Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 3 avril 2019 à 14h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Photo de Philippe Bas

Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 32

Bulletins blancs : 7

Bulletin nul : 1

Suffrages exprimés : 24

Pour : 21

Contre : 3

La réunion est close à 12 h 55.

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le 4 décembre dernier, nous avions reçu en audition le ministre de l'intérieur, son secrétaire d'État et le préfet de police, après les évènements du 1er décembre pour mieux comprendre la situation, qui nous semblait nouvelle à bien des égards. Nous avions cherché à savoir quelles évolutions auraient pu prévenir la répétition de tels événements. Les manifestations se sont ensuite passées dans de meilleures conditions, même si elles n'étaient pas exemptes de violence.

Mais le 16 mars dernier, elles ont donné lieu à des violences et à des dégradations inacceptables pour tous les citoyens. Nous avons donc entamé un nouveau cycle d'auditions, à commencer, il y a une dizaine de jours, par celle du ministre de l'intérieur, puis celles de représentants des policiers et des gendarmes, jusqu'à ce matin. Après vous, Mme la garde des sceaux, nous entendrons enfin le nouveau préfet de police - qui a d'ailleurs servi autrefois au ministère de la justice à la tête de l'administration pénitentiaire, où il avait été nommé par le président Jacques Chirac.

Nous souhaitons vous entendre car la Justice a son rôle à jouer dans la répression des violences comme celles ayant été commises le 16 mars, mais aussi plus précisément pour comprendre pourquoi la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes, d'après laquelle la préparation de telles violences est spécifiquement considérée comme un délit, est difficile à appliquer.

Vous pourriez nous expliquer comment fonctionne le Parquet lorsque des personnes lui sont déférées à la suite de violences. Vous pourriez nous indiquer s'il vous semblerait nécessaire de prendre de nouvelles initiatives pour une meilleure prévention - même si cela relève plutôt de la police administrative - et une meilleure répression contre ces groupuscules qui agissent le visage caché, avec des intentions ultraviolentes.

La commission des lois délibèrera prochainement sur ses conclusions, avant de les rendre publiques, afin de contribuer à une meilleure réponse à ces phénomènes. Il n'y a pas eu de récidive aigue depuis le 16 mars. Mais les actes du 1er décembre ont fini par se reproduire le 16 mars. Espérons que les dispositions prises par le Gouvernement depuis empêcheront à l'avenir toute récidive.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Il est toujours extrêmement intéressant d'être auditionné devant vous : cela oblige à faire un retour sur ses propres actions avec une perception globale, là où le travail quotidien pourrait nous conduire à n'avoir qu'une perception fragmentée. Merci de me donner l'occasion de m'exprimer, comme je l'ai fait devant les députés.

La France, comme toute démocratie, peut être confrontée à d'importants débordements lors de manifestations : aux manifestants qui viennent, de manière très légitime, exprimer des revendications ou fêter un événement comme la victoire à la Coupe du monde, peuvent se joindre des casseurs ou des militants radicaux qui commettent des actes de violence. Ces derniers entraînent des dégâts extrêmement importants, sur les personnes et parfois même à l'encontre des symboles de l'État, ce qui peut témoigner de la volonté de mettre à bas notre État de droit ou nos institutions. Ce fut le cas le 1er mai dernier à Paris, quand des individus encagoulés, issu de la mouvance ultra s'en sont pris aux forces de l'ordre et se sont livrés à des saccages de magasins et à des dégradations de mobilier urbain ; cela a été également le cas depuis le mois de novembre dernier à l'occasion de plusieurs manifestations sur l'ensemble du territoire dans le cadre du mouvement des gilets jaunes - que je ne confonds évidemment pas avec les mouvances radicales.

Des dégradations inacceptables ont ainsi été commises par des individus irresponsables tant à Paris qu'en province : dégradation de l'Arc de Triomphe, incendie de la préfecture du Puy-en-Velay, saccage du palais de justice à Avignon, au Havre, à Perpignan, de la préfecture de Carcassonne... Personne ne peut prétendre sérieusement qu'il s'agit là de mouvements issus de manifestants pacifistes ; c'est le fait de casseurs infiltrés au milieu des manifestants et déterminés à casser. Je ne peux m'empêcher à ce propos d'avoir une pensée pour l'ensemble de nos concitoyens qui ont été affectés par ces troubles, week-end après week-end, en particulier les nombreux commerçants des centres villes de Paris, Bordeaux, Marseille, ou Toulouse, qui ont dû faire face à une baisse de leur activité. Il faut donc que ces débordements cessent. La Justice doit y veiller en réprimant ces agissements qui mettent en péril à la fois des biens, mais aussi des personnes et, plus généralement, la paix sociale.

Elle doit donc identifier, poursuivre et sanctionner les auteurs de ces faits dans le respect du cadre constitutionnel qui s'impose. Tant la Constitution que la Convention européenne des droits de l'homme protègent la liberté de manifestation, liberté fondamentale - et non constitutionnelle - issue d'une combinaison entre la liberté constitutionnelle d'aller et de venir et la liberté d'expression. Le Conseil constitutionnel, appelé à de nombreuses reprises à l'interpréter, a précisé qu'elle devait se concilier « avec la prévention des atteintes à l'ordre public et notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, qui répond à un objectif de valeur constitutionnelle. » Pour la Cour européenne des droits de l'homme, la liberté de manifester est une composante de la liberté de réunion pacifique garantie par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, et est liée à la liberté d'expression des opinions posée dans son article 10, mais elle considère qu'il peut y avoir des restrictions, « pour un besoin social impérieux, à condition que ces restrictions soient proportionnées un but légitime ».

Notre code pénal permet donc tout à fait de sanctionner les dérives et les débordements commis à l'occasion de ces manifestations, afin de permettre à nos concitoyens d'exercer cette liberté de manifester en toute sécurité et en toute sérénité. C'est en effet là le sens de ma politique pénale : permettre à tous nos concitoyens d'exprimer leurs opinions sur la place publique, mais sanctionner tous ceux qui abusent de cette liberté pour nuire à autrui ou faire obstacle au droit de manifester. Rien ne justifie en effet les violences graves que j'ai rappelées tout à l'heure ou celles qui ont été commises à l'encontre des forces de l'ordre ou des symboles de la République, ou même sur le mobilier urbain. C'est la raison pour laquelle j'ai diffusé en novembre 2018 une circulaire rappelant aux procureurs généraux et aux procureurs les infractions qui pouvaient être commises à l'occasion de débordements : violences sur personne dépositaire de l'autorité publique, dégradation, participation à un groupement en vue de commettre des violences, participation à un attroupement, etc.

J'ai principalement insisté sur deux points : les faits les plus graves, en particulier les violences à l'encontre des forces de l'ordre ou de tout autre individu, doivent donner lieu à des déferrements dans le cadre de comparutions immédiates - par procès-verbal ou sur reconnaissance préalable de culpabilité. Les autres modes de réponse pénale, notamment les alternatives aux poursuites, doivent être réservés aux situations les moins graves ou isolées. Dans le cadre d'une autre dépêche diffusée en décembre dernier, j'ai demandé aux procureurs de délivrer aux policiers et aux gendarmes, en amont des manifestations susceptibles de dégénérer, des réquisitions aux fins de contrôle d'identité et de fouilles de bagages pour prévenir le transport d'objets pouvant constituer des armes par destination.

Enfin, le 22 mars dernier, la direction des affaires criminelles et des grâces a diffusé une dépêche aux parquets pour leur présenter la nouvelle contravention de participation à une manifestation interdite, découlant d'un décret du 20 mars 2019 qui la sanctionne d'une amende de 4ème classe. Cette dépêche attire aussi leur attention sur les nouveaux modes de recueil de preuves ayant vocation à être développés par les forces de l'ordre dans les prochaines semaines : produits de marquage ou moyens vidéo - caméras piétons, drones ou hélicoptères dotés de caméras.

Environ 9 000 personnes ont été placées en garde à vue à cause des débordements depuis le début du mouvement des gilets jaunes. Les magistrats du parquet et ceux du siège se sont pleinement mobilisés, y compris le week-end, puisque le traitement de ces gardes à vue a lieu le dimanche, ou lors d'audiences tard le soir, pour traiter cet afflux de procédures assez inédit, notamment au tribunal de Paris. Permettez-moi d'ailleurs de profiter de cette occasion pour saluer leur engagement.

S'agissant des suites, il y a eu environ un peu plus de 150 jugements de relaxe et environ 1 800 décisions de classement sans suite pour insuffisance de charges ou pour irrégularité de la procédure au moment de l'interpellation. Pour les faits les moins graves, environ 1 800 décisions d'alternatives aux poursuites ont été prises par les procureurs - essentiellement des rappels à la loi. Ce sont donc 4 000 affaires qui ont fait l'objet d'un renvoi devant les tribunaux.

Au moment où je vous parle, environ 1 800 affaires sont en attente de jugement, qu'il s'agisse de comparutions immédiates repoussées à la demande des personnes qui en faisaient l'objet, ou pour d'autres raisons. Ce chiffre est en constante évolution, puisque très régulièrement des enquêtes sont menées à leur terme et permettent au parquet de prendre des décisions supplémentaires de renvoi. Devant le tribunal, 2 200 condamnations ont été prononcées - chiffre là aussi chiffre en constante consolidation et qui varie selon que l'on y inclut ou non les jugements non définitifs car non encore notifiés aux intéressés ou frappés d'appel.

