Nous poursuivons ce matin nos travaux sur la maladie de Lyme, avec une troisième table ronde, consacrée à la stratégie thérapeutique. Notre réunion est retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.
Le Gouvernement a lancé fin 2016 un plan national de prévention et de lutte contre la maladie de Lyme et la Haute Autorité de santé (HAS) a réuni un groupe de travail pluridisciplinaire avec l'objectif de réactualiser les lignes directrices du consensus de 2006.
Publiée en juin 2018, la recommandation de bonne pratique de la HAS propose un cadre de prise en charge diagnostique et thérapeutique rénové. Elle n'a cependant pas emporté le consensus dans la communauté médicale. Certaines questions, telles l'existence éventuelle d'une forme chronique et la durée pertinente des traitements antibiotiques, continuent de cristalliser les tensions.
Nous avons donc souhaité approfondir le débat en conviant des spécialistes de ce problème de santé publique autour de quatre tables rondes. Après un cadrage épidémiologique et biologique de la maladie, notre deuxième réunion a porté sur les outils d'aide au diagnostic. La troisième se penche sur la stratégie thérapeutique et la quatrième nous permettra de faire le point sur les enseignements tirés de ces rencontres avec les représentants des autorités sanitaires, en présence d'un représentant de l'équivalent britannique de la HAS.
En évoquant la semaine dernière les outils d'aide au diagnostic, nous avons eu un premier exposé des différentes positions en présence. Je rappelle que notre objectif n'est pas de déterminer ce que doit être le diagnostic ou la prise en charge, pas plus pour la maladie de Lyme que pour tout autre maladie ; mais de comprendre comment se construit ce processus de prise en charge, comment se forge le consensus et comment il se diffuse auprès des médecins, au bénéfice des patients.
Nous accueillons ce matin le professeur Christian Perronne, infectiologue ; le docteur Raouf Ghozzi, médecin interniste, président de la Fédération française des maladies vectorielles à tiques ; le docteur Pierre Tattevin, président de la société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) ; Mme Sarah Bonnet, directrice de recherche au sein de l'unité mixte de recherche biologie moléculaire et immunologie parasitaires de l'Inra, coordinatrice du projet « Visions » ; le professeur Olivier Lesens, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Clermont-Ferrand, et le professeur Yves Hansmann, spécialiste des pathologies infectieuses et tropicales au CHU de Strasbourg.
Professeur Christian Perronne, infectiologue. - J'exerce la médecine tous les jours et je vois des milliers de malades en grande souffrance, nombre d'entre eux ayant été rejetés par le corps médical, alors que nous pouvons guérir 80 % des personnes atteintes de la maladie de Lyme. Quelque chose ne tourne pas rond ! On prétend que les traitements ont seulement un effet placebo : pas du tout ! Des gens qui, du fait de la maladie, avaient tout perdu, famille, travail, et se déplaçaient parfois en fauteuil roulant ont été guéris. Alors ils abandonnent les associations de malades, bien sûr, car ils pensent surtout à revivre. Il y a deux ans d'attente à ma consultation, je reçois des personnes désespérées, et je remercie les centaines de médecins généralistes qui continuent à prendre en charge ces patients, malgré les persécutions qu'ils encourent de la part des caisses d'assurance maladie. Il y a peut-être quelques charlatans, mais les praticiens sont honnêtes en grande majorité et ils aident les malades quotidiennement.
Les recommandations de la HAS sont très utiles. Soit dit en passant, je ne comprends pas que des professionnels qui ont participé à l'écriture du texte s'en soient désolidarisés ensuite...
Les recommandations prévoyaient clairement que les centres de référence comprendraient des comités de pilotage, où seraient représentés les malades, via leurs associations, et les médecins qui soignent cette pathologie. Or, lorsque j'ai fait la demande pour constituer un centre de référence, j'ai constaté que les médecins et les associations ne figuraient plus dans la rédaction : c'est une entrave à la démocratie sanitaire. L'Agence nationale de recherche sur le sida comprenait dès le début, dans son conseil scientifique, ces catégories. Dans le cas de Lyme, les malades n'existent plus ! Ils sont pourtant en grande souffrance.
