Intervention de Corinne Imbert

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 avril 2019 à 9:5
Audition commune sur la stratégie thérapeutique face à la borréliose de lyme : pr christian perronne dr raouf ghozzi dr pierre tattevin Mme Sarah Bonnet pr olivier lesens et pr yves hansmann

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert :

Les traitements antibiotiques ont-ils la même efficacité contre toutes les souches de bactéries responsables de la borréliose ? Il semble que 80 % des patients traités par antibiotiques n'ont pas de rechute. Existe-t-il une littérature scientifique et médicale solide qui plaide pour des traitements antibiotiques et confirme l'absence de la chronicité de la maladie de Lyme ? Les centres dédiés à la maladie de Lyme proposant des consultations pluridisciplinaires se multiplient ; il en existe au moins trois dans la région Grand Est et un vient de s'ouvrir au centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges. Quel bilan dressez-vous de ces initiatives ? Est-il opportun de généraliser ces centres pluridisciplinaires sur le territoire ? On ne sait pas toujours si les patients sont bien atteints de de la maladie de Lyme. Cette maladie est-elle plus patient-dépendante que d'autres maladies provoquées par d'autres agents pathogènes ? Enfin, l'un d'entre vous a évoqué l'intérêt du Fluconazole. La HAS envisage-t-elle de l'intégrer dans ses recommandations ?

Professeur Christian Perronne. - On note le retour de l'industrie pharmaceutique. Le gouvernement américain a tapé du poing sur la table en mettant de côté la société américaine de maladies infectieuses car ses recommandations n'étaient pas basées sur les preuves, comme l'ont montré des experts indépendants et la justice américaine. La maladie de Lyme cesse d'être un sujet tabou et intéresse à nouveau l'industrie pharmaceutique. Le gouvernement américain a mis 300 millions de dollars sur la table, c'est la première fois depuis 30 ans. Plusieurs laboratoires aux États-Unis, comme Abbott, veulent développer de nouveaux tests de diagnostic.

Je suis plus pessimiste pour les antibiotiques : peu de nouvelles molécules sont lancées malheureusement. Les poursuites contre les médecins généralistes restent assez rares mais elles existent toujours. S'il est vrai que certains médecins sont déviants, qui inscrivent de nombreux antibiotiques sur l'ordonnance, pratique que je condamne, la majorité des médecins sont excellents. Il n'est pas juste qu'ils soient traînés dans la boue alors qu'ils ont sauvé des vies. J'ai connu un médecin qui avait guéri des gens paralysés qui étaient en hôpital psychiatrique.

La reconnaissance comme ALD a été évoquée lors de la discussion à la HAS. Elle me semble légitime pour les formes les plus graves. Beaucoup de formes de la maladie sont bénignes : certains patients guérissent tout seuls, d'autres guérissent après trois semaines d'antibiotiques. Mais les incapacités à long terme peuvent être énormes : certaines personnes n'ont pas pu travailler pendant des années, toutefois quand elles retournent au travail, elles sont guéries.

On n'a plus le droit de dire qu'il faut absolument avoir été piqué par une tique pour développer une maladie à tiques. Trois fois sur quatre, une personne qui a une maladie à tiques avérée n'a pas le souvenir d'avoir été piquée car les larves qui mesurent deux ou trois millimètres sont contaminantes. Si elles vous piquent dans les cheveux, dans le dos, dans un pli, vous ne les voyez pas et vous êtes contaminé.

La comparaison avec la syphilis est pertinente. On appelle la maladie de Lyme « la grande simulatrice », comme on appelait la syphilis. Quand j'étais interne, toute personne arrivant à l'hôpital avec un corps au pied ou n'importe quel bobo était soumis à un test de dépistage de la syphilis parce cette maladie était très fréquente. La différence avec la maladie de Lyme, c'est que le test était fiable.

Je n'ai jamais vu les dégâts des traitements abusifs, à l'exception de ces 12 morts en 20 ans dans le monde entier à la suite de traitements par voie veineuse centrale que je condamne sans ambiguïté.