Pour ce qui est des peines prononcées, environ 40 % d'entre elles sont des peines d'emprisonnement ferme, dont les quantums varient entre quelques mois et trois ans. Environ 400 mandats de dépôt ont été décernés, soit à titre d'écrou, soit dans le cadre d'une détention provisoire. Le reste des peines ont donc été des peines alternatives à l'emprisonnement : peines ayant fait l'objet d'un sursis intégral, d'un sursis avec mise à l'épreuve, d'un sursis avec travaux d'intérêt général (TIG), ou amendes. La peine d'interdiction de séjour, notamment à Paris, a été fréquemment prononcée à titre complémentaire, notamment dans le cadre des comparutions immédiates. Les magistrats du siège, dans le cadre de leur indépendance statutaire, ont donc fait le choix de sanctions adaptées aux infractions et équilibrées en fonction de la personnalité de l'auteur - certains arrivant devant la justice pour la première fois avec un casier judiciaire totalement vierge, d'autres non.

De nombreuses enquêtes sont actuellement en cours, généralement sous la direction du parquet. Des informations judiciaires ont également été ouvertes auprès de juges d'instruction afin d'identifier les auteurs des faits les plus graves : dégradations à l'Arc de Triomphe ou à la préfecture du Puy-en-Velay, tentative de lynchage de motards policiers sur les Champs-Élysées. Les enquêtes sont liées à l'exploitation des données vidéo.

Un mot sur les suites données aux plaintes déposées par des manifestants pour des violences imputées aux membres des forces de l'ordre - qui réagissent, la plupart du temps avec beaucoup de calme et de proportionnalité aux difficultés auxquelles elles font face. L'autorité judiciaire veille à ce que des enquêtes soient systématiquement diligentées lorsque de telles plaintes sont déposées ; il y va de la crédibilité de nos institutions. L'usage de la force doit en effet être analysé en termes de nécessité et de proportionnalité. Nous recensons aujourd'hui 290 plaintes déposées à l'encontre des forces de l'ordre depuis le début du mouvement des gilets jaunes - les enquêtes étant confiées généralement par le parquet ou les juges d'instruction à l'inspection générale de la police nationale (IGPN). À ce jour, la quasi- totalité de ces enquêtes est encore en cours et aucune poursuite à l'encontre des membres des forces de l'ordre n'a été encore décidée. En revanche, 17 de ces 290 procédures ont déjà fait l'objet d'un classement sans suite.

Une garde des sceaux ne peut évidemment pas préjuger du résultat de ces enquêtes, mais il est évident que si des manquements graves aux règles qui entourent le recours à la force ont été commis, une sanction pénale devra être prononcée. Le principe du recours à des équipements décriés par certains, tels que les armes intermédiaires comme les lanceurs de balles de défense (LBD), n'est pas en soi illégal, ainsi que le Conseil d'État l'a précisé après en avoir été expressément saisi en référé. Il appartient donc à l'autorité judiciaire de déterminer au cas par cas, sur la base des plaintes reçues et des enquêtes conduites, si le recours à la force, et notamment à ce type d'arme, a pu être effectué d'une manière qui n'est ni nécessaire ni proportionnée et d'en tirer toutes les conséquences sur le plan pénal.

Soyez sûrs que la garde des sceaux et les magistrats du parquet comme du siège sont avant tout attachés au respect de l'ensemble des règles de l'État de droit. Il y va de la crédibilité de nos institutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je commencerai par une question en apparence technique sur la loi du 2 mars 2010. Quand le législateur prend des dispositions de manière à poursuivre un nouveau délit, il est déçu de constater qu'elles ne sont pas appliquées. Il s'en prend d'abord à lui-même en s'interrogeant sur leur pertinence. Vous nous dites que 400 personnes se sont retrouvées en détention - c'est dissuasif pour les casseurs. Mais vous ne nous avez pas dit si un certain nombre d'entre elles l'ont été au regard de l'infraction d'actes préparatoires à la commission en réunion de faits de violences ou de dégradations dans le cadre d'une manifestation prévue par l'article 222-14-2 du code pénal. Le ministre de l'intérieur nous a dit que les services de renseignement avaient identifié des personnes qui préparent ces violences. Pourquoi cela n'a-t-il pas suffi pour les poursuivre ? Avez-vous des suggestions à faire pour que cette loi ne reste pas lettre morte ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

La loi de 2010 a effectivement créé une infraction, dite infraction obstacle : la participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations. L'article 222-14-2 du code pénal sanctionne ainsi d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens.

Nous nous appuyons sur ces dispositions ; dans ma circulaire du 22 novembre dernier, j'ai invité les procureurs à les utiliser. C'est le cas pour certaines procédures en cours : au mois de mars, une cinquantaine de personnes auraient été poursuivies de ce chef. Cela a pu prendre la forme de comparutions immédiates comme il y a quelques jours - un individu a été condamné à quatre mois de prison ferme sur cette base - mais aussi d'informations judiciaires. Ces dispositions ont été utilisées notamment à la suite des faits survenus le 16 mars dernier à Paris. Ces dispositions nous ont été utiles ; il faudrait que je fasse davantage de recherches pour savoir si elles sont pleinement utilisées.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

À écouter les chiffres que vous donnez, il semble que la loi dite anticasseurs était loin d'être indispensable aux poursuites...

Vous avez parlé de la nécessaire crédibilité des institutions ; or si nous avons beaucoup d'éléments sur les poursuites à l'encontre d'auteurs d'exactions, nous n'en avons pas concernant ce que certains reprochent - voyez que je suis très prudente dans les termes - aux forces de l'ordre. Les blessures constatées au cours des manifestations sont parfois très graves : certains ont perdu un oeil ou une main. Il n'est pas question ici, vous vous en doutez, de mettre en cause de quelque manière que ce soit la difficulté d'intervention des forces de l'ordre et leur engagement, mais nous avons des chiffres qui sont parfois un peu difficiles à concilier : vous avez parlé de 290 plaintes, mais sur la plateforme de l'IGPN, il y a eu 400 signalements et le ministre de l'intérieur, dans cette salle, devant cette commission, a parlé de 180 enquêtes judiciaires...

Vous avez dit à l'instant et à l'Assemblée nationale - car j'ai aussi lu votre intervention devant les députés - que les procureurs devaient poursuivent dès lors qu'il y avait plainte. J'en conclus donc que ce n'est pas forcément le cas lorsqu'il n'y a pas plainte. Nous en avons une illustration, me semble-t-il, à Besançon, avec les vidéos montrant incontestablement un manifestant - je ne parle pas des causes - frappé par un policier. Le préfet du Doubs a dit dans un premier temps qu'il ne s'était rien passé, pour finalement dire le contraire et qu'il saisissait l'IGPN. Fort bien, mais le parquet ne l'a pas fait. Avez-vous donné des instructions au parquet dans ce sens ? Je n'ai pas en effet connaissance de circulaires ou de dépêches concernant les épisodes mettant en cause - vous noterez ma prudence - les forces de l'ordre. Cela me semblerait pourtant nécessaire pour préserver, comme vous le dites, la crédibilité des institutions.

À Nice, une manifestante âgée de 73 ans - il semble que l'âge ait son importance - a été gravement blessée en chutant le 25 mars. Le fait que cette manifestation ait été interdite n'a, me semble-t-il, aucun lien avec la justification de l'accident. Le jour même, le procureur de Nice affirme que les policiers ne sont pas en cause, s'appuyant sur des images pour affirmer cela, et le président de la République reprend les mêmes propos. Il se trouve qu'ensuite des associations et la personne blessée finissent par établir qu'il n'en était rien, ce que le procureur reconnaît le 29 mars. Il y a eu à l'évidence un dysfonctionnement de la part du parquet, qui a communiqué d'abord pour dire blanc, puis pour dire noir. Quelle a été, madame la garde des Sceaux, votre initiative en direction de ce procureur ? Avez-vous saisi l'inspection générale de la justice ? La parole d'un procureur - phénomène nouveau : j'ai connu une période où les parquets ne s'exprimaient jamais - c'est important. Un procureur ou un préfet qui ne dit pas la vérité ou qui s'avance de manière imprudente, c'est un problème.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Vous signalez une différence entre mes chiffres et ceux de Christophe Castaner. Je maintiens le chiffre de 290 plaintes ayant donné lieu, par conséquent, à 290 enquêtes. Je pense que les 180 enquêtes dont parle le ministre de l'intérieur sont celles qui relèvent de l'IGPN, le reste relevant de la gendarmerie ou d'autres services de police. Vous citez un chiffre plus élevé de signalements ; pour ma part, je n'ai connaissance que des plaintes. Les violences éventuellement commises par les forces de l'ordre font l'objet d'une politique pénale constante, consistant à enquêter dès lors qu'il y a plainte. Il n'était donc pas nécessaire de rédiger une circulaire spécifique.

Je ne souhaite pas commenter l'affaire de Nice, actuellement en cours, au-delà de ce qui a été dit par le procureur. L'article 11 du code de procédure pénale prévoit que le parquet puisse communiquer sur les affaires en cours ; je n'interviens pas pour commenter la façon dont le parquet applique ce texte, ni les déclarations qu'il a faites sur la base des informations dont il disposait à un moment donné, déclarations qu'il a dû rectifier au fur et à mesure qu'il avait connaissance de nouvelles données. Le procureur a eu à cet égard un souci de transparence ; l'enquête se poursuit et nous verrons plus tard comment nous pouvons faire un retour d'expérience sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Vous nous indiquez 9 000 gardes à vue, des comparutions immédiates... Mais il semblerait que beaucoup d'auteurs d'infraction n'aient pas été identifiés. Nombre d'entre eux ont été filmés, ces images étant de surcroît diffusées par les médias et visibles par tous, mais cela ne suffit pas. Les effectifs des cellules de gendarmerie qui tentent d'exploiter toutes les images sont-ils suffisants ? Vous nous parlez de nombreuses personnes d'astreinte le week-end. Mais cela dure depuis longtemps et pourrait encore durer. Ce matin, les gendarmes nous ont dit que les informations étaient trop abondantes pour les exploiter efficacement.

