Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, madame la secrétaire d’État, au moment où vous accédez à ces hautes et lourdes responsabilités, de vous adresser mes vœux de bonne chance et de réussite. Surtout, au-delà de l’énergie et du sang-froid que nécessite la gestion du calamiteux Brexit, je vous souhaite d’avoir une vision claire et de mener une action résolue pour la relance du projet européen, qui reste notre priorité absolue.
En traitant de sujets aussi divers que le Brexit, la Chine ou encore la compétitivité, le dernier Conseil européen a porté, au fond, sur la capacité de l’Europe à préserver son unité et à jouer un rôle, à l’avenir, au sein du concert des grandes puissances.
L’Union européenne, hélas ! se fragmente ; elle concentre une grande partie de son énergie sur la gestion du Brexit, alors que des défis immenses l’attendent si elle veut préserver son modèle économique et social, ses valeurs et sa capacité à être un acteur qui compte dans les relations internationales.
Le Brexit, tout d’abord.
Deux ans après le début des négociations, le scénario catastrophe se poursuit, avec les trois hypothèses que vous venez d’évoquer. Pour la troisième fois consécutive, le Parlement britannique a rejeté l’accord de retrait.
Nous attendons la date fatidique du 12 avril – dans dix jours ! – avant laquelle le Royaume-Uni doit proposer une alternative ou se résigner à un no deal, une sortie brutale de l’Union européenne.
L’Union européenne a souhaité que le Royaume-Uni reste maître de son destin, mais nous subirons tous les conséquences de ses choix.
Sur la période 2016-2018, la décision du peuple britannique a déjà fait perdre, mes chers collègues, 6 milliards d’euros aux exportateurs français !
La dépréciation de la livre, le ralentissement de la croissance outre-Manche créent des conditions défavorables qui, malheureusement, vont perdurer.
Sur le plan géostratégique, le Brexit est une aberration. C’est pourquoi nous devrons nous atteler, au cours des prochains mois, à repenser les cadres de la sécurité et de la défense européennes. La dynamique positive observée dans ce domaine depuis quelques années reste néanmoins à confirmer. Le Royaume-Uni doit pouvoir conserver le rôle essentiel qui est le sien dans l’architecture de sécurité et de défense de l’Europe.
La Chine, ensuite.
L’Union européenne semble prendre timidement conscience de l’ampleur des défis posés par la Chine, ce qui n’a malheureusement pas empêché l’Italie de se démarquer de ses partenaires en signant un accord bilatéral avec Pékin. L’unité dont l’Europe devrait pouvoir se prévaloir face à la Chine est mise à mal. Nous le regrettons.
La Chine investit dans le port de Trieste, à 700 kilomètres des frontières de la France. Les routes de la soie se construisent : l’Europe se contentera-t-elle de regarder passer les trains et les navires chinois ?
Partout, la Chine place ses pions à des points stratégiques de la planète. Je l’ai découvert moi-même à Djibouti, qui est un vibrant exemple, où j’accompagnais voilà quinze jours le Président de la République : le nombre de soldats chinois y est estimé à près de 10 000, alors que la France y maintient difficilement 1 400 militaires, malgré notre position historique.
La Chine investit massivement dans des infrastructures civiles et militaires, en échange d’un endettement massif – et donc de dépendance – de ces pays.
C’est une stratégie qu’elle démultiplie à l’envi, invoquant souvent le multilatéralisme, comme le président Xi Jinping l’a fait, ici même, au Sénat, alors qu’elle privilégie, en réalité, des relations bilatérales systématiquement déséquilibrées en sa faveur.
La compétitivité économique de l’Europe, enfin.
L’époque où l’Union européenne avait pour vocation principale de décloisonner le continent pour créer un grand marché est, hélas ! dépassée.
L’Union européenne et les nations qui la composent doivent aujourd’hui assumer collectivement leur place de deuxième puissance économique mondiale. Il faut donc aider nos entreprises à se projeter au niveau international, et non pas les affaiblir en leur appliquant des règles obsolètes.
L’émergence de grands champions européens dans les domaines technologiques d’avenir est un impératif stratégique. L’échec de la fusion d’Alstom et Siemens doit nous servir de leçon pour réformer l’Union européenne.
Face aux grandes puissances économiques que sont la Chine et les États-Unis, la naïveté de l’Europe n’a que trop duré. Elle ne pourra résister et éviter le décrochage qu’en surmontant ses divisions et en regroupant ses forces. C’est dire l’importance de la tâche qui attend l’Union européenne et ses États membres, après l’élection du prochain Parlement européen.
Madame la secrétaire d’État, nous le voyons bien, l’Europe est à un tournant de son histoire. Puissiez-vous parler au nom de la France pour faire prévaloir nos intérêts, mais aussi pour préserver les valeurs d’une Europe qui réponde vraiment aux aspirations de nos concitoyens !