Les centres de référence et les consultations multidisciplinaires fleurissent en France. Pour les malades, ces consultations constituent un vrai scandale. Demandez aux associations de malades ! Soit on leur dit : « vous n'avez pas la maladie de Lyme, vous êtes fous, allez en psychiatrie ! », soit on les traite pendant trois semaines et on considère qu'ils sont guéris alors qu'ils sont encore malades. Au final, on récupère tous ces malades. On ne peut pas continuer comme ça.

Je peux citer 14 références dans la littérature scientifique qui prouvent la persistance de la bactérie après les traitements. Cessons de faire comme si cela n'existait pas.

Le Fluconazole a été testé sur de petites séries. On ne peut donc pas dire que c'est un traitement efficace pour tout le monde. Il faut mener des études plus approfondies.

Dans l'esprit de la Haute Autorité de santé, un centre de référence doit enregistrer tout ce que font les médecins pour pouvoir procéder à des évaluations, voir si les malades sont guéris, au bout de quel délai, etc. L'essentiel est de s'inscrire dans une démarche scientifique et rationnelle.

Docteur Raouf Ghozzi. - Le vaccin de Valneva semble prometteur mais il est encore trop tôt pour se prononcer. Il ne protégera que contre la Borrelia.

Sur l'ALD, je me suis rendu à la Cnam, début mars, pour comprendre pourquoi certains protocoles étaient acceptés et d'autres refusés. On est sur du hors liste. Si tous les critères requis sont respectés, le médecin conseil doit accepter l'ALD. Mais, et c'est logique, celle-ci peut être remise en question au bout d'un certain délai, en fonction de l'évolution du patient.

Au Centre national de référence de Strasbourg, lorsque l'on a un doute après une évolution non favorable sous traitement antibiotique, y compris pour des lésions typiques comme les lymphocytomes on n'hésite pas à faire des prélèvements. L'histologie est souvent typique, voire compatible, ce qui permet d'asseoir le diagnostic.

On a découvert en France la présence chez la tique de Borrelia myamotoi, qui est classée parmi les souches de fièvres récurrentes, non de maladie de Lyme. Or, au vu du tableau clinique dressé par différentes publications internationales, il semblerait que cette Borrelia se classe un petit peu à part. Il ne faut donc pas tout ramener à la maladie de Lyme. Il existe peut-être des souches particulières.

Docteur Pierre Tattevin. - Un vaccin contre la maladie de Lyme avait été commercialisé il y a quelques années avant d'être retiré de la circulation à cause des effets indésirables. Il conviendra donc de dresser le rapport bénéfices-risques du nouveau vaccin. Sur l'antibiothérapie prolongée, nous manquons encore d'études qui prouvent que ce protocole est efficace. Pour l'instant, les données semblent indiquer que cela ne fonctionne pas.

Pour les affections de longue durée, on en revient au débat sur le caractère chronique de la maladie de Lyme. Il est vrai que les personnes qui ont été traitées trop tard, notamment pour des formes neurologiques, peuvent conserver des séquelles pendant longtemps et dans ces cas-là, il ne serait pas aberrant de prévoir des indemnisations ou des aménagements des postes de travail. Ces cas restent rares. Une étude réalisée au Danemark montre que les personnes traitées finissent par guérir, mais cela est d'autant plus long qu'elles ont été prises en charge tardivement.

Je rejoins Christian Perronne : la plupart du temps les patients ne se rappellent pas avoir été piqués. Il ne faut donc pas faire de la piqûre de tique un critère obligatoire des diagnostics de la maladie de Lyme.

Des études américaines, reposant sur des grosses bases de données, prouvent que les patients qui reçoivent des traitements alternatifs ont plus de chances d'être admis aux urgences dans les semaines qui suivent ! Une autre étude très importante, parue dans le Journal of the American Medical Association, illustrait les catastrophes dues aux erreurs de diagnostic. Trois patients atteints de lymphome ou de sclérose en plaques, avaient été maintenus pendant des mois dans le circuit des Lyme doctors qui changeaient les traitements, à mesure que la situation du patient s'aggravait jusqu'à ce qu'un autre médecin repose la question du diagnostic. Mais il était trop tard !