Le décret du 20 mars 2019 fait passer l'amende pour participation à une manifestation interdite de 38 à 135 euros. Sachant que tout fauteur de trouble doit être sanctionné, cette mesure a-t-elle une portée réelle ? Les gendarmes nous ont dit qu'il n'était pas évident de dresser des procès-verbaux en pleine action...

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Madame Lherbier, votre question est délicate puisqu'il y a à la fois des informations judiciaires - 110 - et des enquêtes - plusieurs centaines -, ce qui suppose des moyens pour exploiter les différentes modalités de preuves. Les enquêtes portent leurs fruits : nous avons pu arrêter des responsables des dégâts sur l'Arc de Triomphe, ceux qui ont démoli la porte du porte-parole du Gouvernement, des gens au Puy-en-Velay ou encore la personne qui a insulté M. Finkielkraut. Nous arrivons à traiter ces dossiers. Il faut aussi prendre la mesure de ces enquêtes et leur laisser un peu de temps, mais nous ne lâcherons pas.

Il est évident que des manifestations de cette nature rétroagissent sur le fonctionnement général des tribunaux, notamment sur le tribunal de Paris. Les nombreuses gardes à vue de décembre et du 16 mars supposent un investissement des parquetiers, des magistrats du siège qui doivent installer des audiences nouvelles de comparution immédiate et décaler les audiences correctionnelles normales, mais aussi du personnel des greffes, extrêmement mobilisés, y compris le week-end. L'impact sur l'ensemble de la chaîne judiciaire est évident.

De nouvelles contraventions de 4e classe édictées par le décret que j'ai signé le 20 mars ont d'ores et déjà été délivrées : plus d'une trentaine à Paris ainsi que d'autres ailleurs en France. Ce peut être un moyen d'action complémentaire efficace.

Le marquage des personnes qui participent à des événements violents est aussi un moyen de preuve qui a, je crois, été utilisé le week-end dernier. Je suis allée récemment au laboratoire scientifique de la gendarmerie nationale à Pontoise voir ces toutes petites bombes de marquage que les policiers ou les gendarmes peuvent utiliser s'ils ne parviennent pas à interpeller quelqu'un, afin de créer ce moyen de preuve ensuite apprécié par les magistrats.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Madame la garde des sceaux, je vois que vous attachez une très grande importance à ce que les faits de violence soient dûment sanctionnés par la justice.

Vous avez dit que la loi de 2010 commençait à être mise en oeuvre en mars de manière quelque peu inchoative ; or beaucoup de représentants des autorités publiques ont dit que les casseurs étaient connus, identifiés, repérés et que l'on disposait d'indices sur eux. Pourquoi cette loi n'est-elle pas davantage appliquée s'agissant des faits préparatoires, eu égard à l'action de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ?

Beaucoup de provocations à la violence se font sur Internet, où des rendez-vous et des consignes sont passés. Les articles 23 et 24 de la loi de 1881 et à l'article 433-10 du code pénal vous paraissent-elles suffisantes pour identifier clairement ces faits et les réprimer ou est-il nécessaire de compléter les textes en vigueur ?

J'ai entendu votre réponse à Mme de la Gontrie. Certains citoyens se posent des questions sur le fait qu'il n'y a eu aucune conclusion de l'IGPN dans toutes les affaires pour lesquelles elle a été saisie. Il ne faudrait pas que l'on ait le sentiment que ces procédures se perdent dans le temps. Pourriez-vous examiner cette question dans le cadre des relations interministérielles ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Monsieur Sueur, vous dites qu'il y a des gens dont on sait qu'ils appellent à la violence. Mais entre ce que l'on dit et la preuve judiciaire, il y a parfois une nuance ou un gouffre. Le simple renseignement ne fait pas une preuve. Aussi, nous ouvrons des informations judiciaires pour pouvoir objectiver ces renseignements. Nous essayons de travailler dans le temps judiciaire en respectant les exigences de l'État de droit.

Pour ce qui est de la saisine de la justice pour ceux qui, via les réseaux sociaux, incitent à des actions violentes ou les légitiment, j'ai le sentiment que les dispositions législatives sont suffisantes et que nous pouvons travailler sur cette base. Toutefois, sur les réseaux sociaux, certaines phrases sont très ambiguës, donc nous sommes extrêmement prudents.

Quant à l'IGPN, vous dites qu'il ne faudrait pas donner l'impression d'une justice à deux vitesses.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Très souvent, il s'agit d'enquêtes complexes qui nécessitent un délai. Pour le moment, sur les 290 cas, 17 n'ont pas donné lieu à des suites pénales. Je fais confiance aux services d'inspection saisis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Selon les représentants de la police et de la gendarmerie, la judiciarisation du maintien de l'ordre est complexe à mettre en oeuvre. Le Premier ministre a annoncé des évolutions pour mieux judiciariser les actes de violence et de dégradation commis à l'occasion des manifestations. Avez-vous des éléments à nous communiquer ? Comment faciliter l'identification et l'interpellation des casseurs ? Comment avez-vous réfléchi à l'amélioration de la judiciarisation en aval ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Un travail efficace de la justice se prépare en amont d'une manifestation. Ces travaux préparatoires sont régulièrement menés entre le procureur et le préfet du lieu concerné, en l'espèce le préfet de police de Paris. Pour une judiciarisation efficace, il faut un avant et un pendant. L'avant, c'est un travail de préparation qui suppose que les procès-verbaux d'interpellation aient bien été construits, qu'il y ait suffisamment de forces d'interpellation - des brigades volantes d'officiers de police judiciaire en sont désormais chargées - ainsi que des dépôts capables d'accueillir les personnes interpellées. Enfin, le 22 mars, j'ai diffusé une nouvelle circulaire présentant la contravention de 4e classe et les différents outils de recueil des moyens de preuve, tels que le marquage.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, vice-président - 

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Ma question porte sur un sujet qui me tient à coeur - j'attends d'ailleurs avec impatience la décision du Conseil constitutionnel sur la loi anti-casseurs : la peine complémentaire d'interdiction de manifester, que nous avons renforcée, est très peu prononcée. Comment l'expliquer ?

Toute action préventive, avant des actes violents, est bien plus efficace que des sanctions a posteriori.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Je me réjouis des chiffres de la judiciarisation des actes de violence ou de dégradation. Outre le nombre de personnes condamnées et les peines prononcées, pouvez-vous nous donner les types de profil ? Combien de personnes interpellées appartiennent-elles aux black blocs, qui adoptent un mode d'action très particulier, préparé ? Avez-vous pu établir des statistiques ? J'ai le sentiment que les personnes issues des black blocs, qui sévissent depuis des années, sont très peu judiciarisées et encore moins condamnées.

- Présidence de M. Philippe Bas, président - 

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Vous avez évoqué 9 000 gardes à vue ; 150 relaxes ; 1 800 classements sans suite ; 2 000 condamnations dont 400 mandats de dépôt.

Ce n'est pas à la hauteur des événements qui ont eu lieu. Les personnes tentées de commettre des dégâts dans ces manifestations ne sont pas impressionnées par les peines encourues.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Je ne dispose pas du nombre exact des interdictions de manifester prononcées. Elles seraient assez peu nombreuses car elles n'apparaissent pas très adaptées aux situations que les magistrats ont à traiter. En revanche, la peine d'interdiction de séjour, notamment à Paris, entraîne par définition une interdiction de manifester dans ce lieu. Elle semble être plus efficace.

M. Bonhomme m'a interrogée sur le profil des personnes prises en charge par la justice. Des traits sociologiques majoritaires peuvent être dégagés de nos premières études - un travail définitif ne pourra être mené que lorsque les chiffres seront stabilisés. La quasi-totalité des personnes poursuivies et condamnées sont des hommes puisque seulement 5 % sont des femmes. La majeure partie a entre 20 et 35 ans ; la part des mineurs est assez faible. La grande majorité est de nationalité française mais lors du week-end du 16 mars, il me semble qu'une dizaine de personnes de différents pays européens ont été traitées par la justice à Paris. Les catégories socioprofessionnelles des prévenus sont variées : la plupart sont insérés socialement et disposent d'un travail ou poursuivent des études. Les personnes jugées sont principalement des primo-délinquants, sans antécédent judiciaire, ce qui est pris en compte à la fois dans les réquisitions du parquet et dans le prononcé des condamnations, au nom du principe d'individualisation des peines. Les garanties d'insertion et de réinsertion sont également analysées par les juridictions dans la fixation de la peine. On note la présence de personnes proches de la mouvance d'ultra-gauche ou d'ultra-droite ou de mouvements anarchistes ; plusieurs individus sont également proches de la mouvance zadiste.

Les personnes issues des black blocs ont généralement commis les infractions les plus graves, celles qui font l'objet d'informations judiciaires, donc qui n'ont pas encore fait l'objet d'un jugement. C'est pourquoi ma réponse ne peut être que partielle.

