Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, autant être clair tout de suite : la Collectivité européenne d’Alsace est une mauvaise réponse à une bonne et vraie question. Car même si ce projet de loi est censé mettre en œuvre la déclaration de Matignon du 29 octobre dernier, les Alsaciens, dans leur immense majorité, n’ont jamais demandé la nouvelle structure territoriale qu’on leur propose ! Ils ont dit ce qu’ils revendiquent dans trois sondages successifs réalisés sur les deux dernières années, à savoir, pour plus de 83 % d’entre eux, une collectivité territoriale disposant des pouvoirs de leur ancienne région Alsace et, pour 66 %, une sortie de la région Grand Est !
En d’autres termes, dès l’origine, ils ont fait partie de ces Français qui n’ont pas accepté le découpage totalement arbitraire et absurde des nouvelles régions, ainsi que la loi NOTRe qui a suivi.
Leur souhait à ce jour reste le même : revenir à la raison, grâce au retour à des collectivités régionales qui ont un sens en termes d’identité, d’espace et de projet. Ce serait pour eux, ce serait pour nous, ouvrir un nouvel acte de la décentralisation dans notre beau pays, la France !
Aujourd’hui, on leur propose de fusionner leurs deux départements en un, avec les seules compétences départementales, auxquelles on ajoute un unique transfert de la part de l’État, celui des routes non concédées et des autoroutes situées en Alsace. Autant dire que cette proposition ne les satisfait pas : ils entendent à tout le moins que d’autres compétences significatives soient ajoutées. Ce sera l’objet d’amendements qui vont être examinés tout à l’heure.
Ce qui est au moins aussi grave, c’est que malheureusement ce texte suscite des incompréhensions dans les deux autres anciennes régions du Grand Est, en premier lieu chez nos collègues et amis de ces territoires, et qu’il divise, au lieu de rassembler sur les objectifs d’une vraie décentralisation que nous sommes nombreux dans cet hémicycle à appeler de nos vœux.
In fine, il ne satisfait personne ! Sans compter que sur le plan juridique, le projet de loi soulève un certain nombre de questions que le Conseil d’État n’a pas manqué de relever, mais que le Gouvernement a décidé d’ignorer.
La Haute Assemblée peut-elle sortir de ce débat par le haut ? À mon sens, oui, si elle voit dans la satisfaction du désir profond des Alsaciens une sorte de galop d’essai d’un acte III de la décentralisation pour notre pays. Il faut faire droit, mes chers collègues, à divers amendements déposés par les sénateurs d’Alsace, le premier d’entre eux visant à la reconnaissance dans cette Collectivité européenne d’Alsace d’une collectivité territoriale à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution.
Dès lors que ce statut lui aura été reconnu, des compétences spécifiques à son territoire, même si elles ne devaient s’exercer qu’à titre de chef de file, peuvent et pourront lui être dévolues. Ce serait un signe fort manifesté par le Sénat en faveur de la respiration de nos territoires. Cela pourrait incontestablement inspirer d’autres expériences dans notre pays.
Le Sénat, chambre des territoires, y est-il prêt ? Ces trois jours de débat nous le montreront. Mes chers collègues, nous avons là une occasion à ne pas manquer !