclables. Ce sont là autant de sujets sur lesquels le Sénat a fait preuve d’audace.
Il ne reste plus qu’à espérer, monsieur le président, que notre assemblée se dote sous peu d’une flotte de vélos à assistance électrique pour les sénateurs et les collaborateurs : la vélo-compatibilité du Sénat sera ainsi louée partout dans l’Hexagone !
Mme Noëlle Rauscent et M. Ronan Dantec applaudissent.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est vrai ! À bas la bagnole, tout le monde à vélo !
Sourires.
En définitive, nous allons nous prononcer sur un texte qui est cette véritable boîte à outils à laquelle tous nos concitoyens aspirent.
Nous le savons, cette boîte à outils ne sera efficace qu’à la condition, d’abord, de donner aux autorités organisatrices de la mobilité les moyens financiers de leurs ambitions. Nous avons d’ailleurs entendu vos engagements à ce sujet, madame la ministre.
Cette boîte à outils ne sera efficace qu’à la condition, ensuite, de promouvoir les expérimentations avant toute modélisation : nous avons là aussi entendu votre volonté d’agir en ce sens.
Cette boîte à outils ne sera efficace qu’à la condition, enfin, de parvenir, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, à toujours avoir comme fil conducteur le souci de tout mettre en œuvre pour encourager et développer les mobilités du quotidien.
Le Sénat a montré la voie avec un texte qui n’a d’autre ambition que de répondre à cette préoccupation partagée par tous les élus de notre territoire, lesquels savent que tout commence par les mobilités : l’accès à l’emploi, l’éducation, la santé et la culture. Tout est enjeu de mobilité et, en votant pour ce texte, nous montrons que nous sommes à la hauteur de cet enjeu !
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nos débats sur ce projet de loi ont été riches, argumentés et contradictoires. C’est la marque du Sénat, le débat d’idées.
Cette vision du débat démocratique nous honore et témoigne de l’utilité de la chambre haute dans le processus législatif.
Cette place est d’autant plus importante à tenir que le Gouvernement affiche actuellement un certain mépris mêlé de rancœur envers notre institution. Il recourt toujours davantage aux ordonnances ou aux lettres rectificatives, et introduit par voie d’amendement toujours plus de dispositifs fondamentaux, comme le contenu du sac à dos social, ce qui lui permet de s’exonérer d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État.
Nous avons d’ailleurs déposé une motion de procédure pour exprimer notre désaccord sur ces méthodes. Nous réitérons notre propos. Le Gouvernement aurait dû attendre la fin du grand débat pour tenir compte des revendications.
Pour l’instant, ce qui prédomine, c’est l’inertie. Le projet de loi n’apporte aucune réponse aux enjeux soulevés, ceux de l’égal accès au service public, de la justice fiscale, du coût du transport et de la possibilité d’une transition écologique qui ne rime pas avec déclassement social pour les plus fragiles. Il ne répond pas non plus à l’enjeu défini, entre autres, par les « gilets jaunes » d’une maîtrise publique des infrastructures.
Le texte ne prévoit pas de taxe nouvelle ni de recettes nouvelles pour développer l’offre de transports collectifs. Le statu quo est maintenu sur les conditions mêmes de l’exécution du service public et de ses financements, puisque l’Afitf reste dans l’impasse, et ce malgré nos multiples propositions, comme le retour de l’écotaxe ou la modernisation du versement transport, qui n’ont trouvé aucun soutien sur ces travées.
Notons tout de même la volonté du rapporteur de sanctuariser les recettes de l’Afitf grâce au fléchage d’une partie de la hausse de la TICPE. Cette fiscalité écologique, qui rapporte plus de 30 milliards d’euros au budget de l’État, pourrait cependant être davantage affectée au financement des transports, de sorte que la fiscalité écologique ne soit pas un simple alibi permettant d’alourdir les impôts de nos concitoyens.
Nous ne pouvons nier certaines avancées. Quelques-uns de nos amendements, intéressants, ont été adoptés, ce qui a permis : de prendre en compte la nécessité de la relance des trains d’équilibre du territoire et des trains de nuit ; de ne pas envisager l’avenir du fret ferroviaire sous le seul prisme des autoroutes ferroviaires ; d’empêcher que les données soient captées par les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ; de reconnaître la place du vélo dans l’offre de mobilités ; de supprimer la charte prévue pour les plateformes numériques, forme d’esclavage moderne, lui préférant la définition d’un salariat plus protecteur.
Pour autant, si l’on va au bout de sa logique, ce projet de loi s’inscrit dans un contexte qui contredit ses objectifs.
Madame la ministre, quand nous vous entendons dire que vous ne partagez pas l’idée selon laquelle le transport régulier est nécessaire sur l’ensemble du territoire, nous ne pouvons qu’être en profond désaccord avec votre vision du système de transport. Nous considérons justement que le droit au transport, qui sous-tend l’idée d’un transport public et de masse, l’idée d’un maillage du territoire en réseau, reste à développer et à conquérir pour tous. Nous considérons également qu’il convient de conserver des agents publics pour l’exécution de ces tâches si essentielles et si particulières.
Pour le dire comme nous le pensons, le covoiturage, la trottinette et le vélo, qui restent des modes de transport individuels, ne font pas la maille face à l’immense enjeu des mobilités dans le cadre de flux toujours plus importants. Comprenons-nous bien, ils ont toute leur pertinence, mais dans le cadre d’une stricte complémentarité avec des modes plus structurants, notamment l’offre ferroviaire.
Recouvrir ces nouvelles mobilités des oripeaux de la modernité, c’est nous jeter de la poudre aux yeux pour nous faire oublier votre politique de casse du rail, en totale contradiction avec les engagements pris dans le cadre des accords de Paris. Madame la ministre, vous ne pouvez pas faire passer le désengagement de l’État pour le monde du futur. En effet, c’est bien de cela qu’il est question lorsqu’on parle de gouvernance. Le couple intercommunalité-région ne fonctionne qu’en raison du dépérissement du trio État-département-commune.
De la même manière, l’ouverture des gares par les facteurs confirme le recul du service public, tout comme la fermeture des lignes capillaires et des gares annoncée par les médias, …
… qui conduit à la rétraction du réseau et de l’offre, comme nous l’avions prédit. La SNCF prospecte déjà en Espagne, et les potentiels nouveaux entrants sont approchés par SNCF Réseau.
Avec ce projet de loi, vous organisez le même dessein pour les transports urbains. Mais quel est l’intérêt de la concurrence du « tous contre tous », qui permet même à la RATP de concurrencer la SNCF, et inversement, dans une logique fratricide ? Il s’agit d’un gâchis de temps et d’argent, alors qu’il est nécessaire de répondre à un besoin d’intérêt public. Nous considérons que la cohérence de l’offre, les logiques d’intermodalité, comme les économies d’échelle imposent de réfléchir en termes d’opérateur intégré et même – osons les mots ! – de monopole public.
Au moment où les élections européennes se profilent, nous estimons qu’il faut mettre fin à ce dogme de la libéralisation à tout crin, que tous les acteurs et tous les usagers dénoncent dès lors qu’elle est mise en œuvre. Nos gouvernements devraient non pas se comporter en petit commis de la Commission européenne, mais faire en sorte de bien réfléchir en fonction de l’intérêt de nos concitoyens.
Nous pensons qu’il existe une autre voie à celle du démantèlement et de la privatisation rampante de la RATP, une autre voie que la libéralisation des transports urbains et de la mise en concurrence des salariés. Votre sac à dos social est un parachute percé, celui du recul des droits et des garanties pour les agents du service public !
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
La concurrence ne remplit finalement qu’une fonction, celle d’apporter une source nouvelle de profit aux acteurs privés en mal de dividendes. C’est un modèle fou qui déstructure tout ce qui fait le bien commun et qui, de ce fait, attaque les fondements de notre République.
Quand nos concitoyens ne partageront plus les mêmes droits, le pacte républicain sera rompu. C’est ce que vous promettez avec cette loi et vos solutions en termes de mobilités : des services publics à géométrie variable, en fonction du lieu de résidence et de la capacité contributrice de l’usager, très loin des principes d’égalité, d’adaptabilité et de continuité.
Pour toutes ces raisons, auxquelles j’aurais pu ajouter la provocation faite au droit de grève et notre rejet complet du Charles-de-Gaulle Express, nous voterons contre ce projet de loi qui ne répond pas aux enjeux de mobilité, de transport et de transition énergétique. Ce texte fait de la route l’unique matrice de la mobilité, oubliant les enjeux liés au fret ferroviaire, « ubérisant » les acteurs et organisant le démantèlement des opérateurs et des services publics !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la suite du discours prononcé par le Président de la République à Rennes en juillet 2017, nous pouvions comprendre la pause demandée en matière de grands chantiers d’infrastructures.
Les gouvernements successifs avaient honoré les engagements pris au fil du temps et des majorités à l’égard des métropoles, afin de réaliser la France de la grande vitesse. Il ne faut pas le regretter, car, outre le temps gagné sur ces dessertes, c’est aussi pour la France la possibilité d’exporter un savoir-faire reconnu.
Il n’en demeure pas moins que, durant la même période, c’est l’ensemble du réseau qui a pâti d’un sous-investissement. S’agissant de la route, la crise de 2008 a eu un fort impact sur l’allocation des budgets aux collectivités, conduisant à une réduction sensible de leur investissement dans le domaine routier.
Madame la ministre, l’ambition que vous portez a eu du mal à émerger au travers de ce projet de loi d’orientation des mobilités. Nous pensions sincèrement que ce texte serait une grande loi-cadre prenant en compte toutes les mobilités sans exception et que les différents modes seraient traités ensuite dans des textes dédiés. Or vous avez fait le choix de déconnecter nombre de thématiques : le ferroviaire l’an dernier, le plan Vélo ensuite, l’aérien bientôt peut-être… De plus, votre volontarisme a été mis à l’épreuve des arbitrages de Bercy et de Matignon.
Le texte présente quelques lacunes et ne nous semble pas totalement satisfaisant, notamment en ce qui concerne la question prégnante des financements.
Nous regrettons à cet égard que notre proposition d’un grand emprunt n’ait pas été acceptée. Pour l’heure, il est en effet fondamental d’investir, non seulement pour entretenir et renouveler nos infrastructures, mais aussi pour accélérer la réalisation d’un bon nombre d’entre elles dans les territoires.
Par ailleurs, la question de la contribution financière des poids lourds, notamment des poids lourds étrangers qui empruntent nos axes routiers, aurait mérité d’être traitée dans ce texte. Notre groupe avait proposé d’instaurer une redevance kilométrique, afin de les mettre à contribution. Espérons que l’Eurovignette ne tardera pas à être mise en place.
Nous nous inquiétons également des conséquences de l’ouverture à la concurrence de la RATP pour les salariés qui doivent bénéficier, selon l’expression consacrée, d’un « sac à dos social ». Encore faut-il en vérifier le contenu ! Nous y serons attentifs.
Nous regrettons beaucoup l’allongement à soixante-douze heures du délai de préavis de grève dans les transports publics, qui relève davantage du dogme que de la réalité vécue par les usagers franciliens. De toute évidence, lorsqu’on les interroge, ceux-ci nous indiquent être bien plus régulièrement gênés par les pannes et les retards dus à la vétusté du réseau que par d’éventuels mouvements sociaux. Avec un tel amendement, dans le contexte particulier du moment, il sera difficile de nous convaincre que l’on ne porte pas atteinte au droit de grève.
Il en est de même de l’amendement voté à l’article 2, qui n’a d’autre objectif que de réduire de 50 % la participation des employeurs, sous couvert de favoriser le télétravail. En réalité, cette mesure a pour conséquence de priver l’autorité organisatrice de la mobilité de recettes.
Au-delà de ces points, c’est avec une certaine gourmandise que le Sénat s’est attelé à la tâche, notamment sa commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, dont je veux saluer le président, ainsi que le rapporteur, notre collègue Didier Mandelli. C’est avec la même objectivité, madame la ministre, que je tiens à rappeler votre disponibilité, votre écoute et votre sens de la concertation.
Nous avons réussi à éviter que l’examen de la LOM ne se transforme en une succession de plaidoyers, tous légitimes, pour défendre, ici, un tronçon d’autoroutes, là, une voie de chemin de fer, ailleurs, la modernisation d’une écluse.
Pour autant, le travail de nos collègues a permis un certain nombre d’avancées, sur lesquelles je veux rapidement revenir.
Ainsi, le Conseil d’orientation des infrastructures est pérennisé. La proposition émise par notre groupe en commission concernant le transfert de la gestion de certaines lignes ferroviaires nationales aux régions a également été intégrée au texte. La sanctuarisation des ressources de l’Afitf avec l’affectation de l’intégralité du produit de la hausse de la TICPE est aussi à saluer.
L’introduction de nouveaux moyens de financement pour les collectivités nous semble pertinente. Il en est ainsi du versement mobilité réduit à 0, 3 % pour les autorités organisatrices de la mobilité qui n’organisent pas de services de transport régulier, ou encore du mécanisme de solidarité pour les territoires ruraux dont le versement mobilité aurait un rendement trop faible, qui repose sur la TICPE. Ce sont autant de dispositions qui vont dans le bon sens.
Nous approuvons aussi la suppression de la mesure qui instituait une charte facultative pour les travailleurs des plateformes numériques de mise en relation, que j’avais qualifiée de Canada Dry. On peut comprendre que ces personnes ne souhaitent pas forcément être salariées, mais elles doivent au moins se voir offrir des garanties en matière de protection.
Il est agréable de noter la prise en compte des spécificités et des enjeux portés par nos collègues ultramarins sur les problématiques maritimes et de continuité territoriale.
Nous nous réjouissons également de la consécration comme une priorité de la nécessité de développer le transport fluvial et de mener une politique volontariste en la matière, même si l’inscription du canal Seine-Nord Europe dans la loi ne lève pas les incertitudes liées à son financement. Nous avons accueilli avec satisfaction les propos du Président de la République devant les élus des Hauts-de-France vendredi dernier.
Au sujet de ces infrastructures majeures que sont le canal Seine-Nord Europe et le Lyon-Turin, je rappelle que le Premier ministre et vous-même avez réaffirmé qu’elles faisaient l’objet d’engagements internationaux et que la France honorerait sa signature.
(Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Par conséquent, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur le projet de loi d’orientation des mobilités !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
Saluant de nouveau l’esprit d’ouverture de la ministre, la qualité du travail de notre rapporteur et la forte implication de l’ensemble de nos collègues, il m’appartient de vous donner notre position, qui s’est efforcée de tenir compte des apports du Sénat au texte. Hélas, le dogmatisme de la majorité sénatoriale nous prive d’aller vers un vote favorable. §
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, présenté comme le projet de loi le plus ambitieux en matière de transports depuis la loi d’orientation des transports intérieurs de 1982, ce texte a pu susciter une certaine forme de déception chez ceux qui attendaient une véritable révolution dans le domaine.
Néanmoins, force est de constater que nous sommes nombreux à saluer les avancées de ce texte, en particulier son orientation stratégique qui permet de mettre enfin l’accent sur les mobilités du quotidien, grâce notamment au rôle renforcé des collectivités locales. Nous sommes aussi nombreux à saluer l’esprit d’ouverture du Gouvernement, ainsi que la prise en compte des attentes des différents groupes par le rapporteur.
À la lecture du projet de loi, un double enjeu apparaît très clairement : celui de désenclaver le territoire, tout en luttant contre la pollution liée aux transports ; ces deux objectifs ne sont pas contradictoires si l’on sait s’en donner les moyens.
Je ne peux pas entamer mon intervention sans évoquer la forte hausse du nombre des morts sur les routes depuis le début de l’année. Cette augmentation particulièrement inquiétante nous rappelle que toute politique de prévention doit s’accompagner d’une politique de répression efficace. La dégradation des radars automatiques au cours des derniers mois a entraîné une baisse de la vigilance, qui doit inciter les pouvoirs publics à agir rapidement. Début mars, 75 % des radars étaient encore endommagés : il faut engager des réparations et des mesures de protection ou de remplacement au plus vite.
Au-delà de la perte de nombreuses vies humaines, cette question nous interroge sur les capacités d’investissement de la France en matière de transports.
Depuis la présentation de ce projet de loi, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’instabilité du financement de l’Afitf, en raison notamment de l’instabilité du produit des amendes-radars. Il manque des centaines de millions d’euros à l’Agence pour qu’elle puisse mener à bien ses projets et concrétiser l’ambitieux plan d’investissement de l’État en la matière. Certes, un cap clair et innovant est fixé, mais comment s’en réjouir tant que l’on ignore comment il sera financé ?
C’est pourquoi, considérant qu’il fallait être à la hauteur des enjeux, les sénateurs ont fait le choix d’inscrire dans la loi des ressources pérennes et sanctuarisées pour l’Afitf. Nous espérons que cette position sera partagée par nos collègues de l’Assemblée nationale. Nous attendons aussi beaucoup du Gouvernement, qui nous promet des solutions issues du grand débat dans le prochain projet de loi de finances.
Le Sénat a également fait le choix de renforcer les moyens des collectivités, afin qu’elles puissent pleinement assumer leur mission d’autorités organisatrices de la mobilité. Madame la ministre, vous avez porté l’ambition de couvrir 100 % du territoire en autorités organisatrices de la mobilité, en affirmant qu’il n’y aurait pas de transfert de compétences sans ressources adaptées. Vous renvoyez sur ce point à la prochaine grande réforme de la fiscalité locale. Nous en prenons acte, même si nous aurions préféré l’inscrire dès maintenant dans la loi.
En effet, ce qui est fait n’est plus à faire, …
… d’autant que la fracture territoriale et sociale tend à s’accroître, une fracture qui divise la France des métropoles et la France des territoires, délaissée, abandonnée, menacée par des décennies de sous-investissement.
Une politique centrée autour des bassins de mobilité et des élus locaux permettra certainement de pallier certaines défaillances actuelles. La décentralisation renforcée, que nous appelons tous de nos vœux, prend forme peu à peu. Elle nécessite néanmoins, comme l’a très justement rappelé notre collègue Ronan Dantec, une forte péréquation et une solidarité nationale assumée.
Hors des grandes agglomérations, la voiture demeure indispensable. À l’échelle du pays, la voiture reste même le mode de déplacement domicile-travail de plus de 70 % des actifs. Il est donc essentiel d’accompagner les transitions dans ce domaine, sans tabou.
Il faut bien sûr favoriser les transports en commun : c’est l’une des raisons pour lesquelles les collectivités doivent être accompagnées. Il convient également de renforcer le maillage territorial des lignes ferroviaires, qui apparaît comme une étape indispensable à l’émergence d’une mobilité du quotidien moins dépendante de la voiture. Ces petites lignes qui structurent l’espace doivent absolument être préservées et seront, j’en suis sûr, l’un des maillons essentiels de la mobilité de demain.
Nous saluons à ce titre l’adoption d’un amendement, soutenu notamment par notre groupe, qui permet la gestion de certaines lignes par les régions qui en feraient la demande. Je me réjouis aussi de l’adoption d’un amendement permettant d’inscrire une possibilité de concomitance des travaux de modernisation et de régénération sur les lignes d’équilibre du territoire, trop longtemps délaissées et pour lesquelles le temps de parcours s’est beaucoup allongé en trente ans, mais qui restent tout aussi primordiales pour la mobilité et le désenclavement.
Nous aurions toutefois souhaité voir émerger des engagements plus fermes en ce qui concerne la vente des véhicules thermiques neufs. Près de 94 % des voitures présentes sur le territoire fonctionnent encore avec un moteur thermique. La marge de progression est immense : elle doit inciter l’État et les parlementaires à s’engager de manière plus énergique. Si nous voulons la fin des véhicules thermiques en 2040 et la neutralité carbone en 2050, il nous reste beaucoup de chemin à parcourir.
Malgré une délivrance soumise au bon vouloir de l’employeur, le « forfait mobilités durables » donne un premier signal positif aux usagers en les incitant financièrement à opter pour des modes de transport moins polluants.
Parmi les autres signaux positifs votés par le Sénat avec le soutien du groupe du RDSE, il faut citer l’inscription de la réduction des émissions de gaz à effet de serre parmi les objectifs visés au travers de la stratégie et de la programmation des investissements de l’État dans les transports, le rehaussement de la part minimale de véhicules à faibles émissions dans les flottes de véhicules d’entreprise, ainsi que des mesures visant à réduire la pollution des navires.
Sur proposition du RDSE, le Sénat a également souhaité étendre à tous les territoires la possibilité de créer des zones à faibles émissions. Pour des raisons prioritaires de santé publique, il était important de supprimer le seuil initial de 100 000 habitants.
Puisqu’il est question de santé publique, j’aimerais achever mon propos en saluant les mesures importantes qui ont été prises en faveur du vélo, même si ce mode de déplacement ne peut pas être utilisé partout avec la même facilité. Associées au grand plan mis en place par le Gouvernement, elles permettront de renforcer la place de ce mode de transport vertueux, à la fois pour l’environnement et pour la santé.
Vous l’aurez compris, le groupe du RDSE salue les avancées portées par ce projet de loi, notamment les 23 amendements qu’il a fait adopter et qui reprennent pour partie des mesures contenues dans la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires. Nous voterons donc à la quasi-unanimité en faveur de ce texte, largement enrichi par le Sénat.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.
Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi d’orientation des mobilités.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Yves Daudigny, Guy-Dominique Kennel et Patricia Schillinger, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une durée maximale de vingt-cinq minutes et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à seize heures.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 73 :
Nombre de votants345Nombre de suffrages exprimés266Pour l’adoption248Contre 18Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission, modifié, le projet de loi d’orientation des mobilités.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.
Je remercie les rapporteurs, le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ainsi que l’ensemble des collègues pour la qualité du travail réalisé.
La parole est à Mme la ministre.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais saluer l’adoption, par une très large majorité, du projet de loi d’orientation des mobilités et vous redire ma conviction que ce texte est essentiel pour répondre aux fractures territoriales et sociales, qui minent notre pays, et aux difficultés exprimées par nombre de nos concitoyens, notamment dans le cadre du grand débat.
Ce projet de loi apportera des réponses concrètes aux besoins actuels et à venir en matière de mobilité du quotidien. La rédaction issue de vos travaux en première lecture respecte les grands équilibres que j’ai défendus. Je ne peux que m’en réjouir.
Je me félicite notamment du consensus existant sur l’un des principes structurants du texte, à savoir la couverture complète du territoire par des autorités organisatrices chargées de la mobilité. Cette mesure peut paraître technique, mais c’est grâce à elle que plus aucun Français ne sera laissé demain sans solution.
Je note également l’intérêt fort du Sénat pour les mobilités actives, en particulier le vélo, et plus largement pour les enjeux de transition énergétique qui se posent pour tous les modes de transport.
Enfin, concernant la programmation des infrastructures, je me réjouis que vous partagiez la priorité donnée aux transports du quotidien et je remercie le Sénat d’avoir respecté l’économie générale de cette programmation, même si – j’ai eu l’occasion de le dire – je ne souhaitais pas que ce titre soit placé en tête du texte.
Un certain nombre de sujets devront être approfondis à l’Assemblée nationale, notamment la question du financement, du free floating ou de la billettique, mais je voudrais me féliciter de nouveau de la richesse des débats qui ont eu lieu durant cet examen et, malgré quelques divergences, saluer le rôle constructif et la mobilisation de votre Haute Assemblée pour enrichir ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.
L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019.
La parole est à Mme la secrétaire d’État, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d’être parmi vous cet après-midi, de retour de Berlin et dans le cadre de mes toutes nouvelles fonctions, le Premier ministre et le Président de la République m’ayant accordé leur confiance pour porter au mieux les questions européennes dans ces heures agitées.
Je suis aussi très heureuse de pouvoir vous rencontrer dans le cadre de ce nouveau format de débat, postérieur au Conseil européen. J’espère que cela permettra des échanges riches, après un Conseil européen qui a été particulièrement commenté.
Celui-ci, qui s’est donc tenu les 21 et 22 mars dernier, a débouché sur des décisions importantes à plusieurs égards.
J’évoquerai, tout d’abord, le Brexit.
Le Conseil européen a effectivement été dominé par le retrait britannique et la demande de Mme May de reporter la sortie jusqu’au 30 juin. Je ne reviens que rapidement sur le résultat, que vous connaissez. Sous l’impulsion du Président de la République, un accord a été trouvé, avec deux options pour cette extension : jusqu’au 22 mai, si la Chambre des communes avait approuvé l’accord de retrait d’ici au 29 mars, ce qui aurait pu permettre au Royaume-Uni d’achever sa procédure interne de ratification ; jusqu’au 12 avril, en l’absence de soutien de la Chambre à l’accord de retrait.