Mme Deromedi dit que la répression n'est pas à la hauteur. Ce n'est pas mon sentiment. Je rappelle qu'il y a tout de même eu 2 000 condamnations sur 9 000 gardes à vue auxquelles s'ajoutent 1 800 personnes ayant fait l'objet d'un rappel à la loi ou d'une autre procédure ; il n'y a pas que la prison qui a du sens. À ce jour, cela représente 4 000 individus. Il faut y ajouter 1 800 personnes en attente de jugement. Je ne crois pas que l'on puisse parler de laxisme : les trois quarts des 9 000 cas ont fait l'objet d'une prise en charge par la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Les peines ne sont pas dissuasives. Une partie des personnes interpellées sont relâchées, or si elles ont été arrêtées, c'est bien qu'il s'était passé quelque chose. Elles auraient au moins dû recevoir une amende. Une peine qui n'est pas dissuasive incite les autres à piller une boutique Cartier !

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Je comprends votre observation mais ne la partage pas. Je le répète : trois quarts des personnes ont fait l'objet d'une prise en charge par la justice. Vous contestez le caractère dissuasif de la peine. C'est le magistrat qui l'apprécie selon le principe d'individualisation et de proportionnalité, en fonction de la personnalité du prévenu, du contexte, de l'infraction.

Il est très difficile d'emprisonner certaines personnes interpellées en décembre au motif qu'elles portaient des lunettes de piscine et des marteaux dans leur sac à dos, surtout quand elles ont un casier judiciaire vierge. Elles ont plutôt reçu un rappel à la loi.

Je pense que les peines prononcées à l'encontre des personnes interpellées pour une infraction grave sont adaptées.

En outre, sans renvoyer le débat vers le ministère de l'Intérieur, encore faut-il que les personnes qui ont commis les exactions les plus graves soient interpellées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Les black blocs avaient déjà agi à Strasbourg en 2009 lors du sommet de l'OTAN. C'est probablement à la suite de ces événements que la loi de 2010 a été élaborée. Depuis, cette mouvance s'est illustrée à Rennes ou à Nantes, où elle s'est confondue avec celle des zadistes. C'est un vrai problème de société. La solution n'est pas simple parce qu'il faut parvenir à arrêter ces personnes, alors que la police lors des manifestations est plus préoccupée par le maintien de l'ordre que par la constatation de preuves. Ensuite, le législateur peut voter des interdictions de manifester ou de se rendre sur un territoire, mais le problème réside dans l'exécution des peines.

Des stratégies doivent être mises en oeuvre à long terme en lien avec le ministère de l'intérieur, ce qui n'a pas été le cas depuis plus de dix ans, car ce comportement violent au sein de manifestations pacifiques risque de se développer - c'est moins le cas lorsque les organisateurs assurent la sécurité du cortège, mais le 1er mai, on a vu des casseurs intervenir en marge d'une manifestation encadrée. La liberté de manifester sera de plus en plus mise mal par ces gens-là. Et le phénomène ne se limite pas à la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Les interdictions de séjour peuvent tranquilliser les lieux de manifestation surtout lorsqu'elles empêchent des provinciaux de venir à Paris. Mais le mouvement a déjà commencé il y a quatre mois. Ces interdictions peuvent-elles durer ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Monsieur Bigot, vous avez raison : il faut parvenir à construire une stratégie. C'est pourquoi nous avons ouvert des informations judiciaires du chef d'association de malfaiteurs, c'est-à-dire un travail au long cours qui nous aidera à identifier les black blocs et à construire des réseaux efficaces. Ce ne sera bien sûr pas suffisant. Pour tempérer vos propos, je rappelle que le jour même où les casseurs et les black blocs agissaient, la manifestation pour le climat et celle des enseignants se sont déroulées sans aucun problème.

Madame Lherbier, les interdictions de séjour, qui sont davantage prononcées que les interdictions de manifester, sont limitées à cinq ans maximum. Le juge, à Paris, les prononce plutôt pour six mois.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Nous stabiliserons l'ensemble des chiffres dans un délai que j'espère le plus court possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Pouvez-vous nous donner le nombre d'interpellations préventives, celles de personnes arrêtées avec des masques, des lunettes et des marteaux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous évoquez les arrestations réalisées dans les opérations de filtrage auxquelles la police a procédé sur réquisition des procureurs, notamment vis-à-vis de personnes qui se rendaient depuis leur région dans la capitale.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Je n'ai pas ce chiffre. Le terme d'« interpellation préventive » est impropre puisque judiciairement, il s'agit d'une infraction de participation à un groupement. Le ministère de l'intérieur pourrait peut-être vous les fournir.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci madame la Garde des sceaux.

La réunion, suspendue à 15 h 25, est reprise à 16 h 05.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous accueillons M. Didier Lallement, préfet de police de Paris, peu de temps après sa prise de fonction. Le 4 décembre dernier, nous avons auditionné le ministre de l'intérieur et son secrétaire d'État pour voir avec eux comment éviter que des événements comme ceux que nous avions connus le 1er décembre ne se reproduisent. Quelques mois ont passé et les événements du 16 mars ont eu lieu. C'est pourquoi nous avons souhaité entreprendre de nouvelles auditions.

Nous voulons apprécier si les mesures qui ont été annoncées le 18 mars par le Premier ministre sont de nature à nous rassurer. Nous avons déjà entendu le ministre de l'intérieur, le secrétaire d'État à la sécurité, mais aussi le ministre de l'économie et madame la garde des Sceaux. Nous avons aussi auditionné le directeur général de la police nationale, le directeur général de la gendarmerie nationale et les représentants des policiers et des gendarmes.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Je vous remercie de me recevoir. Je peux difficilement vous relater ce qui s'est passé le 16 mars dans la mesure où j'ai pris mes nouvelles fonctions seulement le 21. Je me contenterai de vous indiquer les premières mesures qui ont été prises dans le prolongement des annonces du Premier ministre et du ministre de l'intérieur.

En arrivant à la préfecture de police, j'ai pu constater la déception, voire le dépit de l'ensemble des fonctionnaires et des militaires de la préfecture à l'égard ce qui s'était passé le 16 mars. Il s'agit de professionnels très investis dans leur mission ; ils ont le sentiment que ces événements représentent un échec en matière d'ordre public. Ils sont donc très mobilisés pour faire en sorte que cela ne se reproduise pas. C'est pourquoi les mesures annoncées par le Gouvernement ont été plutôt bien reçues par l'ensemble des acteurs de la préfecture de police.

Le mouvement des gilets jaunes ne va pas s'arrêter du jour au lendemain, et nous aurons à connaître d'autres pics de mobilisation. Ce mouvement évolue chaque semaine. Les déclarations de manifestation sont très tardives, quand il y en a. Ainsi, ce mercredi soir, nous ne disposons que d'indications de déclarations pour samedi qui n'ont pas encore été formalisées. Elles ne le seront vraisemblablement que jeudi soir ou vendredi matin. Notre temps de préparation est donc extrêmement faible. Une autre difficulté tient à l'extrême volatilité des choix de parcours d'une semaine à l'autre. J'ai repris les excellentes habitudes de mon prédécesseur de proposer à la maire de Paris une rencontre le vendredi après-midi avec les maires d'arrondissement et les parlementaires, pour les informer sur les parcours et les mesures que nous envisagions de prendre, afin qu'ils puissent informer leurs administrés. Après les élus, je rencontre les acteurs économiques, les associations de commerçants et des grandes enseignes commerciales de Paris. J'enchaîne sur le briefing aux forces, en réunissant les commandants d'unité. Nous fonctionnons donc, comme vous le constatez, en flux très tendus entre les déclarations et la préparation du dispositif. En outre, toutes les manifestations ne sont pas déclarées, ce qui complique singulièrement l'exercice de définition du dispositif...

La feuille de route qui nous a été donnée par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur le 18 mars est claire. Elle a d'ailleurs été communiquée publiquement, preuve de la transparence absolue en la matière du Gouvernement.

Le premier point concerne la mise en oeuvre d'une chaîne de commandement unifié. Pourquoi ? La préfecture de police repose sur deux directions de policiers en tenue : la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) et la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), l'équivalent, hors de la préfecture de police, des directions départementales de la sécurité publique (DDSP). J'étais jusqu'à peu préfet en Nouvelle-Aquitaine. En province, lors d'une manifestation, on mobilise à la fois des unités de forces mobiles, qui sont attribuées par le ministère de l'intérieur, et les policiers locaux. À la préfecture de police de Paris, les choses fonctionnent de la même façon, mais à une autre échelle : mobilisation des fonctionnaires de la DSPAP et de fonctionnaires spécialisés dans l'ordre public de la DOPC, auxquels s'adjoignent les unités de forces mobiles. La chaîne de commandement est naturellement unifiée en province parce qu'il n'y a, en principe, qu'une seule salle de commandement. La préfecture de police, du fait de la taille, comporte deux salles de commandement : celle de la DOPC, qui gère l'ordre public, et celle de la DSPAP, qui gère la sécurité publique.

