Intervention de Didier Lallement

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 avril 2019 à 14h05
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à paris — Audition de M. Didier Lallement préfet de police de paris

Didier Lallement, préfet de police de Paris :

Je vous remercie de me recevoir. Je peux difficilement vous relater ce qui s'est passé le 16 mars dans la mesure où j'ai pris mes nouvelles fonctions seulement le 21. Je me contenterai de vous indiquer les premières mesures qui ont été prises dans le prolongement des annonces du Premier ministre et du ministre de l'intérieur.

En arrivant à la préfecture de police, j'ai pu constater la déception, voire le dépit de l'ensemble des fonctionnaires et des militaires de la préfecture à l'égard ce qui s'était passé le 16 mars. Il s'agit de professionnels très investis dans leur mission ; ils ont le sentiment que ces événements représentent un échec en matière d'ordre public. Ils sont donc très mobilisés pour faire en sorte que cela ne se reproduise pas. C'est pourquoi les mesures annoncées par le Gouvernement ont été plutôt bien reçues par l'ensemble des acteurs de la préfecture de police.

Le mouvement des gilets jaunes ne va pas s'arrêter du jour au lendemain, et nous aurons à connaître d'autres pics de mobilisation. Ce mouvement évolue chaque semaine. Les déclarations de manifestation sont très tardives, quand il y en a. Ainsi, ce mercredi soir, nous ne disposons que d'indications de déclarations pour samedi qui n'ont pas encore été formalisées. Elles ne le seront vraisemblablement que jeudi soir ou vendredi matin. Notre temps de préparation est donc extrêmement faible. Une autre difficulté tient à l'extrême volatilité des choix de parcours d'une semaine à l'autre. J'ai repris les excellentes habitudes de mon prédécesseur de proposer à la maire de Paris une rencontre le vendredi après-midi avec les maires d'arrondissement et les parlementaires, pour les informer sur les parcours et les mesures que nous envisagions de prendre, afin qu'ils puissent informer leurs administrés. Après les élus, je rencontre les acteurs économiques, les associations de commerçants et des grandes enseignes commerciales de Paris. J'enchaîne sur le briefing aux forces, en réunissant les commandants d'unité. Nous fonctionnons donc, comme vous le constatez, en flux très tendus entre les déclarations et la préparation du dispositif. En outre, toutes les manifestations ne sont pas déclarées, ce qui complique singulièrement l'exercice de définition du dispositif...

La feuille de route qui nous a été donnée par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur le 18 mars est claire. Elle a d'ailleurs été communiquée publiquement, preuve de la transparence absolue en la matière du Gouvernement.

Le premier point concerne la mise en oeuvre d'une chaîne de commandement unifié. Pourquoi ? La préfecture de police repose sur deux directions de policiers en tenue : la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) et la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), l'équivalent, hors de la préfecture de police, des directions départementales de la sécurité publique (DDSP). J'étais jusqu'à peu préfet en Nouvelle-Aquitaine. En province, lors d'une manifestation, on mobilise à la fois des unités de forces mobiles, qui sont attribuées par le ministère de l'intérieur, et les policiers locaux. À la préfecture de police de Paris, les choses fonctionnent de la même façon, mais à une autre échelle : mobilisation des fonctionnaires de la DSPAP et de fonctionnaires spécialisés dans l'ordre public de la DOPC, auxquels s'adjoignent les unités de forces mobiles. La chaîne de commandement est naturellement unifiée en province parce qu'il n'y a, en principe, qu'une seule salle de commandement. La préfecture de police, du fait de la taille, comporte deux salles de commandement : celle de la DOPC, qui gère l'ordre public, et celle de la DSPAP, qui gère la sécurité publique.

J'en viens à ce qui s'est passé les derniers week-ends : comme les personnels concourent à l'ordre public, mais n'y concourent pas pour la totalité de leur mission, il était un peu compliqué, lorsque l'on donnait des instructions, de savoir par quelle chaîne de commandement il fallait passer. Ainsi un fonctionnaire de la DSPAP peut commencer par participer à des contrôles préalables - par exemple dans une gare, dans un péage, sur réquisition du procureur de la République. Lorsque ce même fonctionnaire quitte sa mission de contrôle pour basculer sur des missions d'ordre public, parce que la situation l'exige et que l'on fait appel à lui, la nature de sa mission change. Dès lors, il convenait de clarifier la chaîne de commandement. C'est ce que j'ai fait, avec une règle assez simple : dès lors que le fonctionnaire bascule sur la mission de maintien de l'ordre, il entre dans la chaîne de commandement de la DOPC, ce qui permet d'éviter les contradictions dans la manoeuvre. Il ne s'agit que d'une clarification de la chaîne de commandement, sous l'autorité du préfet de police. Les fonctionnaires concernés doivent savoir parfaitement, en fonction de la nature de la mission qu'ils exercent, sous quelle chaîne de commandement ils doivent s'enregistrer. Il s'agit aussi d'éviter qu'une salle ne fasse appel à un fonctionnaire déjà mobilisé sur une mission d'ordre public pour des missions de sécurité publique.