Dans les hôpitaux, seules 10 % à 20 % des personnes venues consulter pour des symptômes correspondant à la maladie sont diagnostiqués comme souffrant du syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT) ; les autres reçoivent un diagnostic bizarre, ou sont envoyées en psychiatrie, ou se voient prescrire trois semaines d'antibiotiques. Ma boîte mail regorge de courriels de détresse ! Je connais même des cas de suicide.
On m'oppose qu'il n'existe pas de données scientifiques en faveur du traitement. Tout de même ! Nous avions publié une étude menée sur dix ans, avec Jérôme Salomon, à présent directeur général de la santé, et Juliette Clarissou. Il y a eu plusieurs études. On invoque contre elles l'absence de groupe témoin, de tirage au sort avec administration de placebo, pour disqualifier mes résultats. Je veux bien faire des études, si l'on me donne des crédits !
Du reste, sur la fièvre Q chronique ou la maladie de Whipple, jamais la moindre étude n'a été publiée, cela n'empêche pas la société de pathologie infectieuse d'accepter l'administration d'antibiotiques pendant un an et demi, voire des traitements à vie. Pourquoi la maladie de Lyme est-elle regardée différemment ? Pas d'étude randomisée, me reproche-t-on, pour prouver que le traitement prolongé est utile. Si ! Deux études randomisées ont été publiées, qui en montrent le bénéfice ; mais elles sont validées sur des critères précis. Elles sont publiées dans des revues internationales, je vous en donnerai les références. Certes, les traitements n'ont pas été très prolongés et les malades ont rechuté.
Vous m'opposerez deux études publiées dans le prestigieux New England Journal of medicine, affirmant que les traitements prolongés n'ont pas d'efficacité : mais ces études sont entachées de graves biais méthodologiques. Il est vrai que la revue appartient à l'université de Boston, qui héberge aussi la société américaine des maladies infectieuses, celle qui a la main sur les recommandations sur Lyme. Ce qui est choquant, c'est que l'observation est située à une très mauvaise date, trois mois après le début du traitement, et qu'elle ne tient pas compte de tous les signes cliniques, articulaires, cardiaques, neurologiques. Il s'agit d'un simple score de qualité de vie, une simple question posée aux patients sur leur état... Or à trois mois, 20 % des patients sont ravis, 20 % estiment qu'ils vivent une catastrophe (le traitement commence par aggraver les symptômes) et les autres sont indécis, mais ils seront guéris après encore un mois ou deux de traitement. À ce jour il n'existe aucune étude randomisée de qualité, à quatre mois. Et je n'ai jamais obtenu les crédits de recherche que je demandais.
Or, s'il est démontré que tel médicament fonctionne sur la Borrelia en laboratoire sur des petites séries, nous avons maintenant besoin d'avancer. C'est pourquoi la HAS souhaite la constitution de centres de référence afin de créer des bases de données et de pouvoir évaluer des pratiques jugées peu orthodoxes. La fédération est d'accord, nous sommes ravis que les autorités évaluent nos résultats au quotidien. Nous demandons aussi des études scientifiques. On prétend parfois que la guérison intervient en trois semaines, mais les signes persistent parfois - j'ai six références en ce sens, ainsi que sept références de persistance de la Borrelia au plan microbiologique sur le singe, et quatorze références chez l'homme dans la phase tardive de traitement. Il y a des preuves scientifiques sur les rechutes.
Le syndrome de persistance polymorphe après possible piqûre de tiques, le SPPT, a été redéfini par la HAS ; il avait été défini pour la première fois en 2014 par le rapport du Haut Conseil de la santé publique. Je ne comprends d'ailleurs pas qu'un membre éminent du groupe qui avait porté le SPPT sur les fonds baptismaux se répande à présent en propos contre lui, parlant d'un concept bizarre, franco-français, promu par des médecins qui font des choses peu sensées... Les médias propagent ces idées, alors que les Américains ont pareillement établi un post treatment Lyme disease syndrom (PTLDS), avec des publications scientifiques et une description clinique des anomalies. La persistance de la bactérie malgré les traitements est considérée comme une des causes possibles, parmi d'autres, de ces évolutions dans le temps.