J'en viens à ce qui s'est passé les derniers week-ends : comme les personnels concourent à l'ordre public, mais n'y concourent pas pour la totalité de leur mission, il était un peu compliqué, lorsque l'on donnait des instructions, de savoir par quelle chaîne de commandement il fallait passer. Ainsi un fonctionnaire de la DSPAP peut commencer par participer à des contrôles préalables - par exemple dans une gare, dans un péage, sur réquisition du procureur de la République. Lorsque ce même fonctionnaire quitte sa mission de contrôle pour basculer sur des missions d'ordre public, parce que la situation l'exige et que l'on fait appel à lui, la nature de sa mission change. Dès lors, il convenait de clarifier la chaîne de commandement. C'est ce que j'ai fait, avec une règle assez simple : dès lors que le fonctionnaire bascule sur la mission de maintien de l'ordre, il entre dans la chaîne de commandement de la DOPC, ce qui permet d'éviter les contradictions dans la manoeuvre. Il ne s'agit que d'une clarification de la chaîne de commandement, sous l'autorité du préfet de police. Les fonctionnaires concernés doivent savoir parfaitement, en fonction de la nature de la mission qu'ils exercent, sous quelle chaîne de commandement ils doivent s'enregistrer. Il s'agit aussi d'éviter qu'une salle ne fasse appel à un fonctionnaire déjà mobilisé sur une mission d'ordre public pour des missions de sécurité publique.

Il m'a été demandé d'accompagner cette clarification de la chaîne de commandement d'un renforcement des capacités d'autonomie des unités engagées sur le terrain. Les médias ont diffusé des images où l'on voit des unités qui donnent l'impression d'être immobiles alors que des destructions ou des actes de violence sont commis à quelques dizaines de mètres d'elles. Désormais, lorsqu'une unité sera déployée sur le terrain, elle aura une mission à accomplir dans un périmètre donné. C'est assez facile à faire sur les Champs- Élysées, où les zones ont bien été définies, mais c'est un peu plus compliqué lorsque les unités sont projetées à d'autres endroits de Paris. Les unités seront responsables d'une mission dans un secteur géographique et n'auront plus à attendre l'ordre de la salle de commandement pour réagir. Cela paraît être la base de toute action, mais cela ne fonctionnait pas comme cela avant. Le mouvement des gilets jaunes, en effet, nous contraint à adapter en permanence nos procédures opérationnelles. La préfecture de police est une vieille maison qui a été créée en 1800, avant même la police nationale qui date de 1941. Depuis 1945, année de la création des CRS, notre système de maintien de l'ordre était conçu pour gérer des manifestations de masse organisées par des structures puissantes, comme les syndicats, dotées d'un service d'ordre qui encadrait les manifestations. En conséquence, le dispositif de réaction était assez statique, visant à protéger un certain nombre d'endroits dans le cas où les manifestants n'auraient pas respecté leur parcours ou auraient échappé à leur service d'ordre, cas de figure assez rare historiquement, même si l'on a connu des exceptions tragiques, comme en 1961 au métro Charonne.

Telle était la conception traditionnelle de l'ordre public à Paris. Un changement est intervenu avec les manifestations contre la loi travail en 2016 et l'apparition des black blocs. Le mouvement des gilets jaunes s'inscrit dans cette évolution, caractérisée par la relative imprévisibilité des manifestations et l'absence d'organisateurs, de service d'ordre, de responsables ou de déclarants. Nous avons donc été confrontés brutalement à la nécessité de revoir notre modèle de maintien de l'ordre jusque-là statique et défensif. D'où la nécessité d'une autonomie accrue sur le terrain. L'autonomie n'était pas indispensable quand on connaissait à l'avance l'itinéraire des cortèges. Historiquement, les trajets avaient lieu dans l'Est parisien. Les trajets dans l'Ouest parisien et sur la rive gauche, au moins à proximité de l'Assemblée nationale, constituent une nouveauté. Il fallait donc renforcer notre capacité de réaction.

L'interdiction de manifester constitue un autre outil nouveau. Un décret publié récemment élève le montant de la contravention en cas de participation à une manifestation interdite. Nous avons éprouvé par deux fois ce dispositif d'interdiction sur le périmètre des Champs-Élysées. Ce mécanisme est très utile car il permet de sanctuariser une zone tout en renforçant l'autonomie des unités qui y sont déployées. Un certain nombre d'élus de la ville de Paris m'ont demandé pourquoi ce périmètre avait été retenu et pourquoi on n'avait pas inclus d'autres zones, comme le Trocadéro par exemple. Ce serait évidemment souhaitable, mais si on multiplie les périmètres, on risque de limiter la mobilité et la rapidité d'intervention de nos forces. Il faut donc combiner les deux. On ne manque jamais d'unités de forces mobiles à Paris, c'est une des caractéristiques du maintien de l'ordre dans la capitale. Le problème relève plutôt du manque d'autonomie opérationnelle des unités. Jusque-là, elle a fait défaut. L'instauration de périmètres, en tout cas, s'est révélée particulièrement efficace.

Pour la mobilité, nous sommes confrontés à une difficulté strictement parisienne : nous rencontrons les mêmes problèmes à nous déplacer le samedi après-midi que tous les Parisiens. Certes, nous pouvons emprunter les voies de bus, mais elles ne sont pas toujours fluides. En disant cela, je ne critique nullement la politique municipale : je constate juste un fait. Nous devrons donc nous équiper de véhicules plus légers pour nous déplacer plus vite car nous avons, face à nous, des gens extrêmement mobiles qui courent facilement vers d'autres rues. Nous devons, à l'évidence, nous adapter en matière de mobilité. Le problème n'est pas celui du nombre d'unités mais du placement adéquat.

Dans ce contexte, nous avons revu notre dispositif de projection. Jusqu'à présent, il s'agissait des détachements d'action rapide (DAR), constitués chacun d'une vingtaine de fonctionnaires venant, la plupart du temps, des brigades anti-criminalité (BAC), unités très mobiles. Conformément aux instructions du Gouvernement, j'ai voulu des groupes toujours aussi mobiles mais plus nombreux, de l'ordre d'une soixantaine de personnes. Nous nous sommes en effet aperçus que les manifestants n'hésitaient plus à attaquer les petits groupes de policiers isolés. C'est pourquoi j'ai mis en place les brigades de répression de l'action violente (BRAV), composées de 60 fonctionnaires dont les deux-tiers viennent des compagnies d'intervention - c'est-à-dire de personnes qui ont l'habitude du maintien de l'ordre - et auxquelles nous ajoutons 20 fonctionnaires issus des anciens DAR. Nous mêlons ainsi les agents habitués au maintien de l'ordre à ceux qui interviennent rapidement. Mais l'autonomie et la mobilité supposent la responsabilité, notamment dans l'utilisation des moyens liés au maintien de l'ordre, comme les LBD et autres grenades. J'ai dédié une fréquence radio spécifique aux BRAV. Ainsi, les unités créées - une dizaine à l'heure actuelle - peuvent communiquer entre elles afin de renforcer leur autonomie tactique souhaitée par l'exécutif.

Comme vous le voyez, derrière les concepts, il y a une réalité opérationnelle.

Nous avons montré notre grande réactivité ces deux derniers samedis, y compris pour les unités de forces mobiles qui ne doivent plus être dans une posture statique.

Concernant Sentinelle, j'ai dit hier au Conseil de Paris que rien n'avait fondamentalement changé depuis 2015, y compris sur la question de l'ouverture du feu. À l'occasion des manifestations, et conformément aux voeux du Président de la République, le dispositif Sentinelle est renforcé à certains endroits car le risque terroriste est d'autant plus réel lors des manifestations, des gens mal intentionnés pouvant décider agir.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous avons été très heureux de vous entendre détailler les nouveaux dispositifs mis en oeuvre. Les mesures prises étaient nécessaires, même si elles n'épuisent pas totalement l'évaluation des dysfonctionnements qui ont eu lieu le samedi 16 mars, qui tiennent aussi en partie, comme nous l'ont dit des représentants de policiers et des gendarmes, au retard dans les ordres donnés. Les agents voulaient être plus réactifs mais ils ne recevaient pas l'ordre d'intervenir. Les mesures que vous avez prises permettront peut-être de remédier à cette situation.

On nous a dit que les moyens manquaient, aussi bien en véhicules qu'en liaison radio. Les représentants des policiers et des gendarmes ont également insisté sur l'épuisement des effectifs. En outre, ils estiment qu'il faudrait hiérarchiser les objectifs. A Paris, les pouvoirs publics constitutionnels doivent être protégés car rien ne serait pire que de voir un lieu de pouvoir démocratique investi, même furtivement, par des essaims de manifestants violents. Mais encore faut-il mobiliser les bonnes forces aux bons endroits. Est-il ainsi judicieux d'affecter des gendarmes mobiles à la garde de points statiques ?

Considérez-vous que les décisions que vous avez prises suffisent à répondre à toutes ces problématiques ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Ce serait prétentieux de le prétendre mais un certain nombre de rappels que vous avez fait trouvent leur réponse dans ce que j'ai évoqué. L'autonomie tactique des unités répond aux reproches d'ordres trop tardifs. Dès lors que les missions seront parfaitement claires sur un périmètre défini, les unités seront autonomes, mais elles devront aussi être responsables. Les chefs sur le terrain devront faire preuve d'un grand professionnalisme. L'autonomie implique également un dialogue constant avec la salle opérationnelle et les missions feront l'objet d'un compte rendu. Alors oui, nous avons rompu avec la procédure fort ancienne qui consistait à ne bouger que sur instruction.

À certains moments, les mouvements des unités devront être coordonnés, ce qui peut compliquer la tâche. Ainsi, la semaine dernière, au Trocadéro, après que les organisateurs ont appelé à la dissolution, nous avons incité les manifestants à rentrer chez eux.