Pourquoi le 12 avril ? C’est la date limite pour que Londres décide d’organiser des élections européennes afin de disposer de députés au Parlement européen, comme ceux que la France y enverra à la suite des élections du 26 mai prochain.
Il se trouve que la Chambre des communes a rejeté une troisième fois, le 29 mars, l’accord de retrait. Il a manqué 58 voix à Mme May, un nombre en nette réduction, puisqu’il lui en manquait 149 le 12 mars et 230 le 16 janvier. Pour autant, nous savons, dans cette assemblée comme dans d’autres, qu’un tel écart reste considérable.
Où en sommes-nous désormais ? À la suite, notamment, des échanges que j’ai pu avoir ce matin avec mon homologue allemand Michael Roth, je vois trois scénarios se dessiner.
Dans un premier scénario, que je qualifierais d’optimiste, Mme May l’emporte sur le plan tactique.
Les conservateurs favorables au Brexit peuvent encore réaliser qu’il y a un risque à voir passer une solution à leurs yeux bien pire que l’accord de retrait, comme une union douanière permanente, laquelle n’a échoué que de 3 voix hier soir. Dans ce cas, l’accord de retrait peut finalement faire l’objet d’un vote favorable avant le sommet européen du 10 avril. Une brève extension technique supplémentaire serait alors nécessaire pour permettre la ratification.
Ce scénario reste peu probable au vu des derniers mouvements à la Chambre, mais n’est pas impossible. Ce serait la meilleure solution.
Il pourrait se décliner dans une version un peu moins optimiste, avec un accord, non juridiquement contraignant, de la Chambre sur une union douanière, qui puisse permettre, très rapidement derrière, de se rattacher à l’accord négocié par Michel Barnier. Dans ce cas, aussi, on pourrait imaginer revenir « dans les clous » !
Dans une version ou une autre, le scénario optimiste repose donc sur le fait que la perspective d’une possible majorité sur un projet d’union douanière fasse finalement céder les conservateurs sur l’accord de retrait initial.
Le deuxième scénario est beaucoup plus clair et sans appel : Mme May se présente au Conseil européen, le 10 avril prochain, sans vote positif sur l’accord de retrait et ne souhaite pas organiser d’élections européennes.
Dans de telles conditions, si rien n’était fait, les actes pris par le Parlement européen seraient entachés de nullité, car on ne peut pas être État membre de l’Union européenne sans disposer de représentants au Parlement européen.
Dans un tel cas de figure, le Royaume-Uni doit donc sortir de l’Union européenne sans accord – c’est le no deal. Les pays membres appliqueraient alors les mesures de contingence européennes et nationales préparées à cette fin – en France, 7 ordonnances ont pu être élaborées grâce à la loi d’habilitation votée au Parlement.
Sur le terrain, les contrôles seront prêts. Ils monteront progressivement en puissance, avec, bien sûr, le soutien de la Commission européenne. Des recrutements ont été lancés, la construction des infrastructures est en voie d’achèvement et des campagnes de tests pour l’exercice des différents contrôles sont en cours.
Nous sommes donc prêts s’il faut nous orienter, le 10 avril prochain, lors du sommet exceptionnel, vers un scénario de no deal, Mme May se présentant alors, je le rappelle, sans avoir ni le soutien des députés sur l’accord de retrait ni l’intention d’organiser des élections européennes.
Le troisième scénario, plus complexe et mouvant, serait celui où la Première ministre britannique demande une extension longue et organise des élections européennes.
Il créerait une difficulté politique au Royaume-Uni, évidemment, mais aussi, plus largement, en Europe, car nombreux sont ceux qui ne comprendraient pas cette décision après le référendum de 2016 sur la sortie.
Cette hypothèse devrait par ailleurs être soigneusement encadrée afin que le Royaume-Uni soit traité comme un État membre pas tout à fait comme les autres : il ne serait pas acceptable que Londres puisse peser sur le choix de la future Commission européenne ou sur des décisions de substance produisant des effets après son départ. Je pense, en particulier, à la négociation du cadre financier pluriannuel.
Nous sommes donc toujours dans une période très incertaine.
Il revient au Royaume-Uni de faire ses propres choix – des votes ont de nouveau lieu au Parlement demain et, aujourd’hui, se tiennent des réunions du cabinet extrêmement importantes. Il est clair que l’Union européenne doit continuer à manifester son unité et sa détermination à défendre les intérêts des Européens, notamment, comme le répète Michel Barnier, notre négociateur, en refusant de rouvrir l’accord de retrait et d’accepter une extension du délai si nous manquons de clarté sur une solution durable et crédible.
Ces discussions sur le retrait du Royaume-Uni ne doivent pas nous faire perdre de vue notre objectif central de relance du projet européen.
L’ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars nous a permis, et c’est heureux, de présenter plusieurs des idées exposées par le Président de la République dans sa tribune pour une renaissance européenne pour défendre notre liberté, protéger notre continent et retrouver l’esprit de progrès.
Un débat approfondi s’est tenu sur l’avenir du marché unique dans la perspective du prochain programme stratégique. Les chefs d’État et de gouvernement ont abordé tant l’avenir du marché intérieur que les politiques qui y sont liées, notamment l’économie numérique, la politique industrielle et, bien sûr, la recherche et l’innovation.
En particulier, le Conseil européen a engagé une discussion sur la nécessité d’une véritable politique industrielle européenne. Comme nous le souhaitions, le Conseil européen a invité la Commission à présenter, dès la fin de 2019, une vision stratégique de long terme sur l’avenir de l’industrie européenne, soutenue par des mesures concrètes.
Conformément aux propositions formulées par la France et l’Allemagne, cette stratégie devra en particulier soutenir les nouvelles technologies et s’assurer des financements nécessaires, notamment en ayant recours au Conseil européen de l’innovation. Il s’agira également de passer en revue l’ensemble des politiques contribuant à cet objectif, notamment la politique de la concurrence ; il faut, nous le savons, améliorer la cohérence entre les deux axes de la politique européenne que constituent la politique industrielle et la politique de la concurrence.
La Commission doit étudier d’ici à la fin de l’année les évolutions nécessaires pour répondre aux défis des évolutions technologiques et de la concurrence mondiale. L’enjeu est de mieux défendre nos technologies, nos entreprises et nos marchés, en utilisant pleinement le nouveau cadre de filtrage des investissements, en exigeant une plus grande réciprocité dans les marchés publics avec les pays tiers et en défendant à tout prix le multilatéralisme, tout en le modernisant chaque fois que c’est nécessaire – je pense notamment à l’Organisation mondiale du commerce.
Deuxième sujet au-delà du Brexit, les chefs d’État et de gouvernement ont échangé sur les orientations proposées par la Commission dans le cadre de sa stratégie climatique de long terme, en particulier sur le scénario de neutralité carbone en 2050, que nous souhaitons voir adopter dans la perspective du sommet Action climat de l’ONU en septembre 2019.
Comme le Président de la République l’a souligné, les conclusions du Conseil européen sur le climat sont décevantes. Alors que les signaux d’alarme lancés par la communauté scientifique et la société civile se multiplient, l’Europe doit agir de façon plus déterminée face à l’urgence climatique. La France et bon nombre de ses partenaires européens se sont engagés résolument en faveur de l’objectif de neutralité carbone en 2050 ; ce point figure dans le projet de loi sur la programmation pluriannuelle de l’énergie qui sera présenté très prochainement en conseil des ministres.
Nous avons obtenu que le Conseil européen revienne sur ce sujet dès le mois de juin, de telle façon que l’Union européenne soit pleinement préparée en vue de ce sommet sur le climat.
Renouer avec l’esprit de progrès qui caractérise le projet européen, c’est aussi, comme le propose le Président de la République, créer une banque européenne du climat pour mieux financer la transition énergétique dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. C’est enfin se fixer des objectifs ambitieux concernant le cadre financier pluriannuel, dont l’objectif de dépenses en faveur du climat doit être revu à la hausse par rapport à la proposition de la Commission.
Troisième sujet, les conclusions du Conseil européen font également état des progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation et la nécessité de protéger l’intégrité démocratique des élections européennes et nationales dans l’ensemble de l’Union européenne. Ce sont des enjeux essentiels pour notre liberté démocratique.
Le Président de la République a ainsi proposé que des experts européens puissent être déployés immédiatement en cas de cyberattaques ou de campagnes de désinformation. Dans le prolongement des derniers rapports publiés par la Commission, le 20 mars, sur les progrès réalisés par les plateformes en ligne, les conclusions du Conseil européen appellent ces plateformes à renforcer leurs efforts dans la mise en œuvre du code de bonnes pratiques contre la désinformation et à garantir des normes plus élevées de responsabilité et de transparence.
Quatrième sujet, nous restons déterminés à œuvrer pour renforcer la convergence économique et sociale au sein de l’Union, qui est au cœur du projet européen, pour nous doter de ce que le Président de la République appelle un « bouclier social ».
C’est le sens de l’action que nous avons menée avec la création d’une autorité européenne du travail, ou encore de nos efforts pour lier solidarité financière et convergence sociale dans le prochain budget européen.
Les chefs d’État et de gouvernement reviendront sur tous ces sujets – hormis, bien sûr, celui du Brexit – lors du sommet informel de Sibiu le 9 mai prochain, puis à l’occasion de l’adoption, en juin prochain, du programme stratégique pour la période 2019-2024, qui fixera les orientations et priorités politiques pour le prochain cycle institutionnel.
Sur la méthode, nous voulons nous appuyer, pour définir les priorités de l’Union, sur les principales préoccupations et attentes des citoyens, telles qu’elles ont été exprimées, en France et au-delà, dans les consultations citoyennes sur l’Europe qui se sont tenues au second semestre de 2018, et sur une conférence sur l’Europe, qui réunira tous les acteurs nécessaires d’ici à la fin de l’année, pour définir les changements nécessaires à mettre en œuvre.
Au fond, en France, nous avons eu le grand débat national ; en Europe, les consultations citoyennes sont également là pour alimenter cette feuille de route stratégique 2019-2024, pour s’assurer que l’Europe parle bien des préoccupations concrètes des citoyens à travers l’Union.
Dernier point pour conclure : le Conseil européen a échangé sur les relations avec la Chine afin de préparer le sommet Union européenne-Chine du 9 avril.
La discussion a donné lieu à un constat largement partagé sur le fait que la Chine est à la fois un partenaire et un concurrent pour l’Union européenne. Il est essentiel que les Vingt-Sept restent unis et défendent leurs intérêts économiques et stratégiques face à la Chine. L’Union doit être ferme et exiger de la réciprocité, notamment dans l’accès aux marchés.
Le Président de la République a résumé les discussions en estimant que, malgré certaines divergences de vue, « le temps de la naïveté de l’Union envers la Chine était révolu ». C’est dans cet esprit qu’a été organisée quelques jours plus tard à Paris, sur son initiative, une rencontre avec le Président Xi Jinping, la Chancelière Merkel et le Président Juncker.
La signature par le vice-Premier ministre italien et les autorités chinoises d’un accord de participation au projet des nouvelles routes de la soie souligne à quel point il est indispensable de renforcer encore davantage la coopération européenne dans ce domaine avant le sommet « 16+1 » du 12 avril en Croatie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil et je me réjouis maintenant d’entendre vos commentaires et vos questions.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, madame la secrétaire d’État, au moment où vous accédez à ces hautes et lourdes responsabilités, de vous adresser mes vœux de bonne chance et de réussite. Surtout, au-delà de l’énergie et du sang-froid que nécessite la gestion du calamiteux Brexit, je vous souhaite d’avoir une vision claire et de mener une action résolue pour la relance du projet européen, qui reste notre priorité absolue.
En traitant de sujets aussi divers que le Brexit, la Chine ou encore la compétitivité, le dernier Conseil européen a porté, au fond, sur la capacité de l’Europe à préserver son unité et à jouer un rôle, à l’avenir, au sein du concert des grandes puissances.
L’Union européenne, hélas ! se fragmente ; elle concentre une grande partie de son énergie sur la gestion du Brexit, alors que des défis immenses l’attendent si elle veut préserver son modèle économique et social, ses valeurs et sa capacité à être un acteur qui compte dans les relations internationales.
Le Brexit, tout d’abord.
Deux ans après le début des négociations, le scénario catastrophe se poursuit, avec les trois hypothèses que vous venez d’évoquer. Pour la troisième fois consécutive, le Parlement britannique a rejeté l’accord de retrait.
Nous attendons la date fatidique du 12 avril – dans dix jours ! – avant laquelle le Royaume-Uni doit proposer une alternative ou se résigner à un no deal, une sortie brutale de l’Union européenne.
L’Union européenne a souhaité que le Royaume-Uni reste maître de son destin, mais nous subirons tous les conséquences de ses choix.
Sur la période 2016-2018, la décision du peuple britannique a déjà fait perdre, mes chers collègues, 6 milliards d’euros aux exportateurs français !
La dépréciation de la livre, le ralentissement de la croissance outre-Manche créent des conditions défavorables qui, malheureusement, vont perdurer.
Sur le plan géostratégique, le Brexit est une aberration. C’est pourquoi nous devrons nous atteler, au cours des prochains mois, à repenser les cadres de la sécurité et de la défense européennes. La dynamique positive observée dans ce domaine depuis quelques années reste néanmoins à confirmer. Le Royaume-Uni doit pouvoir conserver le rôle essentiel qui est le sien dans l’architecture de sécurité et de défense de l’Europe.
La Chine, ensuite.
L’Union européenne semble prendre timidement conscience de l’ampleur des défis posés par la Chine, ce qui n’a malheureusement pas empêché l’Italie de se démarquer de ses partenaires en signant un accord bilatéral avec Pékin. L’unité dont l’Europe devrait pouvoir se prévaloir face à la Chine est mise à mal. Nous le regrettons.
La Chine investit dans le port de Trieste, à 700 kilomètres des frontières de la France. Les routes de la soie se construisent : l’Europe se contentera-t-elle de regarder passer les trains et les navires chinois ?
Partout, la Chine place ses pions à des points stratégiques de la planète. Je l’ai découvert moi-même à Djibouti, qui est un vibrant exemple, où j’accompagnais voilà quinze jours le Président de la République : le nombre de soldats chinois y est estimé à près de 10 000, alors que la France y maintient difficilement 1 400 militaires, malgré notre position historique.
La Chine investit massivement dans des infrastructures civiles et militaires, en échange d’un endettement massif – et donc de dépendance – de ces pays.
C’est une stratégie qu’elle démultiplie à l’envi, invoquant souvent le multilatéralisme, comme le président Xi Jinping l’a fait, ici même, au Sénat, alors qu’elle privilégie, en réalité, des relations bilatérales systématiquement déséquilibrées en sa faveur.
La compétitivité économique de l’Europe, enfin.
L’époque où l’Union européenne avait pour vocation principale de décloisonner le continent pour créer un grand marché est, hélas ! dépassée.
L’Union européenne et les nations qui la composent doivent aujourd’hui assumer collectivement leur place de deuxième puissance économique mondiale. Il faut donc aider nos entreprises à se projeter au niveau international, et non pas les affaiblir en leur appliquant des règles obsolètes.
L’émergence de grands champions européens dans les domaines technologiques d’avenir est un impératif stratégique. L’échec de la fusion d’Alstom et Siemens doit nous servir de leçon pour réformer l’Union européenne.
Face aux grandes puissances économiques que sont la Chine et les États-Unis, la naïveté de l’Europe n’a que trop duré. Elle ne pourra résister et éviter le décrochage qu’en surmontant ses divisions et en regroupant ses forces. C’est dire l’importance de la tâche qui attend l’Union européenne et ses États membres, après l’élection du prochain Parlement européen.
Madame la secrétaire d’État, nous le voyons bien, l’Europe est à un tournant de son histoire. Puissiez-vous parler au nom de la France pour faire prévaloir nos intérêts, mais aussi pour préserver les valeurs d’une Europe qui réponde vraiment aux aspirations de nos concitoyens !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.
La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, que je salue tout particulièrement et à qui j’adresse tous mes vœux de réussite – nous en avons besoin –, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, le dernier Conseil européen a été quelque peu mouvementé en raison des rebondissements liés au Brexit. En outre, le contexte des prochaines élections européennes conduit, par définition, à ce que les dossiers n’avancent que modérément.
Plusieurs sujets intéressant la commission des finances ont pu toutefois être abordés à l’occasion du Conseil européen du mois de mars.
Tout d’abord, celui-ci a approuvé les recommandations du Conseil sur la politique économique de la zone euro dans le cadre du semestre européen. Pour rappel, la croissance devrait malheureusement marquer le pas en 2019, en s’établissant à 1, 3 % au sein de la zone euro, à la suite du ralentissement déjà observé en 2018 en raison, en particulier, de la faiblesse de la demande mondiale et des incertitudes liées au Brexit.
Dans le cadre du semestre européen, le Gouvernement devrait nous communiquer sous quinzaine le programme de stabilité et le programme national de réformes, qui feront l’objet d’un débat en séance publique.
Avec les mesures adoptées en fin d’année – nous nous en souvenons particulièrement au Sénat – et les dispositifs annoncés qui restent encore à ce jour non financés – je pense à la suppression de la taxe d’habitation –, la commission des finances sera particulièrement attentive aux orientations budgétaires prévues par le Gouvernement pour 2019 et les années suivantes.
Ensuite, pour renouer durablement avec la croissance, le Conseil européen a insisté sur le nécessaire renforcement du marché unique, invitant la Commission européenne à présenter un plan d’action d’ici à 2020.
Dans ses conclusions, le Conseil européen a lié la nécessité de supprimer les verrous du marché unique et celle d’aboutir à une fiscalité juste, appliquée au sein de l’Union européenne.
Sur ce dernier point, au-delà des simples déclarations d’intention, force est de constater que la plupart des dossiers fiscaux sont bloqués au Conseil. Je pense notamment à l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés.
La seule issue pourrait être le passage à la majorité qualifiée en matière fiscale, mais une telle évolution nécessite l’unanimité. À ce propos, je m’étonne que, dans le cadre du grand débat, certains, y compris au plus haut niveau, avancent l’idée d’une TVA à taux zéro, alors que c’est strictement impossible, sauf à y revenir par la règle de l’unanimité.
Certaines mesures sont carrément enterrées. Je pense notamment à la taxation des services numériques au niveau européen.
S’il est donc ambitieux, l’agenda de la Commission européenne s’annonce toutefois délicat à mettre en œuvre pour aboutir à des mesures concrètes.
Par ailleurs, le Conseil européen a posé les jalons du mandat de la prochaine Commission européenne en matière de compétitivité et de politique commerciale.
En effet, après l’échec de la fusion entre Siemens et Alstom, les États membres questionnent les fondements du droit européen de la concurrence au regard des ambitions industrielles de l’Union européenne.
Le Conseil européen a ainsi invité la Commission à présenter des « actions concrètes » d’ici à la fin de l’année, même si les ingrédients de la concurrence européenne demeurent : concurrence loyale, mais aussi protection des consommateurs et des intérêts stratégiques de long terme de l’Union européenne.
En matière de politique commerciale, le Conseil européen a proposé de relancer les discussions sur la réciprocité de l’ouverture des marchés publics. L’unité des États membres sur cette question semble toutefois mise à l’épreuve, comme le prouve l’adhésion de l’Italie au projet des « nouvelles routes de la soie » avec la Chine.
Enfin, l’interminable épisode du Brexit a encore une fois occupé le devant de la scène, en attendant, peut-être avant quelques jours, d’éventuels rebondissements de la part du Parlement britannique.
Les 27 États membres ont octroyé un court délai supplémentaire au Royaume-Uni pour adopter l’accord de retrait. Toutefois, en dépit des efforts de Theresa May, le Parlement britannique n’a pas encore réussi à s’accorder sur une voie alternative, comme le montre son vote d’hier soir. Les États membres se préparent, sans doute à regret, à une sortie possible sans accord.
Le Brexit conduirait à une perte pour le budget de l’Union européenne, si le Royaume-Uni ne respectait pas son engagement de s’acquitter des 50 milliards d’euros pour le règlement financier de ce « divorce ».
Cette situation pourrait ainsi raviver les tensions entre les États membres qui ne partagent pas les mêmes points de vue sur l’évolution du budget de l’Union.
Madame la secrétaire d’État, quelles sont les hypothèses budgétaires envisagées pour répondre à cette difficulté, alors que la participation de la France au budget de l’Union européenne s’élève déjà à plus de 20 milliards d’euros ? Comment comblerions-nous l’engagement financier du Royaume-Uni ? Quel regard porte le gouvernement français sur le Brexit et l’hypothèse de plus en plus attendue ou redoutée, malheureusement, d’une sortie sans accord de l’Union européenne ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.
La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, m’a fait l’honneur de me confier le soin d’introduire, au nom de la commission, ce débat consécutif au Conseil européen des 21 et 22 mars dernier et de vous souhaiter, madame la secrétaire d’État, le plus grand succès dans vos nouvelles fonctions.
À une semaine de la date annoncée du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, ce Conseil européen a consacré plus de temps que prévu à ce sujet majeur. Mais, c’est heureux, le Brexit n’a pas entièrement occulté les autres questions stratégiques à l’ordre du jour : l’approche européenne face à la Chine et la situation économique de l’Union.
Concernant le Brexit, la demande de son report est arrivée très tard. Saisi la veille par Mme May d’une demande d’extension de l’article 50 jusqu’au 30 juin, le Conseil européen a réagi vite et bien : la solution retenue, qui concède une extension jusqu’au 22 mai en cas d’approbation de l’accord de retrait par la Chambre des communes, et seulement jusqu’au 12 avril dans le cas contraire, est dans l’intérêt de l’Union européenne.
Ce séquençage protège en effet le scrutin européen, ouvert du 23 au 26 mai, des risques juridiques inhérents à sa tenue au Royaume-Uni, obligatoire tant que ce pays reste membre de l’Union. En outre, cette dernière ne prend pas la responsabilité du choix de l’issue, mais la renvoie très opportunément au Royaume-Uni : celui-ci est tenu de se positionner avant le 12 avril, car, au-delà, il ne serait plus en mesure d’organiser les élections européennes.
Ce dispositif, d’inspiration française dit-on, apparaît bien conçu, même si la situation reste confuse à ce jour, avec le troisième refus de l’accord de retrait, intervenu vendredi dernier au Parlement britannique.
Deuxième motif de satisfaction : le front uni que le Conseil européen a affiché face à la Chine, à l’approche du sommet Union européenne-Chine prévu dans une semaine.
Les Vingt-Huit semblent prendre progressivement conscience de la nécessité de s’accorder sur la ligne à tenir face à la Chine, à la fois partenaire, concurrent économique et rival systémique.
Le Conseil européen a notamment fait valoir la nécessité de parvenir à un accord sur l’instrument garantissant une réciprocité dans l’accès aux marchés publics : finissons-en avec la naïveté de l’Union européenne, laquelle ouvre ses marchés à des États qui verrouillent les leurs !
Le Président de la République a tenu à conforter l’image d’une Europe unie face à la Chine, en invitant à ses côtés le Président Juncker et la Chancelière Mme Merkel à Paris, où était reçu le Président chinois mardi dernier.
Après les accrocs franco-allemands par voie de presse, cette démarche nous a paru salutaire, mais l’unité est fragile. La récente signature d’un mémorandum d’entente entre la Chine et l’Italie sur les nouvelles routes de la soie en est la preuve.
La crainte exprimée par plusieurs États membres de se priver du bénéfice des investissements chinois en est une autre. Le prochain sommet en format « 16+1 », entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale, risquait d’en apporter une troisième preuve ; il a donc été convenu de se conformer aux décisions issues du sommet Union européenne-Chine, qui se tiendra juste avant.
Il y a là sans nul doute un progrès, mais la vigilance reste de mise. À cet égard, l’approche européenne concertée pour assurer la sécurité des réseaux 5G sera un prochain test.
Dernier sujet traité par le Conseil européen : la situation économique de l’Union européenne.
Le Conseil européen a conclu à la nécessité d’asseoir le rôle de l’Europe sur la scène économique mondiale par cinq leviers : l’Union économique et monétaire, le marché unique, la politique industrielle, la politique numérique et la politique commerciale. En outre, le numérique et l’intelligence artificielle sont reconnus comme des priorités.
Cette approche intégrée préfigure une stratégie qui pourrait enfin transformer l’Union en puissance. C’est notre principal motif de satisfaction après ce Conseil européen, qui n’aura finalement pas été seulement celui du Brexit.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.