Le rapprochement avec la syphilis est intéressant. La bactérie provoquant la syphilis et la leptospirose sont les bactéries les plus proches de la Borrelia, que l'on peut rencontrer en France. Toutes les deux ne sélectionnent pas de résistance et la pénicilline est aussi efficace en 2019 qu'en 1940. Ensuite si ces maladies sont bien traitées, les bactéries meurent et la maladie ne dégénère pas sous une forme chronique. Cette comparaison devrait plutôt nous rassurer à l'égard de la maladie de Lyme.

Nous soutenons fortement les centres de références. Il est nécessaire de constituer des équipes organisées pour mieux prendre charge la borreliose de Lyme. Il importe que ces équipes soient pluridisciplinaires et non centrées autour des infectiologues afin de pouvoir orienter le patient vers la spécialité adaptée : la neurologie, la rhumatologie, les centres de traitement de la douleur, la médecine interne, etc. Je tiens aussi à saluer ce qui a été mis en place par les équipes de Nancy ou de Besançon et qui vous a été présenté la semaine dernière.

Je pense que toutes les maladies sont patient-dépendantes. Nous consacrons un chapitre entier à la manière d'aborder les consultations. Nous préconisons de passer la première partie de la consultation à écouter le patient décrire ses symptômes, raconter son parcours, afin de définir une réponse individualisée.

Professeur Olivier Lesens. - Je veux revenir sur les centres de référence. On a trop tendance à laisser les patients dans une situation d'errance médicale. Les centres de référence constituent l'occasion de replacer le patient dans un parcours de soins où il n'est pas vu que par un infectiologue. Les syndromes polymorphes sont vieux comme la médecine. On entend parler de fibromyalgie ou de fatigue chronique depuis des années. Ces pathologies ont des causes multiples. Il est donc bon de croiser les regards, entre infectiologue et internistes. Il n'y a pas non plus que les antibiotiques, il y a aussi la rééducation fonctionnelle. Je n'ai pas peur de dire qu'il m'arrive d'orienter des patients vers des médecines douces. Il convient de travailler en réseau et les pratiques doivent être évaluées. Je ne suis pas opposé à l'évaluation des traitements séquentiels dès lors qu'elles sont réalisées dans le cadre d'une étude sérieusement menée.

Professeur Yves Hansmann. - L'examen des lésions ne permet pas, à lui seul, d'identifier une borréliose de Lyme car cette maladie ne provoque pas des lésions caractéristiques en histologie. Seul un examen bactériologique pour découvrir l'agent infectieux responsable de la maladie permet de poser diagnostic avec certitude.

Un mot aussi sur les Lyme doctors. Christian Perronne a utilisé tout à l'heure le terme de « persécution », ce terme est choquant. En Alsace, les seuls médecins qui ont été radiés l'ont été à cause de dérives accompagnées d'erreurs de diagnostic. Je suis favorable aux centres de référence qui permettront de proposer les meilleurs traitements à leurs patients, y compris pour ceux qui ne sont pas atteints de la maladie de Lyme. Au service des maladies infectieuses et tropicales de Strasbourg, nous faisons une évaluation des patients qu'on voit en consultation. Beaucoup sont passés par les mains des Lyme doctors et n'ont pas été satisfaits. Plus de 95 % de nos patients se déclarent satisfaits de la consultation, selon une évaluation que nous avons réalisée et qui est publique. M. Péronne évoquait des milliers de témoignages. Où sont les publications. Pourquoi ces données ne sont-elles pas partagées ? Comment les patients sont-ils traités ? Je ne comprends toujours pas s'ils guérissent ou non...Si les patients guérissent pourquoi reviennent-ils régulièrement consulter ?

Professeur Christian Perronne. - J'ai publié des données sur 100 malades. Réaliser une grosse étude randomisée coûte plus d'un million d'euros, et je n'ai pas de sponsors. Je suis prêt à faire ce genre d'études, mais j'ai besoin de crédits.

Professeur Yves Hansmann. - Notre évaluation ne nous a rien coûté car nous avons demandé à nos étudiants en thèse de s'y consacrer. Je vous invite à relire la publication de 2009 de Juliette Clarissou dans Médecine et maladies infectieuses : vous verrez si le taux de réponse est bien de 80 % sur les signes neurologiques et articulaires...

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