Je pense que les moyens sont suffisants mais leur emploi peut encore être amélioré.

Un des premiers constats que l'on peut faire aujourd'hui est que les lieux symboliques à Paris ont changé : auparavant, c'était Bastille, République et Nation. Qui aurait pu penser que l'Arc de Triomphe et la tombe du soldat inconnu soient un jour des lieux d'affrontement avec les forces du maintien de l'ordre ? Si l'on voulait garder tous ceux susceptibles de constituer un symbole, l'ensemble des unités de forces mobiles de notre pays n'y suffirait pas, d'où la nécessité d'être mobiles.

Si la fatigue physique est réelle, je ne constate aucune fatigue morale. Un brigadier-chef de la 31ème compagnie d'intervention a eu un grave problème cardiaque sur la place de la République. J'ai rencontré son épouse le lendemain avec le ministre de l'intérieur, et elle m'a décrit un homme totalement investi. Les fonctionnaires de la préfecture de police et les unités de forces mobiles sont fatigués. Moi-même, qui en suis à ma vingtième semaine, je ressens de la fatigue alors que je ne cours pas. Mais il n'y a pas de fatigue morale, ce qui est essentiel.

J'ai répondu à la hiérarchisation des objectifs en vous disant qu'on ne pouvait pas tout garder : s'il faut garder les lieux de pouvoir, pour le reste, tout est fonction de notre mobilité. En outre, notre agilité permettra aux cortèges de s'écouler paisiblement. Les difficultés surgissent quand des unités se mettent en travers dans un cortège déclaré. Dès lors que le cortège est déclaré, il faut le laisser s'écouler. Quand il ne l'est pas, il faut bien sûr engager une dissolution très rapide.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Nos auditions nous ont permis de mieux comprendre le ressenti des policiers.

Lors de nos auditions sur les troubles du 16 mars, on nous a dit que sous la pression des médias, le nombre de LBD avait été réduit tout comme la puissance de leurs munitions, qui ne permettaient plus de toucher les éléments les plus violents. L'obligation de filmer les interventions aurait également freiné le dispositif, a-t-il été affirmé.

Les forces de l'ordre ont-elles été rééquipées avec les matériels antérieurs ? Les policiers semblent vouloir poursuivre la stratégie du maintien de l'ordre à distance. Ils nous ont également dit que le matériel avait beaucoup souffert : casques, boucliers...

M. le président vous a rappelé que nos policiers étaient fatigués, même si moralement ils sont toujours aussi heureux d'exercer leurs fonctions. Avez-vous prévu des cellules d'aides psychologiques pour épauler ce personnel mis à rude épreuve depuis 20 semaines ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

La doctrine dans la police veut que l'on ait recours à des munitions CPS pour le maintien de l'ordre : c'est ce qu'utilisent les escadrons de gendarmes mobiles et les compagnies de CRS. Mais, du fait de la confusion entre sécurité publique et ordre public au sein de la préfecture de police, il est arrivé que des fonctionnaires qui venaient d'être versés dans l'ordre public dans des conditions sans doute peu claires continuent à utiliser les cartouches moins puissantes dont ils disposaient dans leurs fonctions antérieures. J'ai donc indiqué que tout fonctionnaire qui participait à des tâches d'ordre public devait être équipé de munitions CPS, ce qui est conforme à la doctrine de la police nationale. L'autre munition est effectivement moins puissante et je l'ai même entendue qualifiée de munition « chamallow », ce qui est un peu exagéré dans la mesure où la différence de portée est de l'ordre d'une dizaine de mètres.

Un film du tir est effectivement nécessaire, ce qui est maintenant possible lorsque les LBD sont équipés de caméras. Pour ceux qui ne le sont pas encore, il est vrai que la procédure est astreignante : il faut allumer la caméra avant de tirer. Dès que tous les LBD seront équipés de ce matériel, il n'y aura plus de difficultés.

Certes, le matériel souffre beaucoup, d'autant que la diversité des projectiles laisse parfois pantois. Le taux de rotation des équipements est supérieur à ce qu'il était auparavant, mais nous nous adaptons.

Nous n'avons pas diminué le nombre de jours de récupération, mais il n'est pas possible de les accorder le week-end. Les unités engagées disposent de récupérations en semaine, mais il y a mieux pour la vie de famille, j'en suis bien conscient.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

La garde des sceaux nous a donné le nombre de gardes à vue, d'interpellations et de procédures judiciaires en cours. Mais on peut supposer que les ultras-violents de gauche sont toujours là. Nous avons le sentiment qu'il y a des périodes où ces individus ne se manifestent pas et d'autres où ils se regroupent pour commettre des actions spectaculaires.

Les services de renseignements sont-ils plus à même aujourd'hui de démanteler ces filières ultra-violentes ?

Ces filières, que nous avons vues à l'oeuvre en France à Notre-Dame-des-Landes, dans l'Aveyron ou ailleurs, sont de véritables essaims de frelons qui parviennent à se regrouper sans forcément organiser de réunions physiques.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Le problème, c'est l'imprévisibilité : nous ne pouvons être au courant que dans les dernières heures précédant la manifestation.

Nous employons des techniques de renseignement, mais nous prenons certaines garanties. Nous avons mené, sur réquisition des procureurs de la République, le 23 mars dernier en Île-de-France et en petite ou grande couronne, 8 545 contrôles préventifs qui ont permis de confisquer des armes par destination, comme des boules de pétanque. Le week-end dernier, nous avons fait 14 000 contrôles. J'ai été moqué par certains médias qui relevaient que les contrôles étaient plus nombreux que les manifestants. C'est exact, mais cela s'explique certainement par le volume des contrôles...

Nous ne prenons pas pour argent comptant ce que nous lisons sur les réseaux sociaux. Il me paraît nécessaire de déployer ce type de méthode, même s'il ne faut pas sous-estimer la capacité d'adaptation de ceux qui veulent casser. On observe ainsi que les contrôles aux péages sont de moins en moins productifs. Les casseurs envisagent d'autres moyens de transport. Nous allons nous adapter à cette nouvelle situation, mais toujours avec la même démarche : effectuer un maximum de contrôles préventifs. La doctrine est très simple : tout ce qu'on ne fait pas avant, on ne le fera pas pendant. Ce n'est pas au cours de la manifestation que l'on peut vérifier les sacs par exemple. C'est la raison pour laquelle nous faisons cet effort assez considérable dès le matin de la manifestation, voire la veille au soir, et ce au moins depuis les deux dernières manifestations.

Le 1er mai prochain, les grandes organisations syndicales vont, comme c'est la tradition, manifester. Il y a des risques de débordement, comme l'année dernière lorsque des personnes sont venues perturber le défilé.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Vous avez évoqué le changement de stratégie qui a suivi ce samedi noir, avec l'interdiction de manifester dans des périmètres sanctuarisés - ceux qui avaient beaucoup souffert de dégradations. Les deux samedis suivants, le nombre d'incidents a connu une nette baisse, mais il faut noter que les black blocs n'étaient pas là. Quelle serait la réalité opérationnelle si une vague de ces ultras déferlait de nouveau, notamment à Paris. Comment gérer les éventuels déports sur d'autres quartiers de la capitale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le préfet de police et le Gouvernement sont conscients que le véritable test de l'efficacité du nouveau dispositif se fera le jour où une horde d'ultraviolents se greffera sur une manifestation.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Ce jour surviendra, et nous sommes prêts et déterminés. Face à la mobilité de nos adversaires, la seule réponse est notre propre capacité de mobilité. Les progrès que nous avons faits ces quinze derniers jours nous permettront de répondre à ces situations. Nous en jugerons lors des prochaines manifestations. Il ne faut pas penser que les deux derniers samedis ont été exonérés de toute tentative, dont certaines ont été retransmises par les médias : je pense à la fin de la manifestation la semaine dernière, avec la circulation d'une petite trentaine d'individus au milieu du Trocadéro.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

On ne peut pas comparer la trentaine de manifestants du Trocadéro de la semaine dernière et la horde sauvage qui a détruit les Champs-Élysées en trois heures le 16 mars. Vous avez mis en place des mesures, comme la chaîne de commandement unifiée et une plus grande autonomie donnée au commandement de terrain. Nous espérons que ces mesures seront efficaces le jour où les black blocs vont revenir en grand nombre avec la volonté de détruire.

Lors de leurs auditions, certains représentants de forces de l'ordre ont émis le souhait que nous réfléchissions à une évolution du cadre législatif régissant la dispersion des attroupements, notamment pour élargir les possibilités de délégation de leur autorité civile pour être au plus proche du terrain. Que pensez-vous de cette proposition ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

L'autorité civile est présente dans les manifestations : chaque unité de forces mobiles - un escadron de gendarmerie, une compagnie de CRS - est accompagnée d'une autorité civile, qui est un commissaire de police. Celui-ci doit faire les sommations, revêtu de son écharpe tricolore. Faut-il d'autres outils juridiques pendant les dispersions ? Je n'ai pas réfléchi à cette question, et je ne vois pas à quoi les représentants que vous avez auditionnés font allusion.

Nous disposons des moyens juridiques pour les dissolutions, même s'ils sont quelque peu datés et pas forcément compréhensibles pour les manifestants. À la vue du commissaire de police revêtu de son écharpe tricolore, ceux-ci peuvent penser qu'il est non pas forcément un fonctionnaire de police d'autorité, mais peut-être un élu local.

Sans doute devons-nous moderniser nos dispositifs de dissolution, qui datent d'avant les réseaux et les smartphones : le porte-voix est un peu daté...