Madame la secrétaire d’État, permettez-moi tout d’abord de vous adresser mes félicitations pour votre nomination, comme l’ont fait mes collègues.
Il est difficile, cet après-midi, d’échapper au Brexit. Je me limiterai à quelques observations rapides.
Premièrement, sommes-nous prêts en cas de no deal ? Vous l’avez affirmé avec conviction, madame la secrétaire d’État ; pour ma part, je serai peut-être un peu plus prudent. Nous avons, certes, autorisé la prise de cinq ordonnances, mais cela ne suffit pas à garantir le caractère exhaustif et l’efficacité des mesures, d’autant qu’une frontière a, par définition, pour caractéristique d’être gérée à deux. Nous ne pourrons être prêts pour ce rendez-vous que si nos homologues britanniques le sont également.
Vous savez aussi, madame la secrétaire d’État, que le degré de préparation de nos entreprises reste aussi en discussion. Nombre d’entre elles ont d’ailleurs perdu légitimement – c’était une réussite de l’Union européenne – les savoir-faire liés à la gestion des frontières douanières.
Deuxièmement, le modèle parlementaire britannique souffre, alors que son ancienneté et sa solidité ont fait notre admiration, ainsi que celle des pères de notre Constitution.
Les commentaires sévères sur nos collègues britanniques abondent. Je ne les partage pas. D’une part, leurs difficultés montrent a contrario la force, la pertinence de ce qui a été bâti au cours des décennies par et avec l’Union européenne. D’autre part, partout en Europe, et pas simplement au Royaume-Uni, il est devenu difficile de passer des accords, de faire des concessions, de trouver des compromis. Cette idée selon laquelle le peuple souverain aurait une réponse simple à des questions complexes et que seule la déconnexion de la démocratie représentative ne lui permettrait pas de prendre les bonnes décisions est, vous le savez, ravageuse, des États-Unis à l’ensemble de l’Europe.
Nos propres difficultés, mes chers collègues, à mettre fin à la crise des « gilets jaunes », à mener nos arbitrages, à trouver des accords qui puissent être acceptés par toutes les parties de notre « archipel social » – si vous me permettez cette formule – démontrent qu’un modèle européen historique de prise de décision est attaqué.
Exprimé autrement : les difficultés des Britanniques sont le reflet de nos propres difficultés, et réciproquement.
Troisièmement, le Brexit vampirise la réflexion, l’énergie et l’action de l’Union européenne. Nous avons à préparer un nouveau mandat européen, une nouvelle Commission, nous avons relancé une dynamique européenne, une Europe de la souveraineté partagée. Aussi, madame la secrétaire d’État, à l’approche du sommet prévu le 10 avril et au regard de celui qui vient de se dérouler et dont vous nous avez rendu compte, je veux insister sur le point suivant : il y a tant de sujets passionnants à traiter, à améliorer, à construire que celui du Brexit doit-être certes traité, mais sans qu’il nous hypnotise.
Je dois dire que j’ai apprécié votre souci d’élargir le regard et que vous ayez indiqué que le travail continuait pendant le Brexit avec l’avenir du marché unique, avec les questions d’orientation stratégique sur le climat ou les progrès dans la lutte contre la désinformation. Vous avez mis également en perspective le prochain sommet, majeur, de Sibiu.
De la même manière, je remercie mes collègues pour le souffle qu’ils ont donné à ces questions : M. le président Cambon, qui a traité des questions de défense, M. le rapporteur général, qui a évoqué les perspectives financières, et M. Reichardt, qui a notamment traité de la Chine et des questions numériques.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État – à mon tour, je vous adresse mes félicitations et mes meilleurs vœux de réussite –, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, tel un feuilleton qui n’en finirait pas, les rebondissements se sont succédé depuis le Conseil européen des 21 et 22 mars dernier sur des sujets pourtant essentiels pour l’Union européenne.
Premier point tout d’abord, et surtout : le Brexit.
Les Européens n’ont pas cédé aux pressions britanniques et ont décidé de remettre la balle dans le camp de Theresa May alors qu’elle demandait un report au 30 juin. C’est une bonne chose.
Les Vingt-Sept ont proposé la date du 12 avril en cas de no deal, bien plus cohérente juridiquement, et du 22 mai en cas d’adoption de l’accord. Un choix qui protège aussi bien les intérêts européens que les intérêts britanniques.
Les parlementaires britanniques en ont, pourtant, décidé tout autrement en reprenant la main avec une série de votes indicatifs sur la forme que doit prendre le Brexit, votes qui n’ont rien donné et qui conduisent de plus en plus à ce qui ressemble à une voie sans issue, allant jusqu’à la démission désespérée de Theresa May ! Mais qui pour la remplacer ? Nous ne le savons pas.
Permettez-moi de commencer à douter du comportement de ces élus qui n’agissent pas à la hauteur de leurs responsabilités, en mettant en danger leur pays, leurs concitoyens, leurs entreprises, mais aussi leurs partenaires historiques et économiques.
Repousser la date du Brexit, sans véritable raison et sans explication donnée aux citoyens européens, n’enverra pas un bon signal et risque, au contraire, de renforcer les sentiments d’éloignement et d’incompréhension tant décriés par certains.
À quelques semaines d’une échéance électorale primordiale pour l’Europe, cela ne peut être accepté.
Les 27 États membres sont et doivent rester plus que jamais fermes et unis face à cette situation édifiante.
L’Europe doit garder la main sur ce calendrier pour qu’il ne vienne pas perturber la bonne tenue de la campagne des élections européennes, mais également l’installation du futur Parlement européen, qui aura beaucoup à faire pour l’avenir de nos territoires.
C’est maintenant aux dirigeants britanniques de s’expliquer devant leurs citoyens et électeurs. La décision du Conseil européen est donc une façon de mettre le Royaume-Uni devant ses responsabilités et doit, même si nous pouvons le regretter, s’appliquer le 12 avril en cas de no deal.
Deuxième point : les décisions concernant les relations de l’Union européenne avec la Chine, qu’il convient de saluer.
J’avais alerté Nathalie Loiseau à ce sujet lors de notre débat préalable au Conseil européen et il semble que les États membres aient pris la mesure de l’urgence de faire front uni face à cette puissance économique mondiale.
Sans céder aux sirènes du protectionnisme, le Conseil européen a décidé de multiplier les mécanismes pour répondre à la concurrence étrangère jugée déloyale.
C’est un sujet stratégique fondamental pour les États membres européens, qui doivent plus que jamais parler d’une seule voix.
C’est chose faite puisque le premier acte concret de cette nouvelle politique pourrait être l’adoption d’un nouvel instrument destiné à assurer la réciprocité entre l’Union européenne et la Chine dans l’attribution des marchés publics. Il s’agit là d’un enjeu considérable puisque ces derniers pèsent 2 400 milliards d’euros, soit plus de 16 % du produit intérieur brut européen.
Cela s’est aussi traduit, très rapidement, dans les faits, lors de la visite du Président chinois Xi Jinping la semaine dernière en France, accueilli par un front uni composé de la France, de l’Allemagne et de la Commission européenne.
C’est cette politique coordonnée et unie entre les États membres qui doit prévaloir face à des intérêts politiques de court terme. L’Europe devra rester vigilante et passer les mêmes messages lors du sommet Union européenne-Chine le 9 avril prochain.
Troisième point : la lutte contre la désinformation.
Je note l’appel du Conseil pour renforcer les efforts coordonnés visant à s’attaquer aux aspects intérieurs et extérieurs de la désinformation et à protéger les élections européennes et nationales dans l’ensemble de l’Union européenne. Le renforcement de sa résilience face aux menaces extérieures est essentiel. Les élections européennes en seront le prochain test, et j’espère qu’il sera positif.
Quatrième point, enfin : même si beaucoup reste à faire, je salue les conclusions du Conseil visant à mettre en place une véritable politique industrielle européenne. Je serai attentive au document que présentera la Commission européenne d’ici à la fin de l’année concernant sa vision à long terme pour l’avenir industriel de l’Union européenne et les mesures concrètes assorties, destinées à la mettre en œuvre.
Des pistes pour une politique industrielle modernisée ont d’ailleurs déjà été présentées par un groupe de réflexion interne à la Commission, en misant notamment sur le soutien aux projets de technologies avancées et la protection des entreprises européennes. Il faudra s’en inspirer.
Il semblerait aussi opportun de réfléchir à la pertinence d’une révision de la politique européenne de concurrence pour que des situations comme celle que nous avons connue avec Alstom et Siemens ne se reproduisent plus. Un nouvel équilibre doit être trouvé entre ouverture et protection du marché européen.
Ces décisions du Conseil européen des 21 et 22 mars dernier sont donc stratégiques pour l’avenir de l’Union européenne, pour maintenir sa cohérence et pour la protéger au mieux des potentielles menaces extérieures. Gageons que les engagements pris seront suivis d’effets concrets.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, et Bernard Lalande applaudissent également.
Madame la secrétaire d’État, au nom du groupe La République En Marche, je vous adresse tous mes vœux de réussite, en espérant que la relance du projet européen sera portée haut et fort.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, je me réjouis de la tenue de ce débat européen en séance publique, qui tombe à point nommé. Il nous donne l’occasion de nous exprimer non seulement sur les conclusions du dernier Conseil européen, mais aussi sur les récents rebondissements intervenus dans le « feuilleton » du Brexit.
J’axerai mon propos sur trois dossiers en particulier, qui mettent à rude épreuve l’intégrité et la force du projet européen : le Brexit, bien sûr, les relations entre la Chine et l’Union européenne, ainsi que les enjeux de cybersécurité.
Le Brexit a largement occupé les esprits et les discussions de ce sommet européen.
Des conclusions spécifiques ont effectivement été adoptées, afin d’entériner un accord clair sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Cet accord est venu proroger la date de sortie effective, tout en préservant une unité infaillible entre les États membres. Il a réaffirmé notre position constante selon laquelle l’accord de retrait ordonné n’est pas renégociable.
Depuis, l’incertitude est montée d’un cran, puisque, par 344 voix, la Chambre des communes a persisté, signé et refusé ; seuls 44 députés supplémentaires ont été convaincus par Mme May – il en manque encore un certain nombre, cela a été dit, et je ne suis pas sûr que nous arrivions au résultat final espéré.
Plus marquant encore, le Parlement britannique n’est pas non plus parvenu à se mettre d’accord sur les huit options alternatives de retrait qui avaient été proposées par des parlementaires.
Par la force des choses, le débat de ce jour est devenu un débat préalable au Conseil européen extraordinaire du 10 avril prochain, qui a été convoqué par le Président du Conseil européen, Donald Tusk, en vue d’anticiper la nouvelle date fatidique du 12 avril.
Le scénario du pire, qui implique la concrétisation d’un no deal, semble plus que jamais possible. Dans une communication faite le 25 mars, la Commission européenne a indiqué avoir finalisé ses préparatifs d’un Brexit sans accord. Fort heureusement, même si tout n’est pas achevé, le gouvernement français s’est aussi préparé suffisamment tôt à cette hypothèse. Une dernière ordonnance prise sur le fondement de la loi relative aux mesures de préparation au Brexit a été présentée en Conseil des ministres le 27 mars dernier. S’en est ensuivie la publication de trois décrets et d’un arrêté, qui permettent d’avancer.
Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous dire si l’ensemble des mesures législatives et réglementaires ont été prises ? Comment jugez-vous désormais le niveau de préparation de nos entreprises françaises à un no deal ?
Notre pays estime que « l’idée d’une extension longue, impliquant une participation du Royaume-Uni aux élections européennes, ne pourra être examinée que si le plan alternatif est crédible, soutenu par une majorité au Parlement britannique ».
Madame la secrétaire d’État, qu’est-ce qui pourrait aujourd’hui être caractérisé de plan alternatif crédible ? Comment croire qu’un tel plan est encore possible, alors que cette dernière semaine nous a prouvé le contraire ? Ne serait-ce pas un risque de discrédit pour l’Union européenne que d’accepter un report long aux conséquences déstabilisatrices incertaines pour le fonctionnement de l’Union comme pour les élections européennes de mai ?
Le Parlement britannique a dit « non » à un no deal, « non » à une union douanière avec l’Union européenne, « non » à un maintien dans le marché unique, « non » à un second référendum sur l’accord de retrait. Tout se passe désormais comme si le bateau naviguait sans capitaine à son bord.
Madame la secrétaire d’État, quelle position adoptera la France lors de ce sommet extraordinaire du 10 avril ?
En dehors du Brexit, ce Conseil européen était aussi destiné à débattre d’une position commune face à la Chine, afin de préparer le sommet bilatéral Chine-Europe du 9 avril, sur fond de visite d’État du Président chinois à Rome, à Monaco et à Paris.
Le défi est colossal, puisque jusqu’à présent l’Europe a surtout brillé par un manque de ténacité et un manque d’unité face à la Chine. Il ne s’agit pas de nier l’importance de la coopération sino-européenne ni de défaire ces relations. En effet, comme l’a rappelé le Président de la République lors de la conférence de presse conjointe avec le Président Xi Jinping et la Chancelière Angela Merkel, le 26 mars dernier, « le dialogue entre la Chine et l’Europe est devenu incontournable pour la définition des équilibres mondiaux, pour la préservation du multilatéralisme ».
Aujourd’hui, il importe surtout que nous nous donnions les moyens d’une coopération équilibrée et exigeante, d’une coopération respectueuse des intérêts européens et adaptée aux réalités du monde.
Nous devons nous donner les moyens d’une véritable cohésion entre États européens, car ce qui s’est passé dernièrement avec l’Italie ne peut que susciter des doutes néfastes et de l’inquiétude. À ce propos, notre groupe se félicite de la démarche inédite qu’a engagée le Président de la République en invitant Jean-Claude Juncker et Angela Merkel à une réunion commune avec le Président chinois. Un tel front uni est une manière de dire : « Nous sommes un État, certes, mais un État européen. »
Aujourd’hui, une prise de conscience s’opère, et c’est plus que louable.
Il y a, d’un côté, la Commission européenne, qui, avec son récent mémorandum, donne une impulsion à une posture plus ferme et plus réaliste, en exigeant un rééquilibrage dans les relations économiques avec l’Europe, plus de réciprocité dans l’accès aux marchés publics chinois, plus de transparence et moins de distorsions concernant les subventions d’État.
Il y a, de l’autre côté, un Parlement européen inquiet des « menaces pour la sécurité liées à la présence technologique croissante de la Chine dans l’Union » et qui exhorte les États européens à se coordonner.
Cette inquiétude à l’égard de l’entreprise Huawei et de sa place dans le déploiement de la 5G en Europe n’est pas dénuée de fondement. Ce sujet appelle à beaucoup de prudence.
Sur ce point, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous dire comment la France accueille la communication de la Commission européenne portant sur une approche concertée en matière de sécurité des réseaux 5G ?
Enfin, la Commission appelle chaque État membre à réaliser une évaluation nationale des risques liés aux infrastructures des réseaux 5G d’ici à la fin du mois de juin.
Comment le Gouvernement compte-t-il procéder pour opérer cette évaluation ?
À nous, parlements nationaux, de nous saisir également de tous ces enjeux géostratégiques et de cybersécurité ; aux États, la responsabilité de contribuer à bâtir une cohésion européenne. N’ayons pas peur d’affirmer nos convictions, de bâtir une Union européenne solide et suffisamment protectrice. N’ayons pas peur d’affirmer nos valeurs européennes de démocratie, de liberté et de paix, tout comme nos intérêts européens !
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quelle que soit l’issue des négociations en cours à Londres ou à Bruxelles, quelles que soient les conditions de la sécession du Royaume-Uni, avec ou sans traité, avec ou sans accord commercial, au sein ou à l’extérieur de l’Union douanière, le moment que nous vivons est historique et nous devons nous interroger, en toute honnêteté, sur les conséquences de cette scission pour une Europe qui se questionnait, jusqu’à présent, sur les conditions de ses élargissements successifs.
Il serait trop simple et trop commode d’expliquer ce repliement par l’isolationnisme atavique d’une nation insulaire ou, comme je l’ai entendu dans cette enceinte, par l’irrationalité d’un peuple et de sa classe politique offrant à une Europe sage et raisonnable le spectacle du « suicide d’une nation ».
Je suis consterné aussi par les déclarations de celles et de ceux qui souhaitent que cette sortie de l’Union pénalise le peuple qui s’est détourné du droit chemin, et je déplore que le marasme attendu dissuade, à l’avenir, toutes nouvelles tentations de séparatisme. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la situation que d’opposer aux Britanniques la fameuse formule d’une de ses dirigeantes : « Il n’y a pas d’alternative. » M. Jean-Claude Juncker en propose une autre formulation quand il déclare : « Il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens. »
Dans l’esprit et la parole de ces contempteurs se déploie l’idée pernicieuse selon laquelle, finalement, le problème de la démocratie serait le peuple et que tout deviendrait plus simple et plus efficient si la politique était l’affaire des seuls spécialistes. Aux passions barbares et irrationnelles des multitudes incapables d’apprécier la justesse des moyens destinés à leur prospérité, il faudrait substituer le gouvernement des experts, détenteurs de la seule vérité et agissant pour le seul bien de l’humanité selon des règles économiques inspirées du seul bon sens.
En comparaison, la rationalité d’un peuple est peut-être sommaire. Elle n’en repose pas moins sur la perception quotidienne de ses moyens d’existence, sur l’appréciation de ses conditions de vie et sur l’espoir d’offrir à ses enfants un monde meilleur. Tels étaient d’ailleurs les desseins constitutifs du traité de Rome de 1957.
Je vous en rappelle deux motifs, issus de son préambule : les États membres déclarent avoir pour but essentiel « l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi de leurs peuples », et ils souhaitent « renforcer l’unité de leurs économies et en assurer le développement harmonieux, en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées ».
Les États de 1957 formaient un ensemble relativement homogène par les niveaux de vie de leurs populations et les objectifs sociaux qu’ils s’étaient imposés au sortir de la guerre. L’élargissement de l’Europe à la Grèce, à l’Espagne, au Portugal et à l’Irlande a été accompagné par des aides structurelles destinées à renforcer la cohésion économique et sociale de ce nouvel espace. Cette ambition a été abandonnée lors de l’adhésion des pays de l’est de l’Europe, alors même que leur situation économique et sociale aurait exigé un accroissement considérable de ces politiques de développement.
Au contraire, dans ce nouvel ensemble très hétérogène, les disparités économiques et sociales ont entretenu des processus de mise en concurrence des individus, des entreprises et des territoires qui ont, in fine, considérablement accru ces inégalités.
Tout s’est passé comme si les mécanismes économiques déstabilisateurs inhérents au processus de la mondialisation avaient été introduits au sein de l’Union européenne. Soumises à ces pressions intérieures et extérieures, des régions entières de l’Europe ont subi un déclassement social et économique sans précédent ; ce sont leurs populations qui, au Royaume-Uni, ont voté massivement pour la sortie de l’Union.
Ainsi, la rationalité du peuple britannique s’est exprimée pour condamner une dégradation de ses conditions d’existence, qu’elle attribue à l’Europe, parce qu’elle a bien perçu que sa logique économique obéissait aux mêmes dogmes que celle que leur avaient imposée les gouvernements de Margaret Thatcher. Le Président de la République a bien résumé cette profonde désaffection en déclarant, le 6 novembre 2018 : « Il faut entendre les peurs face à une Europe ultralibérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre. »
Ce que nous disent aujourd’hui ces peuples qui se dressent contre l’Europe et dont nous devons absolument entendre les appels de détresse, c’est que les promesses du traité de Rome n’ont pas été tenues et que les engagements pris alors devant les nations ont été progressivement abandonnés. En réclamant le retour des frontières, ils souhaitent confusément que l’Europe, refondée sur son projet initial, organise notre espace commun sur d’autres règles que celles que tentent de nous imposer les États qui nous livrent une guerre commerciale totale.
Nous ne pourrons poursuivre la construction de l’Europe contre les peuples. Les habitants de Stoke-on-Trent, près de Stafford, ont voté à plus de 60 % pour la sortie de l’Europe. Leurs raisons sont multiples, mais tous partagent le même désespoir devant la fermeture des dernières industries et le déclin inexorable de leur territoire. Il est grand temps d’entendre leur souffrance si nous voulons continuer à espérer dans l’Europe !
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Madame la secrétaire d’État, je me joins au concert de félicitations au sujet de votre nomination, en souhaitant que nous puissions travailler ensemble pour le bien de l’Europe.
Monsieur le président, mes chers collègues, le dernier Conseil européen s’est situé, beaucoup l’ont dit, dans le contexte du Brexit et des différents votes de la Chambre des communes. Ces votes, qui ont toujours recueilli la majorité, ont un point commun : refuser l’accord avec l’Union européenne et rejeter, dans le même temps, toute autre solution.
Le Conseil européen exceptionnel du 10 avril prochain sera déterminant pour la suite, mais quelle tristesse ! Rappelons que les conséquences d’un Brexit dur ou d’un Brexit mou ne seront bonnes pour personne, pas plus pour l’Union européenne que pour le Royaume-Uni.
Le Conseil des 21 et 22 mars a aussi été l’occasion d’aborder largement la croissance, l’emploi et la compétitivité. Approfondir l’Union économique et monétaire, mettre en œuvre une politique industrielle volontariste, développer l’économie numérique ou encore se doter enfin d’une politique commerciale ambitieuse et protectrice : tels sont, avec les relations extérieures et le changement climatique, les principaux points qui ont été évoqués.
Au-delà de ce qui peut apparaître comme un catalogue de bonnes intentions, on doit se féliciter du retour à une politique active et volontariste. L’Europe doit effectivement tracer des perspectives de développement, tout en assurant un haut niveau de protection.
La Chine et les États-Unis sont, certes, des partenaires économiques de première importance, mais nous devons protéger nos entreprises de la concurrence déloyale de ces pays et leur permettre de se développer dans une économie désormais mondialisée.
De ce point de vue, le Conseil européen des 20 et 21 juin prochain jouera un rôle majeur. Je me permets d’en parler aujourd’hui un peu en avance puisque, compte tenu des nouvelles règles, nous ne pourrons plus aborder ces questions avant cette échéance, tout comme je signale à mon tour le Conseil exceptionnel du 9 mai à Sibiu. On sortira alors des bonnes intentions pour entrer dans le concret, notamment avec des discussions concernant les perspectives budgétaires pour la période 2021-2027.
Un nouveau Parlement européen aura été élu, et il sera temps d’avancer enfin sur l’avenir de l’Union pour les prochaines années : budget, politique agricole commune – PAC –, fonds de cohésion, Schengen, zone euro. S’agissant de la PAC, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement assure qu’il fait tout pour maintenir son niveau au profit de notre pays. L’ancienne ministre, désormais candidate, a indiqué que la baisse pourrait être de 15 %, tandis que le ministre de l’agriculture parle, lui, d’au moins 5 %, mais il est dans son rôle. Peut-être pourriez-vous nous donner votre point de vue sur ce dossier majeur ?
Il est un autre dossier majeur sur lequel je voudrais insister tout particulièrement, mes chers collègues. On en parle peu, mais il devrait nous inquiéter : il s’agit de l’avenir de la politique de cohésion.
Cette politique est un marqueur fondamental pour l’Europe, car elle permet de réduire les écarts de richesse entre les pays de l’Union européenne, ainsi qu’entre les différents territoires au sein de ces pays. Or le flou le plus total règne sur le budget qui sera alloué dans le cadre financier pluriannuel ; et vous le savez, quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup et qu’un mauvais coup se prépare !
Mme Loiseau, désormais candidate aux élections européennes, vient de déclarer qu’elle ne voulait plus que l’argent de l’Europe serve, à l’avenir, à construire des autoroutes en Slovaquie. C’est un peu désobligeant pour ce pays, mais c’est surtout inquiétant pour le nôtre. Nous voulons en effet, et je pense que nous serons tous d’accord dans cette assemblée, que l’argent de l’Europe continue de servir à construire des routes et à les aménager en France.
Pour ma part, je trouve absurde d’opposer solidarité avec les territoires et compétitivité. L’une ne va pas sans l’autre, et il suffit de regarder le chemin parcouru par l’Espagne, le Portugal ou la Grèce pour se convaincre que l’aide apportée par l’Europe au développement, entre autres, d’infrastructures de transport n’a pas été, en définitive, une si mauvaise chose. L’Espagne, notre grand voisin, est, je le rappelle, notre deuxième partenaire commercial.
