Intervention de Édouard Courtial

Réunion du 2 avril 2019 à 14h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 21 et 22 mars 2019

Photo de Édouard CourtialÉdouard Courtial :

« L’Europe, quel numéro de téléphone ? » Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, chacun a encore en mémoire la phrase de Henry Kissinger, secrétaire d’État des États-Unis. Plus de quarante ans après avoir été prononcée, elle est toujours autant d’actualité, plus encore pour décrire les relations entre l’Union européenne et la Chine.

En effet, sauf retournement improbable de situation ou de politique diplomatique, le sommet entre ces deux puissances prévu le 9 avril prochain, que le Conseil européen a préparé lors de sa dernière réunion, ne permettra sans doute pas de trouver une position commune entre tous les membres de l’Union européenne pour faire front commun. Ainsi, au vu des événements récents, dire que l’Europe avance en ordre dispersé face aux ambitions chinoises est un doux euphémisme.

L’Italie a signé un accord séparé, d’ailleurs mal préparé et ne respectant pas forcément ses intérêts. Mais comment l’en blâmer si nous refusons de promouvoir et de mettre en place des champions industriels européens ?

L’échec de la fusion d’Alstom et de Siemens ou encore notre incapacité à créer une alternative continentale dans le domaine de la 5G ne peuvent que nourrir les désillusions d’une Europe irresponsable et impuissante à servir ses propres desseins. Nos divisions et nos contradictions entraînent des tentations court-termistes, qui, en touchant des secteurs stratégiques, peuvent mettre en danger les souverainetés. Le Portugal, la Hongrie ou encore la Grèce y ont déjà cédé. Sur le long terme, ce chacun pour soi ne peut que nuire à l’Union européenne et remettre en cause son avenir.

La réception du Président chinois à l’Élysée la semaine dernière, en présence de la Chancelière Angela Merkel et du Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sur invitation du Président de la République, va indéniablement dans le bon sens. Mais elle ne peut suffire à inverser le phénomène.

Dans un contexte de bipolarisation généralisée des relations internationales entre les États-Unis et la Chine, l’Europe doit, plus que jamais, faire entendre sa voix et incarner une solution crédible. Indéniablement, la Chine est un concurrent. Elle peut rester une chance pour l’Europe, mais à une seule condition : que nous nous exprimions d’une seule voix, avec des objectifs stratégiques communs connus et identifiés, sans naïveté.

Ce sursaut européen est d’autant plus nécessaire que la Chine, quant à elle, se donne les moyens de ses ambitions.

Les nouvelles routes de la soie soulèvent des enjeux majeurs et le financement pour les mettre en œuvre atteint un niveau inégalé. La Chine a pour but de définir un nouvel ordre mondial dont nous devons être conscients.

Avec mes collègues Pascal Allizard, Gisèle Jourda et Jean-Noël Guérini, nous avons détaillé ces enjeux dans un rapport publié l’année dernière.

Les chiffres sont éloquents et donnent le vertige : à l’échelle mondiale, ces nouvelles routes de la soie concernent directement plus de 70 % de la population, 75 % des ressources énergétiques et 55 % du PIB. Les montants consacrés par la Chine à cette politique atteindraient déjà 800 à 900 milliards de dollars. Ils seraient compris entre 5 000 et 8 000 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. Les besoins de financement pour tous les projets rattachés aux nouvelles routes de la soie pourraient dépasser le trillion annuel !

Toutefois, un tel projet ne pourra être un succès, pour toutes les parties, que s’il fonctionne dans les deux sens. Pour ce faire, il est fondamental de créer les conditions d’un équilibre satisfaisant dans les relations entre la Chine, la France et l’Europe. Il convient de poser les bases d’un partenariat commercial fondé sur la réciprocité de l’ouverture des marchés, sur le respect de la concurrence, de la transparence et de la propriété intellectuelle, et d’un partenariat stratégique fondé sur une coopération multilatérale et cartellisée.

Madame la secrétaire d’État, nous avons fait un certain nombre de propositions : je vous invite à vous en saisir. Avant tout, nous soulignons que la France a un rôle central à jouer, qu’elle doit être une force d’impulsion, non seulement dans sa relation bilatérale, mais aussi au sein de l’Union européenne.

Il y a urgence à définir collectivement des objectifs communs pour défendre nos intérêts, car, comme le dit si bien Sun Tzu…

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