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Au cours des auditions que nous avons menées, les associations de gendarmes et syndicats de policiers ont exprimé une certaine frustration : ils estiment être plus efficaces lors des missions de répression, car ils y sont formés, que pour la protection statique des lieux de pouvoir.

Parmi les annonces du Premier ministre figure la modernisation des moyens à disposition des unités de maintien de l'ordre. L'usage des drones et des produits marquants aurait ainsi été testé au cours des deux dernières semaines. Disposez-vous de résultats ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Ayant entendu cette frustration, j'ai décidé de ne pas dédier une catégorie d'arme à une mission particulière. Dans les périmètres sanctuarisés, les effectifs sont ainsi composés à parts égales de gendarmes et de policiers, ou bien de compagnies de CRS et d'escadrons. Je vais même plus loin que ce partage strictement équitable puisque les effectifs sont alternés. Aucun de ces fonctionnaires ne pourra donc dire qu'il n'a pas été employé sur le terrain à égalité avec son frère d'armes.

La modernisation des moyens fait en effet partie des missions que m'a confiées le ministre de l'intérieur. Nous avons testé l'usage des drones lors des dernières manifestations, mais cela n'apporte pas grand-chose en termes d'efficacité par rapport au réseau dense de caméras dont dispose Paris, lesquelles permettent une excellente visibilité. En revanche, je crois beaucoup à l'utilisation des drones au niveau des unités, car ils donnent, en cas de positionnement dans une rue, une vision plus large du quartier. Cet usage, qui n'est pas celui qu'en fait la salle de commandement, répond au souci de déconcentration tactique. Quelques escadrons de gendarmerie mobile (EGM) procèdent actuellement à des tests.

L'utilisation de drones très légers est plus compliquée, car elle suppose des qualifications et une formation de télépilote. Nous testons donc plutôt des drones lourds - je ne parle pas des matériels militaires, qui volent très haut - dont l'efficacité, encore une fois, ne semble pas tout à fait probante.

Nous réfléchissons également à l'emploi de produits marquants, qui nécessitera des adaptations techniques et des approfondissements juridiques dans un certain nombre de cas. Je me demande, par exemple, si le fait d'utiliser de tels produits dans les engins lanceurs d'eau est bien conforme à la réglementation en matière d'évacuation des eaux usées, car cela partirait dans les égouts. Sont-ce des déchets industriels ? Il faut notamment étudier la formule chimique employée : tel est l'objet des tests et des réflexions en cours.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Pourquoi y a-t-il eu des dysfonctionnements - je reprends ce qu'a dit Matignon - le 16 mars, et pas auparavant ?

Les fouilles en amont ont été concluantes. Alors que je suis les gilets jaunes depuis 18 semaines - je précise que je ne me rends qu'aux manifestations autorisées, et jamais à celles des Champs-Élysées -, la semaine dernière, je n'ai pas vu de black blocs en nombre important. Cela veut dire que l'on peut en arrêter une partie en amont. Cette question me taraude, dans la mesure où le scénario se déroulait jusqu'alors tous les week-ends de la même façon.

Je veux revenir sur les propos de ma collègue : la dernière manifestation, qui est partie de la gare de l'Est - c'est celle de la semaine précédente qui avait démarré au Trocadéro -, n'a pas rassemblé 30 personnes, comme elle l'a dit, mais plusieurs milliers de gens.

J'ai remarqué, avec d'autres, que depuis deux semaines les forces de l'ordre s'approchaient de très près de la queue de la manifestation et poussaient en avant, ce qui peut entraîner des accidents.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Je suis quelque peu en peine de vous répondre sur ce qui s'est passé avant mon arrivée ; je peux en revanche vous donner des explications sur ce que j'ai fait depuis le 21 mars.

Je vous donne acte qu'il y avait plusieurs milliers de manifestants au cours des deux derniers week-ends à Paris. Samedi dernier, deux manifestations ont convergé : celle déclarée par Mme Sophie Tissier et celle de Droit au logement, qui ne sont pas parties du même endroit mais se sont rejointes sur les quais à la hauteur du Louvre. La situation a été un peu délicate à gérer ; nous espérions que l'une ne chercherait pas à passer devant l'autre. On pouvait s'interroger sur l'existence d'éventuels effets de concurrence, mais les choses se sont passées très naturellement.

Pour ce qui concerne nos dispositifs d'accompagnement, il est vrai que nous positionnons les forces en début de cortège, au plus près de celui-ci en flanc-garde et en queue, afin d'éviter que, dans les manifestations déclarées, des casseurs ne s'infiltrent parmi les personnes qui défilent pacifiquement. Ce faisant, nous assurons en quelque sorte le service d'ordre des manifestations, tel qu'il existait dans les « temps anciens » que j'évoquais précédemment.

Nous faisons en sorte que les forces ne soient pas trop proches ; il ne s'agit pas de « mettre la pression » sur les manifestants. Mais on ne peut pas être trop loin non plus car il est à peu près certain, si on laisse un trop grand espace, que s'y engouffreront des personnes malfaisantes. Cela s'est produit il y a quinze jours au niveau du milieu de cortège, avec quelques tentatives de casse d'un établissement bancaire.

La situation n'est pas toujours simple à gérer. Ainsi, la semaine dernière, les fonctionnaires positionnés en début de cortège - assez près, mais pas trop - ont été ralentis dans la rue de Cléry par des embouteillages, et ont été rattrapés par les manifestants parce qu'ils ne pouvaient plus avancer. Nous devrons, dans la gestion de la circulation, anticiper davantage pour éviter ce type de difficultés.

Pourquoi l'itinéraire passait-il par la rue de Cléry ? Nous n'avons pas jugé pertinent que le cortège emprunte, a fortiori un samedi, le boulevard Sébastopol à contresens, comme le souhaitait au départ Mme Sophie Tissier. La décision a été prise en plein accord avec elle. Cette solution du passage par les petites rues n'est cependant pas idéale, dans la mesure où nous avons affaire à des cortèges qui marchent très vite. Nous sommes loin de la sérénité des anciennes manifestations ! Nous devons nous adapter à cette rapidité.

Pour ce qui concerne la fin de cortège, je serai toujours vigilant à ce que les manifestations se dissolvent à l'heure dite. Au Trocadéro, les forces de l'ordre ont pris position en haut des marches parce que celles-ci sont très dangereuses. Nous faisons très attention à ce qu'il n'y ait pas de mouvements à ces endroits, pour protéger les manifestants et éviter les bousculades dans les escaliers.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Segouin

Les représentants des forces de l'ordre que nous avons auditionnés regrettent que les commandements des unités de forces mobiles ne soient pas associés en amont à l'organisation des dispositifs de maintien de l'ordre. Sont-ils désormais conviés à ces réunions ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Ils le sont. Je préside tous les vendredis après-midi le briefing, auquel j'associe systématiquement les commandants d'unité.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

La nouveauté, c'est qu'ils doivent être présents à ces réunions ; ce n'est pas forcément pratique pour eux puisque cela les oblige à partir la veille au soir. J'assure moi-même le briefing, avec le directeur de l'ordre public et de la circulation, afin de donner les explications et le détail de la doctrine. Les commandants d'unité participent ensuite à des briefings secondaires, plus détaillés que celui de cadrage général que j'assure, dans lesquels ils sont répartis par divisions qui correspondent, dans notre système, à la répartition de l'espace parisien.

Au briefing général sont notamment associés les commandants d'unités mobiles, les commandants des différentes unités de maintien de l'ordre relevant de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), ainsi que tous les commissaires qui auront la qualité d'autorités civiles dans le dispositif : 200 personnes sont présentes. Je tiens à diriger moi-même cette réunion afin que les choses soient parfaitement claires. Des plans sont désormais distribués pour expliquer quel est le sens de la manoeuvre et quel sera l'ordre des unités.

J'ai également lancé des débriefings avec les uns et les autres afin que nous puissions travailler sur les retours d'expérience.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Le 20 mars, ainsi que l'indiquait le porte-parole du Gouvernement, Benjamin Griveaux, le Président de la République a rappelé au cours du conseil des ministres qu'il était nécessaire de prendre des dispositions d'urgence pour durcir la réponse des forces de l'ordre en matière de sécurité.

Le 21 mars, le gouverneur militaire de Paris disait lors d'une émission matinale que les militaires allaient être mobilisés de manière exceptionnelle durant tout le week-end suivant et que le volume des soldats qui seraient engagés était en cours de discussion avec la préfecture de police.

De votre côté, vous précisiez que tout cela était conforme aux missions définies depuis 2015.

J'aimerais comprendre : y a-t-il eu un « loupé » de communication ? Tout le monde avait en effet compris, à ce moment-là, que l'armée allait intervenir dans le maintien de l'ordre des manifestations. Or vous sembliez indiquer qu'en réalité rien n'avait changé.

Par ailleurs, le 18 mars, le Premier ministre, faisant état d'un certain nombre de mesures, évoquait l'usage des drones et des produits marquants. Vous venez de nous dire que les drones ne semblaient pas très efficaces, notamment à Paris du fait du nombre de caméras, et que les produits marquants valaient à peine mieux. Doit-on comprendre que ces deux annonces n'ont pas été concrétisées ?