Vous m’excuserez de citer un exemple que je connais bien dans mon département, mais chacun d’entre nous, dans le sien, pourrait évoquer des cas similaires : la première phase du désenclavement du bassin d’Alès, par la construction d’une 2x2 voies grâce à des fonds structurels, a permis à l’industrie de gagner en compétitivité et a attiré de nouvelles activités, notamment dans les services.
Depuis maintenant plus de vingt ans, les conservateurs et libéraux n’ont eu de cesse que de vouloir modifier cette politique de cohésion, qui est une politique de solidarité, pour aller vers une politique de compétitivité. Mes chers collègues, l’idée qui circule actuellement – j’en parle aujourd’hui parce que, s’il est bon que nous parlions de la PAC, il ne faudrait pas que celle-ci nous fasse oublier les fonds structurels – et qu’avait déjà avancée la Commission européenne en mai 2018 serait de créer une enveloppe dédiée aux 19 membres de la monnaie unique au sein du fonds de soutien pour les réformes structurelles qu’elle a proposé en mai 2018. Ce fonds contient d’ailleurs déjà une ligne réservée aux pays hors zone euro.
Trois pistes de financement sont évoquées par la Commission, et c’est là que cela devient intéressant : l’utilisation des 25 milliards d’euros déjà prévus pour ce fonds de soutien aux réformes structurelles ; le « refléchage » d’une partie des fonds européens prévus pour les 27 membres de l’Union européenne ; ou encore un prêt garanti par le budget européen.
Ce projet a été discuté le 28 février et le 1er mars derniers par des représentants des ministères des finances des 19 pays, en même temps que la proposition franco-allemande sur le sujet. Dans ce document, les deux capitales conviennent de placer, comme le voulait Berlin, le budget de la zone euro au sein du cadre financier pluriannuel. Paris a obtenu, de son côté, que la gouvernance de cet instrument soit régie par un accord intergouvernemental.
Le compromis contente les deux parties sur la nature des projets à cofinancer : ils seront liés aux recommandations de réformes – point cher à l’Allemagne, vous le savez – et d’investissements – point important pour la France –, identifiées lors du semestre européen.
Donc, si la proposition de la Commission européenne est approuvée, cela valide le principe d’une porosité des fonds vers les réformes structurelles qui seraient financées dans le cadre d’un budget de la zone euro.
Je tiens à vous alerter tout particulièrement sur ce point, car, si on conjugue la conditionnalité des aides version allemande et Commission européenne à la création d’une enveloppe dédiée pour les pays de la zone euro, les fonds européens tels que nous les connaissons dans nos régions vont disparaître. Le groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen propose d’ailleurs le maintien et le développement de cette politique, si utile à nos territoires.
De plus, le refus clair du Parlement européen, il y a quelques semaines, de l’application du principe de macro-conditionnalité doit être entendu et pris en compte. Nous l’avons déjà dit ici, voilà près d’un an, il n’est pas acceptable que la Commission européenne puisse intervenir au niveau des régions lorsqu’un État membre ne respecte pas les règles du pacte de stabilité et de croissance. Si nous validons dans le dur ce lien, cela ira irrémédiablement à l’encontre du développement de nos territoires, à l’échelle européenne.
Madame la secrétaire d’État, la conditionnalité des aides, c’est faire payer aux citoyens européens les éventuelles turpitudes de leurs dirigeants, pour lesquels ils n’ont pas toujours voté.
Pouvez-vous nous indiquer de manière claire et précise, si cela est aujourd’hui possible, quelle est la position du Gouvernement sur l’avenir des fonds structurels européens ? Je tiens à vous alerter : la politique de cohésion est menacée, car ces fonds risquent d’être supprimés ; et l’on n’en parle pas. Le groupe socialiste et républicain se battra pour son maintien et son développement et, j’en suis sûr, sera rejoint par beaucoup d’autres groupes et nombre de nos collègues au sein de notre assemblée.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Pierre Ouzoulias et Jean-Claude Requier applaudissent également.
Madame la secrétaire d’État, je voudrais à mon tour, au nom du groupe du RDSE, vous féliciter pour votre prise de fonctions et vous souhaiter une pleine et entière réussite.
Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, alors qu’il n’était pas initialement à l’ordre du jour du Conseil européen, le Brexit a naturellement accaparé la rencontre.
Le terme du 29 mars est échu, et le Royaume-Uni n’est bien évidemment toujours pas sorti de l’Union européenne. Malgré la détermination de Theresa May, les différents accords n’ont pas été adoptés par le Parlement britannique, d’où cet allongement de délai. Dans ses conclusions, le Conseil européen a pris acte de la nouvelle échéance du 12 avril, un report que l’on ne peut qu’approuver sur le principe.
Toutefois, le flou règne toujours, si ce n’est qu’en mettant sa démission dans la balance la Première ministre a quelque peu changé la donne.
En attendant, la France et ses partenaires ne doivent pas relâcher leurs efforts pour parvenir à un accord de retrait, quitte à accepter un long report en respectant les deux conditions fixées par l’Union européenne, à savoir une participation des Britanniques aux prochaines élections européennes et un plan de renégociation clair.
J’ajouterai que les Britanniques, en cas d’impasse persistante, doivent clarifier leurs positions politiques, au travers soit des élections législatives anticipées, soit d’un nouveau référendum : c’est la seule alternative acceptable pour repousser la date du Brexit et ne pas risquer un no deal désastreux.
Nous connaissons en effet les enjeux de cette sortie dont nous examinons les contours depuis bientôt trois ans. Même si les États membres se préparent au pire des scénarios, comme notre pays l’a fait avec l’adoption d’une loi d’habilitation, est-on certain d’avoir cerné toutes les difficultés que pourrait engendrer la fin brutale d’une relation qui dure tout de même depuis 1973 ? Plusieurs millions de citoyens européens sont inquiets.
Madame la secrétaire d’État, votre prédécesseur nous a apporté, le 14 mars dernier, quelques précisions sur la question de la circulation des personnes, des marchandises et des capitaux.
Avez-vous aujourd’hui de nouveaux éléments de réponse sur le niveau des moyens de contrôle qui pourraient être rapidement mis en œuvre aux frontières ferroviaires, maritimes et aériennes que nous partageons avec le Royaume-Uni ?
Au-delà de la sécurité technique et juridique du Brexit, la sortie du Royaume-Uni est bien entendu une affaire politique qui laissera des traces.
Alors que des pays des Balkans se pressent aux portes de l’Europe, nous sommes en train de perdre l’une des plus anciennes démocraties parlementaires d’Europe, avec laquelle la France partage le même socle de valeurs, des valeurs qui nous poussent à bien des combats communs, par exemple en matière de sécurité et de défense.
Je pense également aux accords de Lancaster House, pour lesquels plusieurs programmes sont en cours, notamment en matière de coopération dans le domaine des missiles. Si ces accords, de nature bilatérale, ne devraient théoriquement pas souffrir du Brexit, je m’interroge quant à la future place du Royaume-Uni dans la politique de sécurité et de défense.
D’une façon plus globale, sans accord, que va-t-il advenir du cadre des relations futures entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne, cadre que nous avions ébauché au travers de la « déclaration politique » approuvée lors du sommet extraordinaire du 25 novembre 2018 ?
Mes chers collègues, je veux être optimiste. J’appartiens à une formation pour laquelle la construction européenne demeure fondamentale malgré bien des aspects certes encore perfectibles. L’Europe s’est construite sur l’idée d’une paix partagée et, en cela, elle garde tout son sens.
Comme l’a rappelé en forme d’adieu l’eurodéputé conservateur Richard Ash, « le Brexit représente un avertissement pour le peuple d’Europe. Nous ne devons jamais prendre pour acquis la paix et la prospérité ».
Aussi, dans cette perspective, l’Union européenne a encore de nombreux défis à relever. Il faut le faire avec plus de célérité et plus d’audace !
Sur la crise financière, sur la crise migratoire, nous avons eu des réussites, mais les atermoiements et la lenteur des décisions ont ouvert la brèche à une contestation permanente de l’Europe par les partis populistes.
Dans un monde plus ouvert, dans lequel de nouvelles puissances s’affirment et de grands ensembles se constituent, l’Union européenne doit conforter son projet. Il y va de nos souverainetés futures.
Je dirai encore quelques mots sur le numérique, qui était à l’agenda du Conseil européen.
Sur la taxation de Google, Apple, Facebook et Amazon, les GAFA, l’Europe doit montrer un visage uni. C’est une question d’équité et de justice fiscale. Je félicite en tous cas le Gouvernement français pour son volontarisme dans ce domaine.
Sur le plan de la sécurité numérique, soyons vigilants sur la régulation de l’économie en ligne. C’est un sujet essentiel dont l’Europe doit se saisir dès maintenant, comme celui de la lutte contre la désinformation.
Enfin, l’enjeu est de taille sur le dossier « Huawei ». Bruxelles souhaite « une démarche coordonnée de sécurisation des futurs réseaux 5G et “une évaluation” des fournisseurs de la future infrastructure ».
Tout cela vous semble-t-il suffisant, madame la secrétaire d’État, alors que les États-Unis nous mettent en garde ?
Mes chers collègues, à quelques semaines des élections européennes, bien que la question du Brexit hante les esprits, de nombreux dossiers méritent notre attention, tels que la PAC, la politique de défense et de sécurité, les enjeux d’innovation et de recherche, la politique industrielle. Notre engagement doit être total pour approfondir le projet européen et rappeler à nos concitoyens qu’il doit rester notre horizon.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Bernard Lalande applaudit également.
Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, je l’ai déjà dit à cette tribune : pour ce qui concerne les difficultés que l’on rencontre actuellement avec la Grande-Bretagne, on peut estimer que les torts sont partagés.
Évidemment, le Parlement britannique, c’est un peu la foire d’empoigne…
Je ne suis pas là pour dire que le Parlement britannique a tout à fait raison. Mais il faut quand même le reconnaître : certains dirigeants européens, notamment M. Barnier, ont tout fait pour mettre de l’huile sur le feu.
Quand on dit : « On va s’entendre avec un pays » et que, parmi les conditions, on impose la création d’une frontière à l’intérieur de ce pays, on ne peut pas dire que l’on est de bonne foi !
Je n’aime pas le terme backstop, qui n’a rien à voir avec la langue française : mais, puisque tout le monde l’utilise, je vais l’employer moi aussi… L’affaire dite « du backstop » est un scandale absolu. Tout le monde le sait : jusqu’à présent, la population de l’Irlande du Nord, dans sa majorité, souhaite rester attachée à la Grande-Bretagne. Or on lui répond : « On va créer une frontière douanière entre la Grande-Bretagne et vous. » C’est quand même se moquer du monde ! Et ce n’est là qu’une des sources de difficultés constatées au Parlement européen. Dans cette affaire-là, les dirigeants européens ont une attitude totalement machiavélique.
Murmures sur plusieurs travées.
Ils voulaient que le Brexit se passe plus ou moins bien, et plutôt mal que bien. Ils voulaient imposer à la Grande-Bretagne des contraintes absolument inacceptables, moyennant quoi on en est où l’on en est.
De son côté, le Parlement britannique s’est, malheureusement, discrédité pour toute une série de raisons ; à présent, on a tous l’impression que les torts reviennent aux seuls Anglais. Mais, si l’on remonte un petit peu le fil, si l’on regarde la situation bien en détail, on s’aperçoit que les torts sont pour le moins partagés.
Madame le secrétaire d’État, je tiens à vous poser une question, que j’ai déjà posée à votre prédécesseur sans obtenir de réponse bien sérieuse. Si les Anglais abandonnent le Brexit, quelles seront les conséquences pour la répartition des sièges au Parlement européen ? La ministre qui vous a précédée m’a répondu tout et son contraire. En somme, c’est du grand n’importe quoi.
Protestations.
Monsieur le président, j’aimerais bien que l’on ne m’interrompe pas. Je n’ai pas beaucoup de temps de parole : si, en plus, on m’interrompt, …
Cela ne me fait pas rire ! Certes, je suis le seul ici à parler au nom des non-inscrits. Nous n’avons que très peu de temps, …
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat est l’occasion d’aborder le sommet Union européenne-Chine, sujet qui m’apparaît extrêmement important dans le contexte actuel.
En effet, en quelques années, la Chine est devenue un acteur global, et plus seulement économique, une véritable puissance qui a su se construire patiemment, à bas bruit, au point d’être aujourd’hui omniprésente en Europe comme sur les autres continents. Le bras de fer économique entre les États-Unis et la Chine illustre combien, même pour l’hyperpuissance américaine, il est difficile de résister à l’avancée chinoise ou de trouver un terrain d’entente.
Beaucoup découvrent, tantôt avec intérêt, tantôt avec stupeur, les tentaculaires nouvelles routes de la soie. Connues désormais sous le nom de Belt and Road Initiative, elles visent à bâtir des routes commerciales terrestres, ferroviaires, maritimes et numériques jusqu’à l’Europe, l’Afrique et plus loin encore. Ces différents projets, qui traversent de nombreux pays, mobilisent des milliards de dollars d’investissements dont la réalisation s’étale sur plusieurs décennies, bien qu’avançant à grands pas.
Les conséquences économiques et géopolitiques de ce programme seront très importantes dans les prochaines années, d’autant que ces « routes » s’accompagnent d’un retour de la puissance militaire chinoise, destinée en partie à les sécuriser, c’est-à-dire à assurer la sécurité des ressortissants chinois et de leurs entreprises mobilisés en faveur de ces nombreux projets.
Portée par les nouvelles routes de la soie et par une multitude d’accords bilatéraux, la Chine tisse un vaste réseau à travers le monde jusqu’en Europe, et même jusqu’à sa périphérie. Mais rien n’est le fait du hasard : qui se souciait du port du Pirée lorsque les Chinois en ont pris progressivement le contrôle ?
Une décennie plus tard, la stratégie globale apparaît plus évidente. Le plan continue de se déployer, puisque – les précédents orateurs l’ont rappelé – les routes de la soie viennent de gagner, via notamment le port de Trieste, un nouveau partenaire : l’Italie, membre fondateur de l’Union européenne.
En outre, dans les pays d’Europe centrale et orientale, les PECO, la présence chinoise s’est affirmée dans l’économie. De nombreux projets en cours et des forums économiques sont régulièrement organisés entre la Chine et les PECO. De plus, en matière politique, un dialogue de haut niveau a été instauré au format « 16+1 » : finalement, quel échec pour l’Europe de voir les PECO s’en remettre aux États-Unis et à l’OTAN pour leur sécurité, et à la Chine pour leur prospérité économique !
Par ailleurs, la Chine a constitué un véritable réseau d’organisations influentes à Bruxelles. Ces dernières agissent comme autant de leviers venant soutenir son effort diplomatique et sa stratégie de soft power.
En tant qu’Européens, il nous faut donc être lucides dans l’analyse des événements et solidaires dans la réponse à y apporter. Je rappelle que l’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Chine et que 80 % des échanges commerciaux se font par voie maritime.
Certes, des occasions sont à saisir : l’Union européenne devrait potentiellement profiter de cette augmentation des échanges dans les décennies qui viennent, à condition que cela fonctionne dans les deux sens, ce qui – vous le savez – n’est pas totalement le cas aujourd’hui. Quant aux investissements chinois, ils sont en hausse en Europe, tandis que les investissements européens se sont réduits d’un quart en Chine. Il y a donc des rééquilibrages à faire.
Puisque les routes maritimes, terrestres et ferroviaires vers la Chine existent désormais, quelle stratégie globale entendons-nous mettre en place pour favoriser l’export de produits européens dans ces conteneurs repartant vers l’Asie ? Quelles stratégies d’influence avons-nous en Chine ? Comment la France se donne-t-elle les moyens d’agir, quand d’autres pays semblent plus avancés ?
De plus, si les investissements étrangers sont les bienvenus, les États ne doivent pas totalement se dessaisir de leurs infrastructures stratégiques. Une fois ces dernières cédées, tout retour en arrière serait difficile. Ainsi, quelles solutions communes envisage-t-on pour éviter ces situations déstabilisatrices ? Sommes-nous véritablement prêts ? Les subventions et le rôle des entreprises d’État chinoises, la pression exercée pour transférer nos technologies suscitent également des interrogations.
Une chose est sûre : sans vision ni solidarité communes, l’émergence de la Chine en Europe, loin d’être une chance, ne sera qu’un coin supplémentaire venant disloquer une Union européenne déjà mal en point. L’Union européenne ne devra pas se laisser instrumentaliser par Washington dans sa guerre commerciale avec Pékin.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à nous de voir si nous souhaitons être acteur du monde ou seulement spectateur de la compétition sino-américaine du XXIe siècle !
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Simon Sutour applaudit également.
Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui le 2 avril 2019. Le Royaume-Uni devait sortir de l’Union européenne le 29 mars dernier. Or il en est toujours membre ; mais jusqu’à quand, et sous quelle forme ?
Lors du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019, les chefs d’État européens ont demandé aux dirigeants britanniques de se prononcer avant le 12 avril. Il s’agit bien de leur demander de faire face et de confirmer leur seule et entière responsabilité dans la décision.
Madame la secrétaire d’État, je tiens, en conséquence, à vous alerter sur l’impact économique, social et humain de cette absence de décision. Notre territoire des Hauts-de-France, et plus spécifiquement le Pas-de-Calais, dont je suis l’élue, sera la victime toute désignée d’un Brexit dur. C’est sur cet enjeu que je centrerai mon propos, en complément de l’intervention de mon collègue Philippe Bonnecarrère.
De nombreuses entreprises sont dépendantes de leurs échanges avec le Royaume-Uni. Pour illustrer l’importance de ces relations, nous pourrions évoquer les 31 milliards d’euros d’excédents que dégagent les exportations françaises vers le Royaume-Uni, et qui représentent 7 % du total de nos exportations.
Pour ce qui concerne le secteur halieutique, 30 % de la pêche française se fait dans les eaux territoriales britanniques. Quant aux Britanniques, ils importent 42 % de leurs produits alimentaires depuis l’Union européenne. Mais, à l’heure actuelle, l’impréparation du côté britannique est telle que certains commencent à constituer des stocks pour anticiper les difficultés d’approvisionnement.
Côté français, notre gouvernement a pris par ordonnances des mesures pour anticiper le no deal et les entreprises ont été invitées à se préparer à leur échelle. Mais sont-elles réellement prêtes ?
Le rétablissement des frontières douanières engendrerait des formalités administratives supplémentaires, un temps de passage portuaire accru, une désorganisation des chaînes logistiques et un coût supplémentaire, qu’il s’agisse du personnel ou de la formation.
Les PME, les industriels, les transporteurs, la filière automobile ou encore la filière médicamenteuse sont très inquiets. C’est ce que leurs représentants ont exprimé ici lors de notre colloque du 20 mars dernier, que le président Gérard Larcher – je l’en remercie de nouveau – a bien voulu parrainer.
Le maintien régulé des flux commerciaux, financiers et humains entre le Royaume-Uni et le continent européen, la pérennité des voies commerciales existantes sont cruciaux pour limiter les effets du Brexit sur l’activité économique et la mobilité de nos concitoyens.
Depuis le 4 mars dernier, les agents des douanes français se sont mis en grève pour nous alerter quant aux effectifs nécessaires aux missions liées au Brexit et demander une revalorisation de leurs conditions de travail.
Que cela soit bien clair pour tout le monde : les difficultés actuelles de blocages routiers côté français ne préfigurent en rien les possibles complications liées à la sortie du Royaume-Uni. Ce sont les Britanniques importateurs qui seront chargés de contrôler les flux entrants : ainsi, ils devront faire face, sur leur territoire, à de tels engorgements.
Par le dynamisme de son port et du tunnel sous la Manche, liaison la plus rapide entre nos deux pays, le Calaisis – je suis même tentée de dire la côte d’Opale – est un lieu exceptionnel de passage vers le Royaume-Uni. Toutefois, cette réussite a une contrepartie. Elle engendre des flux importants et calibrés, mais le territoire souffre d’un engorgement rapide, étant donné sa position d’entonnoir. Il est indispensable qu’il soit géré comme une exception, afin que les flux restent continus. Sans accompagnement de l’État, sans décision forte, nous prendrions le risque d’une dégradation de son image comme de son activité économique et d’un grave impact écologique du fait de files de camions en attente prolongée. D’ailleurs – on le sait –, cet affaiblissement se ferait au bénéfice d’un transfert vers les ports du Benelux.
Dans le cadre du Brexit, des mesures de contingence sont prêtes. Mais quand les déclencher ? Comment embaucher quand on ne sait pas quelle sera l’activité demain ? Comment organiser le temps de travail ? Combien investir quand la vision est obstruée ?
Madame la secrétaire d’État, nous le savons, vous venez de prendre vos fonctions – nous vous accueillons d’ailleurs avec plaisir –, ce dans un moment crucial pour l’avenir de l’Union européenne et de notre pays.
Mme Catherine Fournier. Nous espérons que vous aurez à cœur de défendre nos territoires !
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Madame la secrétaire d’État, avant tout, je vous félicite pour votre nomination et je vous souhaite la bienvenue dans notre hémicycle !
Monsieur le président, mes chers collègues, je tiens à évoquer à mon tour les intérêts stratégiques de l’Union européenne, qu’il convient de protéger. Je pense en particulier à ses intérêts maritimes, parce que les secteurs du transport maritime, des ports européens, de l’industrie nautique et des énergies marines renouvelables sont des gisements d’emplois considérables, vecteurs de croissance et de compétitivité.
Comme l’indique le Président du Conseil européen, il est urgent de repenser les politiques commerciale et industrielle de l’Union pour faire face aux défis de long terme qui sont devant nous : dès lors, parions sur une stratégie maritime européenne intégrée !
En 2014, dans les sphères européennes, on parlait aussi d’une politique industrielle à l’ère de la mondialisation. La mondialisation des échanges passe aujourd’hui par les océans. Il s’agit donc d’une question éminemment européenne.
Le 22 mars dernier, l’Union européenne a souligné : « Une base économique solide est d’une importance primordiale pour la prospérité et la compétitivité de l’Europe, ainsi que pour son rôle sur la scène mondiale. Cela appelle une approche intégrée tenant compte des défis actuels et émergents à l’échelle mondiale. » Au-delà des concepts, prenons le large : le volet maritime, s’il reste insuffisamment pris en compte, est au cœur des défis économiques de l’Union européenne. La Chine, devenue une puissance maritime de premier plan, l’a bien compris en prenant position dans divers ports mondiaux d’intérêt stratégique.
Une politique industrielle volontariste repose aussi sur la maîtrise des espaces maritimes, avec le concours d’une marine océanique de premier plan.
Comme les précédents orateurs l’ont rappelé, l’Italie est le premier pays du G7 à entrer dans le projet des nouvelles routes de la soie. Un accord a été signé avec le Président chinois le 23 mars dernier. Les programmes d’investissements prévoient la modernisation des ports de Gênes et de Trieste, qui deviendront les points d’entrée en Europe des routes commerciales maritimes.
La France veut une nouvelle stratégie nationale portuaire : c’est utile, mais bien insuffisant si nous ne disposons pas d’une stratégie européenne portuaire commune à tous les États membres.
Le document stratégique relatif aux orientations que la France souhaite donner aux politiques de l’Union européenne dans le domaine de la politique maritime au cours des cinq prochaines années doit être ambitieux. J’espère qu’il sera assorti d’un calendrier précis, avec des objectifs concrets.
Un autre exemple est particulièrement éloquent à l’heure du Brexit. Il a, lui aussi, été longuement évoqué dans cet hémicycle. Une agence britannique et une entreprise chinoise ont ouvert en Chine, le 21 mars dernier, un centre de recherches pour l’éolien en mer. Aujourd’hui, le Royaume-Uni est le numéro 1 mondial de l’éolien offshore. Il entend ainsi renforcer sa position. Certes, cela nous fait réfléchir, mais le temps est à l’action pour développer sur nos côtes les énergies maritimes renouvelables, afin de combler notre retard.
L’armateur français CMA CGM et Ikea vont tester l’emploi de biocarburants sur un trajet au départ de Rotterdam de l’un des porte-conteneurs du groupe marseillais. C’est une initiative intéressante pour remplacer le fioul lourd. À l’heure où le fioul du navire Grande America souille l’océan Atlantique à proximité du littoral, avec une nappe d’hydrocarbures se déplaçant vers l’Espagne, il faut rappeler à l’Union européenne le rôle qu’elle doit jouer en matière de sécurité maritime, notamment depuis la création de l’espace européen de sécurité maritime, contenu dans le paquet « Erika III ».