Il m'a été demandé d'accompagner cette clarification de la chaîne de commandement d'un renforcement des capacités d'autonomie des unités engagées sur le terrain. Les médias ont diffusé des images où l'on voit des unités qui donnent l'impression d'être immobiles alors que des destructions ou des actes de violence sont commis à quelques dizaines de mètres d'elles. Désormais, lorsqu'une unité sera déployée sur le terrain, elle aura une mission à accomplir dans un périmètre donné. C'est assez facile à faire sur les Champs- Élysées, où les zones ont bien été définies, mais c'est un peu plus compliqué lorsque les unités sont projetées à d'autres endroits de Paris. Les unités seront responsables d'une mission dans un secteur géographique et n'auront plus à attendre l'ordre de la salle de commandement pour réagir. Cela paraît être la base de toute action, mais cela ne fonctionnait pas comme cela avant. Le mouvement des gilets jaunes, en effet, nous contraint à adapter en permanence nos procédures opérationnelles. La préfecture de police est une vieille maison qui a été créée en 1800, avant même la police nationale qui date de 1941. Depuis 1945, année de la création des CRS, notre système de maintien de l'ordre était conçu pour gérer des manifestations de masse organisées par des structures puissantes, comme les syndicats, dotées d'un service d'ordre qui encadrait les manifestations. En conséquence, le dispositif de réaction était assez statique, visant à protéger un certain nombre d'endroits dans le cas où les manifestants n'auraient pas respecté leur parcours ou auraient échappé à leur service d'ordre, cas de figure assez rare historiquement, même si l'on a connu des exceptions tragiques, comme en 1961 au métro Charonne.

Telle était la conception traditionnelle de l'ordre public à Paris. Un changement est intervenu avec les manifestations contre la loi travail en 2016 et l'apparition des black blocs. Le mouvement des gilets jaunes s'inscrit dans cette évolution, caractérisée par la relative imprévisibilité des manifestations et l'absence d'organisateurs, de service d'ordre, de responsables ou de déclarants. Nous avons donc été confrontés brutalement à la nécessité de revoir notre modèle de maintien de l'ordre jusque-là statique et défensif. D'où la nécessité d'une autonomie accrue sur le terrain. L'autonomie n'était pas indispensable quand on connaissait à l'avance l'itinéraire des cortèges. Historiquement, les trajets avaient lieu dans l'Est parisien. Les trajets dans l'Ouest parisien et sur la rive gauche, au moins à proximité de l'Assemblée nationale, constituent une nouveauté. Il fallait donc renforcer notre capacité de réaction.

L'interdiction de manifester constitue un autre outil nouveau. Un décret publié récemment élève le montant de la contravention en cas de participation à une manifestation interdite. Nous avons éprouvé par deux fois ce dispositif d'interdiction sur le périmètre des Champs-Élysées. Ce mécanisme est très utile car il permet de sanctuariser une zone tout en renforçant l'autonomie des unités qui y sont déployées. Un certain nombre d'élus de la ville de Paris m'ont demandé pourquoi ce périmètre avait été retenu et pourquoi on n'avait pas inclus d'autres zones, comme le Trocadéro par exemple. Ce serait évidemment souhaitable, mais si on multiplie les périmètres, on risque de limiter la mobilité et la rapidité d'intervention de nos forces. Il faut donc combiner les deux. On ne manque jamais d'unités de forces mobiles à Paris, c'est une des caractéristiques du maintien de l'ordre dans la capitale. Le problème relève plutôt du manque d'autonomie opérationnelle des unités. Jusque-là, elle a fait défaut. L'instauration de périmètres, en tout cas, s'est révélée particulièrement efficace.

Pour la mobilité, nous sommes confrontés à une difficulté strictement parisienne : nous rencontrons les mêmes problèmes à nous déplacer le samedi après-midi que tous les Parisiens. Certes, nous pouvons emprunter les voies de bus, mais elles ne sont pas toujours fluides. En disant cela, je ne critique nullement la politique municipale : je constate juste un fait. Nous devrons donc nous équiper de véhicules plus légers pour nous déplacer plus vite car nous avons, face à nous, des gens extrêmement mobiles qui courent facilement vers d'autres rues. Nous devons, à l'évidence, nous adapter en matière de mobilité. Le problème n'est pas celui du nombre d'unités mais du placement adéquat.

Dans ce contexte, nous avons revu notre dispositif de projection. Jusqu'à présent, il s'agissait des détachements d'action rapide (DAR), constitués chacun d'une vingtaine de fonctionnaires venant, la plupart du temps, des brigades anti-criminalité (BAC), unités très mobiles. Conformément aux instructions du Gouvernement, j'ai voulu des groupes toujours aussi mobiles mais plus nombreux, de l'ordre d'une soixantaine de personnes. Nous nous sommes en effet aperçus que les manifestants n'hésitaient plus à attaquer les petits groupes de policiers isolés. C'est pourquoi j'ai mis en place les brigades de répression de l'action violente (BRAV), composées de 60 fonctionnaires dont les deux-tiers viennent des compagnies d'intervention - c'est-à-dire de personnes qui ont l'habitude du maintien de l'ordre - et auxquelles nous ajoutons 20 fonctionnaires issus des anciens DAR. Nous mêlons ainsi les agents habitués au maintien de l'ordre à ceux qui interviennent rapidement. Mais l'autonomie et la mobilité supposent la responsabilité, notamment dans l'utilisation des moyens liés au maintien de l'ordre, comme les LBD et autres grenades. J'ai dédié une fréquence radio spécifique aux BRAV. Ainsi, les unités créées - une dizaine à l'heure actuelle - peuvent communiquer entre elles afin de renforcer leur autonomie tactique souhaitée par l'exécutif.

Comme vous le voyez, derrière les concepts, il y a une réalité opérationnelle.

Nous avons montré notre grande réactivité ces deux derniers samedis, y compris pour les unités de forces mobiles qui ne doivent plus être dans une posture statique.

Concernant Sentinelle, j'ai dit hier au Conseil de Paris que rien n'avait fondamentalement changé depuis 2015, y compris sur la question de l'ouverture du feu. À l'occasion des manifestations, et conformément aux voeux du Président de la République, le dispositif Sentinelle est renforcé à certains endroits car le risque terroriste est d'autant plus réel lors des manifestations, des gens mal intentionnés pouvant décider agir.

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