Enfin, une brigade de répression des actions violentes, motorisée, a été créée quelque temps après votre arrivée. Optiquement, cette brigade ressemble comme une soeur jumelle à celle des « voltigeurs », dissoute en 1986, dont les membres ont été mis en cause dans la mort de Malik Oussekine,

Vous avez précisé hier devant le Conseil de Paris que les membres de cette brigade, soit deux personnes par moto, avaient l'obligation de mettre pied à terre avant d'intervenir. Pouvez-vous dire quelle est la différence entre cette nouvelle unité et les « voltigeurs » de l'époque ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Vous avez raison de m'interroger pour la troisième fois ; sans doute mes deux précédentes réponses n'étaient-elles pas assez claires, mais vous m'offrez l'occasion d'être tout à fait explicite.

Le dispositif Sentinelle a été renforcé, conformément aux instructions du Président de la République, pour prévenir les risques terroristes. Il n'a pas changé de doctrine : il n'a été envisagé par personne que les militaires s'occupent de maintien de l'ordre.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Je ne sais par qui. Certainement pas par le Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

J'ai cité le compte rendu d'un conseil des ministres.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Les instructions que j'ai reçues et mon travail avec le gouverneur militaire de Paris se fondent sur la doctrine définie en 2015 : l'emploi des forces armées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Je le répète : il faut renforcer la protection de certains lieux à risque pendant les manifestations, parce que la confusion possible en ces circonstances peut s'avérer propice à une attaque. Compte tenu de ce risque, il vaut mieux unifier les systèmes de protection, en plaçant uniquement des militaires autour d'un certain nombre de lieux.

C'est cela seul qui se passe : vous pouvez d'autant plus me croire, madame la sénatrice, que c'est moi, comme préfet de zone, qui réquisitionne les forces Sentinelle. À chaque manifestation du samedi, j'augmente, en accord avec le gouverneur militaire, le nombre de militaires déployés. Mais, encore une fois, personne n'a envisagé que des militaires prennent part au maintien de l'ordre.

Du reste, ce serait impossible, puisqu'ils ne sont ni formés ni équipés pour maintenir l'ordre...

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Je ne vois donc pas d'où peut venir la confusion que vous évoquez. J'espère, en tout cas, vous avoir pleinement rassurée sur l'intention des pouvoirs publics.

Le gouverneur militaire a été tout aussi clair : répondant à une question sur les conditions d'ouverture du feu des militaires de Sentinelle face à des actes terroristes, il a expliqué qu'elles avaient été homogénéisées dans le cadre du texte de la précédente législature que j'ai cité.

En ce qui concerne les drones et les produits marquants, j'ai dû mal me faire comprendre. Je n'ai jamais dit qu'ils étaient inutiles, ni que les annonces du Gouvernement ne servaient à rien. Au contraire, j'ai expliqué que nous avions testé des drones, dans des conditions d'utilisation qui, pour le moment, ne satisfont pas le responsable opérationnel que je suis.

C'est ma responsabilité devant le Gouvernement de trouver les bons outils : j'ai pour objectif de généraliser les drones dans les opérations de maintien de l'ordre, mais les drones que j'ai découverts à mon arrivée, lourds et au temps de vol limité, ne me paraissent pas les bons ; je crois beaucoup plus à des drones légers à la disposition des unités, dans une perspective de déconcentration et d'autonomie tactique.

Les produits marquants, nous en avons testé, de plusieurs types : de petits produits sous forme de bombes aérosols, qui se découvrent avec des appareils, et des produits visibles consistant à coloriser les manifestants. Je n'ai pas dit que nous n'allions pas généraliser la mise en oeuvre de ces produits. J'ai simplement exprimé une réserve sur la colorisation des manifestants avec les engins lanceurs d'eau.

S'agissant des BRAV, la moto est un vecteur, un moyen de transport ; comme vous l'avez indiqué, elle n'est en aucune façon un moyen de maintien de l'ordre.

En quoi ce dispositif est-il totalement différent des voltigeurs, qu'il n'est pas question de rétablir ? Alors que les voltigeurs agissaient depuis les engins motorisés, les motos que nous utilisons ne servent qu'à transporter nos agents. J'ai rédigé des notes de doctrine qui l'expliquent simplement.

Les voltigeurs utilisaient des engins de 125 centimètres cubes, très maniables. Nos équipages pèsent 200 kilogrammes, transportés sur des engins de 900 centimètres cubes. Il va de soi qu'avec une telle moto, dont la selle est à 820 millimètres de hauteur, on ne zigzague pas entre les manifestants à 40 kilomètres par heure... Si vous deviez douter de la véracité de mes intentions, madame la sénatrice, voilà qui vous donne des garanties techniques.

Comme je l'ai rappelé, notamment pendant les briefings, la moto est aux BRAV ce que le parachute est à un certain nombre d'unités militaires : un vecteur, un moyen de projection. Je serais très sévère si cette doctrine n'était pas respectée, mais, techniquement, cela me paraît impossible. J'ai assisté aux entraînements et je suis monté sur des motos : franchement, si vous arrivez à tenir une matraque sur un engin pareil, je vous tire mon chapeau... Venez, madame la sénatrice : vous monterez sur la moto avec moi et vous verrez !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Naturellement, madame de la Gontrie, vous respecterez scrupuleusement le statut fait aux observateurs...

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Si je suis convaincue de la nécessité des armes de défense pour les forces de l'ordre, la gravité des blessures et mutilations, parfois définitives, infligées par les LBD me conduit à m'interroger sur la dureté des balles : si elle était réduite, les blessures seraient moins graves, et moindre aussi le risque de mutiler des gens à vie.

S'agissant des marqueurs, vous avez évoqué un problème lié à l'évacuation des eaux usées. Les marqueurs peuvent-ils présenter un risque de toxicité ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Je veux être très clair : il n'est pas question d'employer des armes qui seraient toxiques. Je n'évoquais pas une toxicité pour les personnes, mais des enjeux de droit des déchets, pour vous montrer que nous envisageons toutes les questions qui se posent autour du marquage. Les marqueurs dont nous nous servons pour le moment ont été éprouvés dans différents pays et ne sont absolument pas toxiques. D'autres types de marquage ne seront évidemment employés qu'à la condition de ne pas l'être non plus.

Pour ce qui est des blessures, la violence de ces manifestations est extrêmement préoccupante : un gendarme a tout récemment eu la mâchoire arrachée par un pavé. Les LBD visent à maintenir à distance les manifestants pour éviter un corps-à-corps qui serait tout à fait catastrophique, les fonctionnaires risquant même d'utiliser leur arme de service s'ils étaient en danger.

Nous avons décidé de maintenir l'homogénéité des cartouches, pour que tout le monde ait la même portée de tir : ainsi, il n'y a pas de méprise possible sur l'effet du tir. La circulaire de la DGPN est très claire à cet égard : il ne faut pas mélanger les types de cartouches, parce que les confusions risqueraient d'entraîner des accidents encore plus graves.

Peut-on trouver des balles plus molles ? Il y a peut-être des progrès à faire, mais je vous avoue, madame la sénatrice, que je suis bien en peine de vous répondre.

Nous utilisons les armes en dotation dans la police et la gendarmerie nationales, dans des circonstances très particulières et en cas de nécessité absolue. Ces armes à létalité réduite nous sont essentielles, et je craindrais le pire si nous n'en avions pas à notre disposition, compte tenu de la violence d'un certain nombre de manifestants et de la détermination de certains casseurs.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Ces armes protègent les uns et les autres, même s'il y a malheureusement beaucoup trop d'accidents.

La balle est projetée à 10 mètres par seconde en sortie de canon, ce qui n'est pas rapide. C'est d'ailleurs souvent cette faible rapidité qui entraîne des difficultés. La solution ne réside donc pas forcément dans la diminution de la capacité de projection.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Je ne puis vous répondre sur ce sujet, madame la sénatrice, mais j'étudierai la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Monsieur le préfet, vous avez parlé de briefings, mais les policiers et gendarmes que nous avons reçus souhaitent surtout des debriefings. On sent qu'ils ont besoin et envie de communiquer ce qu'ils voient sur le terrain.

Par ailleurs, serait-il intéressant que les drones servent aussi à la prise de photos pouvant être utilisées dans les enquêtes judiciaires, même si l'équipement nécessaire alourdit peut-être l'ensemble ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

En effet, les drones sont très utiles pour cela. C'est la raison pour laquelle il faut les multiplier par unité, afin de couvrir le plus grand nombre possible de situations. Les drones nous sont très utiles, mais, comme tout équipement, il faut les utiliser avec des concepts opérationnels modernisés.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le préfet de police, nous vous remercions pour votre collaboration à la bonne information de notre commission. Vos réponses sobres et précises ont rendu cette audition féconde.

Elles nous permettent de mieux comprendre les mesures prises, dont on regrette qu'elles ne l'aient pas été plus tôt. Je considère que le nouveau dispositif sera probablement plus efficace que celui mis en oeuvre jusqu'au 16 mars.

Nous aurons l'occasion d'en délibérer prochainement, mes chers collègues, en arrêtant nos conclusions sur cette série d'auditions extrêmement enrichissantes, menées dans un contexte tendu et qui suscite, à Paris mais aussi dans toute la France, une forte impatience que l'on réussisse enfin à sortir d'une période où chacun retient son souffle tous les samedis, une période si rude pour notre pays et pour son image dans le monde.

C'est dire, monsieur le préfet de police, si nous mesurons les responsabilités qui pèsent sur vos épaules. Je vous adresse tous mes encouragements pour la pleine réussite de votre difficile mission.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police de Paris

Je vous remercie, monsieur le président.

La réunion est close à 17 h 40.