La création de l’Agence européenne pour la sécurité maritime, en 2002, a été utile. Mais nous devons améliorer les dispositifs et le processus d’indemnisation. Le comité interministériel de la mer de 2018 indique l’importance des échanges de données entre secteurs du maritime et entre États membres de l’Union européenne.
À la fin de 2019, la Commission doit présenter une vision à long terme pour l’avenir industriel de l’Union européenne, assortie de mesures concrètes destinées à la mettre en œuvre. Rappelons-lui que rien d’efficace ne se fera sans ambition maritime associée.
En 1629, Richelieu écrivait dans son avis au roi : « La première chose qu’il faut faire est de se rendre puissant sur la mer, qui donne entrée à tous les États du monde. » Le XXIe siècle sera maritime. L’Europe et la France doivent y prendre toute leur place : la tâche est donc immense !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
« L’Europe, quel numéro de téléphone ? » Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, chacun a encore en mémoire la phrase de Henry Kissinger, secrétaire d’État des États-Unis. Plus de quarante ans après avoir été prononcée, elle est toujours autant d’actualité, plus encore pour décrire les relations entre l’Union européenne et la Chine.
En effet, sauf retournement improbable de situation ou de politique diplomatique, le sommet entre ces deux puissances prévu le 9 avril prochain, que le Conseil européen a préparé lors de sa dernière réunion, ne permettra sans doute pas de trouver une position commune entre tous les membres de l’Union européenne pour faire front commun. Ainsi, au vu des événements récents, dire que l’Europe avance en ordre dispersé face aux ambitions chinoises est un doux euphémisme.
L’Italie a signé un accord séparé, d’ailleurs mal préparé et ne respectant pas forcément ses intérêts. Mais comment l’en blâmer si nous refusons de promouvoir et de mettre en place des champions industriels européens ?
L’échec de la fusion d’Alstom et de Siemens ou encore notre incapacité à créer une alternative continentale dans le domaine de la 5G ne peuvent que nourrir les désillusions d’une Europe irresponsable et impuissante à servir ses propres desseins. Nos divisions et nos contradictions entraînent des tentations court-termistes, qui, en touchant des secteurs stratégiques, peuvent mettre en danger les souverainetés. Le Portugal, la Hongrie ou encore la Grèce y ont déjà cédé. Sur le long terme, ce chacun pour soi ne peut que nuire à l’Union européenne et remettre en cause son avenir.
La réception du Président chinois à l’Élysée la semaine dernière, en présence de la Chancelière Angela Merkel et du Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sur invitation du Président de la République, va indéniablement dans le bon sens. Mais elle ne peut suffire à inverser le phénomène.
Dans un contexte de bipolarisation généralisée des relations internationales entre les États-Unis et la Chine, l’Europe doit, plus que jamais, faire entendre sa voix et incarner une solution crédible. Indéniablement, la Chine est un concurrent. Elle peut rester une chance pour l’Europe, mais à une seule condition : que nous nous exprimions d’une seule voix, avec des objectifs stratégiques communs connus et identifiés, sans naïveté.
Ce sursaut européen est d’autant plus nécessaire que la Chine, quant à elle, se donne les moyens de ses ambitions.
Les nouvelles routes de la soie soulèvent des enjeux majeurs et le financement pour les mettre en œuvre atteint un niveau inégalé. La Chine a pour but de définir un nouvel ordre mondial dont nous devons être conscients.
Avec mes collègues Pascal Allizard, Gisèle Jourda et Jean-Noël Guérini, nous avons détaillé ces enjeux dans un rapport publié l’année dernière.
Les chiffres sont éloquents et donnent le vertige : à l’échelle mondiale, ces nouvelles routes de la soie concernent directement plus de 70 % de la population, 75 % des ressources énergétiques et 55 % du PIB. Les montants consacrés par la Chine à cette politique atteindraient déjà 800 à 900 milliards de dollars. Ils seraient compris entre 5 000 et 8 000 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. Les besoins de financement pour tous les projets rattachés aux nouvelles routes de la soie pourraient dépasser le trillion annuel !
Toutefois, un tel projet ne pourra être un succès, pour toutes les parties, que s’il fonctionne dans les deux sens. Pour ce faire, il est fondamental de créer les conditions d’un équilibre satisfaisant dans les relations entre la Chine, la France et l’Europe. Il convient de poser les bases d’un partenariat commercial fondé sur la réciprocité de l’ouverture des marchés, sur le respect de la concurrence, de la transparence et de la propriété intellectuelle, et d’un partenariat stratégique fondé sur une coopération multilatérale et cartellisée.
Madame la secrétaire d’État, nous avons fait un certain nombre de propositions : je vous invite à vous en saisir. Avant tout, nous soulignons que la France a un rôle central à jouer, qu’elle doit être une force d’impulsion, non seulement dans sa relation bilatérale, mais aussi au sein de l’Union européenne.
Il y a urgence à définir collectivement des objectifs communs pour défendre nos intérêts, car, comme le dit si bien Sun Tzu…
Sourires.
Nouveaux sourires.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Monsieur Courtial, je vous rassure, j’ai bien des objectifs : ce sont ceux qu’a fixés le Président de la République, et ils sont nombreux !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie toutes et tous de votre accueil, très républicain et chaleureux. Je répondrai successivement à vos différentes interventions.
Monsieur le président Cambon, en matière de défense, il y a au moins un point positif : le fonds européen de défense, qui sera doté de 4 milliards d’euros pour la recherche et de 9 milliards d’euros pour le développement et les acquisitions de matériel entre 2021 et 2027. Il s’agit là d’un grand succès du Président de la République, car c’est une initiative qu’il a défendue.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, en matière de fiscalité, on ne peut pas dire que rien n’a été fait : des progrès indéniables ont été accomplis face à la fraude fiscale ; en faveur de la coordination, à l’échelle de l’OCDE, au titre des accords dits « BEPS » ; et, plus largement, pour ce qui concerne la liste des juridictions non coopératives. Dans ces domaines, l’Union européenne a fait de vrais progrès.
En outre, au sujet de la TVA, la directive relative aux droits voisins apporte une simplification entre le numérique et le papier. À mon sens, il s’agit également d’un véritable progrès.
Bien sûr, ces mesures ne vont pas encore assez loin. Vous le savez, le Président de la République soutient la proposition présentée en janvier dernier par la Commission européenne. Il s’agit d’instituer une majorité qualifiée afin de pouvoir avancer sur les sujets fiscaux. À ce titre, vous avez l’entier soutien du Gouvernement ! Vous savez que, sur tous ces sujets, il faut être nombreux : chaque jour, nous nous efforçons de construire cette majorité.
Face aux enjeux numériques, 23 des 27 pays européens ont désormais adopté la position française : l’OCDE dispose ainsi d’une véritable perspective d’accord politique. Bruno Le Maire présentera bientôt à l’Assemblée nationale le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques. Grâce à un amendement présenté par la majorité, on pourra regarder comment sécuriser dès maintenant les acteurs économiques : si un accord est trouvé à l’OCDE, il remplacera bien la taxe temporaire présentée par Bruno Le Maire.
Monsieur Reichardt, dans les relations avec la Chine, nous avons également accompli des avancées indéniables, qu’il s’agisse d’Airbus, du secteur agroalimentaire ou encore du domaine culturel. Une position très forte a été prise en faveur d’un multilatéralisme effectif, que ce soit pour préparer le G20 ou le sommet sur le climat. L’Europe, la France et la Chine ont pu avancer de manière positive.
Monsieur Bonnecarrère, vous m’avez interrogée au sujet de l’impact budgétaire du Brexit. Son montant consolidé est estimé annuellement entre 28 et 37 milliards d’euros jusqu’en 2020. La France devra donc augmenter sa contribution de 1, 8 milliard d’euros en 2019 et en 2020. Nous devons avoir ces chiffres en tête : il ne s’agit pas d’apeurer les Français, mais il faut être extrêmement clair.
Vous l’avez rappelé, le Brexit a beaucoup occupé l’agenda européen. Je m’en suis précisément entretenue ce matin avec mon homologue allemand Michael Roth : nous le savons, il faut tenir compte des immenses priorités pour l’Europe. Le Président de la République les a d’ailleurs rappelées dans les quarante-neuf propositions de sa lettre aux citoyens d’Europe. La cybersécurité, la défense, les frontières, le droit de la concurrence, le droit de l’innovation, le climat, ou encore le bouclier social : nous tous ici, moi la première, aimerions pouvoir faire avancer concrètement chacun de ces projets.
Madame Mélot, vous avez souligné combien il importait de protéger le débat démocratique, au vu des échéances qui arrivent. Le Conseil européen a réuni une série de propositions au sujet du droit des plateformes numériques. En outre, l’Assemblée nationale examinera bientôt la proposition de loi visant à lutter contre la cyber-haine. Ce texte permettra le retrait des contenus offensants, appelant à la violence, propageant des propos racistes ou discriminatoires. Les deux assemblées ont également voté la loi anti-fake news : ce texte contient des dispositions extrêmement intéressantes, qui peuvent guider une partie de l’action européenne – vous avez vu la mobilisation collective à laquelle ce sujet a donné lieu.
Monsieur Haut, vous évoquez les débats relatifs à Huawei. La France estime que l’approche concertée de la Commission sur la protection des réseaux est une bonne initiative, positive. Mais, comme toujours en pareil cas, tout est affaire de mise en œuvre.
Une proposition de loi, reprenant une suggestion formulée par le Sénat au cours de l’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, ou projet de loi Pacte, sera prochainement discutée : elle permettra de s’assurer que les matériels déployés sur notre territoire, notamment au titre de la 5G, répondent à un certain nombre de critères de protection de notre sécurité nationale. Il faudra voir comment l’initiative européenne pourra s’articuler avec cette proposition de loi.
Monsieur Ouzoulias, à ma connaissance, il n’a jamais été question de pénaliser les Britanniques au motif qu’ils ont voulu quitter l’Union européenne.
En tout cas, la France n’a jamais cherché à pénaliser ou à récompenser l’un ou l’autre des États membres de l’Union européenne !
De plus, vous regrettez que l’Europe ne soit pas plus démocratique. Or un grand effort a été accompli avec les consultations citoyennes, organisées dans l’intégralité des pays membres. Le plan stratégique 2019-2024 s’appuie sur le résultat de ces consultations : c’est, en soi, un progrès.
On ne peut pas dire pour autant que la participation citoyenne est à son apogée dans l’Union européenne… D’ailleurs, l’un des enjeux de la lettre du Président de la République aux citoyens d’Europe, c’est de nous assurer que l’Union européenne travaille bien sur les sujets concrets de la vie des Européens ; qu’elle apporte des réponses à un certain nombre de questions pour lesquelles les États membres, chacun avec ses prérogatives nationales, ne trouvent pas seuls les solutions.
Ce travail demande, effectivement, davantage de démocratie, et je suis très heureuse de prendre mes fonctions en débattant au Parlement de ces sujets européens : cette discussion traduit une ambition que nous devons poursuivre.
Monsieur Sutour, vous m’avez particulièrement interrogée sur les fonds de cohésion et sur la PAC.
Sur le fondement des propositions initiales de la Commission, les discussions portent sur des baisses de 15 % ou de 4 % ; en effet, certains expriment les variations en volume, tandis que d’autres les formulent en valeur. La France a en la matière une position très claire : nous voulons la stabilité en valeur des montants – 52 milliards d’euros pour la politique des aides directes et une dizaine de milliards d’euros pour le développement rural. Dans un budget en expansion, cette demande nous semble légitime, vous l’imaginez bien. C’est donc la position que je défendrai au nom de notre pays dès le prochain conseil Affaires générales, qui aura lieu mardi prochain.
Pour ce qui est de la politique de cohésion, il y a deux enjeux, et je ne peux pas m’empêcher de faire un peu de politique… Bien évidemment, nous aimerions conserver une politique de cohésion extrêmement ambitieuse – nous voulons financer de nouvelles priorités, stabiliser la PAC, etc. –, mais compte tenu des budgets y afférents, à un moment donné, des arbitrages devront avoir lieu.
Le Président de la République pense qu’il faut absolument conserver cette politique ; ainsi, nous nous réjouissons que la région en transition soit définie plus largement, ce qui peut concerner de nouvelles régions en France – c’est un point intéressant à partager avec la Haute Assemblée.
Quant à la conditionnalité des aides, ne nous méprenons pas ; derrière les conditions proposées figure le respect de l’État de droit. Je pense que l’on aurait du mal, ici, à s’opposer à la conditionnalité liée au respect de l’État de droit et des valeurs démocratiques fondamentales de l’Union européenne, et le Président de la République cherche même à ajouter des conditions d’ordre social.
Ce sont donc les citoyens européens de ces pays qui en seront victimes. Or ils n’ont pas toujours voté pour leurs dirigeants actuels…
Lors du prochain conseil Affaires générales, mon homologue allemand et moi-même insisterons sur le respect de l’État de droit. C’est un point fondamental. Nous le savons, un certain nombre de pays ne respectent pas, sur des sujets très spécifiques, le cadre européen, celui de nos valeurs, de nos traités. La conditionnalité des aides est faite non pas pour pénaliser les citoyens, mais pour affermir les règles – une règle sans sanction n’a pas de valeur, vous le savez très bien. Il faut donc avoir une vision fondée sur les sanctions, mais nous pourrons en débattre plus longuement, j’en suis certaine.
Monsieur Menonville, vous avez évoqué des sujets sur lesquels le partenariat stratégique entre la France et le Royaume-Uni doit être préservé. Je suis totalement d’accord avec vous ; la sécurité et la défense, notamment, sont des priorités essentielles, et nous avons la chance d’avoir signé des accords bilatéraux, celui du Touquet et bien d’autres. Sur ces sujets, la position que nous défendons au Conseil de sécurité de l’ONU – je pense aux échanges extrêmement importants menés par Jean-Yves Le Drian – est soutenue par le Royaume-Uni. Notre relation bilatérale, sur ces points comme sur le renseignement – on peut faire beaucoup de choses dans un cadre bilatéral –, est de l’intérêt tant du Royaume-Uni que de la France.
Bien que M. Masson ait quitté l’hémicycle, je lui répondrai que j’exprime, au nom du Gouvernement et, je l’espère, au nom de la Haute Assemblée, un profond respect pour le travail que Michel Barnier a conduit pendant des mois et adresse à ce dernier d’immenses remerciements.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi qu ’ au banc des commissions. – M. Simon Sutour applaudit également.
Sa tâche était extrêmement difficile à assumer dans une situation que personne n’avait envisagée après des décennies de construction européenne, et je ne pense pas que l’on puisse évoquer son travail dans les termes qui ont été ceux de M. Masson.
Sur le nombre de députés, je suis certaine que Nathalie Loiseau a répondu avec les éléments factuels les plus limpides, mais je le répète ici : l’acte européen, adopté d’ailleurs par la Haute Assemblée, pose un principe très clair : si le Royaume-Uni sort de l’Union européenne, le nombre de sièges sera redistribué par pays de manière proportionnelle – cela signifie donc que la France aura plus de députés européens ; en revanche, si le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne, ce sera le statu quo. La règle est très simple.
Messieurs Courtial, Priou et Allizard, vous avez fait part de réflexions sur la route de la soie et sur le contrôle des investissements. Ce qui a été proposé – la capacité à filtrer, à échanger des informations entre pays et à autoriser ou non des investissements selon le risque qu’ils présentent pour les activités de plusieurs États membres ou pour un programme d’intérêt européen – est un bon début.
Est-ce suffisant ? Je ne vous affirmerai pas que cela répond à tous les enjeux, mais cette étape – le fait d’inclure dans notre droit, qui est un droit de liberté des investissements, la possibilité d’opposer des restrictions si des intérêts stratégiques, notamment européens, sont en jeu – représente une avancée qu’il faut soutenir. Je lirai votre travail avec beaucoup d’intérêt. Cette vigilance collective sur nos points d’entrée et sur la politique maritime et de rayonnement doit être maintenue.
Pour conclure, j’aimerais apporter, madame Fournier, une note plus personnelle, dans ce débat parfois technique. Je suis extrêmement sensible à la situation que vous décrivez pour la simple et bonne raison que j’ai passé une partie de mon enfance à Calais, à côté du magnifique théâtre italien. C’était avant l’ouverture du tunnel sous la Manche ; j’ai donc bien en tête la réalité de Calais quand tout transitait par bateau et par camion.
Nous le savons, il y a effectivement un risque d’engorgement ; 60 % des flux de marchandises qui entrent dans la zone euro depuis le Royaume-Uni passent par Calais, telle est la réalité. Il s’agit donc d’un point très stratégique, tant pour la France que pour le Royaume-Uni. Des douaniers ont été envoyés en renfort dans la région, et près de trois cent cinquante agents, dans le domaine agricole et douanier, sont préparés au Brexit.
C’est évidemment un sujet que tout le Gouvernement, en particulier Gérald Darmanin, s’engage à suivre de près, de même que Rodolphe Gintz, qui dirige la Direction générale des douanes et droits indirects. Nous devons être crédibles quant à notre engagement à assumer une sortie sans accord. L’intégralité du Gouvernement est mobilisée à ce sujet.
Je veux aussi vous informer des efforts de notre ambassade au Royaume-Uni vis-à-vis des citoyens français présents sur le sol britannique, que ce soit pour les formalités visant à devenir résidents sous le régime du settled status, qui permet de rester sur le territoire du Royaume-Uni, ou pour l’information auprès des entreprises, dans le domaine sanitaire ou douanier.
Nombre d’actions se déroulent donc actuellement pour faciliter les discussions du Conseil européen de la semaine prochaine, qui seront difficiles. Le Président de la République l’a répété, le Royaume-Uni doit formuler des propositions pour partir d’un scénario autre que celui d’une sortie sans accord. Notre engagement est fort pour obtenir, concrètement, le suivi d’un accord diplomatique, que nous espérons, et, à défaut, pour assumer nos décisions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cet échange et de votre écoute. J’espère vous retrouver très prochainement, probablement lors de questions d’actualité au Gouvernement, qui émailleront nos relations au cours des mois à venir.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, merci de vos diverses contributions à ce débat très éclairant, à la suite d’une réunion du Conseil européen qui a commencé à tracer la feuille de route de la future commission européenne, sur deux sujets majeurs, que je me permettrai de développer : la stratégie industrielle de l’Union et la révision des règles européennes de concurrence.
D’une part, le Conseil européen a invité la Commission à présenter, d’ici à la fin de l’année, une vision à long terme pour l’avenir industriel de l’Union européenne. Il l’a également priée d’élaborer, d’ici à mars 2020, un plan d’action à long terme visant à mieux mettre en œuvre et faire respecter les règles du marché unique. Le Conseil européen demande, à cet égard, de mettre l’accent sur l’économie de services, notamment de données, d’approfondir l’union des marchés de capitaux et l’union de l’énergie – deux thèmes indissociables de la puissance de l’Union – et, enfin, d’assurer une fiscalité juste et efficace.
Ces demandes du Conseil européen se situent dans une perspective plus globale, qui tend à conforter l’Europe comme une vraie puissance économique : cette stratégie d’ensemble intègre non seulement une politique industrielle volontariste et le marché unique, mais aussi l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, qui fait encore, depuis une vingtaine d’années, profondément défaut, une politique numérique tournée vers l’avenir, et une politique commerciale ambitieuse garantissant concurrence loyale et réciprocité. Cette stratégie prometteuse me semble pouvoir constituer un socle valable pour la refondation de l’Union, à mener après les élections européennes.
D’autre part, dans ses conclusions, le Conseil européen affirme la nécessité « d’assurer une concurrence loyale », non seulement « au sein du marché unique » mais aussi « au niveau mondial », et « aussi bien pour protéger les consommateurs que pour favoriser la croissance économique et la compétitivité, conformément aux intérêts stratégiques à long terme de l’Union. » Ces conclusions ont même été complétées pour préciser que l’Union européenne continuera d’adapter son cadre réglementaire « aux nouvelles évolutions technologiques et sur le marché mondial ».
Le Conseil européen a également appelé la Commission à déterminer, avant la fin de l’année, les moyens de combler les lacunes du droit de l’Union européenne, afin de remédier, enfin, aux distorsions de concurrence induites par les entreprises étrangères lourdement subventionnées par leur État. Il a aussi évoqué la nécessité de revoir l’encadrement des aides d’État dans un sens propice à l’innovation.
Les règles européennes de concurrence méritent effectivement un réexamen – le Sénat travaille depuis plusieurs années sur cette question en particulier. Ces règles, héritées de l’origine de la construction européenne, à l’heure où il s’agissait d’éviter les monopoles et ententes sur le charbon et l’acier, paraissent aujourd’hui totalement décalées. Le refus opposé par la Commission à la fusion Alstom-Siemens a ranimé le débat. La commissaire à la concurrence a appliqué, je le sais, les règles applicables en la matière, mais ce sont justement ces règles, précisément élaborées à l’échelon du Conseil, qui ne sont plus d’actualité.
Dans leur manifeste conjoint pour l’industrie, du 19 février dernier, les ministres français et allemand de l’économie envisagent l’introduction d’un pouvoir d’évocation du Conseil. L’usage d’un tel pouvoir concerne bien plus l’Allemagne que la France. Cela rendrait possible, dans certains cas, une révision des décisions de la Commission en matière de concurrence.
Le Sénat doit contribuer à cette réflexion essentielle ; c’est pourquoi la commission des affaires européennes vient de confier au groupe de suivi sur la stratégie industrielle de l’Union européenne, qu’elle a créé avec la commission des affaires économiques, le soin d’explorer la manière d’adapter les règles de concurrence, au service de l’ambition industrielle européenne.
Cette ambition ne pourra pas se concrétiser si nous ne nous engageons pas davantage dans la numérisation de l’économie, qu’un certain nombre de collègues ont évoquée avec le dossier relatif à Huawei et à la 5G. La première approche de l’Union européenne est satisfaisante, mais je ne vois pas les clefs de sécurité, que nous appelons de nos vœux, permettant de fermer les « portes dérobées » qui nous mettraient dans une situation délicate en matière de souveraineté numérique.
Mme la secrétaire d ’ État opine.
Ce sont donc des perspectives de moyen terme particulièrement importantes que le Conseil européen des 21 et 22 mars a tracées. À court terme, il devra reprendre rapidement la discussion sur trois sujets : le changement climatique – question difficile –, la lutte contre la désinformation – c’est fondamental –, et le fameux dossier du Brexit. De fait, notre débat d’aujourd’hui se trouve faire aussi office de débat préalable au prochain Conseil européen.
En effet, compte tenu de l’évolution des votes indicatifs au cours des derniers jours, il était important que se tienne un Conseil européen extraordinaire, lequel aura lieu le 10 avril. Je rentre de Bruxelles, où j’ai passé la matinée avec le commissaire Johannes Hahn et Michel Barnier, et j’avoue que je suis assez satisfait du fonctionnement, dans une situation particulièrement difficile aujourd’hui, de l’Union européenne.
Souhaitons que ce Conseil européen permette, madame la secrétaire d’État, de trouver une issue qui clarifie l’avenir, qui consolide le fonctionnement de l’Union européenne, et qui lui permette enfin de s’atteler à sa nécessaire refondation.
Au moment où nous allons conclure ce débat postérieur au Conseil européen, mais également annonciateur du Conseil européen extraordinaire du 10 avril prochain, je veux, moi aussi, vous souhaiter le meilleur pour vos nouvelles fonctions. J’espère que nous pourrons parler très rapidement du « jour d’après » – après le Brexit –, titre d’un colloque que Catherine Fournier avait engagé.
Enfin, quel que soit le cadre – accord ou non – qui régira, demain, nos rapports avec le Royaume-Uni, ce pays sera toujours à quelques miles de distance des côtes normandes, et il faudra que, au travers d’accords bilatéraux, nous puissions trouver des moyens de convoler, ensemble mais différemment.
Je conclus, monsieur le président.
Puisque vous revenez de Berlin, madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous féliciter d’avoir fait ce déplacement et de souhaiter que l’on puisse retricoter les mailles du filet entre la France et l’Allemagne. Cela repose sur un mot et un seul : la confiance, confiance de l’Allemagne vis-à-vis de la France dans ses politiques de réforme et dans sa rigueur budgétaire, confiance également de la France à l’égard de l’Allemagne, qui puisse un peu faire preuve de mouvement et d’innovation.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, et sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.
Nous en avons terminé avec le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis naturellement très heureuse de vous présenter le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace.