Le rapport de la HAS (qui n'est pas unanimement reconnu) a marqué des avancées : les tests sérologiques ne sont pas fiables systématiquement, le SPPT exige un diagnostic clinique par réponse à un traitement antibiotique ; et traiter plus longtemps les patients est autorisé à présent, en se mettant en relation avec un centre de référence, pour que ces pratiques non reconnues aujourd'hui soient validées.
Docteur Raouf Ghozzi, médecin interniste, président de la Fédération française des maladies vectorielles à tiques. - Je suis interniste de formation mais j'ai effectué une formation de deux semestres au CHU de Toulouse en maladies infectieuses ; puis je suis devenu chef de clinique dans le service de Jacques Reynes au CHU de Montpellier. À Toulouse, j'avais été impressionné par les faits suivants : la chef de clinique reçoit un patient pour lequel le tableau de la radiculite s'impose, sans autre explication que la Borrelia. Après trois semaines d'antibiotique, le patient va mieux, mais un mois après il rechute. Autre antibiotique, autre phase d'amélioration. Mais il rechute à nouveau et revient en consultation. La réponse fut : nous ne pouvons rien faire de plus pour vous.
On dit qu'il y a peu de tiques dans le bassin méditerranéen, mais j'ai déjà vu, à Montpellier, des érythèmes migrants, avec des tableaux similaires à celui de Toulouse. Je les ai traités plus longtemps, avec succès.
Je venais d'arriver à l'hôpital de Lannemezan lorsque des associations de patients sont venues voir le directeur pour lui demander que l'hôpital s'occupe de la maladie de Lyme. C'est ainsi que les choses ont commencé et j'ai pu constater par la suite que certaines personnes répondaient à des traitements un peu différents de ce qui était recommandé classiquement. Les résultats ne sont pas toujours probants, mais ces expériences sont intéressantes.
J'ai fait partie du groupe de travail du Haut Conseil, en 2012, puis de celui de la HAS. Deux choses m'avaient surpris en 2012 : sur les tests, on avait constaté, avec l'ANSM, que beaucoup de réactifs n'étaient pas aux normes - entretemps, il y a eu réactualisation ; et dans l'étude conduite au même moment par Muriel Vayssier-Taussat avec des médecins sensibilisés à la maladie de Lyme, sur 70 patients, le résultat était positif dans 55 cas, avec une bartonnelle dans l'ADN en PCR (polymerase chain reaction) ; et seulement six de ces patients avaient une culture positive pour la bartonnelle. Ces patients ont été traités, avec une nette amélioration - les résultats ont été publiés en 2016 dans une revue de niveau très correct, Emerging infectious diseases. On constatait la disparition de la bactérie, après traitement. C'est ce qui a conduit à poser un diagnostic de SPPT qui pouvait couvrir la bartonnelle, une Borrelia mal traitée, ou d'autres agents pathogènes - en forêt de Sénart, on a trouvé 40 % de génomes bactériens, de parasites et de virus non connus. Le SPPT a l'avantage d'être beaucoup plus large.
Le PTLDS correspond à des patients correctement traités, qui n'avaient plus de symptômes cliniques, chez qui la présence de la bactérie n'était pas mise en évidence, et pour lesquels un retraitement n'était pas efficace. Un éminent infectiologue de l'hôpital de Baltimore-John-Hopkins a publié début 2018 les conclusions de sa recherche sur ce syndrome, or la plupart des symptômes se recoupent fortement avec le fameux SPPT.
J'ai vu moi aussi des suicides, par exemple celui d'un jeune de 20 ans, atteint depuis quatre ou cinq ans. Je l'avais reçu en août 2018 - il y a deux ans d'attente pour ma consultation. En fin d'année, alors que des résultats commençaient à apparaître, de nouveau hospitalisé, las d'être incompris, traité d'hystérique, il a mis fin à ses jours.
