Je suis chercheur, parasitologue et entomologiste animale et vétérinaire. Je travaille donc sur le vecteur, c'est-à-dire sur la tique. Les tiques sont capables de transmettre de nombreux agents pathogènes, virus, bactéries, parasites. Ce sont des vecteurs, non des seringues ; et parmi les nombreuses espèces de tiques, toutes ne transmettent pas la bactérie responsable de la maladie de Lyme. En France ce sont les tiques de l'espèce Ixodes ricinus qui sont en cause. Toutes ne sont pas infectées par un agent pathogène. La bactérie responsable de la maladie montre une prévalence d'infection - chez Ixodes ricinus, dans les différentes régions de France - située entre 0 % et 20 % des tiques infectées. Une tique infectée ne transmet pas forcément l'agent pathogène. Quand il y a transmission, cela se fait avec un délai - contrairement à ce qui se produit avec un virus - d'où la recommandation de retirer les tiques rapidement. Précisons également que nous avons un système immunitaire efficace ; et que la transmission d'un agent pathogène ne se traduit pas forcément par le développement de la maladie correspondante chez l'homme ou chez l'animal. Selon une étude récente conduite aux Pays-Bas, une personne piquée par une tique infectée qui n'est pas retirée avant la fin de son repas sanguin a 14 % de risque d'être atteinte par la maladie.
Il n'en reste pas moins que la tique est en Europe le premier vecteur d'agents pathogènes pour la santé humaine et animale, car ses repas sanguins sont très longs, parfois plus de dix jours pour certaines espèces, et ces repas sont très volumineux, ce qui augmente la possibilité d'acquisition et de transmission. En outre la tique peut se nourrir sur de nombreuses espèces, ce qui favorise les maladies zoonotiques. Les tiques se dispersent peu mais sur leurs hôtes - oiseaux, grands mammifères - elles peuvent parcourir de grandes distances. Une espèce présente en Corse, mieloma marginalus, est maintenant arrivée dans le sud de la France - elle transmet le virus hémorragique de Crimée-Congo. On en a relevé trois cas dont un mortel en Espagne.
À Maisons-Alfort, le laboratoire commun à l'Inra, l'Anses et l'École vétérinaire travaille sur l'épidémiologie des tiques et sur des agents pathogènes qu'elles transmettent. Des études sont menées sur le terrain pour évaluer la densité des populations de tiques et les agents pathogènes qu'elles portent. Un suivi de huit années sur la forêt de Sénart n'a pas révélé d'évolution de la densité, et les variations météorologiques ne sont pas le facteur principal - l'évolution de la population dépend surtout de la présence de populations d'hôtes. Nos travaux sont à la fois fondamentaux et appliqués, visant à développer de nouvelles méthodes de lutte contre les tiques. L'intérêt de cibler le vecteur, plutôt que l'agent pathogène, est de lutter contre tous les agents pathogènes en même temps.
Nous étudions le microbiote des tiques : le cibler permettrait d'agir à la fois sur la viabilité des tiques et sur leur capacité à transmettre des agents pathogènes. Nous cherchons également à identifier les molécules indispensables au gorgement ou à la transmission, pour bloquer l'un ou l'autre de ces mécanismes, par des stratégies vaccinales ou par de nouveaux acarides plus acceptables pour l'environnement que ce qui existe actuellement.
Je coordonne le projet « Visions », qui vise à évaluer l'efficacité vaccinale de certaines molécules sur le gorgement ou la transmission d'agents bactériens - les résultats seront publiés l'an prochain ; et l'Inra, la Cirade et le CNRS ont ensemble répondu à l'appel à projets de l'ANR : nous nous proposons de chercher à identifier les molécules impliquées dans le gorgement et la transmission ; et de mettre en évidence les molécules qui permettraient d'évaluer l'exposition des personnes aux tiques, ou des antécédents de piqûre de tiques.
Professeur Olivier Lesens, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Clermont-Ferrand. - Sommes-nous au Sénat pour discuter d'un problème de médecine ? Non, nous sommes ici parce que le sujet est devenu un problème de société. Il est normal qu'il y ait des désaccords entre professionnels, c'est ainsi que la médecine progresse, grâce aux études. Nous pratiquons une médecine basée sur des preuves, elle exige des études, souvent plusieurs pour parvenir à des conclusions solides - mais c'est le meilleur moyen de parvenir à des conclusions non erronées.
Pour la maladie de Lyme, des hypothèses sont présentées comme des faits avérés, sans confirmation par des études : c'est cela qui pose problème. La preuve est remplacée par le témoignage de médecins qui relatent des expériences, ce qui nous ramène loin en arrière, lorsque l'expérience seule fondait les conclusions médicales. J'ajoute que les témoignages, dans les médias, sont souvent issus d'organisations militantes. Un discours qui n'est pas exempt d'un certain complotisme se développe : « Cette maladie qu'on vous cache » a titré Le Nouvel Observateur... Ce discours est à la fois anti-establishment, anti-médecine, anti-science, anti-sociétés savantes... C'est l'avènement d'une médecine que je qualifierais presque de populiste. En ce sens la question devient un problème de société. Et nous demeurons démunis, nous, les médecins qui travaillons chaque jour sur ces pathologies, pour répondre aux attaques médiatiques.
Il est nécessaire de clarifier les termes du débat et d'instiller un peu de transparence. On a d'abord parlé de maladie de Lyme, puis de co-infection d'autres bactéries transmises par les tiques, puis de crypto-infections qui déboucheraient sur un syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique - tout un programme ! - puis d'autres pathologies encore. On nous dit que la maladie de Lyme serait à l'origine de la sclérose latérale amyotrophique, ou de l'autisme : ce sont des affirmations graves... Nous demandons donc une transparence sur les examens réalisés - beaucoup le sont dans des cliniques vétérinaires, ce qui est scandaleux - et sur leurs interprétations, comme sur les protocoles thérapeutiques appliqués, qui utilisent de très nombreuses molécules, des dizaines, anti-infectieuses ou non, pendant des mois ou des années, parfois en mettant en jeu la vie des patients. Des traitements par voie veineuse emploient des antibiotiques de dernière génération qui ne sont pas validés. La revue Emerging infectious diseases rapporte des cas de décès à la suite de traitements par voie veineuse. La science a produit des études valables en toute transparence. Que ceux qui ont une opinion différente - je la respecte - fassent la transparence sur leurs protocoles. Il n'est pas compliqué de publier une série ! On ne peut se contenter d'affirmer que « 80 % des patients sont guéris », surtout quand les patients témoignent de rechutes successives, demandent une prise en charge d'affection longue durée, ne guérissent jamais, voire se suicident.
Les centres de référence peuvent apporter un progrès. Il est possible de mener une recherche scientifique sur tous ces cas, qui relèvent pour certains de la maladie de Lyme, pour d'autres sans doute de la médecine interne.