En effet, ce texte revêt une importance particulière par rapport à l’action que ce gouvernement souhaite mener dans ses relations avec les territoires. Dans l’esprit du projet de révision constitutionnelle relative au droit à la différenciation, il s’agit de trouver des réponses institutionnelles adaptées aux besoins spécifiques des territoires. Il y a lieu non pas de provoquer un big - bang des compétences, mais d’ajuster ce qui peut l’être.
En outre, sur la forme, ce projet de loi répond à une attente des départements alsaciens ; il est le résultat d’un processus de co-élaboration mené avec l’ensemble des parties prenantes et engagé l’été dernier. Nous venons en l’espèce accompagner une initiative locale.
Voilà la méthode que je souhaite prôner : écouter, pour comprendre les aspirations des uns et des autres, et essayer de les concilier, en faisant du cousu main en fonction de l’expression d’une volonté territoriale.
Depuis l’échec du référendum de 2013, qui visait à créer une collectivité territoriale unique regroupant le conseil régional d’Alsace ainsi que les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, et depuis la création de la région Grand Est, l’Alsace n’a eu de cesse de revendiquer une évolution institutionnelle permettant de donner corps au « désir d’Alsace », tel qu’exprimé très majoritairement par la population.
Une mission a été confiée au préfet de région Jean-Luc Marx en janvier 2018 pour mener une concertation sur la question institutionnelle alsacienne, sous deux réserves : que la région Grand Est conserve son intégrité et que les grands équilibres actuels régissant les répartitions de compétences entre collectivités soient respectés.
Le préfet a proposé d’opérer un rapprochement des deux départements au sein d’un nouveau département, lequel se verrait confier, dans le cadre du droit à la différenciation prévu dans la révision constitutionnelle, des compétences complémentaires essentielles au vu de son caractère transfrontalier très marqué.
J’ai ensuite été missionnée par le Premier ministre pour faire aboutir la création de cette nouvelle collectivité. Je me suis rendue à de nombreuses reprises sur le terrain, et j’ai travaillé en lien étroit avec mes collègues du Gouvernement, Élisabeth Borne et Jean-Michel Blanquer, que je remercie vivement. Une déclaration commune engageant le Gouvernement, les deux conseils départementaux, ainsi que la région Grand Est a été conclue et signée le 29 octobre par le Premier ministre et les exécutifs des collectivités. Elle prévoit une réponse appropriée pour l’Alsace et trouve une part de sa traduction dans le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.
La constitution de la Collectivité européenne d’Alsace se matérialisera par plusieurs étapes.
Première étape, le regroupement des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin en un seul département. Après que les deux conseils départementaux ont délibéré favorablement, le 4 février dernier – à l’unanimité dans le Haut-Rhin et avec six voix contre dans le Bas-Rhin –, pour demander ce regroupement, le décret du 27 février 2019 a procédé à ce dernier pour constituer la Collectivité européenne d’Alsace.
Deuxième étape, l’ajout – c’est l’objet du projet de loi que je vous présente aujourd’hui – de compétences particulières en matière de coopération transfrontalière, de bilinguisme, de tourisme et de transports.
Troisième étape, le développement des politiques culturelles, économiques ou sportives dont les orientations étaient fixées dans la déclaration commune. Ces politiques font l’objet d’un travail approfondi avec les services déconcentrés de l’État et les autres échelons de collectivités concernées, et elles se traduiront, pour la plupart, dans des actes réglementaires.
Le projet de loi s’attache à donner à l’Alsace des compétences suffisamment justifiées par ses spécificités pour que le cadre constitutionnel actuel permette de les attribuer de façon pérenne et circonscrite à ce territoire.
Il comporte des articles relatifs aux compétences – il s’agit des articles 1er, 2 et 3 –, aux modalités relatives au personnel – articles 4 et 5 –, aux modalités de compensation des transferts – article 6 –, aux dispositions transitoires nécessaires au bon fonctionnement de la Collectivité européenne d’Alsace – articles 7 et 8 –, aux ordonnances qui seront nécessaires pour garantir le bon fonctionnement de cette collectivité, et aux ordonnances spécifiquement relatives au transfert des routes et permettant d’instaurer des « contributions spécifiques versées par les usagers concernés » aux termes de l’article 10.
Au 1er janvier 2021, la Collectivité européenne d’Alsace exercera le socle classique des compétences départementales auquel s’ajouteront quatre types de compétences.
Il s’agira, en premier lieu, de compétences en matière transfrontalière. Le projet de loi institue ainsi le principe d’un chef de filât de la collectivité, sur son territoire exclusivement, en matière de coopération transfrontalière. La collectivité pourra de ce fait organiser l’action collective, sans restreindre la capacité d’action des autres collectivités intéressées. Elle sera également chargée d’établir un schéma alsacien de coopération transfrontalière, non prescriptif, en association avec l’ensemble des collectivités et des acteurs concernés. Elle aura, enfin, la capacité, en parfaite cohérence avec la stratégie régionale, de décliner un volet opérationnel sur les projets structurants en matière, par exemple, de santé, de mobilités, de formation professionnelle. Elle pourra ainsi se voir déléguer, par l’État, la région ou des établissements publics de coopération intercommunale, des compétences pour la mise en œuvre des projets mentionnés dans le schéma alsacien de coopération transfrontalière. Ce système de délégation ad hoc est valable pour toutes les collectivités concernées.
Il s’agira, en deuxième lieu, de compétences en matière de bilinguisme, pour renforcer ce vecteur culturel et ce facteur de mobilité professionnelle que constitue la langue allemande ; les Alsaciens ont beaucoup insisté sur la mobilité professionnelle.
Les échanges que j’ai conduits, en lien avec mon collègue Jean-Michel Blanquer, ont permis d’identifier deux volets particuliers pour développer l’enseignement de l’allemand : tout d’abord, l’amélioration de l’attractivité pour les enseignants d’allemand titulaires recrutés par le ministère de l’éducation nationale, et, ensuite, la possibilité de recruter des intervenants en cohérence avec le cadre de recrutement de l’éducation nationale, afin de permettre l’enseignement de la langue au-delà des heures réglementaires, en complémentarité avec les programmes nationaux.
La collectivité contribuera à la mobilisation d’un vivier pour que l’éducation nationale puisse accélérer les recrutements. L’éducation nationale lèvera les freins qui ont été identifiés ; l’État et la collectivité seront donc fermement engagés à obtenir, ensemble, des progrès à la hauteur des besoins.
Il s’agira, en troisième lieu – c’est l’objet de l’article 2 –, de compétences en matière touristique : sur son territoire, la Collectivité européenne d’Alsace animera et coordonnera l’action des collectivités et des autres acteurs concernés, en cohérence avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs.
Il s’agira, enfin, de compétences en matière d’infrastructures routières : le projet de loi entérine le transfert, la gestion et l’exploitation des routes nationales et des autoroutes non concédées situées en Alsace, sur lesquelles, si elle le souhaite, la Collectivité européenne d’Alsace pourra lever des ressources spécifiques contribuant à maîtriser le trafic routier de marchandises – c’est l’objet de l’article 11. Il s’agit ainsi de régler définitivement un problème qui préoccupe les Alsaciens à juste titre et depuis longtemps.
Par ailleurs, la Collectivité européenne d’Alsace pourra transférer à l’eurométropole de Strasbourg, sur sa demande, des portions de voies situées sur son territoire. Là encore, ce sont des sujets pour lesquels le Gouvernement a cherché à faire du sur-mesure pour l’Alsace, comme il souhaite pouvoir le pratiquer dans les territoires qui voudraient mener des projets dans une logique de différenciation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi représente le point d’équilibre concret et pragmatique d’un processus d’élaboration avec les principaux intéressés. Je souhaite donc engager le débat qui va s’ouvrir en gardant une fidélité constante au processus politique qui a permis d’aboutir à la déclaration commune signée, le 29 octobre dernier, entre toutes les parties prenantes. Nous avons évité les écueils et nous sommes arrivés à un projet cohérent, qui permet de répondre au désir d’Alsace. Continuons sur cette voie !
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire mouvementée de l’Alsace, ses particularités géographiques, son identité française et européenne, son bilinguisme ont largement fortifié l’affectio societatis qui justifie aujourd’hui la reconnaissance du « désir d’Alsace ».
Cette spécificité alsacienne, régulièrement revendiquée, a été exacerbée par le redécoupage, en 2015, des grandes régions qui a totalement dissous l’Alsace dans la région Grand Est, et cela contre l’avis du Sénat.
Mais c’est en 2018 que l’avenir institutionnel de l’Alsace s’accélère.
Le 22 janvier, le Premier ministre, Édouard Philippe, lançait la réflexion sur le devenir institutionnel de l’Alsace au sein de la région Grand Est.
Le 15 juin, le préfet Marx rendait sa copie en faveur de la fusion des deux départements, entité à laquelle pourraient être confiées des compétences nouvelles.
Le 29 octobre, une déclaration commune était signée à Matignon, fruit d’une intense négociation entre le Gouvernement, les présidents des départements alsaciens – Frédéric Bierry pour le Bas-Rhin et Brigitte Klinkert pour le Haut-Rhin – et le président de la région Grand Est, Jean Rottner.
Cet accord, ciselé à la virgule près, prévoit la création, au 1er janvier 2021, de la Collectivité européenne d’Alsace, consacrant ainsi le regroupement des deux départements. Cette nouvelle collectivité doit bénéficier outre des compétences départementales, de prérogatives « particulières et supplémentaires », mais, à vrai dire, assez cosmétiques.
M. André Reichardt marque son approbation.
Le 4 février dernier, les deux départements délibéraient pour demander leur fusion – à une très large majorité dans le Bas-Rhin et à l’unanimité dans le Haut-Rhin.
Créée par le décret du 27 février 2019, cette nouvelle Collectivité européenne d’Alsace est donc bien un département.
Son nom baptismal, « Collectivité européenne d’Alsace », pouvait porter à confusion. C’est tout du moins ce qu’a considéré la commission des lois du Sénat, lui préférant l’appellation plus rigoureuse « département d’Alsace ».
J’ai bien conscience que le nom « Collectivité européenne d’Alsace » est le fruit d’un subtil compromis, entériné par le décret qui prend acte de la fusion des deux départements et que le sujet de la dénomination est de l’ordre du symbole.
Cependant, il ne doit pas cacher le cœur de nos débats, à savoir les nouvelles compétences de l’Alsace définies par le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Comme tout compromis, ce texte suscite de vives insatisfactions, tant de la part d’une partie des Alsaciens, qui souhaitent aller beaucoup plus loin, demandant même la sortie de la région Grand Est, voire la création d’une collectivité à statut particulier, que de celle des autres élus de la région Grand Est ou même du reste du territoire français qui réclament les mêmes avantages.
De plus, il ne résout en rien les difficultés provoquées par les deux réformes successives du redécoupage des régions et de la redéfinition des compétences régionales et départementales par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe.
Cependant, même insatisfaisant, ce projet de loi est attendu par de nombreux élus alsaciens, car il donne du contenu à cette entité « Alsace » qu’ils appellent de leurs vœux les plus chers et dont ils ont très majoritairement décidé la création.
Et si ce texte concerne principalement l’Alsace, il ne peut être déconnecté de la nécessaire évolution des lois de décentralisation, dont l’acte III est promis après la fin du grand débat national, ni de l’introduction dans la Constitution du futur droit à la différenciation, applicable à tous les départements français.
La nouvelle Alsace doit être considérée comme une expérimentation dans la perspective des futures réformes des lois de décentralisation, applicables à tous les départements. La mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des dernières lois de réforme territoriale, conduite par le sénateur Mathieu Darnaud, y travaille.
En conséquence, mes chers collègues, je vous propose d’accepter le compromis négocié par les élus alsaciens et le Gouvernement et largement amélioré par le Sénat, afin non seulement de renforcer les compétences de la nouvelle Alsace et de lui donner les véritables moyens juridiques, humains et surtout financiers pour les exercer, mais aussi d’expérimenter de nouvelles dispositions en Alsace qui auraient vocation à nourrir le débat général sur l’organisation territoriale de notre pays et à s’étendre aux départements qui le souhaitent et de sécuriser, dans la loi, les dispositions électorales initialement prévues par ordonnance.
Concernant les compétences de l’Alsace, le texte initial prévoyait le transfert a minima de prérogatives dans quatre domaines – coopération transfrontalière, bilinguisme, tourisme, routes nationales et autoroutes non concédées. Ces compétences ont une importance toute particulière en Alsace en raison des spécificités locales.
La situation frontalière de l’Alsace et les liens privilégiés avec l’Allemagne justifient le développement d’une coopération transfrontalière affermie, notamment en matière de mobilité, d’échanges linguistiques, de coopération sanitaire et culturelle.
Sans remettre en cause les compétences de la région, la commission des lois a souhaité donner à la collectivité les véritables moyens pour les exercer.
Chef de file, l’Alsace élaborera un schéma de coopération transfrontalière respectueux du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation.
Elle pourra bénéficier de délégations des autres collectivités pour la réalisation des projets transfrontaliers, notamment en matière de déplacements.
Afin de garantir son effectivité, le Sénat a autorisé les EPCI à déléguer tout ou partie de leur compétence à la nouvelle collectivité. Ces délégations seront essentielles pour mener à bien les projets de coopération transfrontalière en matière de transport et de mobilité des deux côtés de la frontière.
Le développement des langues régionales et de l’apprentissage de l’allemand est primordial pour le développement économique et l’attractivité de l’Alsace frontalière. Ainsi, la collectivité alsacienne pourra organiser dans les établissements scolaires, sur le temps périscolaire, des activités complémentaires d’enseignement des langues et cultures régionales. De plus, elle pourra recruter un vivier d’enseignants germanophones et les mettre à disposition de l’éducation nationale pour favoriser l’ouverture de classes bilingues.
Bien qu’inscrites dans la loi, ces dispositions restent programmatiques. Afin de les amplifier, la commission des lois a adopté les amendements de nos collègues alsaciens Reichardt, Kennel, Kern et Danesi visant à confier à l’Alsace le chef de filât en matière de promotion des langues régionales et à étendre sa compétence à la formation des enseignants et à l’ouverture des classes bilingues ou d’immersion.
Elle a, par ailleurs, introduit un article supplémentaire autorisant l’Alsace, comme toutes les collectivités, à créer des chaînes de télévision locales pour promouvoir les langues régionales.
Avec plus de 20 millions de visiteurs chaque année, le tourisme constitue en Alsace un secteur économique majeur, pourvoyeur de nombreux emplois. L’enjeu de l’attractivité est donc au cœur des politiques locales et régionales.
Conformément à la déclaration commune de Matignon, le Sénat a densifié la compétence du département d’Alsace en matière de promotion de l’attractivité de son territoire et prévu la création d’un conseil de développement tel que souhaité par le sénateur Kennel.
Le transfert des 300 kilomètres de routes nationales et autoroutes non concédées à l’Alsace ne constitue pas véritablement une nouvelle compétence, puisque les départements gèrent déjà la majorité des voiries. L’innovation réside dans le transfert – pour la première fois – d’autoroutes à un département, ce qui se justifie par la nécessité de réguler le trafic provenant d’Allemagne, où la LKW-Maut, la taxe sur les camions, favorise le déport de plus de 1 000 camions par jour sur les routes alsaciennes parallèles.
Cependant, les conditions du transfert, telles que prévues par le texte initial, doivent être clarifiées, afin de donner à la nouvelle collectivité les véritables moyens pour endiguer la circulation des camions.
Des moyens juridiques, tout d’abord, afin d’accorder l’ensemble des pouvoirs de police de la circulation au président du conseil départemental, en créant une nouvelle catégorie d’autoroutes départementales, soumises aux règles applicables à la voirie départementale, et dont le déclassement pourra être décidé par le conseil départemental et sera nécessaire avant tout transfert à l’eurométropole de Strasbourg.
La sécurisation du transfert des personnels affectés à la gestion et à l’entretien des voiries concernées est nécessaire pour éviter de se retrouver dans la situation de 2004, encore mal digérée par nombre de départements.
Enfin, il convient de renforcer les garanties financières, afin de s’assurer que, conformément à l’article 72-2 de la Constitution, le transfert de charges est réellement compensé par des ressources équivalentes.
L’article 6 du projet de loi prévoit que les ressources attribuées sont équivalentes aux dépenses consacrées, à la date du transfert, diminuées du montant d’éventuelles réductions brutes de charges ou augmentation des ressources liées au transfert.
En outre, il affirme que la compensation des charges transférées est égale à la moyenne calculée, pour l’investissement, sur les cinq années précédentes et, pour le fonctionnement, sur les trois années. Le Sénat a ajouté que cette moyenne ne pourra être inférieure aux montants de 2018, toujours dans le souci de sécuriser le transfert des moyens financiers.
Enfin, deux sujets concomitants au transfert des routes et essentiels pour les Alsaciens soulèvent quelques inquiétudes.
Il s’agit d’abord de la création d’une écotaxe, prévue dans l’habilitation, qui reste extrêmement vague et qui pose de nombreuses questions quant à sa nature, à son assiette… Au regard des enjeux locaux, la commission des lois n’a pas souhaité supprimer cette potentielle création d’une écotaxe alsacienne, mais elle sera très vigilante sur sa mise en œuvre, ainsi que sur la continuité des engagements de l’État sur l’A355.
Le présent texte doit aussi être l’occasion d’autoriser l’Alsace à expérimenter de nouvelles compétences pour favoriser l’attractivité économique de son territoire. Reprenant les dispositions adoptées dans le cadre de la proposition de loi de Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud sur l’équilibre territorial et la vitalité démocratique, la commission des lois a souhaité permettre à la collectivité d’octroyer des aides aux entreprises sur délégation de la région.
Enfin, elle a réintroduit dans le texte plusieurs dispositions électorales, afin de sécuriser ces procédures.
Chers collègues, Alsaciens, élus du Grand Est ou du reste de la France, en adoptant ce projet de loi attendu par de nombreux Alsaciens, le Sénat remplira parfaitement son rôle de chambre des territoires.
Entendant le « désir d’Alsace », la Haute Assemblée a souhaité amplifier les compétences reconnues au nouveau département fusionné, afin de lui donner les véritables moyens de les exercer.
Mais le Sénat a aussi entendu la volonté légitime des autres départements de voir leurs spécificités territoriales reconnues au nom de la différenciation. C’est dans cet esprit que nous vous proposons d’adopter ce projet de loi, largement modifié.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je suis saisi, par M. Grosdidier, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En l’application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (n° 413, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. François Grosdidier, pour la motion.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi est une mauvaise réponse, inconstitutionnelle, à de bonnes questions.
La question, c’est d’abord celle du « désir d’Alsace ». Cela étant, ce sentiment est partagé par tant de Français, dont les identités territoriales ou régionales ont été malmenées, bafouées, niées, rayées de la carte, balayées du revers de la main par la création de grandes régions sur un coin de table, en une journée, à l’Élysée, sous la présidence de François Hollande.
La question, c’est aussi celle du besoin de plus de décentralisation, de subsidiarité, de circuits courts dans les décisions publiques.
Ce n’est pas une bonne réponse que le Gouvernement apporte aux Français ni même aux Alsaciens, qui vont, je le crains, vite se sentir bernés.
Le régime institutionnel français, dans les faits, est non pas une démocratie parlementaire, mais une forme de césarisme technocratique. Ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui, même si les one man shows présidentiels du grand débat ou le dernier remaniement ministériel confirment la tendance – tendance qui n’est pas la vôtre, madame la ministre, vous qui appartenez à une tradition centriste, parlementaire et décentralisatrice.
Le mouvement des « gilets jaunes » a révélé de façon éclatante cette crise de la démocratie représentative. Non que les représentants soient mauvais, mais ils ne sont pas écoutés.
La crise de la démocratie représentative, c’est d’abord une démocratie parlementaire entravée quand l’Assemblée nationale est une chambre d’enregistrement et que le rôle du Sénat est contesté par l’exécutif.
C’est aussi une démocratie locale corsetée sur un plan réglementaire et étouffée sur un plan financier.
C’est enfin une démocratie sociale bloquée qui n’a jamais bien fonctionné dans notre pays.
Montent des territoires un besoin de reconnaissance d’identité, de considération et une soif de libertés et de décentralisation. Tous les territoires sont concernés, mais il est vrai que les Alsaciens, qui ont une identité culturelle plus forte, le disent plus haut que les autres.
On le sait en Moselle depuis 1918, depuis notre retour à la France après une annexion qui avait, sur les plans administratif et universitaire, beaucoup plus pénalisé la Moselle que l’Alsace. Mais Paris a toujours davantage entendu les protestations bruyantes des Alsaciens que les pâles suppliques des Mosellans.
Exclamations.
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
Il n’y a de ma part aucune critique des Alsaciens, je leur dis même mon admiration. Ces revendications étaient légitimes et ils avaient le mérite de les porter plus fort.
Aujourd’hui, ces justes revendications relayées par les Alsaciens sont partagées par tous les Français. Le Gouvernement ne peut satisfaire seulement ceux qui parlent plus fort en frustrant les autres. Cette inégalité de droit serait d’ailleurs anticonstitutionnelle. Satisfaire cette revendication dans un texte de portée générale exigerait, en l’état, au moins un renvoi à la commission.
De quoi s’agit-il ? S’il s’agit de permettre la fusion du Bas-Rhin et du Haut-Rhin en un seul département d’Alsace, la loi le permet déjà. Il n’est nul besoin de ce projet de loi.
Le Gouvernement appelle « collectivité européenne » ce qui n’est qu’un département, comme l’a rappelé le Conseil d’État. Il fait croire que subsistent deux départements, ce qui est faux si l’on considère la collectivité. Ce n’est vrai que si l’on parle des circonscriptions administratives de l’État, mais cela ne durera qu’un temps…
À une époque où l’État cherche à fermer le maximum de sous-préfectures et à regrouper les administrations techniques, Colmar ne restera pas préfecture éternellement !
D’ailleurs, nos collègues alsaciens du groupe Les Républicains ne s’y trompent pas quand ils demandent que l’Alsace soit érigée non pas en département, mais, à défaut de redevenir région, en collectivité à statut particulier, ce qui est constitutionnellement impossible.
Certes, il existe en France métropolitaine, comme Paris et Lyon, des collectivités à statut particulier, mais reposant sur un critère démographique. De même pour la Corse, mais sur un critère physique – c’est une île !
La différenciation ne peut se fonder sur un critère subjectif comme la culture. Les Bretons, les Basques et bien d’autres pourraient alors demander la même chose.
La Constitution ne permet pas une différenciation assise sur le critère culturel.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas plus de libertés pour les Alsaciens. Cela signifie qu’il en faut plus pour tout le monde. La bonne réponse, juste à la fois juridiquement et politiquement, est donc d’en donner plus à tout le monde.
Ce statut particulier n’est pas possible. La commission des lois prévoit d’octroyer des prérogatives au département d’Alsace qu’elle n’accorde pas aux autres départements, même s’il s’agit de compétences optionnelles. Une telle rupture d’égalité des droits entre départements ne serait pas davantage conforme à la Constitution.
Il ne s’agit pas que d’une question conceptuelle. Cette inégalité peut emporter de graves conséquences sur la Moselle, qui est, à bien des égards, dans la même situation que l’Alsace : culturellement, par le bilinguisme et cette histoire singulière ; juridiquement, par le droit local ; géographiquement, par leur position frontalière et ces territoires étant l’un et l’autre traversés par un corridor européen nord-sud.
En Moselle, 100 000 salariés franchissent la frontière tous les jours pour aller travailler au Luxembourg, en Sarre ou en Rhénanie-Palatinat.
L’adoption de ce texte transférerait à l’Alsace la compétence des routes nationales et des autoroutes non concédées. Certains s’inquiètent de la non-compensation financière. En fait, ce transfert sera compensé, comme celui de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations – ou Gemapi – aux EPCI, par une taxe nouvelle.
L’Alsace pourrait donc mettre en place une écotaxe poids lourds que le Gouvernement n’a pas souhaité permettre dans le projet de loi Mobilités que nous avons adopté cet après-midi même !
Or il nous faut l’écotaxe, que nos voisins allemands et suisses ont déjà instaurée, déviant ainsi tout le transit international nord-sud de l’Europe sur l’A35 et sur l’A31, deux autoroutes qui sont aussi les boulevards urbains des métropoles alsaciennes et lorraines.
En autorisant l’écotaxe en Alsace, et pas en Lorraine, le Gouvernement va provoquer le déport du trafic de l’A35 sur l’A31, réglant le problème sur l’A35, à la satisfaction des Alsaciens, mais l’aggravant d’autant sur l’A31, déjà à saturation, au détriment des Lorrains.
