Venons-en maintenant au financement proprement dit. Deux questions primordiales se poseront à nous dans les années à venir :
- les financements tels qu'actuellement définis sont-ils suffisants ?
- les modalités de versement des aides à la dépendance, principalement l'APA, sont-elles satisfaisantes ?
Si nous sommes parfaitement tombés d'accord pour répondre à ces deux questions par la négative, nous vous exposerons dans quelques instants la divergence de vues qui sépare nos préconisations quant au modèle futur à dessiner. Il ne faut rien y voir de plus que la marque distinctive du Sénat de poser des diagnostics sur des bases indiscutables, pour laisser ensuite s'exprimer l'ensemble des sensibilités.
La première question tout d'abord. Nous serons à cet égard à l'unisson : la trajectoire financière tracée par le rapport Libault ne nous paraît pas réaliste. Ce dernier affiche en effet la conviction que les financements publics dégagés par l'extinction de la dette sociale suffiront, dès 2024, à combler l'ensemble des besoins aujourd'hui exprimés par les personnes âgées dépendantes.
Notre désaccord avec cette hypothèse a deux raisons principales :
- s'il est tout à fait exact que le rendement annuel de la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS), soit environ 8 milliards d'euros, une fois libéré de sa destination actuelle, suffirait mathématiquement à couvrir le reste à charge global de 7 milliards que nous avons initialement identifié, il n'est absolument pas assuré que, d'une part l'intégralité de la dette sociale sera effectivement apurée en 2024, et d'autre part que son produit, fortement convoité, ira totalement au financement de la dépendance. C'est faire un pari dangereusement optimiste que de gager le financement d'une dépense aussi stratégique et pérenne que la dépendance sur une source financière dont la fin programmée a connu depuis sa création plus d'un prolongement ;
- par ailleurs, fonder la couverture du reste à charge sur le chiffre de 7 milliards d'euros nous ferait passer à côté de toute la partie non consommée des plans d'aide APA et ne ferait que maintenir entier le problème du renoncement à certaines aides des personnes âgées dépendantes suivies à domicile. Disons-le tout net : la solution préconisée par le rapport Libault, conçue dans les limites de finances publiques largement amputées, n'impacterait en réalité que les résidents d'Ehpad, qui seuls alimentent les statistiques du reste à charge effectif.
Si nous nous contentons de raisonner à partir du reste à charge observé, nous occultons le véritable problème, autour duquel l'accord est pourtant unanime : une vraie politique de la dépendance ne doit pas se limiter à la baisse des tarifs de l'hébergement en établissement, au prétexte qu'elle diminuerait heureusement le reste à charge, mais doit favoriser la prévention et le maintien à domicile.
Soyons donc très attentifs à ne pas résumer la question du financement de la dépendance à la seule résorption du reste à charge observé : celui-ci n'épuise pas l'ensemble des problèmes rencontrés, notamment celui de la dissuasion à consommer l'intégralité du plan d'aide APA.
Nous vous faisons donc part d'une conviction forte : le modèle financier dans lequel le Gouvernement semble résolument engagé en matière de dépendance, qui se cantonne au fléchage de ressources existantes, nous semble mener directement à l'impasse.
Il nous faut donc imaginer un mode de financement alternatif et ressusciter les débats qui, il y a maintenant plus de dix ans, avaient véritablement identifié l'urgence d'une réforme systémique.