Tout n'est pas une maladie de Lyme, on parle de microbiote intestinal, plus large. Mais Lyme et les autres maladies vectorielles à tiques posent un vrai problème. L'étude conduite par Mme Vayssier-Taussat et le service de bactériologie de Marseille n'a pas eu de suites. Pourquoi ? D'autres recherches ont été menées, sur Borrelia miyamotoi par exemple, mais il y a très peu de publications sur les maladies vectorielles sur lesquelles s'appuyer.
Docteur Pierre Tattevin, président de la société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf). - Je parle au nom de la société de pathologie infectieuse qui avait coordonné les recommandations de 2006, mais aussi des 25 sociétés savantes engagées dans ce travail, car la maladie de Lyme touche beaucoup d'organes : il y avait donc les dermatologues, les rhumatologues, la médecine générale, etc. Les recommandations ont donné des repères aux médecins : c'est une bonne chose, dans ces difficiles parcours. Aujourd'hui, la prise en charge médicale est devenue beaucoup plus compliquée en raison du « bruit », des polémiques et affrontements : les patients ne savent plus que penser.
Dans les établissements, par exemple le CHU où je travaille, les patients qui demandent une consultation pour une suspicion de Lyme sont adressés à des praticiens expérimentés, capables de traiter des dossiers complexes et à même de rassurer les patients, et l'on prévoit un rendez-vous long. L'idée du centre de référence vient de là, car un centre dédié, multidisciplinaire est nécessaire. Comme nous y invitent trois études récentes, lorsque des patients sont accueillis pour des symptômes de Lyme, il convient de faire le tri, afin d'établir le bon diagnostic et prescrire le bon traitement.
Lorsque le texte final du groupe de travail a été présenté, toutes les sociétés savantes - et pas uniquement les infectiologues - ont considéré qu'il ne répondait pas aux besoins : trop long, trop compliqué. Et sur 400 pages (du jamais vu !) il était mentionné seulement à la page 396 que les membres du groupe n'étaient pas d'accord avec les recommandations. Après quelques mois difficiles, Jérôme Salomon a donc confié à la Spilf la mission de coordonner l'élaboration de nouvelles recommandations, tenant compte des besoins des patients et des médecins. Nous avons travaillé avec les 25 sociétés savantes, et avec des patients - maintenus anonymes, pour leur éviter les cartes postales d'insultes que nous adressaient les associations, avec lesquelles il est difficile de travailler.
Nous avons bien avancé et avons pu adopter en réunion plénière des recommandations qui seront très prochainement disponibles. Nous avons voulu retravailler avec la HAS, mais cela n'a pas été possible : finalement, nos recommandations ne seront pas reconnues par elle, pour des raisons de méthodologie et parce que la Haute Autorité a préféré s'en tenir à son texte. C'est un problème, pour les patients, et cela ne va pas calmer la polémique, mais les choses sont éclaircies pour les sociétés savantes, pour la clinique, les traitements - identiques à ceux qui sont en cours dans les autres pays... Les Américains parviennent aux mêmes résultats. Il est dommage que la HAS ne soit pas à nos côtés ; mais les données, la science, les études cliniques sur les traitements confortent notre position.
S'agissant des associations de patients, on voit bien dans le film Cent-vingt battements par minute combien, dans les débuts de la recherche sur le sida, les relations étaient compliquées entre les sociétés savantes et les associations ; puis les traitements ont été découverts, se sont affinés, et les relations se sont apaisées. Il en ira de même ici. La réticence à l'égard des vaccins n'a rien arrangé, mais la ministre a pris l'an dernier une position claire et ferme et depuis, la couverture vaccinale des enfants s'est améliorée. L'intérêt des politiques est important. La recherche doit progresser, les centres de référence faciliteront le suivi et des fonds seront débloqués pour la recherche fondamentale, notamment confiée à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Nous sommes dans une phase un peu difficile, mais cela va aller mieux !