La circulation sur l’A31 vers le Luxembourg est déjà plus difficile que sur l’A4, à l’entrée de Paris !
Et même sans le déport de l’A35, on sait déjà que ce sera pire à l’avenir, en raison des investissements sur les plateformes multimodales de Bettembourg au Luxembourg. La route de la soie arrive au port de Rotterdam. Elle se prolonge par le fer à Bettembourg. De là, les camions descendent par l’A31. C’est juste impossible !
Le respect du principe républicain d’égalité n’est pas qu’une question conceptuelle ; c’est bien une question concrète. La violation de ce respect va entraîner des désordres considérables sur le terrain. Je viens de vous en donner un exemple.
Tous les territoires de la République française veulent plus de liberté, mais sans rupture d’égalité. Je le dis fraternellement à mes collèges alsaciens.
Il faut donner cette liberté dans l’égalité des droits. Je suis d’ailleurs convaincu, madame la ministre, que vous n’attendez que de pouvoir défendre cette égalité. Cela suppose un texte de portée générale, respectueux des principes de la République. Ce n’est pas le cas de ce projet de loi, générateur d’inégalités et, à ce titre, anticonstitutionnel.
MM. Daniel Gremillet, Jean-Marie Mizzon et Pierre-Yves Collombat applaudissent.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la présente motion vise à opposer l’exception irrecevabilité au projet de loi relatif aux compétences de la nouvelle collectivité territoriale réunissant les deux départements alsaciens.
Selon le raisonnement suivi par François Grosdidier, le texte prévoit d’accorder au nouveau département alsacien des compétences spécifiques de manière injustifiée et inopérante, d’une façon contraire à la Constitution.
Toutefois, il semblerait que cette interprétation excessivement restrictive de la Constitution ne nous conduise qu’à dessaisir notre chambre d’un texte intéressant de très près les collectivités territoriales.
Comme notre collègue le rappelle dans l’objet de sa motion, l’Alsace ne serait certainement pas le premier territoire à se voir doter de compétences dérogatoires du droit commun. Sans même avoir à porter nos regards vers l’outre-mer, la Corse, Paris et Lyon sont autant d’exemples métropolitains…
La Constitution laisse en effet au législateur une certaine latitude dans l’ajustement des missions et compétences des collectivités. Son article 34 le charge de déterminer les principes fondamentaux de « la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ».
Et si l’article 72 prévoit que la loi peut créer des collectivités à statut particulier et toute autre collectivité territoriale, il n’exclut pas pour autant l’ajustement de certaines compétences des collectivités de droit commun, dont les départements.
En effet, le Conseil constitutionnel a reconnu, dans une décision de 1991, que le principe constitutionnel d’égalité ne s’oppose pas au règlement différent de situations différentes, pour des raisons d’intérêt général.
Certes, le choix du Gouvernement dans la présentation de son projet pour l’Alsace n’est pas le plus intuitif et le Conseil d’État a relevé, dans son avis, certaines problématiques dont nous aurons sans aucun doute l’occasion de discuter. Il n’a toutefois pas souligné de risque d’inconstitutionnalité.
Le processus législatif ne fait que commencer et ces points auront donc, si le législateur le juge utile, l’occasion d’être revus et corrigés. S’interdire de le faire dès le départ serait excessif.
De même, si je comprends que l’on puisse regretter que la situation de l’Alsace ne soit pas discutée à l’aune d’une réforme plus globale des collectivités, l’absence d’une telle réforme n’interdit pas, sur le plan constitutionnel, une loi d’une portée plus limitée. Là encore, rejeter le simple examen du texte n’est pas la réponse la plus mesurée.
Enfin, concernant les justifications concrètes des compétences différenciées du nouveau département, le transfert de compétences relatives au transport ne constitue pas une entorse à l’unité et à l’indivisibilité de la République.
Compte tenu de la situation particulière du corridor rhénan, principal axe de transport fluvial de notre continent, l’exercice de ces compétences sur le plan local mérite au moins d’être débattu.
Je n’entends pas me prononcer ici pour ou contre cet aspect particulier des compétences de la collectivité alsacienne, mais je veux souligner qu’en discuter devant le Parlement est légitime et conforme à la Constitution. S’il faut en débattre, débattons-en !
Il s’ensuit qu’en adoptant aujourd’hui cette motion, nous courrons le risque d’écarter le Sénat de l’élaboration d’un texte important pour l’avenir de l’Alsace et des collectivités territoriales de l’Hexagone en général.
En effet, le décret instituant la collectivité d’Alsace ayant déjà été adopté, nous ne pouvons ignorer cette situation par principe.
Et cela, peu importe la position que nous avons sur le fond de la question.
Il est préférable de prendre aujourd’hui le temps d’y travailler, de discuter de la forme de cette collectivité alsacienne et de faire entendre la voix du Sénat, au service de l’Alsace et de toutes nos collectivités.
Pour ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à rejeter cette motion.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
Comme vient de le souligner Mme Deromedi, le Sénat remplit sa mission de chambre des territoires en adoptant un texte mesuré sur les compétences du nouveau département d’Alsace, lequel est certes un département « plus », mais, encore une fois, pas plus que cela.
La Constitution n’interdit pas au législateur de confier des compétences différentes à des collectivités territoriales appartenant à la même catégorie juridique, pourvu que ces différences soient justifiées par une différence de situation ou par un motif d’intérêt général – c’est le cas en l’espèce, le Conseil d’État ayant reconnu les particularités de l’Alsace – et qu’elles restent limitées – c’est aussi le cas.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.
Monsieur le sénateur François Grosdidier, vous vous interrogez sur la constitutionnalité de l’octroi de compétences supplémentaires à la Collectivité européenne d’Alsace. Il s’agit d’un point de droit évidemment très important que le Gouvernement a pris pleinement en compte.
Il a ainsi saisi le Conseil d’État de la question, à Constitution constante, de la différenciation de la répartition des compétences entre collectivités d’une même catégorie.
Dans son avis du 7 décembre 2017, le Conseil d’État a considéré que certaines différences dans la répartition des compétences étaient possibles, à condition de présenter un caractère restreint, dans les limites fixées par le principe d’égalité tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel.
Ce dernier a jugé, dans sa décision du 6 mai 1991 sur la loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, que le principe constitutionnel d’égalité applicable aux collectivités territoriales « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ».
Or telle est précisément la situation de l’Alsace : les compétences supplémentaires que le projet de loi vise à confier à la Collectivité européenne d’Alsace sont justifiées par l’intérêt général et par la situation propre au territoire alsacien.
Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État l’a parfaitement reconnu en ce qui concerne la question des routes. Il a également estimé que les deux départements alsaciens étaient, en matière de langue et de culture régionales, dans une situation particulière.
De manière générale, l’avis du Conseil d’État ne mentionne en aucune manière une inconstitutionnalité des compétences spécifiques qu’il s’agit d’attribuer à la Collectivité européenne d’Alsace.
Vous indiquez par ailleurs, monsieur le sénateur, que certaines dispositions du projet de loi ne seraient pas normatives. Selon le Gouvernement, il est cependant important que le législateur reconnaisse les spécificités de la situation alsacienne.
Enfin, vous considérez que rien ne s’oppose à ce que les autres départements frontaliers ou ceux qui sont fortement marqués culturellement bénéficient de compétences similaires à celles qui sont confiées à la Collectivité européenne d’Alsace. Vous vous demandez pourquoi la situation de ces autres départements n’est pas réglée dans le cadre de ce projet de loi.
C’est pour une raison simple : le Gouvernement considère que l’exercice de compétences supplémentaires doit répondre à la demande et à la volonté des collectivités concernées. En outre, le présent projet de loi s’inscrit dans le cadre du regroupement de deux départements.
La révision constitutionnelle offrira des possibilités plus larges pour attribuer à une collectivité territoriale des compétences dont ne disposent pas toutes les autres collectivités territoriales de la même catégorie. Elle proposera donc d’autres possibilités de différenciation.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion.
Entre Jacky et Didier, mon cœur balance ! Il s’agit, on le voit bien, d’une histoire régionale et territoriale, qui divise un groupe. Cela dit, si la raison du cœur pose problème, il est préférable de s’en tenir à la raison. Or, d’un point de vue juridique, cette motion pose problème.
En effet, si l’on se réfère à son objet, le projet de loi viserait à « confier spécifiquement au futur département des compétences exorbitantes du droit commun ». Toutefois, il est également précisé que « l’attribution de nouvelles compétences ne semble pas être, selon le Conseil d’État, réellement dotée de portée normative ».
Si le texte comporte certaines affirmations incantatoires, sans véritable portée juridique – nous y reviendrons au cours de la discussion générale –, cela ne saurait justifier à nos yeux les termes « compétences exorbitantes ».
Ce projet de loi est la traduction incontournable d’un décret, afin d’inscrire dans la loi ce qui revient à la loi. Il n’existe donc pas de problème d’irrecevabilité. En conséquence, nous voterons contre cette motion.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention expliquera mon vote sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, mais aussi sur la motion tendant à opposer la question préalable et la motion tendant au renvoi à la commission. Ainsi, je n’aurai parlé qu’une fois et nous aurons gagné du temps.
Monsieur Grosdidier, je comprends tout à fait que vous ayez déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, à telle enseigne que je m’étais posé, à titre personnel, la question de savoir si j’allais utiliser un tel instrument de procédure, qu’il s’agisse d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, la question préalable ou tendant au renvoi à la commission, tant ce texte me paraît éloigné de ce que souhaitent les Alsaciens.
Ces derniers, dans leur immense majorité – j’aurai l’occasion de le dire souvent –, ont demandé non pas une Collectivité européenne d’Alsace, mais des choses très simples. Ainsi, 80 % à 90 % d’entre eux – je citerai des chiffres précis ultérieurement – souhaitent retrouver une collectivité territoriale dotée des compétences d’une région, et ce hors de la région Grand Est.
Je ne voterai pas en faveur de cette motion, pas plus que des deux autres. En effet, nous devons à tout le moins mener une discussion pour enrichir le texte qui nous est présenté, en prévoyant suffisamment de compétences, afin de répondre, le cas échéant, à ce « désir d’Alsace » dont nous avons parlé précédemment.
Je fais là un acte de foi. Je souhaite vivement qu’à la suite du grand travail réalisé par Mme la rapporteur et la commission des lois, qui ont intégré quelques-uns de nos amendements, nous puissions encore enrichir ce texte, pour répondre, je le répète, au désir des Alsaciens, sans pour autant, vous l’avez compris, signifier un congé à nos amis lorrains ou champardennais.
À titre personnel, j’aurais préféré que l’on remette à plat la loi NOTRe, que l’on remette sur le métier le périmètre des régions, pour répondre aux attentes de tous les territoires concernés.
Le texte qui nous est soumis n’est pas du fait des Alsaciens. Cela n’interdit pas d’essayer d’en faire le laboratoire des travaux à venir.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je veux dire que j’ai beaucoup de sympathie pour les Alsaciens, singulièrement pour les sénateurs alsaciens. Pour autant, il arrive que, en certaines circonstances, je ne les rejoigne pas. Je leur rappellerai, s’agissant du « désir d’Alsace », une phrase bien connue dont j’ai oublié l’auteur : « L’amoureux qui espère ressent plus de bonheur que l’amoureux qui a obtenu. » Sachez donc être patients !
Sourires.
Je ne me placerai pas sur le terrain juridique, puisque nous pourrons le faire tant cette nuit et que la nuit prochaine. J’évoquerai les dégâts collatéraux. Les territoires sont las de toutes les réformes territoriales qui se sont succédé. Ils nous demandent une chose – je le dis en français et non pas en alsacien : arrêtez de nous embêter !
Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
François Grosdidier a évoqué la mobilité. Il s’agit du trafic parasite que l’on observe aujourd’hui, côté français, sur la rive gauche du Rhin, visant à échapper à une taxe qu’il faut payer sur la rive droite du Rhin. Demain, ce trafic cheminera dans le sillon lorrain : vous n’aurez donc réglé aucun problème !
Peut-être vous serez-vous donné bonne conscience ce soir. Je vous demande donc de garder cet aspect à l’esprit, car il serait dommage de ne pas le faire avant d’aller plus loin dans l’examen du texte. Je vous le rappelle, le fond doit toujours l’emporter sur la forme.
Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
La motion n ’ est pas adoptée.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 159.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (n° 413, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je soutiens à 100 % les aspirations des Alsaciens qui veulent retrouver leur région. Si nous sommes ici divisés, c’est la faute du Gouvernement, qui ne répond pas à leurs souhaits. Je reproche à Mme la rapporteur de faire semblant de croire que tout va bien et qu’on a apporté une réponse aux Alsaciens. C’est un mensonge ! Les Alsaciens veulent retrouver leur région.
Si tel était le cas, il n’y aurait plus de problème de différenciation et de statut.
Selon les sondages, les Alsaciens estiment, pour 80 % d’entre eux, que la région Grand Est, c’est la chienlit. Ils ont affirmé, à la majorité des deux tiers, qu’ils voulaient retrouver une région de plein exercice.
Quant à vous, madame la ministre, vous répondez n’importe quoi ! Vos propos sont le plus souvent à côté de la plaque, tandis que Mme la rapporteur fait semblant de croire, je le répète, que tout va bien !
Vives protestations.
Le vrai problème, c’est l’aberration que constitue la région Grand Est et que je vais démontrer. À mon avis, mes chers collègues, il n’y a que deux solutions si on veut mettre tout le monde d’accord. La première, c’est de supprimer tout de suite la région Grand Est ; la seconde, c’est de se comporter démocratiquement, en acceptant la tenue d’un référendum en Alsace, afin de demander aux Alsaciens s’ils veulent votre petit bricolage, madame la ministre, ou une région de plein exercice.
Parce que vous savez que vous trompez les Alsaciens, vous ne voulez pas d’un tel référendum, qui réglerait toute l’affaire. Les rivalités dont on a essayé de nous convaincre entre la Moselle et l’Alsace ou entre la Lorraine et l’Alsace s’effaceraient. Les Alsaciens seraient de leur côté, et cela fonctionnerait bien.
Sur ce dossier, j’ai décidé de m’investir complètement.
Exclamations ironiques.
Avec la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, le gouvernement Valls a accéléré la course au gigantisme par la fusion autoritaire des anciennes régions. Créant des entités régionales démesurément étendues, cette fusion a été réalisée au mépris de l’article L. 4122-1 du code général des collectivités territoriales, selon lequel les limites territoriales des régions sont modifiées par décret, sur délibérations des conseils régionaux et des conseils départementaux intéressés, après consultation des populations concernées.
En fait, l’augmentation de la taille des régions repose sur une erreur fondamentale, qui consiste à croire que plus on fait grand, plus il y a d’économies d’échelle. Car chaque type d’organisation territoriale possède une taille optimale. Au-delà, les pesanteurs administratives et le manque de proximité de la gestion entraînent des surcoûts et des dysfonctionnements.
Compte tenu des frais de déplacement et de l’éloignement des centres de décision, les grandes régions n’ont donc permis aucune économie réelle de gestion. C’est ce que confirme un rapport de la Cour des comptes.
Le Républicain Lorrain du 12 octobre 2017 indiquait ainsi que, selon le rapport de la Cour des comptes, la fusion des régions a entraîné des surcoûts et n’a pas remédié à la complexité du paysage institutionnel local. En clair, c’est une réforme pour rien qui pourrait coûter cher.
En fait, le cas de la région Grand Est et de l’ancienne région Alsace est particulièrement emblématique. En effet, la problématique d’une étendue territoriale démesurée s’y cumule avec celle de la disparition d’une ancienne région, l’Alsace, dont l’identité très forte est progressivement étouffée.
La région Grand Est est deux fois plus grande que toute la Belgique, pourtant divisée en trois avec la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Pour aller de Troyes au chef-lieu Strasbourg, il faut 3 heures et 34 minutes en voiture et environ 4 heures en train, alors que, de Troyes à Paris, ces trajets sont respectivement de 1 heure et 58 minutes et de 1 heure et 23 minutes. Il n’est donc pas étonnant que le quotidien L ’ Alsace du 18 juillet 2018 ait révélé une augmentation de 51 % des frais de déplacement et de mission de la région Grand Est en 2017 par rapport au total des trois anciennes régions en 2015.
Tout comme les Corses, la population alsacienne est très attachée à son territoire et à son identité. C’est le fruit de la géographie, de l’histoire et de spécificités aussi bien linguistiques que religieuses. Ainsi, un sondage réalisé par l’IFOP et paru dans Les Dernières Nouvelles d ’ Alsace le 21 février 2018 a constaté que 66 % des Alsaciens veulent le rétablissement d’une région Alsace de plein exercice.
Un deuxième sondage effectué peu après par BVA, puis un troisième datant de février 2019 ont confirmé ce résultat. Il n’existe donc aucune ambiguïté en la matière, et le Gouvernement fait semblant d’être sourd !
Dans la mesure où les Alsaciens sont presque unanimes à souhaiter le rétablissement de l’ancienne région, il est surprenant que le microcosme politique soit, lui, plus divisé sur le sujet. En fait, comme c’est trop souvent le cas, les calculs politiciens et les intérêts personnels prennent le pas sur l’intérêt général.
En Alsace, trois principaux courants politiques sont hostiles au rétablissement de l’Alsace. Les élus socialistes ne veulent pas désavouer une réforme emblématique du gouvernement Valls. De leur côté, les élus LREM et MODEM s’alignent sur la position de l’actuel gouvernement et du locataire de l’Élysée. Enfin, au sein du groupe Les Républicains, le fait que la région Grand Est soit présidée par Jean Rottner, qui appartient à ce parti, a entraîné une fracture. Elle oppose l’équipe Les Républicains du conseil régional aux parlementaires et aux conseillers départementaux Les Républicains partisans d’une région Alsace de plein exercice, comme en témoigne la création d’un nouveau groupe au sein du conseil régional de la région Grand Est réclamant le rétablissement de la région Alsace.
Faut-il rappeler que Jean Rottner avait organisé une pétition, laquelle avait recueilli plus de 50 000 signatures en faveur du maintien d’une région Alsace de plein exercice ? Seulement, sans aucun scrupule, il a changé radicalement de position depuis qu’il a récemment été élu président de la région Grand Est.
De nombreux vice-présidents du Grand Est réagissent de la même façon, motivés par leur intérêt politique personnel ou même par les aspects matériels dont ils profitent au titre de leur fonction. §C’est vrai ! Je dis la vérité !
Quoi qu’il en soit, le président Macron et son gouvernement sont parfaitement conscients de l’attachement des Alsaciens à leur région historique. Cependant, ils partagent la pensée dominante des cercles parisiens, selon lesquels plus une région est étendue, mieux elle fonctionne. Le Gouvernement craint aussi que la prise en compte de la demande alsacienne n’ouvre la boîte de Pandore des revendications territoriales d’autres régions. C’est la raison pour laquelle il s’oppose au rétablissement de l’ancienne région Alsace.
En revanche, afin de donner l’impression d’écouter le mécontentement local, il propose une hypothétique alternative. Elle consiste à fusionner les deux départements alsaciens pour créer un grand département pompeusement appelé « Collectivité européenne d’Alsace ». L’État serait censé lui transférer quelques compétences marginales. Selon son bon vouloir, la région Grand Est pourrait aussi lui déléguer quelques petites attributions.
À l’évidence, cette Collectivité européenne d’Alsace n’est qu’un leurre pour permettre au Gouvernement de gagner du temps. En effet, la collectivité ne recevrait que quelques miettes de compétences supplémentaires par rapport à un département de droit commun. Il s’agit par exemple du logo de l’Alsace sur les plaques minéralogiques. Avec cela, les Alsaciens iront loin !
De plus, et ce à juste titre, les autres départements de la région Grand Est ont d’ores et déjà indiqué que, s’il y avait délégation d’attributions régionales, ils demanderaient à bénéficier du même traitement, ce que M. Rottner et la région Grand Est refusent.
En fait, avec cette proposition, l’Alsace resterait inféodée à la région Grand Est, sans pouvoir maîtriser son destin, tout en perdant un département. Quant aux territoires des deux autres anciennes régions, ils continueraient à être englués dans une région Grand Est démesurément étendue, sans aucun espoir de gestion de proximité.
Manifestement, seuls le Gouvernement, le président de la région Grand Est et les quelques profiteurs du système se satisfont d’une telle réforme.
En effet, elle est pour eux le moyen de maintenir un quasi-statu quo, quitte à tromper la bonne foi des Alsaciens par une sorte de double jeu politicien.
Face aux aspirations très fortes exprimées par les Alsaciens et aux problèmes inextricables que crée l’étendue démesurée de la région Grand Est, …
… la seule vraie solution est de rétablir une région Alsace de plein exercice. Cela permettrait à la fois aux Alsaciens de retrouver leur identité et aux territoires des deux autres anciennes régions d’avoir de nouveau une gestion de proximité au plus près des réalités du terrain.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par la présente motion, M. Masson invite la Haute Assemblée à opposer la question préalable au projet de loi relatif aux compétences de la nouvelle collectivité territoriale réunissant les deux départements alsaciens.
Dans l’objet, il affirme que ce texte ne règle pas certains problèmes concernant l’étendue de la région Grand Est et ignore la volonté des Alsaciens de voir rétablir une région Alsace de plein exercice.
Il est vrai, les changements de la carte des régions sous la mandature Hollande ont parfois pu causer des frustrations. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet dans d’autres contextes, car la taille de la région Grand Est et, de manière générale, le découpage des nouvelles régions ont été régulièrement critiqués. Pour autant, je ne pense pas qu’en examinant ce projet de loi le Sénat ignore la volonté des Alsaciens ni le désir d’Alsace manifesté par les citoyens et les élus alsaciens, bien au contraire !
En effet, si une hypothétique remise en cause de la structure de la région Grand Est n’est pas le sujet de ce texte, celui-ci entame néanmoins l’aménagement d’un ensemble alsacien, en cherchant à offrir un commencement de réponse à ce « désir d’Alsace ». Refuser de discuter ce commencement de réponse et le remettre à demain signifie ignorer une série de questions se posant dans l’immédiat. Celles-ci affectent le quotidien des Alsaciens, le fonctionnement de leur collectivité et des administrations territoriales, avec lesquelles ils interagissent. Refuser de discuter signifie ne pas prendre en compte l’attente légitime de réponses concrètes sur ces sujets.
Par ailleurs, le décret mettant en place la nouvelle collectivité départementale alsacienne a déjà été pris, après consultation des conseils départementaux et du conseil régional concernés.
Refuser d’examiner ce projet de loi aujourd’hui, c’est d’ores et déjà en dessaisir le Sénat et envoyer le signal qu’il a préféré ne rien faire et laisser la main à l’Assemblée nationale.
Or l’un des rôles de notre assemblée est bien, selon les termes de l’article 24 de la Constitution, d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République.
Procéder ainsi ne serait donc pas rendre justice à notre rôle constitutionnel.
Même dans ce cadre aux options limitées, je pense que le Sénat se doit d’apporter sa contribution à la mise en place de l’Alsace de demain. Les débats sur le fond et sur la forme sont légitimes, et doivent avoir lieu. Car la question de l’Alsace ne cessera pas de se poser, même si le Sénat venait à refuser de discuter ce projet de loi.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à voter contre cette motion.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
La commission n’a pas pu se prononcer formellement sur cette motion tendant à opposer la question préalable, car elle a été déposée postérieurement à sa réunion. Toutefois, elle s’était prononcée sur la motion tendant à opposer question préalable déposée puis retirée par M. Grosdidier. Je peux donc transposer l’avis défavorable émis par la commission des lois sur la motion de M. Grosdidier sur celle de M. Masson.
Si ce dernier avait écouté ce que j’ai dit dans le cadre de la discussion générale, il aurait compris que nous étions moyennement enthousiastes à l’égard de ce projet de loi. On peut dire les choses avec politesse et amabilité, sans adopter obligatoirement une attitude belliqueuse.
Les ambitions du texte sont donc très limitées et ne résolvent en rien les difficultés liées aux dernières réformes territoriales. Néanmoins, nous pensons que le projet de loi ne doit pas être rejeté en bloc, car il est attendu par les élus d’Alsace et de la région Grand Est, qui ont trouvé, dans un cadre étroit, un compromis avec le Gouvernement. Par ailleurs, il a été largement amélioré par la commission et nous continuerons de le faire au cours de nos débats.
Mon groupe, qui est habitué à la discussion, votera contre cette motion. Toutefois, je souhaite ajouter quelques précisions.
En tant que conseillère régionale, je ne peux laisser dire des choses fausses. En effet, il est absolument faux de dire que la région Grand Est, que je connais bien, n’a pas fait d’économies de fonctionnement depuis sa création. Car il est avéré qu’elle a réalisé environ 10 millions d’économies par an depuis la fusion. Si l’on considère également les investissements, transports compris, on s’approche des 100 millions d’euros.
Par ailleurs, le groupe que vous avez évoqué, monsieur Masson, qui a quitté la majorité est composé de cinq conseillers régionaux, dont quatre Alsaciens et un Mosellan, alors qu’on dénombre plus de cent conseillers régionaux. C’est dire le poids de ce groupe au sein de la majorité et de l’ensemble du conseil régional du Grand Est…
Mme Véronique Guillotin. Il me semble important de rappeler ces quelques vérités. Je le répète, nous voterons contre cette motion, afin que le débat puisse se poursuivre.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Ce que dit l’auteur de la motion à propos de la création de la région Grand Est et de la volonté très forte des Alsaciens d’en sortir est vrai. Mais la politique est l’art du possible. Le Gouvernement ne veut pas créer un précédent en démembrant une région. Il n’a pas davantage voulu d’un statut spécial pour l’Alsace, comme c’est le cas pour la Corse, Lyon et Paris. Il a eu tort, car cela aurait eu le mérite de la clarté et de la simplicité.
Les deux conseils départementaux ont donc accepté de négocier un contrat et, in fine, le texte que nous examinons aujourd’hui. Ils se sont montrés pragmatiques, et je propose de les suivre, car ce texte constitue malgré tout une avancée par rapport à la situation actuelle. Rien ne s’oppose à ce qu’on puisse aller plus loin dans les années à venir.
Je vous invite par conséquent, mes chers collègues, à voter contre cette motion.
Je mets aux voix la motion n° 159, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
La motion n ’ est pas adoptée.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Marc.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, après l’échec, en 2013, du référendum portant sur la création d’une collectivité alsacienne unique, puis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la nouvelle carte régionale, les élus alsaciens ont souhaité redonner une existence institutionnelle à leur territoire, doté d’une identité particulièrement forte, tant historique que linguistique et culturelle.
Répondant à la demande formulée conjointement par les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le Gouvernement a décidé, par un décret du 27 février 2019, que ces deux départements seraient regroupés à la date du 1er janvier 2021 en un nouveau département prenant le nom de « Collectivité européenne d’Alsace », avec des compétences particulières, justifiées par les spécificités locales, en plus des compétences départementales.
Le présent projet de loi constitue l’aboutissement de cette démarche.
Il vise à tirer les conséquences techniques du regroupement des deux départements alsaciens et tend à renforcer, dans une mesure plus ou moins large, les compétences du nouveau département alsacien dans les domaines de l’action transfrontalière, de la promotion des langues régionales, du tourisme et de la voirie routière.
Néanmoins, l’ambition de ce texte demeure très modeste.
La mesure la plus substantielle consiste en un transfert par l’État de l’intégralité de la voirie nationale non concédée à la nouvelle collectivité alsacienne, censé lui permettre de mieux maîtriser la circulation routière sur son territoire – cela a déjà été évoqué.
Aussi, je me réjouis que la commission ait souhaité consolider les compétences de la nouvelle collectivité et lui donne les moyens humains, financiers et juridiques de les exercer.
Je voudrais souligner quelques-unes des modifications apportées.
La commission a préféré, pour la nouvelle collectivité, l’appellation « département d’Alsace », juridiquement plus exacte, à celle de « Collectivité européenne d’Alsace ».
Par ailleurs, en permettant aux EPCI à fiscalité propre de déléguer leurs compétences au département d’Alsace pour la mise en œuvre du schéma alsacien de coopération transfrontalière, la commission a entendu donner audit schéma une plus grande souplesse d’exécution, par exemple en matière de mobilité.
Concernant les langues régionales, je me félicite tout particulièrement que les attributions du département d’Alsace dans ce domaine aient été renforcées. La nouvelle entité serait ainsi désignée chef de file, sur son territoire, de la promotion de l’allemand standard et des dialectes alsaciens. Dans le même sens, la compétence des collectivités territoriales pour créer des chaînes de télévision en langue régionale a été consolidée.
Je souhaite également souligner l’assouplissement de la répartition des compétences économiques. En effet, à titre expérimental, le conseil régional du Grand Est a été autorisé à déléguer tout ou partie de l’octroi d’aides aux entreprises au conseil départemental d’Alsace. Tout autre département pourrait demander à s’associer à cette expérimentation. Sans remettre en cause le rôle prééminent des régions en la matière, il s’agit d’introduire plus de souplesse dans la mise en œuvre des politiques de développement économique, sur une base conventionnelle.
En outre, la commission a souhaité garantir au nouveau département alsacien la compensation intégrale des charges nouvelles qui lui incomberont en raison du transfert de la voirie nationale non concédée, conformément à l’article 72-2 de la Constitution.
Elle a donc intégré une partie des dépenses faites par l’État au titre du contrat de plan État-région à la base de calcul de la compensation financière, tout en offrant une garantie supplémentaire à la nouvelle collectivité en ce qui concerne les charges de fonctionnement et d’investissement de l’État qui seront prises en compte dans ce calcul.
De même, la commission a renforcé la clause de sauvegarde relative aux emplois transférés par l’État.
Enfin, elle a prévu l’institution d’un conseil de développement auprès du département alsacien, qui serait une instance de dialogue et de réflexion visant à accompagner la mise en œuvre de ses compétences.
Elle a aussi fixé dans la loi le nombre de cantons du département d’Alsace et adapté les règles relatives à l’élection des conseillers régionaux et des sénateurs de ce territoire.
Madame la ministre, mes chers collègues, toujours très attentif au besoin de proximité qui s’exprime en Alsace, mais également sur l’ensemble du territoire, le groupe Les Indépendants votera ce texte ainsi modifié et surtout enrichi par la commission des lois.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, aujourd’hui, il est demandé au Sénat d’accompagner les Alsaciens et leurs élus dans leur volonté de donner une traduction institutionnelle au « désir d’Alsace » qu’ils portent dans leur cœur depuis toujours, et plus profondément encore depuis la refonte de la carte des régions en 2016.
Cette volonté tenace traduit à la fois un attachement collectif et un projet commun : attachement à une histoire, à une culture, à un patrimoine et à une mémoire communs ; projet de consolider un territoire transfrontalier ouvert sur l’Allemagne et la Suisse et de coconstruire un collectif capable d’agir avec proximité et efficacité en faveur de l’attractivité du territoire et de la vie quotidienne de ses habitants.
Le projet de Collectivité européenne d’Alsace est réfléchi, construit, je dirais même qu’il est raisonnable. Pourtant, il attire des critiques.
Pour les partisans de la sortie de l’Alsace de la région Grand Est, il ne serait qu’un leurre, un écran de fumée, une tromperie.
Pour d’autres, en revanche, ce projet est une grave atteinte au principe d’indivisibilité de la République. Il faudrait donc interdire toute initiative locale émanant des territoires par peur d’une désintégration de la Nation au profit d’un repli sur soi frileux ? Telle n’est pas ma conception de la République. Je trouve stérile d’opposer radicalement universalisme et particularisme.
L’Alsace veut écrire une nouvelle page de son histoire en laissant plus de place à la diversité. Et, loin de se retrancher égoïstement sur son territoire, elle veut construire de nouvelles solidarités, notamment avec ses voisins européens. Pierre Pflimlin résumait ainsi le rapport de notre territoire avec nos voisins : « Je suis européen parce que je suis alsacien ».
La Collectivité européenne d’Alsace s’inscrit également dans la continuité des engagements pris par le Président de la République en matière de relation avec les territoires : accompagner les initiatives dès lors qu’elles sont portées à l’échelon local et qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’intérêt général, mais sans pour autant provoquer un big-bang des compétences.
Je veux rappeler combien ce projet est le fruit d’un long travail de concertation entre le Gouvernement et l’ensemble des acteurs institutionnels, dont les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et le conseil régional du Grand Est.
Je veux rendre en cet instant hommage à Mme Brigitte Klinkert et à M. Frédéric Bierry, présidents respectifs du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, relever les kilomètres qu’ils ont parcourus pour se rendre depuis des mois à des centaines de rencontres auxquelles ils ont consacré nombre d’heures.
Je salue également le rapport du préfet de la région Grand Est, Jean-Luc Marx, missionné en janvier 2018 pour évaluer les différentes hypothèses institutionnelles dans le respect des grands équilibres de la loi NOTRe.
Je veux aussi remercier le Gouvernement, qui a entendu et soutenu ce « désir d’Alsace ». Madame la ministre, vous vous êtes rendue à de nombreuses reprises sur le terrain et avez travaillé en lien étroit avec vos collègues du Gouvernement, Élisabeth Borne et Jean-Michel Blanquer.
Les élus et le Gouvernement ont élaboré un projet institutionnel cousu main, avec la fusion des deux départements sous le nom de « Collectivité européenne d’Alsace », le socle de compétences départementales étant enrichi de compétences particulières en matière de coopération transfrontalière, de bilinguisme, d’attractivité du territoire, de transport et de culture.
Ce projet a fait l’objet, le 29 octobre dernier, d’une déclaration commune du Gouvernement et des élus, qui trouve en partie sa traduction dans le texte que nous allons examiner.
Sous l’impulsion de Mme la rapporteure, la commission des lois a adopté plusieurs amendements visant à préciser, à approfondir ou à élargir les modalités d’exercice des compétences de la future collectivité. Ce sont là, pour l’essentiel, des avancées positives, que je tiens à saluer, avec quelques réserves de fond.
Sans surprise, nous sommes plusieurs dans cette enceinte à souhaiter élargir encore le champ des possibles, tout en respectant les compétences des autres collectivités.
Je souhaite, à titre personnel, que ces amendements « alsaciens » soient adoptés, afin que la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace soit la promesse heureuse d’un avenir serein.
J’ai en revanche un point de désaccord profond avec la commission des lois au sujet du changement de nom de la future collectivité : pourquoi débaptiser à Paris la collectivité née en Alsace ?
Je vous rappelle que l’appellation « Collectivité européenne d’Alsace » figure dans le décret du 27 février 2019, qui a procédé à la fusion des départements, ainsi que dans les délibérations des deux assemblées départementales adoptées le 4 février dernier.
Au nom de quoi balayer d’un revers de main le fruit d’un accord patiemment construit ?
Le Conseil d’État avait certes une préférence pour l’appellation « département d’Alsace », au motif que le nom « Collectivité européenne d’Alsace » serait susceptible de créer une méprise. Mais le Gouvernement et les deux départements ont tranché.
Alors, de grâce, mes chers collègues, rétablissons la dénomination choisie ! Je vous le dis en toute franchise : imposer aux Alsaciens, en fin de parcours, un nom qu’ils n’ont pas choisi serait une marque de mépris qui affecterait longtemps l’image de notre assemblée.
Sous cette sérieuse réserve, mon groupe votera pour l’adoption de ce projet de loi.
Pour finir sur une note alsacienne, je formule le vœu que la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace trouve en notre assemblée la cigogne bienveillante qui livrera le nouveau-né à la maison. Car, comme le dit notre proverbe, quand les cigognes sont là, le monde est en bon état.
Sourires.
« Mehr var net a Elsàss frei àber a Elsàss heiter. » Traduction : « Nous ne voulons pas une Alsace libre, mais une Alsace sereine. »
Nouveaux sourires. – MM. René Danesi et François Patriat applaudissent.
Sourires.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom du droit à la différence territoriale, ce bricolage législatif, ni fait ni à faire, est une nouvelle étape de l’opération de démembrement de la République indivisible qui porte le nom de France. De cette entreprise ancienne, la loi NOTRe a marqué un temps fort, sans aller cependant jusqu’à autoriser des fiscalités indirectes à la demande. En l’espèce, c’est le cas : on innove !
Cette différenciation est assortie, comme d’habitude, du désengagement de l’État : transfert au nouveau département alsacien des routes nationales qui n’ont pas encore été transférées, des autoroutes, de l’enseignement des langues étrangères et des classes bilingues.
Si ce projet de loi est un prélude à l’acte III de la décentralisation, on peut craindre la suite. Rapiécer un habit qui est usé avant même d’avoir été neuf n’est certainement pas la solution !
Quand on se penche sur les détails du texte, on va de surprise en surprise.
Première surprise : il reprend le projet de fusion des deux départements alsaciens soumis sans succès à référendum il y a six ans. Revenir par la voie législative sur les décisions référendaires qui déplaisent devient une manie dans notre beau pays !
Deuxième surprise : sauf erreur de ma part, cette unique collectivité départementale d’Alsace devra cohabiter avec deux administrations territoriales de l’État. Curieuse innovation, curieuse simplification !
Troisième surprise : la législation actuelle permettant déjà de déployer la coopération internationale, on ne voit pas bien ce qu’apporte la création de la nouvelle organisation, pas plus qu’on ne voit en quoi nommer l’entité concernée « chef de file » de la coopération transfrontalière facilitera sa coopération avec la région Grand Est, laquelle est notamment chargée de l’élaboration du schéma régional de développement touristique.
Non ! La vraie solution permettant de concilier différenciation territoriale et unité nationale consiste à revenir à notre tradition administrative, qui a toujours su garantir la place des petites nations locales dans la grande nation : revenir, donc, sur un découpage régional dont personne ne veut, parce qu’il est incompatible avec les réalités des territoires, et revenir sur la répartition bureaucratique des compétences entre régions et départements, sur la suppression de la compétence générale des départements, sur les boursouflures qui ont complexifié la gestion locale en augmentant la dépense publique au lieu de la faire baisser – on attend toujours les 20 milliards d’euros d’économies qui avaient été annoncés !
Contrairement à ce qui se colporte, le jacobinisme français n’est pas qu’un centralisme : c’est un étrange mélange de centralisme et de liberté locale qui fait de la France le pays où l’échelon territorial de proximité, la commune, dispose de l’autonomie la plus grande. À ceux qui en doutent, je conseille d’aller voir ce qui se passe en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis d’Amérique. Pierre Grémion l’a montré il y a bien longtemps : dans le système administratif classique, le préfet et son administration ne sont pas que la courroie de transmission de l’État central ; ils sont aussi les porte-parole des territoires et de leurs élus auprès de l’État, État qui, à la différence de sa version libérale actuelle, disposait alors, dans ledit système, de moyens d’intervention financiers et d’ingénierie.
Les lois de décentralisation de 1982 et 1983, puis celles qui sont relatives à la coopération intercommunale volontaire de projet, à partir de 1992, viendront renforcer ce « pouvoir périphérique », pour reprendre l’expression de Pierre Grémion. C’est cet édifice administratif solide et efficace que les réformes des quinquennats Sarkozy, Hollande et Macron ont voulu démonter, alors que c’est le contraire qu’il aurait fallu faire.
En l’espèce, respecter la spécificité alsacienne passe non pas par la création d’une collectivité à usage particulier, mais par un redécoupage régional permettant de garantir un tel respect, ce qui est déjà possible dans l’état actuel de la législation. J’ai cru d’ailleurs comprendre que telle était aussi la position de bon nombre de collègues alsaciens.
Selon Jérôme Fourquet, la France serait devenue un archipel d’îles et d’îlots sans liens entre eux, une nation multiple et divisée, autant dire autre chose qu’une nation.
N’entendant pas participer à cette entreprise de destruction de l’unité nationale, le groupe CRCE votera contre ce projet de loi ni fait ni à faire, mais bien révélateur des intentions de ses auteurs.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Jean-Marie Mizzon et Jean Louis Masson applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce projet de loi constitue un prolongement logique du décret du 27 février 2019, qui crée le département d’Alsace en fusionnant les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.
Mais, en réalité, les auteurs de ce texte poursuivent deux objectifs : procéder aux adaptations législatives rendues nécessaires par la fusion et tenter, par des articles à la formulation quelque peu alambiquée, de résoudre la question du statut institutionnel alsacien. Or, selon nous, ce dernier volet relève davantage de la communication que du droit, et ne satisfait visiblement personne.
Les débats en commission ont bien montré que c’était là la question prédominante. Comprendre les spécificités de ce territoire nécessiterait bien plus que cinq minutes.
Toutefois, en tant que non Alsacienne, je retiendrai trois éléments : l’échec du référendum d’avril 2013 sur la création d’une collectivité territoriale d’Alsace, en raison d’une trop faible participation et d’un vote négatif du Haut-Rhin ; le traumatisme causé par la création de la région Grand Est ; la réouverture du dossier institutionnel avec le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, cette réouverture s’appuyant – Mme la ministre et Mme la rapporteure l’ont bien rappelé – sur la déclaration commune dite de Matignon en faveur de la création de la Collectivité européenne d’Alsace. Cette nouvelle entité vise, dit-on, à donner corps au « désir d’Alsace ».
D’où le caractère dual de ce texte : d’un côté, un volet classique, qui vise à traduire en droit des évolutions institutionnelles ; de l’autre, un volet dont l’objet est, donc, de donner corps à une nouvelle collectivité qui, fondée sur le socle des compétences départementales, devrait être enrichie de compétences supplémentaires et particulières, mais sans fondement juridique clair. Le risque est de tromper les citoyens – les débats le montrent bien –, …
… puisqu’il ne s’agit en rien d’une communauté nouvelle à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, mais bien d’un département unique issu de la fusion de deux départements.
En ce sens, le texte tel qu’il est présenté en séance clarifie les choses, la commission ayant adopté sur notre initiative la dénomination « département d’Alsace ». Par cette modification, la commission a simplement mis le texte en conformité avec la réalité.
En revanche, dans le cadre de cette discussion générale, nous voudrions mettre l’accent sur une autre question soulevée par ce texte : celle de la coopération transfrontalière qui touche non seulement l’Alsace, mais toutes les régions transfrontalières.
Le texte vise à confier au département d’Alsace un rôle de chef de file – Mme la ministre l’a rappelé – en matière de coopération transfrontalière, mission consacrée dans un nouveau schéma sans caractère prescriptif ni décisionnel qui s’ajouterait aux schémas existants élaborés à l’échelle de la région et de l’eurométropole. Mme la ministre a même précisé qu’il fallait que ce schéma soit « conforme ».
En l’état, nous pensons que ce point reste insuffisamment défini et que le texte ne va pas assez loin. À l’article 13 du traité d’Aix-la-Chapelle, qui n’est certes pas encore ratifié, est pourtant soulignée la nécessité d’adopter la législation permettant de surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers.
Dans cette perspective, nous pensons qu’il faudrait avancer sur la définition des outils juridiques appropriés dans le cadre d’un travail législatif plus général. Nous avons proposé des pistes en ce sens sur la question d’un accord-cadre.
En définitive, on peut certes regretter que ce projet de loi ait été vu comme une opportunité de faire croire que la collectivité d’Alsace allait bénéficier d’un nouveau statut, mais l’essentiel, selon nous, a été corrigé avec le changement de dénomination.
Nous reconnaissons par ailleurs le caractère incontournable de ce texte, étant donné la nécessité de traduire dans la loi les dispositions du décret de fusion. Nous pensons cependant qu’il reste des améliorations à obtenir et des points à clarifier en séance ; en fonction des avancées constatées, nous affinerons notre position.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, à peine quatre ans après l’adoption de la loi NOTRe et le redécoupage à la hache des régions, nous sommes amenés à débattre aujourd’hui d’une des premières conséquences de cette nouvelle organisation territoriale, que beaucoup ont à juste titre qualifiée de « mariage forcé ».
Bien sûr, nous sommes avant tout des républicains, respectueux de la légalité et de la souveraineté exprimées par le Parlement. La loi doit être appliquée en toutes circonstances, même si nous sommes réduits à compenser des erreurs originelles.
En deux ans, les nouvelles régions n’ont pas ménagé leurs efforts pour relever de nouveaux défis et tâcher de satisfaire l’intérêt général. Mais, en tant que législateurs, notre devoir est d’examiner le présent projet de loi à l’aune de deux principes qui nous sont chers : le caractère un et indivisible de notre République décentralisée, d’une part, et l’égalité entre tous les citoyens, d’autre part.
Certes, un « désir d’Alsace » s’est fortement exprimé depuis 2015. Le Président de la République, tout en réaffirmant que le Grand Est ne serait pas détricoté, a voulu que se noue un dialogue qui a conduit à un accord entre l’État, la région et les deux départements alsaciens. Cet accord prévoit donc la fusion des deux départements au sein d’une nouvelle collectivité, et le transfert de certaines compétences : coopération transfrontalière, bilinguisme, routes et tourisme.
Nous ne sommes pas opposés par principe à la fusion des deux départements alsaciens, dès lors qu’elle correspond à une volonté clairement exprimée et qu’elle est accompagnée de garde-fous correspondant aux principes que j’ai rappelés.
Mais nous nous interrogeons – je ne vous le cache pas – sur l’opportunité de légiférer dès maintenant sur le cas alsacien, alors même que la réforme constitutionnelle, toujours en navette, doit précisément prévoir les conditions d’un droit à la différenciation des collectivités.
Pourquoi l’Alsace aujourd’hui, alors que le régionalisme parvient à s’exprimer par de multiples voies dans notre pays ? Pourquoi, en outre, ne pas donner la priorité aux territoires les plus en difficulté ?
Je vous rappelle également que le Conseil d’État a émis des réserves, craignant que cette fusion ne crée des doublons, alors que nous avons en tête l’exemple des conséquences des fusions de régions.
Certains arguments invoqués pour justifier la fusion du Haut-Rhin et du Bas-Rhin me semblent par ailleurs caducs, comme la nécessité de pouvoir dialoguer d’égal à égal avec les Länder allemands : il s’agit précisément du rôle de la région Grand Est, car son poids le permet, sans compter que la Moselle est tout aussi concernée par ces questions du fait de sa frontière avec l’Allemagne.
De manière générale, il est fait état, dans le projet de loi, d’une spécificité de l’Alsace liée au transfrontalier. Or, en réalité, cette spécificité n’est pas propre à ce territoire : quatre autres départements ont une frontière commune avec la Belgique, le Luxembourg ou l’Allemagne, et ont donc à traiter des problématiques similaires liées à la mobilité et au travail transfrontaliers.
Le bilinguisme est également un sujet essentiel qui mériterait d’être développé dans toutes les régions frontalières. Et en quoi le périmètre le plus opportun serait-il celui de la nouvelle collectivité lorsque l’on parle numérique, culture ou transports ? Ce transfert de compétences pourrait créer de nouvelles difficultés – il faut l’envisager –, car le transfrontalier doit être abordé par tous les acteurs de la vie d’une région, et même d’un pays. Enfermer cet enjeu dans le périmètre d’une seule collectivité est à l’opposé de la vision à 360 degrés, ouverte à l’ensemble de la société, qui devrait être celle d’une République une, indivisible et décentralisée, particulièrement au moment où nos concitoyens expriment un besoin très vif de proximité.
S’agissant du transport, parmi les questions régulièrement soulevées par nos concitoyens figure le passage des poids lourds étrangers sur les axes français et leur non-participation au financement des infrastructures sur notre territoire. Ce sujet a été évoqué au cours de la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités. Aucune solution n’a pour l’heure été trouvée, et le Gouvernement nous a renvoyés aux conclusions du grand débat.
C’est en partie cette raison qui justifie le transfert à la nouvelle collectivité des routes nationales et des autoroutes non concédées du domaine public routier national. Nous doutons que ce transfert puisse régler tous les problèmes, mais nous soutiendrons bien sûr l’ambition des élus locaux de lever de nouvelles ressources pour financer les infrastructures de transport et toutes les formes de mobilité.
Vous l’avez compris, mes chers collègues : mon groupe considère que la véritable question posée par ce projet de loi est celle du droit à la différenciation. Le texte a au moins le mérite d’ouvrir ce débat. Comme l’a souligné notre rapporteure, Agnès Canayer, la création d’une nouvelle collectivité d’Alsace est une première étape vers un nouvel acte de la décentralisation, très attendu par les élus locaux. Le groupe du RDSE y est bien sûr très favorable et apportera sa contribution à ces travaux.
Nous espérons toutefois que ce texte n’ouvrira pas la porte à une sortie de l’Alsace de la grande région. Et nous déplorons que la question de l’Alsace soit tranchée dès aujourd’hui, alors que la décentralisation sera au cœur des débats sur le projet de révision constitutionnelle.
Ces réserves ayant été soulignées, le groupe du RDSE attendra les débats, qui ne manqueront pas d’être riches, pour se déterminer.
Mme Mireille Jouve et M. Yves Détraigne applaudissent.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.